1° La pétition - Le Régiment étranger n’avait
toujours pas été envoyé au Mexique. Le 15 août 1862, les légionnaires
fêtaient la Saint Napoléon. Les soldats avaient décoré la caserne de Siddi
Bel Abbès de feuillages et de guirlandes, et ils attendaient maintenant,
chantant et buvant, que le colonel de la caserne vint boire un verre à la
santé de l’Empereur, avant de passer à table, comme le voulait la tradition.
C’est le sous-lieutenant de Diesbach qui nous décrit la scène. Fiers de
leurs multiples combats, de nombreuses pancartes étaient accrochées aux
fenêtres, portant comme inscriptions les faits d’armes et les campagnes du
régiment : l’Algérie, la Crimée, l’Espagne, etc. Une seule de ces pancartes
était restée vierge. Le colonel Pierre Jeanningros, entouré de ses
officiers, demanda pourquoi rien n’était inscrit sur cette pancarte.
Un de ses hommes lui
répondit :
« C’est pour y inscrire
la campagne du Mexique ! »
Alors, un cri retentit dans
la caserne :
« Partons pour le
Mexique! »
L’enthousiasme de ces légionnaires était parfaitement compréhensible. Tous
étaient volontaires, s’ils avaient signé un engagement, c’était pour se
battre ! La légion aspirait donc naturellement à participer à ce conflit qui
avait de surcroît mal débuté pour les forces françaises. Cependant, le
gouvernement français n’avait toujours pas fait appel à son corps d’élite,
alors que le conflit avait commencé depuis la fin de l’année dernière. Les
légionnaires décidèrent donc de transmettre à l’Empereur une pétition, lui
rappelant ainsi leur goût du combat (cette démarche était considérée à
l’époque comme fort peu respectueuse.). Le Régiment fût entendu, bien que
certains officiers fussent punis pour leur arrogance. Le colonel Jeanningros,
commandant la Légion à cette époque, reçut l’ordre de départ en janvier
1863. 2 000 légionnaires seulement partiraient pour le Mexique. Le 9 février
au matin, le Régiment embarquait pour le nouveau monde.
2° La
traversée - Le voyage vers le Mexique fut long, et les conditions de vie
à bord des deux navires, le Saint Louis & le Wagram, n’étaient
pas agréables. Fin mars, les légionnaires débarquèrent à Vera Cruz. Ils
furent surpris par l’étrange ambiance qui régnait en ville. Les rues aux
habitations lézardées étaient désertes, presque aucun habitant ne se
montrait. Quelques chiens famélique rôdaient, et une multitude d’oiseaux
noirs, les zopilotes, tournoyaient dans le ciel de la cité à la
recherche d’une quelconque nourriture. Charognards, ces animaux repoussants
avaient tout de même une utilité sanitaire : en dévorant cadavres (animaux &
humains.), végétaux et immondices, ils évitaient que des maladies en
provenance des corps en putréfaction (ainsi que des déchets.), ne se
transmettent aux hommes encore vivants. Ces créatures se perchaient sur le
bord des toits des maisons, serrés les uns contre les autres. Etant des
« éboueurs naturels », une loi avait été promulguée à leur sujet : il était
devenu interdit de leur faire du mal, sous peine de recevoir une amende. Le
Régiment Etranger traversa la ville et alla établir son campement.
Officier et soldat de la Légion étrangère, 1867, musée de l'Infanterie,
Montpellier.
Les
soldats apprirent alors qu'une épidémie sévissait sous ces latitudes : le vomito negro. Transmis par les moustiques, les symptômes de la fièvre jaune
(autre nom de cette maladie.) étaient caractéristiques. D'abord un violent mal de
tête, suivi de constipations. Ensuite, des crampes saisissaient tout le corps,
puis des vomissements de sang se produisaient. Il ne restait plus aux
malheureux qu’une
poignée d’heures à vivre…
3° La
mission du Régiment étranger - Le colonel Jeanningros reçut rapidement
ses ordres : assurer la voie de communication allant de La Tejeria à
Chiquihuite.
La route reliant La Tejeria à
Chiquihuite.
Les officiers, Jeanningros y
compris, étaient déçus de la mission qu’on leur confiait. Ces derniers se
voyaient déjà à Puebla, prêtant main- forte aux troupes du général Forey. La
déception était d’autant plus grande que la ville de Puebla, située sur le
plateau de l’Anahuac (haut de 2000 mètres) , était à l’abri des ravages
causés par le vomito negro, car localisée dans les Tierras
templadas (ou terres tempérées.). A contrario, les légionnaires
devraient opérer en plein dans les Tierras calientes, les terres
chaudes.
Le Mexique est un pays
situé en zone tropicale. Cependant, le pays étant très nivelé, le climat
change selon l’altitude du terrain. Les terres ayant une altitude comprise
entre 0 et 700 mètres étaient appelées Tierras calientes. Cette zone
est humide, la température y est constamment élevée. Les marécages,
alimentés par les pluies torrentielles, amènent quantité de miasmes, qui eux
même apportent les pires maladies. Ce territoire, dont la surveillance avait
été confiée au Régiment étranger, est insalubre pour les Européens. Au delà
viennent les terres ayant une altitude comprise entre 700 et 1 600 mètres ;
les Tierras templadas. Le climat est sain et la température reste
toujours comprise entre 20 et 25 degrés. Viennent ensuite les Tierras
frias, les terres froides, d’une altitude comprise entre 1 600 et 3 200
mètres. Enfin, les terres gelées sont situées à plus de 3 200 mètres du
niveau de la mer.
Les légionnaires
se divisèrent pour occuper les points importants de la route ; Vera Cruz, La
Soledad, Paso del Macho, Chiquihuite. Mais à Puebla, l’armée de Forey était
encore tenue en échec par les rebelles mexicains.
Ce n’est que le 29 avril que le colonel Jeanningros apprit qu’un important
convoi de munitions à destination de Puebla était parti de La Soledad le 14
avril. Ce convoi, composé de 60 voitures et de 50 Mulets, était à 50
kilomètres de Chiquihuite. Comme nous l’avons vu, il transportait des pièces
de sièges, des munitions, des vivres, ainsi que quatre millions en pièces
d’or. Il y avait donc de grandes chances pour qu’il soit attaqué.
Quelle attitude Jeanningros devait il prendre ? Partir de Chiquihuite était
impossible, la place étant d’une importance stratégique trop grande. Laisser
le convoi sous la protection des deux compagnies venues l’escorter depuis La
Soledad était insuffisant, bien qu’une troisième compagnie était disponible
à Paso del Macho. Jeanningros décida d’envoyer une compagnie en
reconnaissance ; c’était au tour de la 3° compagnie de marcher. Cependant,
cette dernière, à cause du climat des tierras calientes ne pouvait
plus aligner que 62 hommes. De plus, le capitaine de cette compagnie, le
capitaine Cazes, n’était pas disponible (il commandait le poste de
Medellin.). Le seul officier restant de cette compagnie était le lieutenant
Gans, qui était malade. Le capitaine Danjou se porta volontaire pour prendre
le commandement, accompagné des sous-lieutenants Clément Maudet (porte-drapeau.) et
Jean Vilain.
4°
Camerone - La 3° compagnie se prépara donc à partir. A 11 heures du
soir, ses hommes prirent le café, à une heure du matin, ils partaient. Leur
mission n’était pas d’attendre le convoi, mais juste de s’approcher de Palo
Verde et de reconnaître le terrain, afin de déceler la présence de rebelles
mexicains. La 3° compagnie pourrait ensuite retourner à Chiquihuite, tout en
continuant à chercher la présence d’éventuels guérilleros. La « 3 » passa
par Paso del Macho & Paso Ancho, traversant la mata, sorte de maquis
tropical. Les légionnaires arrivèrent près du village de Camaron aux
alentours de cinq heures trente. Le Régiment était passé par ce lieu lors de
la répartition des troupes sur la voie Chiquihuite- Vera Cruz, rien n’avait
changé. Le village indien était toujours à l’abandon. Ils arrivèrent à Palo
Verde aux alentours de sept heures du matin. Marchant depuis une heure du
matin, le capitaine Danjou donna le signal de la halte. Ce dernier
s’installa avec ses hommes près d’un hangar abandonné. Des sentinelles
furent placées afin d’éviter toute surprise, les mulets furent déchargés, et le
caporal Magnin, accompagné d'une escouade, partit remplir les marmites avec
l’eau des mares (Palo Verde était souvent habité par des bandits
mexicains.). Des hommes se mirent à couper du bois pour le feu, d’autres
préparaient le café ou se reposaient.
Fusilier du Régiment étranger, 1863, musée de l'Infanterie, Montpellier
.
Une
sentinelle, tournée vers Camaron, y vit quelque chose d’anormal : un gros
nuage de poussière s’en élevait. Aucun orage ne se préparant, le capitaine
Danjou pris sa lorgnette et ne tarda pas à distinguer l’approche de la
cavalerie ennemie.
« Aux
armes ! L’ennemi ! » cria- il tout à coup.
Au premier cri d’alarme, les
dormeurs se réveillèrent, Danjou fit renverser les marmites, éteindre les
feux (la troupe dut renoncer au café.) et les mulets furent rechargés. Le
capitaine fit aussitôt revenir l’escouade qui était aux mares. Hélas pour la
compagnie, les bidons individuels n’avaient pas été remplis…
Une fois que la compagnie
fut prête, Danjou la forma en colonne et marcha vers l’ennemi, souhaitant
l’empêcher d’attaquer le convoi (Danjou ne semblait pas craindre d’attaquer
les Mexicains. En effet, à chaque échauffourée, les Mexicains, bien que
supérieurs en nombre, avaient été défaits.). La cavalerie mexicaine, qui
n’avait sans doute pas reçu l’ordre d’attaquer (leur veste de cuir, sorte de
« gilet pare- balles » de l’époque, était restée enroulée autour du pommeau
de leur selle.) se déroba. Danjou s’engaga dans les sous-bois, la mata,
afin de les poursuivre. Les légionnaires s’approchaient sans le savoir du
campement des Mexicains, situé à La Joya. Cependant, la marche étant
fastidieuse et lente, Danjou craignant de surcroît s’être trop écarté de
l’axe qui lui avait été confié, décida de retourner vers la route. Sortant
des bois, la compagnie marcha en direction de Camaron. Alors que la
compagnie s’approchait de la route, à 300 mètres de l’hacienda de la
Trinidad, un coup de feu claqua. Le légionnaire Conrad s’écroula, blessé à
la hanche. Danjou décida alors de repartir vers Paso del Macho, attendre des
renforts. La « 3 » n’eut pas dépassé le village indien que les légionnaires
s’aperçurent de la présence de cavaliers mexicains, situés sur un monticule
au nord- est. Ces derniers étaient prêts à charger. Ordonnant au tambour,
Casimir Laï, de battre la charge, le capitaine ordonna, dans un premier
temps, de marcher vers l’ennemi. Sûrs d’eux, les Mexicains descendirent de
leur position au petit trot. Ensuite, ils se séparèrent en deux colonnes,
comptant prendre les légionnaires en tenaille. Danjou n’avait pas perdu son
temps. Voyant que les juaristes se divisaient, il ordonna alors aux deux
groupes de se rallier et de former le carré. Les légionnaires attendirent
calmement l’assaut des Mexicains, qui étaient des centaines, alors que la 3°
compagnie ne comptait que 65 hommes. Ce premier assaut fut repoussé, les
mexicains s’étant empalés sur la défense des légionnaires. La victoire
aurait été complète si les deux mulets de la compagnie ne s’étaient pas
enfuis. Affolés par les détonations et par la violence de l’assaut, les deux
bêtes durent être relâchées, et, suivant par instinct les chevaux des
Mexicains, furent capturés par ces derniers. La perte des mulets était très
grave : ils transportaient les vivres et les munitions. Hélas pour les
légionnaires, ils n’avaient pas mangé depuis la veille, avaient peu de
cartouches, et n’avaient pas d’eau (comme nous l’avons vu précédemment.). Le
capitaine Danjou s’aperçut que sa position était mauvaise car sur un terrain
plat, propice aux charges de cavalerie. Il profita de la retraite des
Mexicains pour déplacer sa compagnie derrière le côté sud de la route,
bordée par un talus et par une haie de cactus. L’avantage pour les
légionnaires était double ; non seulement cet endroit était moins favorable
à la cavalerie, mais en plus, les Mexicains devraient se heurter à une haie
de broussaille & de cactus, dangereux rempart naturel. Danjou fit donc
reformer le carré à cet endroit. Le second assaut fut donné par la cavalerie
mexicaine, plus nombreuse que lors du premier assaut, mais moins vigoureuse.
Le calcul de Danjou était bon : de nombreuses bêtes hésitèrent à passer le
talus, et les légionnaires repoussèrent le deuxième assaut plus facilement
que le premier. Danjou décida alors de se retrancher dans l’hacienda de
Camerone, et d’y résister coûte que coûte. Les légionnaires rejoignirent
l’hacienda au pas de charge, baïonnette au canon, aux cris de « vive
l’Empereur ! »
Les légionnaires
pénétrèrent dans l’hacienda, qu’ils commencèrent à fortifier activement.
Souhaitant se renseigner sur le positionnement des troupes juaristes, Danjou
donna l’ordre au sergent Morzicki de se placer sur le toit de l’hacienda. Ce
dernier, accompagné de quelques hommes, réussit à y apercevoir l’ensemble
des cavaliers mexicains, à peu près un millier selon les estimations.
Cependant,
les légionnaires furent surpris de constater que les Mexicains ne combattaient pas activement.
Ainsi, à neuf heures trente, Morzicki
vit approcher vers la maison un officier ennemi, qui se présenta avec un
mouchoir blanc à la main.
« Vous êtes trop peu
nombreux pour vous battre, vous allez vous faire massacrer inutilement !
rendez- vous, le colonel Milan vous garantit la vie sauve ! »
Morzicki descendit de son
perchoir et rendit compte à Danjou de la proposition du Mexicain. Le
capitaine demanda alors à son sergent de répondre de la manière suivante.
« Dis- lui simplement que
nous avons des cartouches et que nous ne nous rendrons pas. »
Le légionnaire remonta sur
le toit et transmit au Mexicain la réponse de Danjou. Le combat
éclata alors.
Le capitaine Danjou faisait
des va et viens d’un poste à l’autre afin d’évaluer la situation.
Encourageant quelques uns de ses hommes postés dans le bâtiment, il leur fit
jurer serment :
« Légionnaires, vous
allez jurer avec moi que nous ne rendrons pas… que nous tiendrons jusqu’au
dernier ! »
C’est en se rendant à un
autre poste que Danjou fut frappé d’une balle. Il s’écroula et rendit l’âme
peu de temps après.
Le
sous-lieutenant Vilain prit alors le commandement. Les légionnaires
perdaient du terrain ; tous étaient retranchés dans le corral à ce moment de
la journée. Aux alentours de midi, ils entendirent le son du tambour. Hélas,
ce n’étaient pas des renforts alliés, mais des troupes d’infanterie
mexicaines qui venaient aider leurs collègues. Ces dernières étaient sous
les ordres du colonel Milan, qui désirait ardemment défaire les légionnaires
au plus vite & ainsi s’emparer du précieux convoi… Milan, pensant que les
légionnaires, voyant cette immense troupe, allaient se décourager, les somma
une fois encore de se rendre. Le sergent Morzicki, énervé par toute une
matinée de combat, ne consulta personne pour la réponse à donner :
« Merde ! » hurla-
il.
Il redescendit rendre compte
de sa réponse au sous-lieutenant Vilain qui approuva sa conduite. Tous
avaient juré au capitaine Danjou de ne pas se rendre, ils tiendraient leur
promesse. Alors le combat reprit, encore plus impitoyable qu’auparavant.
Vers deux heures de l’après- midi, une balle atteignit le sous-lieutenant
Vilain en plein front.
Ce fut dès lors au tour du
sous-lieutenant Maudet, le porte-drapeau, de prendre la tête de ce qui
restait de la 3° compagnie. Le combat continuait, les morts s’entassaient,
les légionnaires continuaient à se battre, bien que n’ayant rien mangé ni bu
depuis la veille. Le soir, une dernière fois, une ultime sommation fut
adressée aux légionnaires, à laquelle ils ne répondirent même pas. A dix
huit heures, il ne restait donc plus que cinq survivants sous le hangar : le
sous lieutenant Maudet, le caporal Maine, ainsi que les légionnaires Catteau,
Constantin et Wensel. Ces derniers tinrent encore quelque temps les
juaristes en respect, mais bientôt, ils n’eurent plus qu’une cartouche
chacun.
« Armez vos fusils,
ordonna le sous-lieutenant Maudet, vous ferez feu à mon commandement ;
nous chargerons à la baïonnette, vous me suivrez. »
Les Mexicains, voyant que
les légionnaires ne tiraient plus, se rapprochèrent d’eux. Ces derniers
remplissaient le corral.
« Joue ! Feu ! »
s’écria soudain le sous-lieutenant.
Les cinq hommes bondirent en
avant, baïonnette au canon. Les dizaines de Mexicains tirèrent alors à bout
portant sur les légionnaires. Le légionnaire Catteau, dans un élan de
dévouement, se plaça devant son officier pour le sauver, il s’écroula
aussitôt, atteint de dix neuf balles. Le sous-lieutenant Maudet ne s’en tira
pas indemne pour autant, recevant une balle dans la cuisse droite et une
autre dans le flanc droit. Wensel était tombé lui aussi, blessé à l’épaule,
mais il se releva aussitôt. Il ne restait donc plus que trois hommes
debout : le caporal Maine, les légionnaires Constantin & Wensel. Un officier
supérieur mexicain somma les derniers légionnaires de se rendre.
« Nous nous rendrons,
répondit le caporal Maine, si vous nous laissez nos armes et notre
fourniment, et si vous vous engagez à faire relever et soigner notre
lieutenant que voici là, blessé. »
« On ne refuse rien à des
hommes comme vous ! » répondit alors l’officier.