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Alesia

 

Conclusion générale

Protection de la recherche ou protection d’intérêts ?

 

            Toute personne qui découvre le double dossier archéologique d’Alise-Sainte-Reine et de Chaux, Crans et Syam ne peut échapper à un moment de grand étonnement. Ce qui surprend le plus ce n’est pas que soit apparu un site jusque là totalement inconnu. Ce qui surprend c’est que le site officiel connu de tous puisse être à ce point fragile. Il est pourtant présenté comme mettant fin à toute controverse et le site du Jura est de son côté tout aussi officiellement réfuté. Douter de ces affirmations semblait impossible.

 

            De loin l’édifice est solide et même harmonieux. Rien ne manque, ni les moyens financiers (six ans de fouilles intensives), ni l’autorité des savants, ni l’érudition, ni le soutien des institutions et de livres innombrables, histoires, encyclopédies, guides touristiques... Tous les arguments possibles se croisent et se répondent. Leur masse est impressionnante.

 

De près, tout change : une géographie incohérente ; une datation imposée sans preuves ; des vestiges militaires de plusieurs âges, confus, incertains, reconnus pour tels et cependant adoptés sans réserve ; des armes compromettantes ; des monnaies suspectes ; des poteries disparues ; des camps romains absurdes dont l’un est déplacé et sape la légitimité du résultat des fouilles ; des textes arrangés ; des fraudes ; une érudition corrompue par une logique partisane dont les démonstrations dévoyées fuient l’analyse et finalement un entassement de fables indignes de l’esprit de la recherche, voilà les assises de la thèse officielle.

 

Ses partisans n’en débattent au grand jour qu’exceptionnellement. Ils préfèrent nier les faits ou recourir à des moyens chancelants (le principe d’autorité), frauduleux (la « réfutation » du site jurassien), parfois risibles (s’en remettre au savoir archéologique d’un aubergiste de village, cacher les armes, truquer ses propres textes…).

 

D’autres procédés sont encore moins heureux : tirer une conclusion opposée à ses prémisses, tracer des plans sans rapport avec les chiffres annoncés, présenter comme quantités équivalentes quelques rares objets et plusieurs centaines d’autres, glisser des calomnies dans un rapport officiel, présenter faussement les résultats de sondages archéologiques, inventer une moraine, nier des reliefs, truquer la description d’un site et des chiffres, blâmer le nombre restreint de témoignages archéologiques d’un lieu où l’on interdit soi-même les fouilles[1]… Faut-il l’écrire ?  Cette duplicité déployée pour imposer ses propres vues touche de façon gênante à la morale personnelle.

 

            Cet enchaînement fatal provient de l’absence avant toute localisation d’une analyse objective et complète des données disponibles. C’est la maladie congénitale d’Alise-Sainte-Reine. Elle est sans remède.

 

Dès l’origine la question a été prise à l’envers. Napoléon III tenait un nom, un lieu et des traces de retranchements. Cela suffisait. Les textes autres que ceux de César (et encore), latins, grecs, byzantins, leur recoupement, leur critique, leurs apports stratégiques et historiques, tout fut négligé. Très vite des érudits de l’époque ont élevé des objections imprévues auxquelles il fallut répondre plus ou moins bien. Le temps passa, les responsables d’Alise-Sainte-Reine se succédèrent, chacun l’élève du précédent, chacun apportant sa pierre à la défense de celui qu’il espérait remplacer. Cette généalogie universitaire ordinaire interdit mécaniquement certaines libertés de pensée et toute remise en cause. Alise-Sainte-Reine se doit d’être Alésia de façon évidente et depuis si longtemps qu’une petite erreur ici, une facilité là, un peu ou même beaucoup d’imagination ailleurs, un rien de jonglerie avec les manuscrits, tout cela pris cas par cas reste explicable même si chez un chercheur ce n’est pas véniel. Chaque effort tenté pour rester dans la ligne relève, dans son parti pris même, d’une innocence compréhensible, classique dans toute recherche un peu figée.

 

C’est l’ensemble qui inquiète, cette addition finalement spectaculaire de glissements, tous dans le même sens, qui aboutissent à donner l’impression d’un montage sinon voulu du moins toléré. Peut-être même est-il sciemment renforcé quand par exemple on tire des conclusions illogiques de faits établis ou quand on falsifie la description des lieux.

 

Imaginons la situation inverse. Imaginons que d’obscurs chercheurs affirment avoir découvert un site archéologique majeur ; imaginons qu’ils le soutiennent en frelatant des traductions, en niant des témoignages, en cachant des objets, en niant les cartes géographiques, en fraudant sur la présentation des résultats, en mentant effrontément sur les faits gênants, en inventant des fables pataudes et en bâclant la datation… Quel tollé des institutions et de leurs dirigeants !  Les plus modérés parleraient de bouffonnerie et d’aveuglement, les autres d’escroquerie : et à Alise-Sainte-Reine il n’y aurait rien à redire ?

 

Le site du Jura se présente sans aucun de ces artifices. Les sondages archéologiques y sont rares (puisque interdits) mais datés dans les règles. On parcourt les positions textes en main, reconnaissant à chaque instant les lieux décrits, les retranchements, les manœuvres ; on constate la nécessité pour César d’en faire le siège et les chances des Gaulois de l’emporter. On comprend enfin la phrase de Plutarque : « Le danger que courut César est supérieur à tout ce qu’on peut dire[2],» alors qu’à Alise-Sainte-Reine la partie aurait été gagnée d’avance pour les Romains tant le site aurait offert peu de ressources aux Gaulois assiégés.

 

Les responsables de l’archéologie ne sont ni incompétents ni aveugles. Ils savent que la discussion au grand jour et des fouilles générales les confondraient presque à coup sûr : s’ils n’en étaient pas convaincus, eux aussi souhaiteraient ces confrontations scientifiques pour éliminer enfin une hypothèse qui les irrite. Or ils s’y opposent par tous les moyens.

 

Peut-être n’y a-t-il pas que le poids des institutions et de leurs habitudes. Dans les domaines de l’histoire et de l’archéologie l’administration ne vit pas dans un monde clos. Ces sujets intéressent le grand public. Des livres sur Alésia écrits par une sommité commentant ses propres travaux se vendent assez bien et finissent d’asseoir une réputation. Existe-t-il alors un risque d’autosuggestion ?  Celle-ci pourrait expliquer au moins pour partie la série des déformations relevées contraires à toutes les règles déontologiques et qui touchent aux points essentiels du dossier.

 

Il faut rappeler un manquement supplémentaire à cette autre règle qui s’impose en toute priorité à l’archéologie : la protection des sites. Sur celui du Jura rien n’est fait. Que le passage d’une conduite révèle en plein champ des pièges romains n’entraîne aucune réaction ; qu’un chenil s’installe dans un fort en y commettant des dégâts irréversibles et c’est le maire, seul, qui doit user de son influence pour l’arrêter ; que des chemins extrêmement anciens et liés au site militaire disparaissent peu à peu du terrain et des cartes n’émeut aucune autorité ; que des travaux qui arasent des vestiges divers soient parfaitement possibles et autorisés en l’absence de toute protection, c’est normal. Aucune mesure de protection n’a jamais été prise, sinon sur place l’intervention des défenseurs du site sans autre moyen que la persuasion. Depuis des siècles, la sauvegarde du site n’est due qu’à son isolement mais celui-ci est de moins en moins réel. Laisserait-on perdre ce patrimoine sans l’étudier ? 

 

Finalement la question qui se pose n’est donc pas de savoir si des fouilles dans le Jura ou une discussion ouverte à propos de ce site nuirait à Alise-Sainte-Reine, ni si dans ce cas s’effondreraient des hypothèses mal assises, sans parler de la justification des dépenses engagées à Alise-Sainte-Reine dans des travaux réfutés alors sans appel. La question n’est pas non plus de prouver à tout prix que l’Alésia antique soit dans le Jura.

 

La question est de savoir si l’administration de l’archéologie agit dans l’intérêt de la recherche et si, pour protéger les intérêts de toutes natures de ses dirigeants, une découverte de cette ampleur, quelle qu’elle soit, peut être soustraite à notre patrimoine historique.

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[1] Cf les paragraphes b) et c), 2, section III, chapitre premier ; section II, chapitre troisième, Alesia.

[2] Plutarque, César, XXVII.

 
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