CHAPITRE QUATRIÈME :
Philippe II Auguste et Louis VIII (1180 à 1226)
I : Premières années de
règne de Philippe II Auguste (1180 à 1190)
1° La jeunesse de Philippe Auguste
(1165 à 1180) – De son mariage avec
Adèle de Champagne, le roi Louis VII n’avait eu qu’un fils,
Philippe II, né en 1165.
Ce
dernier fut surnommé Dieudonné, car il avait été longtemps attendu ;
mais aussi Auguste, en raison des conquêtes qu’il effectua sous son
règne (mais aussi parce qu’il était né en août).
Le
jeune homme fut couronné du vivant de son père, comme le voulait la coutume,
en novembre 1179, à Reims, par l’archevêque de la ville, Guillaume de
Champagne[1].
Le sacre
de Philippe II Auguste, enluminure issue des Grandes Chroniques de France, XIV°,
Bibliothèque Nationale.
L’année suivante, voulant contrecarrer l’influence du comte de Blois[2],
Philippe II se rapprocha de son parrain, Philippe I°, comte de
Flandre.
Ce
dernier lui proposa d’épouser sa nièce, Isabelle, fille de son
beau-frère Baudouin V, comte de Hainaut[3].
L’alliance était positive pour le roi, car son épouse lui apportait l’Artois
en dot.
Ainsi, une nouvelle cérémonie fut organisée pour le sacre d’Isabelle, en mai
1180, à Sens, par l’archevêque Guy de Noyers (à noter que cette
dernière ne se déroula pas à Reims, symbole de l’indépendance du jeune roi).
A l'occasion, le jeune souverain reçut l'onction sainte une deuxième
fois.
Le sacre de Philippe II Auguste, par Jean Fouquet, enluminure issue de
l'ouvrage Grandes chroniques de France,
Paris, France, XV°siècle.
En
septembre 1180, Louis VII, âgé et épuisé par la maladie, mourut.
Contrairement à ses ancêtres, le défunt ne fut pas inhumé dans la basilique
Saint Denis mais dans l’abbaye Saint Port de Barbeau, qu’il avait érigé[4].
Philippe II était désormais seul roi. Lors de son accession au pouvoir, ce
dernier était encore jeune, mais, contrairement à son père, il sut faire
preuve d’un profond sens politique. Ainsi, tout au long de son règne,
Philippe II n’eut de cesse d’agrandir le domaine royal aux dépends des
grands féodaux.
La France en 1180, lors de l'arrivée de
Philippe II Auguste sur le trône.
2° Guerre contre la Flandre (1182 à
1186) – En 1182, constatant que les
caisses de l’Etat étaient vides, Philippe II commença par s’attaquer aux
juifs installés sur le domaine royal. Ces derniers, qui gagnaient beaucoup
d’argent grâce au métier d’usurier[5],
furent soumis à de lourds impôts et menacés d’expulsion. Les juifs payèrent
alors 15 000 marcs[6]
à la couronne, et furent autorisés à rester (à noter que jusqu’à présent,
les rois de Francie[7]
avaient eu une politique de conciliation vis-à-vis de cette communauté).
Ces mesures, au demeurant populaires et soutenues par l’Eglise, prirent fin
à compter de 1198.
Philippe II Auguste, par Jean DE TILLET, XVI° siècle.
La
même année, Philippe II décida de secouer le joug de Philippe de Flandre.
Outre son comté, ce dernier possédait, sans droits bien établis, les comtés
de Vermandois, de Valois et d’Amiens[8].
Les comtés de Vermandois et
de Valois avaient été cédés en 1080 à Hugues I°, frère du roi des
Francs Philippe I°[9]
(sa veuve avait ensuite reçu le comté d’Amiens des mains de Louis VI le
Gros[10]).
A la mort de son petit-fils, Raoul II, malade de la lèpre, le comté
fut cédé à la sœur du défunt, Isabelle. Cette dernière, quant à elle,
épousa Philippe I° de Flandre en 1159.
Le
jeune souverain demanda alors à son parrain de restituer ces territoires à
la couronne.
Dans un premier temps, le comte de Flandre refusa, nouant des alliances avec
plusieurs seigneurs de la région. En représailles, Philippe II assiégea
Amiens, parvenant à détacher son beau-père Baudouin V de l’alliance avec le
comte de Flandre.
En
1183, la situation évolua drastiquement avec la mort d’Isabelle, épouse de
Philippe I°. Désormais, le Vermandois était réclamé par Eléonore,
sœur de la défunte, qui bénéficiait du soutien du roi des Francs.
La
même année, une trêve d’un an fut signée, grâce à la médiation d’Henri II,
roi d’Angleterre[11].
En 1186, les deux belligérants acceptèrent finalement de faire la paix : le
comte de Flandre n’ayant pas d’héritiers, il conserverait le comté de
Vermandois jusqu’à sa mort, qui serait ensuite rétrocédé à la couronne[12].
4° Guerre contre l’Angleterre (1186 à 1189) – Comme nous
l’avons vu précédemment, le divorce deLouis VII avait eu des
conséquences désastreuses.
En
1152, Aliénor se remaria avec Henri II Plantagenêt. Ce
dernier, fils de Geoffroy V, héritait par son père du comté d’Anjou
; par sa mère Mathilde[13],
du duché de Normandie et du royaume d’Angleterre ; par sa femme, du duché
d’Aquitaine.
Louis VII, conscient de son erreur, avait tenté de rabaisser la puissance de
son vassal, en profitant de la querelle qui l’opposait à ses fils, mais en
vain.
a)
Nouvelle révolte d’Henri le Jeune (1183) : en 1183, Henri le Jeune,
aîné du roi d’Angleterre, décida de reprendre les armes. Ce dernier
n’appréciait guère de ne pas régner effectivement sur l’Anjou, alors que ses
frères, Richard (surnommé Cœur de Lion)et Geoffroy,
régnaient respectivement sur l’Aquitaine et la Bretagne (à noter qu’Henri le
Jeune s’était révolté pour les mêmes raisons dix ans plus tôt).
L’aîné d’Henri II, brouillé avec Richard qui avait refusé de lui prêter
hommage, décida de marcher sur l’Aquitaine. Il y fut bien reçu par les
seigneurs de la région, qui n’appréciait guère le joug que leur imposait
Richard.
Henri le Jeune, bénéficiant du soutien de Philippe II, qui s’était allié
avec son cousin Hugues III, duc de Bourgogne[14],
et Raymond V, comte de Toulouse[15],
tomba malade à Martel, près de Limoges.
Ce
dernier, envoyant un messager auprès de son père, tenta de se réconcilier
avec lui. Toutefois, Henri II refusa de rencontrer son fils, craignant une
ruse.
Henri le Jeune mourut en juin 1183, mettant un terme à la rébellion en
Aquitaine.
b)
Nouvelle révolte de Richard et Geoffroy (1186 à 1189) : toutefois, la
bonne entente entre Henri II et ses fils ne dura guère.
Suite à la mort d’Henri le Jeune, Geoffroy demanda en vain à son père de
réunir l’Anjou au duché de Bretagne ; en outre, Henri II demanda à Richard,
désormais héritier de la couronne, de céder l’Aquitaine à son cadet Jean,
mais ce dernier refusa.
Marri, Geoffroy décida alors de gagner la Cour de Philippe II, où il mourut
au cours d’un duel en 1186 ; Richard, quant à lui, fit alliance avec le roi
des Francs contre son père.
Dans un premier temps, Philippe II réclama que soient célébrées les noces de
Richard et d’Adélaïde[16],
qui avaient été fiancés en 1174 ; dans le cas contraire, Henri II devrait
rétrocéder le Vexin, dot de Marguerite[17],
veuve d’Henri le Jeune.
Toutefois, le mariage était retardé depuis longtemps car Adélaïde était la
maîtresse du roi d’Angleterre.
En
1187, Philippe II envahit le Berry, prenant plusieurs places fortes ;
l’année suivante, Richard s’allia avec le roi des Francs et lui prêta
hommage pour le duché d’Aquitaine[18].
Philippe II, rencontrant Henri II en novembre 1188, exigea la célébration du
mariage de Richard et d’Alix, réclamant aussi que le roi d’Angleterre cède
le comté d’Anjou à son aîné et le reconnaisse comme son héritier.
Statue de Philippe II Auguste, château de Versailles, Versailles.
Comme Henri II refusa les exigences de Philippe II, de nouveaux pourparlers
furent établis en 1189, grâce à la médiation du pape Clément III. Les
deux belligérants se rencontrèrent alors en mars à La Ferté-Bernard.
Toutefois, les négociations, se déroulant dans un contexte de pré-croisade[19],
furent un échec. Henri II proposa de marier Adélaïde non avec Richard mais
avec Jean ; de leur côté, Philippe II et Richard annoncèrent leur volonté de
participer à la croisade (à condition que Jean, cadet d’Henri II, soit aussi
du voyage, Richard craignant d’être dépossédé par son père).
A
l’issue de la rencontre, Philippe II lança une attaque surprise contre
l’Anjou, surprenant Henri II au Mans.
Le
roi d’Angleterre parvint à s’échapper, mais la ville fut prise en juin 1189.
A la même date, de nombreux seigneurs de la région firent allégeance auprès
du roi des Francs.
Henri II, sentant sa fin arriver, recula vers Tours (prise en juillet par
les Francs en juillet), puis vers Chinon.
De
nouveaux pourparlers furent alors entamés à Ballans, en Charente-Maritime.
Henri II, affaibli par la maladie, accepta de prêter hommage à Philippe II,
lui cédant le Berry ainsi que plusieurs places fortes en garantie ; de
nommer Richard comme héritier, qui devait épouser Adélaïde ; et de payer les
frais de la guerre (à savoir 20 000 marcs d’argent).
Henri II mourut quelques jours après, marri d’apprendre que Jean, son cadet,
avait lui aussi participé à l’insurrection.
A
noter que la mort du roi d’Angleterre n’arrangea pas les affaires de
Philippe II, qui fut contraint de remettre à Richard tous les territoires
qu’il avait conquis au cours de la campagne, à l’exception de quelques
places fortes.
Richard, quant à lui, fut couronné roi d’Angleterre à Westminster, en
septembre 1189.
[1] Ce dernier était le frère d’Adèle, mère du roi
de France (tous deux étaient les fils de Thibaud IV, comte de
Champagne).
[2] Rappelons que Thibaud IV, comte de Blois,
avait marié ses deux fils, Hugues I° et Thibaud V, aux
filles de Louis VII ; le roi des Francs avait quant à lui épousé sa
sœur Adèle. Voir à ce sujet le d), 6, chapitre troisième, les
Capétiens.
[3] Ce dernier avait épousé Marguerite,
sœur de Philippe de Flandre, en 1169.
[4] Ses restes furent toutefois inhumés dans la
basilique Saint Denis en 1817 par Louis XVIII.
[5] L’Eglise considérait qu’il était immoral qu’un
chrétien prête de l’argent à un autre avec des intérêts (c’est ce
qui s’appelle l’usure.). Ce furent donc les juifs qui occupèrent ce
genre d’emplois.
[6] Le marc était une mesure de masse, valant huit
onces ou une demi-livre.
[7] Suite au partage de 843, l’Empire carolingien
fut divisé en trois entités : la Francie occidentale pour Charles
le Chauve, la Francie médiane pour Lothaire, et la
Francie orientale pour Louis le Germanique. Toutefois, la
Francie médiane disparut en l’espace de quelques années, et le terme
de Francie orientale laissa peu à peu sa place à celui de Germanie.
Ainsi, la Francie occidentale fut peu à peu appelée Francie. Pour en
savoir plus sur le partage de 843, voir le b), 2, section II,
chapitre troisième, les Carolingiens.
[8] Nous avons vu précédemment que les comtés de
Vermandois et de Valois avaient été cédés en 1080 à Hugues I°,
frère du roi des Francs Philippe I° (sa veuve avait reçu le
comté d’Amiens des mains de Louis VI le Gros). A la mort de
son petit-fils, Raoul II, malade de la lèpre, le comté fut
cédé à la sœur du défunt, Isabelle. Cette dernière, quant à
elle, épousa Philippe I° de Flandre en 1159.
[9] Pour en savoir plus
sur le règne de Philippe I°, cliquez ici.
[13] Cette dernière était la fille d’Henri I°, roi
d’Angleterre, dont nous avons évoqué la succession houleuse en d),
3, chapitre deuxième, les Capétiens.
[14] Hugues III était un descendant de Robert,
frère d’Henri I°, roi des Francs, qui lui avait cédé le duché
de Bourgogne en apanage (c'est-à-dire qu’il devait être rétrocédé à
la couronne en cas d’extinction de la dynastie).
[15] Rappelons que les Etats de Raymond V avaient
été envahis par Henri II en 1159. Voir à ce sujet le c), 6, chapitre
troisième, les Capétiens.
[16] Rappelons qu’il s’agissait de la fille que
Louis VII avait eu avec Constance, sa seconde épouse.
[17] Cette dernière était la fille de Louis VII et
Constance, sa seconde épouse.
[18] Si les Capétiens ne régnaient que sur le
domaine royal, correspondant à l’actuelle région parisienne, ils
restaient roi de Francie. Ainsi, les seigneurs du royaume étaient
tenus de prêter hommage au roi des Francs, reconnaissant ainsi sa
suzeraineté.
[19] Nous reviendrons plus tard sur la troisième
croisade.