La maison de Saxe, au
cours du siècle pendant lequel elle fut à la tête de l’Allemagne, suivit une
politique se résumant en trois points : défendre l’Allemagne contre ses
ennemis extérieurs, reconstituer l’Empire de Charlemagne, dominer l’Eglise.
1° Henri I°
l’Oiseleur (918 – 936) – Les grands de Saxe, assemblés avec ceux de
Franconie, ratifièrent le choix sans discussion la décision de Conrad, et
proclamèrent Henri (il était surnommé l’Oiseleur à cause de sa
passion pour la chasse.).
Henri I° ne fut cependant pas
accepté partout, les ducs de Bavière et de Souabe lui étant hostile.
Cependant, le nouveau roi parvint à les gagner à sa cause.
Sous son règne, la Germanie fut
en paix. Il mena d’ailleurs une politique profondément germaniste,
n’étant pas obsédé par l’Italie comme le furent ses successeurs. A cette
époque, il n’y eut pas de troubles à l’intérieur du royaume, et à
l’extérieur, le roi parvint à avoir raison des barbares.
A l’époque, trois peuples
menaçaient la Germanie : les Danois, les Slaves et les Hongrois. Henri
I°
s’occupa d’abord des Danois en faisant irruption dans leur pays, prenant la
région du Sleswig, établissant une colonie saxonne sous le commandement d’un
margrave : ce fut la marche du Sleswig.
Ensuite, il punit les Slaves en
leur enlevant une de leur principales forteresses, Brunibor, qui sous
un autre nom devint la capitale de la marche de Brandebourg.
Enfin, pour contrer les Hongrois,
le roi éleva en Saxe, aux endroits les plus menacés, une série de
forteresses. Ces dernières (Meissen, Gotha, Goslar, etc.), bien équipées en
vivres, en hommes et en armes, formèrent la marche de Misnie.
Ainsi étaient recrées les
marches, instaurées par Charlemagne, que ses successeurs avaient laissé
dépérir.
Une fois ses
frontières assurées au bout de quelques années, le roi rassembla sous ses
ordres une forte armée, et attaqua les Hongrois.
En 931, leurs ambassadeurs
vinrent réclamer leur tribut annuel. Le roi leur fit alors remettre un chien
galeux à qui on avait coupé la queue et les oreilles.
Pour venger cette insulte, deux
armées hongroises envahirent la Germanie, mais elles n’en furent pas moins
écrasées.
Les Hongrois revinrent alors une
nouvelle fois à l’attaque, et furent battus une fois de plus, en 934, sous
les murs de Merseburg. Il ne reparurent alors plus en Germanie
pendant vingt ans.
2° Othon I° le
Grand (936 – 973) – Henri I° ne survécut que deux ans à cette victoire.
Lorsqu’il mourut, son fils aîné Othon I° lui succéda. Ce dernier avait plus de
génie et plus d’ambition que son père, mais il eut cependant moins de
loyauté…
Portrait d'Othon I le Grand,
par Lucas CRANACH, XVI°.
- Othon I° et l’Allemagne : Othon
I° passa
les vingt premières années de son règne à établir solidement son autorité en
Germanie, car il ne souhaitait pas n’être qu’un roi en peinture,
comme l’était son contemporain le roi de France Louis IV d’Outre mer[1].
Il réussit en partie, grâce à un
heureux concours de circonstances. Le hasard voulut qu’alors les grands
duchés devinrent vacants, et, comme suzerain, le roi en fit autant de fiefs
qu’il distribua à sa famille. Son frère Henri reçut la Bavière, son fils
Ludolphe eut la Souabe, son gendre Conrad le Rouge eut la Lorraine et la
Franconie. Il donna aussi l’archevêché de Mayence à son frère Brunon, et
l’archevêché de Cologne à son fils Guillaume.
Les liens du sang étant
facilement corruptibles, Othon I° fit en sorte de rattacher autrement ces
grands duchés à la royauté. Il y installa, dans chacun d’entre eux, un
comte palatin, chargé d’administrer les domaines royaux éparpillés dans
toute la Germanie et de surveiller les ducs.
En outre, afin de contrebalancer
la puissance des seigneurs, Othon I° accrut la puissance des évêques, leur
distribuant comtés et duchés, achevant ainsi de constituer la féodalité
ecclésiastique face à la féodalité laïque.
Cependant, les comtes palatins et
les seigneurs évêques devinrent peu à peu indépendants vis à vis de la
royauté, aussi hostile à elle que ceux qu’ils étaient en charge de
surveiller et de combattre. Cependant, ce changement d’attitude prit
réellement de l’ampleur après le règne d’Othon I°.
- Othon I° et les barbares :
Avec un pouvoir fort à l’intérieur, Othon I° put s’occuper sérieusement des
affaires extérieures. Othon I° dut combattre trois ennemis, ceux que son père
avait dû affronter plusieurs années auparavant : les Danois, les Slaves et
les Hongrois.
Tout d’abord, le roi s’en prit
aux Danois. Ces derniers demandèrent la paix, qu’Othon I° n’accepta qu’à la
condition que leur roi, Harald à la Dent Bleue, se convertisse au
christianisme et se fasse baptiser.
Ensuite, il imposa un tribut aux
Slaves de Bohême, et contraignit leur duc Bodeslas à favoriser le
christianisme (ce dernier avait en effet persécuté les chrétiens.). Il
imposa aussi l’hommage au duc de Pologne Miécislas, avec l’obligation de
laisser s’élever l’évêché de Posen.
On voit bien qu’Othon I° reprenait
ici la stratégie de Charlemagne, qui pensait que les conquêtes n’étaient
solides que si elles allaient de front avec le christianisme. Ainsi
naquirent plusieurs évêchés : Sleswig et Aarhus au Danemark ; Magdebourg,
Brandebourg, Meissen, Posen chez les Slaves de l’Elbe et de l’Oder ; Prague
en Bohême.
Mais la lutte n’était pas finie.
Encore fallait il que le roi s’occupe des Hongrois.
Ces derniers avaient pénétré en
Germanie, et assiégeaient Augsbourg. En 955, Othon I° leur livra une bataille
sous les murs de la ville, au cours de laquelle ils furent vaincus. Après ce
terrible échec, les Hongrois ne revinrent plus jamais en Germanie. 50 ans
après, ils embrassèrent le christianisme, cessant d’être une menace pour
l’Europe.
Pointe de lance et épées franques, IX°-X° siècle, Deutsches historisches museum, Berlin.
- Othon I° et l’Italie :
Morcelée, à l’instar de la France et de l’Allemagne, en une myriade de
principautés laïques et ecclésiastiques, l’Italie continuait à être livrée à
la guerre civile.
Et lorsque l’un de ses seigneurs
parvenait à s’imposer aux autres, ce n’était pas pour faire régner l’ordre
et la justice, mais pour mieux pouvoir éliminer ses rivaux.
Ainsi, Hugues, comte de
Provence, proclamé roi d’Italie, voulut dépouiller les uns après les autres
les grands feudataires, y compris son propre neveu, Bérenger, marquis
d’Ivrée. Ce dernier se sauva alors en Germanie, prévenu de justesse par
Lothaire, le propre fils de Hugues.
Peu de temps après, appelé par
les seigneurs italiens, il revint combattre son oncle. Ce dernier, abandonné
de tous, abdiqua en faveur de son fils.
Il fut alors passé un accord
entre Lothaire et Bérenger, qui se partagèrent la dignité royale. Cependant,
Bérenger se lassa vite de cet embarrassant collègue, et le fit empoisonner
en 950.
Puis il força Adélaïde,
veuve de ce dernier, à épouser son fils Adalbert. Cette dernière refusant,
elle fut battue puis enfermée dans un château, sur les bords du lac de Garde.
Adélaïde parvint cependant à
s’échapper à l’aide d’un prêtre, puis se réfugia au château de Canossa, dans
les Apennins. Là, elle implora le secours du roi de Germanie.
Ce dernier, qui avait perdu sa
femme Edith, accepta l’occasion qui se présentait de gagner à la fois un
royaume et la main d’une femme célèbre pour sa beauté et ses malheurs.
En 951, il entra dans la
péninsule, et arriva à Pavie sans rencontrer de résistance. Là, il épousa
Adélaïde, et se déclara roi d’Italie.
Cependant, Bérenger étant venu
quelques mois plus tard dans une diète à Augsbourg, le roi lui rendit sa
couronne, à condition qu’il la tienne comme un fief de Germanie, et en se
réservant la marche de Vérone, qui lui ouvrait les Alpes.
- Othon I° et l’Empire (962) :
Les revers de fortune n’assagirent pas Bérenger, qui continua de malmener
seigneurs et évêques. Pour lui échapper, le pape Jean XII appela
Othon I°,
lui promettant la couronne impériale, délaissée depuis près de 40 ans.
En 962, le roi de Germanie passa
alors une nouvelle fois en Italie. Il se fit d’abord sacrer roi à Milan,
puis il fut sacré Empereur à Rome par Jean XII. A cette occasion, Othon dut
jurer de maintenir les donations faites au Saint Siège par Charlemagne et de
protéger l’indépendance de la papauté.
Si en l’an 800, Léon III, en
sacrant Charlemagne, recréa l'Empire romain, Jean XII, en 962, en
sacrant Othon I°, créa l'Empire romain germanique. En
effet, tous les Empereurs qui suivirent ne furent qu’Allemands (à noter
toutefois que cette appellation ne fut employée qu'à partir du XV° siècle.).
Seulement, il faut bien noter que
la couronne impériale, à laquelle était attachée la possession de l’Italie,
restait distincte de la couronne de Germanie. Un souverain pouvait être
roi de Germanie, mais il n’était pas pour cela Empereur.
Pour être Empereur, il fallait
aller à Rome, être agrée par le pape et sacré par lui.
Les rois de Germanie respectèrent cette manière
de faire, car jamais ils n’osèrent prendre le titre d’Empereur avant d’avoir
été sacrés à Rome par le souverain pontife[2].
En tout cas, si le nouvel
Empereur fut un défenseur de l’Eglise, comme l’était Charlemagne (création
des évêchés de Prague, Magdebourg, Brandebourg, etc.), il ne fut pas un
défenseur du pape Jean XII. En effet, il tint en 963 un conciliabule dans
l’église Saint Pierre de Rome, afin de déposer ce dernier.
S’ensuivit alors une période de
troubles à Rome, car l’Empereur avait fait remplacer Jean XII par Léon
VIII. A la mort de ce dernier, Benoît V fut élu pape, mais il fut lui
aussi déposé par Othon, en 965.
Othon I° profita une
dizaine d’années de la couronne impériale. Il mourut presque subitement, en
mai 973, alors qu’il venait d’assister à une messe.
3° Derniers rois
de la maison de Saxe (973 – 1024) – trois rois se succédèrent
successivement sur le trône de Othon I°, mais aucun ne parvint à l’égaler.
- Othon II (973 – 983) :
Lorsque Othon I mourut, ce fut son fils Othon II qui lui succéda. Ce dernier
ne fit que deux expéditions importantes à l’étranger, au cours de son règne.
La première fut organisée à
l’encontre du roi de France, Lothaire.
Le roi de Germanie avait cédé à
Charles, le frère du roi Lothaire, la Basse Lorraine, sous suzeraineté
impériale. Mais le roi de France était mécontent de cet arrangement, sachant
qu’il avait des vues sur ce duché.
En juin 978, à la tête d’une
armée de 20 000 hommes, il marcha sur Aix la Chapelle, et faillit prendre
Othon II dans son palais. Ce dernier eut cependant le temps de s’enfuir et
de se réfugier derrière le Rhin. Le roi de France décida de piller Aix la
Chapelle, puis se retira sans être menacé.
Le roi de Germanie n’allait pas
laisser l’affront impuni, d’autant plus que Lothaire était un roi de faible
envergure par rapport à lui. Othon II convoqua alors ses seigneurs, entra en
France, pillant et ravageant tout sur son passage.
Lothaire dut alors se replier
derrière la Seine, alors que le roi de Germanie mit le siège devant Paris,
assisté de 30 000 hommes. Mais Hugues Capet défendit vaillamment la ville
jusqu’à l’hiver. Le froid arrivant, Othon II préféra abandonner la lutte.
Mais avant de partir, les Allemands firent retentir aux oreilles des
Parisiens un magistral Te Deum.
La retraite fut pénible,
l’arrière garde se faisant exterminer lors du passage de l’Aisne, près de
Soissons.
Une seconde
expédition fut faite en Italie méridionale.
Othon II avait en effet épousé la
fille d’un Empereur de Constantinople, Théophano. Pour dot, il
réclamait aux Grecs l’Italie méridionale, qu’ils occupaient depuis
l’expédition de Bélisaire. Les réclamations du roi de Germanie ne furent pas
écoutées, et il en vint aux armes.
Les premiers affrontements
furent des succès pour les troupes d'Othon II, lorsque ces dernières furent
alors confrontées aux musulmans de Sicile.
Les deux adversaires se livrèrent alors une grande bataille au cap Cotrone, en juillet 982.
Finalement, les Germains furent écrasés, et Othon II ne put se sauver qu'en
plongeant dans la mer avec son cheval (il fut par la suite récupéré par une galère grecque, d’où il s’échappa plus tard à la nage.).
Alors que les
Germains se faisaient battre en Italie, une révolte générale des Slaves
amena l’effondrement momentané de la colonisation allemande à l’est de
l’Elbe.
Othon II mourut l’année suivante,
en 983.
- Othon III (983 – 1002) :
Ce dernier avait trois ans à la mort de son père. Il grandit sous la tutelle
de sa grand mère Adélaïde et de sa mère Théophano.
Portrait d'Othon III, représentation issue de
l'Évangéliaire d'Othon III, fin du Xe siècle.
Déclaré majeur en 996, son
premier acte fut de faire élire son neveu, Brunon, qui prit le nom de
Grégoire V, et qui fut le premier pape allemand. Ce dernier couronna
ensuite Othon III Empereur.
Cependant, Grégoire V ne plut pas
aux Romains, et cette impopularité favorisa les intrigues d’un sénateur
romain, Crescentius. Ce dernier s’empara du gouvernement, chassa le
pape, et créa un antipape, Jean de Calabre. En 998, Grégoire V,
dépouillé de tout, s’enfuit en Lombardie, d’où il appela l’Empereur à
l’aide.
Les Etats d'Italie en l'an mil.
La vengeance d’Othon III fut
terrible. Il captura l’antipape qui avait fui Rome en voyant les Germains
arriver, lui coupa la langue et le nez, lui arracha les yeux, puis le fit
promener dans toute la ville, monté à rebours sur un âne.
Quant à Crescentius, enfermé au
château Saint Ange, il dut se rendre lui aussi, puis fut décapité avec une
dizaine de ses partisans. Leurs cadavres furent alors pendus par les pieds à
un gibet.
Le château Saint Ange, Rome,
été 2013.
En 999, Grégoire V mourut et fut
remplacé par le précepteur de l’Empereur, le savant français Gerbert,
qui prit le nom de Sylvestre II. L’impératrice Adélaïde mourut la
même année.
Le pape Sylvestre II, vers 1480, Bode museum, Berlin.
Othon III ne survécut cependant
pas longtemps à sa grand mère : en 1002, la veuve de Crescentius se vengea
en empoisonnant le jeune Empereur, qui mourut à l’âge de 23 ans.
- Henri II le Saint (1002 –
1024) : Othon III n’avait pas d’enfants, on lui donna donc comme
successeur son cousin Henri II, duc de Bavière. Le père de ce dernier,
Henri le Querelleur, avait voulu s’emparer de la couronne en 983.
Henri II, quant à lui, resta dans les mémoires comme un souverain préférant
plutôt le cloître que le trône.
Ce roi aux aspirations monacales
se battait bien au besoin, tout en veillant aux intérêts de l’Eglise (il
favorisa notamment les missions et la réforme monastique.). Mais il ne
négligeait cependant pas ses droits et devoirs de souverain :
Deux compétiteurs lui disputaient
la couronne de Germanie : le margrave de Misnie et le duc de Souabe. Tous
deux durent cependant faire leur soumission.
Le duc de Pologne, Boleslas,
avait envahi la bohême et chassé son duc, vassal de l’Allemagne. Henri
décida alors de contre attaquer, mais Boleslas eut raison de ses troupes. Le
roi dut donc laisser reculer le germanisme jusqu’à l’Elbe.
En Italie, Arduin, marquis
d’Ivrée, avait ceint la couronne. Henri décida alors de franchir la
frontière. Comme le roi de Germanie fut soutenu par les sympathies
italiennes, Arduin fut forcé de rentrer dans ses châteaux des Alpes,
abandonnant son titre et ses prétentions. Henri II profita de cette occasion
pour se faire sacrer Empereur. En récompense de l’appui que les Romains lui
avaient prêté, il les combla de faveurs et leur accorda tous les droits
régaliens. De sorte que l’aristocratie ecclésiastique devint prépondérante
dans la péninsule.
L’Empereur dut cependant revenir
une seconde fois en Italie, en 1021, à l’appel du pape. Ce dernier lui
demanda de combattre les Grecs et les musulmans, qui étaient toujours
maîtres de l’Italie méridionale. Les débuts de l’expédition furent heureux,
mais la fièvre décima l’armée de Henri II, qui dut retourner en Allemagne.
Lui même mourut peu de temps après, en 1024.
Henri II fut canonisé près de 120
ans après sa mort, en 1146 (sa femme Cunégonde fut canonisée en 1200.).