CHAPITRE TROISIEME :
La troisième république radicale
(juin 1894 à août 1914)
III :
Vers la guerre (1909 à 1914)
1° Le ministère Briand (juillet
1909 à mars 1911) – Suite à la démission de Clémenceau, Armand Fallières
décida de confier la charge de président du conseil au socialiste Aristide
Briand.
Ce
dernier, conservant le portefeuille de l’Intérieur et des Cultes, nomma
Millerand aux Travaux Publics, et confirma Viviani au ministère du Travail.
La
campagne pour la réforme du mode de scrutin, qui battait son plein depuis le
printemps 1909, fut finalement discuté à la Chambre des députés à l’automne.
L’objectif était de remplacer le scrutin
majoritaire[1]
par un système de représentation
proportionnelle[2].
Finalement, le texte fut adopté par les
députés, mais il fut néanmoins ajourné[3].
Quelques semaines plus tard, en janvier 1910, Paris fut victime de très
importantes inondations. Cette crue de la Seine, la plus importante connue à
ce jour (près de 8 mètres sur l’échelle hydrométrique du pont
d’Austerlitz.), fit cependant peu de victimes mais causa d’importants dégâts
dans la région parisienne.
La gare Saint Lazare menacée par la montée des eaux, janvier 1910.
Ainsi, près de 50 000 maisons furent sinistrées, des pontons furent érigés
afin de permettre le déplacement des Parisiens, et le chef de l’Etat
multiplia les visites aux victimes des inondations.
Finalement, il fallut attendre février pour voir le fleuve retrouver son lit
habituel.
a)
Loi sur les retraites ouvrières et paysannes (février à avril 1910) :
alors que l’Allemagne avait adopté un système de retraite dès 1899
(rapidement imité par plusieurs pays voisins.), la France, en 1910,
tergiversait sur la mise en place d’un tel système.
Cependant, le député Léon Bourgeois fit voter le 12 février 1910 la loi
sur les retraites ouvrières et paysannes, prévoyant la mise en place de
cotisations-retraites sur les salaires des ouvriers, salariés, métayers,
domestiques, etc.
La
loi ne fut cependant promulguée que le 5 avril 1910, et mise en application
le 3 juillet 1911.
A
noter toutefois que ce texte, bien que constituant une avancée sociale
importante pour l’époque, ne fut pas bien accueillie par la CGT, un des
premiers syndicats de France. En effet, l’âge de la retraite était fixé à 65
ans alors que l’espérance de vie était de 50 ans en moyenne ; en outre, les
syndicalistes craignaient que les sommes prélevées et capitalisées par
l’Etat ne servent à financer l’armée.
Au
final, ce système de retraite fut efficace dans la paysannerie et chez les
petits commerçants, mais il ne put être appliqué dans l’industrie en raison
de la réticence des syndicats ouvriers[4].
La place Pigalle en 1910,
par Maurice UTRILLO, début du XX° siècle, musée de Montmartre, Paris.
b)
Les élections législatives d’avril et mai 1910 : le mandat des
députés arrivant à terme au printemps 1910, de nouvelles élections
législatives furent organisées.
Comme toujours, la gauche sortait vainqueur de ce scrutin, obtenant 334
sièges sur 590 : soit 149 pour le PRRRS[5],
113 pour les républicains, 72 pour l’Union
républicaine[6].
Les socialistes, qui n’avaient pas fait alliance avec la gauche, obtenaient
de meilleurs scores qu’au précédent scrutin (75 sièges pour la SFIO et 32
indépendants.).
La
droite, une nouvelle fois minoritaire, perdait des voix par rapport au
précédent scrutin, n’obtenant plus que 149 sièges (soit 129 conservateurs et
20 libéraux.).
Fausse publicité parodiant les affiches du cirque Barnum & Bailey (la
légende indique "Palais-Bourbon, prochainement réouverture, troupe
entièrement nouvelle."), publiée dans l'Assiette au beurre, N°
480, 11 juin 1910, musée des Arts décoratifs, Paris.
c)
La grève des chemins de fer de l’Ouest (octobre 1910) : Briand,
cherchant l’alliance avec le centre-droit, décida de réprimer la grève des
chemins de fer de l’Ouest, en octobre 1910[7].
Soucieux de casser le mouvement (des actes de sabotage avaient été commis
par les grévistes.) en s’appuyant sur des « jaunes » (ces derniers étaient
des travailleurs non-grévistes.), Briand s’attira l’inimitié des socialistes
à la Chambre des députés.
La
grève fit cependant long feu, en raison de l’impopularité du mouvement
auprès des usagers. Par ailleurs, plusieurs centaines de cheminots ayant
participé au mouvement de grève furent révoqués.
d)
Remaniement ministériel et démission d’Aristide Briand (novembre 1910 à
mars 1911) : suite à la répression de la grève des chemins de fer de
l’Ouest, Briand décida de procéder à un remaniement ministériel (1er
novembre 1910.).
Ainsi, le président du conseil se sépara de Millerand et de Viviani,
préférant se rapprocher des radicaux et de l’Alliance démocratique.
Une fois de plus interpellés par les socialistes à la chambre, Briand
renouvela son refus de réintégrer les cheminots révoqués.
Mais malgré ce remaniement ministériel, Briand fut vivement attaqué par les
socialistes, qui lui reprochaient de s’allier avec les modérés, mais aussi
de retarder la fermeture des congrégations (comme le prévoyait la loi sur
les congrégations, votée à l’été 1901.).
Briand, qui avait toujours voulu mener une politique d’apaisement vis-à-vis
des catholiques, décida de démissionner le 25 février 1911.
2° Les ministères Monis et Caillaux (mars 1911 à janvier
1912) – Briand ayant présenté sa démission, le chef de l’Etat décida de
confier la charge de président du conseil au député
Ernest Monis[8].
Ce
dernier, constituant un gouvernement radical, s’arrogea le ministère de
l’Intérieur et des Cultes, nomma Théophile Delcassé à la Marine, et Joseph
Caillaux aux Finances.
a)
L’incident de la course Paris-Madrid (21 mai 1911) : cependant, le
ministère Monis fut relativement éphémère. Le 21 mai 1911, le président du
conseil assista au départ de la course aérienne Paris-Madrid, dont le départ
au terrain d’aviation d’Issy-les-Moulineaux.
Pour montrer l’intérêt que le gouvernement portait à l’aviation[9],
le président du conseil et le ministre de la Guerre,
Maurice Berteaux[10],
vinrent assister à l’envol des concurrents.
Maurice Berteaux sur le terrain d'aviation d'Issy-les-Moulineaux.
Cependant, alors que les officiels se promenaient sur la piste, le monoplan
de l’aviateur Louis Emile Train, en difficulté, vint s’écraser à
terre. Berteaux fut tué sur le coup, et Monis fut grièvement blessé.
Immobilisé en raison d’une jambe cassée, Monis tenta de gouverner depuis son
lit. Cependant, le ministère fut renversé le 23 juin 1911 par le Sénat.
Quelques jours plus tard, la charge de président du conseil fut confiée à
Joseph Caillaux[11].
Le
nouveau chef du gouvernement, formant un ministère radical, récupéra le
portefeuille de l’Intérieur et des Cultes, et confirma Delcassé à la
Marine.
b)
Le coup d’Agadir (juillet 1911) : en juillet 1911, prétendant
répondre à l’appel d’entrepreneurs allemands installés dans la Vallée du
Souss, au Maroc, l’Empereur allemand Guillaume II envoya le navire de guerre
SMS Panther dans la baie d’Agadir (la rade était fermée depuis 1881
au commerce étranger.).
Guillaume II,
par Gustav WITTSCHAS, 1900, Deutsches historisches museum, Berlin.
Ce
coup de force allemand répondait à l’envoi de troupes françaises au Maroc
depuis avril 1911, destinées à soutenir la lutte d’Abd al-Hafid contre les
Berbères (le corps expéditionnaire s’était emparé de Fez, Meknès et Rabat à
l’issue de plusieurs combats.).
Néanmoins, ce coup d’Agadir provoqua de vives réactions à Londres (le
chancelier de l’Echiquier[12]
Lloyd George annonça : pas de paix
humiliante !) ; à Moscou, le tsar Nicolas II conseilla la
prudence.
Caillaux, qui connaissait la mauvaise organisation de l’armée française, et
qui en outre souhaiter se rapprocher de l’Allemagne[13],
décida donc de négocier. Les pourparlers se poursuivirent pendant tout l’été
1911, malgré la désapprobation de la rue[14].
Ainsi, après plusieurs mois de négociations, les deux partis conclurent un
accord le 4 novembre 1911 : l’Allemagne acceptait de mettre un terme à son
ingérence au Maroc ; la France, en contrepartie, cédait plus de 275 000 km²
de territoires africains (soit la moitié ouest de la république
centrafricaine, le nord du Gabon et le Congo français.), destinés à agrandir
le Cameroun allemand.
Le Cameroun avant et après novembre 1911.
Conformément à cet accord, le SMS Panther quitta la baie d’Agadir à la fin
novembre.
Toutefois, cet accord fut vivement critiqué, aussi bien en France qu’en
Allemagne. Ainsi, le Sénat[15]
fit part de sa désapprobation, la France ayant cédé une partie de ses
territoires africains sans grande contrepartie allemande.
Caillaux, violemment attaqué alors que la Chambre des députés devait
ratifier le traité, fut contraint de démissionner le 10 janvier 1912.
A
noter qu'au même moment, un projet de modification de l'uniforme français
fut rejeté par l'Etat-major. En effet, la tenue réséda, destinée à
remplacer le pantalon garance (porté par les militaires depuis 1830), fut la
cible de nombreuses critiques. En effet, cet uniforme de couleur gris-vert
fut jugé inesthétique et trop proche de la tenue allemande.
Tenue d'essai dite tenue "réséda" (à gauche) ; L'uniforme réséda
aux manœuvres d'automne, par Georges SCOTT, vers 1911, musée des
Invalides, Paris.
3° Le ministère Poincaré (janvier 1912 à janvier 1913) –
Suite à l’éviction de Caillaux, Fallières décida de confier le poste de
président du conseil à Raymond Poincaré.
Raymond Poincaré, vers 1910.
Ce
dernier, membre de l’Alliance démocratique, décida néanmoins de composer un
gouvernement radical. Ainsi, récupérant les Affaires étrangères, il nomma
Aristide Briand à la Justice, Millerand reçut le portefeuille de la Guerre,
et Léon Bourgeois eut le ministère du Travail. Par ailleurs, Poincaré
confirma Delcassé à la Marine
a)
La pacification du Maroc (mars 1912 à janvier 1913) : le 30 mars 1912
(quelques mois après la signature de l’accord franco-allemand.), la France
signa le traité de Fez avec le sultanMoulay Abd al-Hafid,
établissant officiellement un protectorat français sur le Maroc (en
novembre, l’Espagne reçut le nord du Maroc, Ifni et l’actuel Sahara
occidental.).
Cependant, la signature de ce traité provoqua de vifs remous au Maroc, et
plusieurs Français installés à Fez furent assassinés en avril 1912.
Le
général Lyautey, nommé résident général[16]
du Maroc, débarqua à Casablanca le 13 mai 1912. Entrant à Fez le 24, un de
ses premiers gestes fut de fusiller les rebelles qui avaient tué les
résidents français.
Le
sultan Abd el-Hafid, abdiquant le 12 août 1912, confia le trône à son frère
cadet Moulay Youssef ben Hassan ; Lyautey, affirmant la présence
française au Maroc, s’empara de Marrakech le 7 septembre.
Le Maroc en 1914.
b)
La première guerre balkanique (octobre 1912 à mai 1913) : les
frontières des Balkans avaient été délimitées suite au congrès de Berlin,
signé en juillet 1878[17].
Ainsi, la Grèce[18],la Serbie, la Bulgarie et le Monténégro agrandirent leurs frontières
aux dépends de l’Empire ottoman ; la Roumélie[19],
au contraire, fut réduite à la Thrace et à la Macédoine ; l’indépendance de
la Roumanie fut officiellement reconnue ; enfin, l’Autriche établit un
condominium[20]sur la Bosnie.
Les Etats des Balkans en
1878.
L’objectif de ces nouvelles frontières était de diviser les Balkans, afin
qu’aucun Etat de la région ne prenne l’aval sur les autres. Par ailleurs,
ces petits royaumes avaient pour fonction de faire « tampon » entre les deux
grandes puissances des Balkans, l’Autriche et la Russie.
En
octobre 1908, l’Autriche avait annexé la Bosnie et l’Herzégovine, deux
provinces slaves soumises théoriquement à l’Empire ottoman. La Serbie
n’apprécia guère cette domination autrichienne, pas plus que la Russie qui
voyait d’un mauvais œil la progression de l’Autriche dans les Balkans.
L'Autriche en 1908.
Par ailleurs, le gouvernement des Jöntürk (qui s’était emparés du pouvoir à
l’été 1908.) n’avait pas mis un terme à la décadence de la Turquie. Au
contraire, une contre-révolution menée par les islamistes tenta de chasser
les Jeunes-Turcs du pouvoir, ce qui entraîna de nouveaux troubles.
Alors que la Turquie était en guerre contre l’Italie, qui cherchait à
annexer la Cyrénaïque et la Tripolitaine, le royaume de Monténégro déclara
la guerre à l’Empire ottoman le 8 octobre 1912. Rapidement, la Grèce, la
Bulgarie et la Serbie rentrèrent dans le conflit aux côtés des Monténégrins
(la Turquie fut donc contrainte de faire la paix dans l’urgence avec
l’Italie le 15 octobre 1912.).
Rapidement, les alliés remportèrent plusieurs victoires. En effet, non
seulement les Turcs ne disposaient que d’une armée de 300 000 hommes (contre
600 000 Bulgares, 255 000 Serbes et 125 000 Grecs.) ; en outre, sur les 6
millions d’habitants vivant dans la partie européenne de l’Empire ottoman,
l’on ne comptait que 2 millions de musulmans (les chrétiens, persécutés,
n’étaient donc pas favorables à la Turquie.).
Les Bulgares, combattant les Turcs lors de la bataille de Lule-Burgas
(novembre 1912.), contraignirent ces derniers à reculer jusqu’à Çatalca, à
25 kilomètres de Constantinople. L’affrontement, qui coûta la vie à près de
20 000 Turcs (contre 2 500 tués côté bulgare.), fut la bataille la plus
importante d’Europe depuis la guerre de 1870.
A
Paris, le gouvernement se réjouissait de la victoire des alliés, tout comme
l’opinion publique. En effet, les officiers grecs et serbes avaient été
instruits par des militaires français, et leur armement était français. Au
contraire, l’armée turque avait été formée par les Allemands (rappelons que
les Jöntürk s’étaient rapprochés de Berlin.).
Ces victoires-éclair persuadèrent les Français qu’un conflit contre
l’Allemagne serait de courte durée.
Le
15 novembre 1912, la diplomatie reprit le pas sur les armes. En effet, grâce
à l’intervention de l’Angleterre, les belligérants acceptèrent de tenir une
conférence à Londres afin de régler la question des Balkans (un armistice
fut conclu le 30 novembre.).
Finalement, le traité de Londres fut signé le 30 mai 1913. L’Empire
ottoman, vaincu à plates coutures, ne conservait en Europe que la région de
Constantinople ; l’ancienne Roumélie était principalement partagée entre la
Grèce (qui récupérait le sud de l’Epire et la moitié ouest de la Macédoine,
ainsi que quelques îles.) et la Bulgarie (annexion de la Thrace et de la
moitié est de la Macédoine.) ; La Serbie s’agrandissait en annexant des
territoires au sud du pays, le Monténégro obtenait une mince bande
territoriale au sud-est ; enfin, il était décidé de donner naissance à
l’Albanie[21]
(correspondant à l’antique Epire.), récupérant des territoires appartenant à
la Serbie et à la Grèce[22].
Les Etats des Balkans en 1912.
Cependant, ce partage ne fut pas au goût de tous les protagonistes, et les
alliés de la veille s’affrontèrent dès juin 1913 au cours de la deuxième
guerre balkanique.
c)
L’élection présidentielle de janvier 1913 : en début d’année 1913,
alors que le mandat d’Armand Fallières arrivait à son terme, plusieurs
députés annoncèrent leur intention de se présenter lors des futures
élections présidentielles, prévues pour janvier.
A
gauche, il fut décidé d’organiser des primaires, quatre candidats ayant
décidé de se présenter : Raymond Poincaré, actuel président du conseil
(Alliance démocratique.) ; Jules Pams[23],
ministre de l’Agriculture (radical-socialiste.) ;
Paul Deschanel[24],
président de la Chambre des députés (Alliance démocratique.) ; et
Antonin Dubost[25],
président du Sénat (Alliance démocratique.).
Jules Pams, Paul Deschanel et Antonin Dubost.
Finalement, soutenu par Clémenceau et les radicaux, ce fut Jules Pams qui
remporta les primaires du 15 janvier. Poincaré, vaincu, était dès lors
contraint de se retirer, conformément à la discipline républicaine.
Toutefois, le président du conseil décida malgré tout de se présenter, face
à Jules Pams et Edouard Vaillant[26](SFIO.).
Le
17 janvier, Poincaré fut élu dès le premier tour avec 56% des voix. Ses
concurrents arrivaient loin derrière, Pams recevant 35% des suffrages et
Vaillant à peine 8%.
Poincaré, suite à son élection, décida de nommer Aristide Briand en tant que
président du conseil.
Réception organisée à l'Hôtel de ville suite aux élections présidentielles.
Au premier plan, de gauche à droite, l'on reconnait Antonin Dubost,
président du Sénat, Armand Fallières, président sortant, Raymond Poincaré,
fraichement élu, et Paul Deschanel, président de la Chambre. Au second plan,
l'on aperçoit Emile Loubet, ancien président de la république, accompagné
d'Aristide Briand.
4° Les ministères Briand & Barthou (janvier à décembre 1913)
– Aristide Briand, nommé président du conseil pour la deuxième fois de
sa carrière, ne parvint cependant pas à se maintenir au pouvoir bien
longtemps. Ainsi, alors que la loi sur la représentation proportionnelle
était votée au Sénat, les sénateurs décidèrent de repousser la réforme.
Briand décida alors de démissionner le 18 mars 1913, cédant son poste à
Louis Barthou[27],
membre de l’Alliance démocratique.
a)
Le ministère Barthou et la loi des trois ans (19 juillet 1913) :
Barthou, reprenant un projet lancé par le ministère Briand, fit voter le 19
juillet 1913 la loi des trois ans, augmentant la durée du service
militaire de deux à trois années[28]
(la menace grandissait outre-Rhin, Berlin ayant voté en mai 1913 la création
d’un nouvel impôt, destiné à augmenter le nombre de soldats et perfectionner
l’armement.).
Affiche de recrutement pour les corps de cavalerie et d'artillerie à cheval,
1908, musée des Invalides, Paris.
La
loi fut vivement critiquée par les socialistes et la frange gauche des
radicaux, courants politiques par nature antimilitaristes. Jaurès, quant à
lui, présenta une théorie s’inspirant du modèle suisse, faisant de chaque
citoyen un soldat potentiel[29].
Cependant, dans un contexte international de plus en plus tendu, la loi des
trois ans fut finalement adoptée par la Chambre des députés (Poincaré avait
menacé l’extrême-gauche de faire appel à Clémenceau en cas de démission du
ministère suite au rejet de la loi.).
L’adoption du texte provoqua du remous dans les casernes, la classe 1895,
qui devait être libérée en octobre, n’appréciant guère d’être mobilisée un
an de plus. Les grèves organisées par les conscrits, encouragées par la CGT,
furent fermement matées par le gouvernement.
La
loi permit d’augmenter le nombre des soldats français de 480 000 à 750 000
hommes, mais ces effectifs restaient toujours inférieurs à ceux de
l’Allemagne, qui, à la même date, pouvait aligner 850 000 soldats.
A
noter par ailleurs que l’armement des soldats français était ancien : le
fusil Lebel, arme réglementaire de l’Infanterie, était une arme vieille
de près de 30 ans[30].
Fusil Lebel modèle 1886 modifié 1893, musée de la Légion étrangère, Aubagne.
b)
La seconde guerre balkanique (juin à juillet 1913) : comme nous
l’avons vu précédemment, la première guerre balkanique s’était achevée le 30
mai 1913, suite à la signature du traité de Londres.
Cependant, les vainqueurs n’étaient pas satisfaits des nouvelles frontières.
Ainsi, la Roumanie (qui n’avait pas pris part au conflit.), réclamait un
morceau de la Dobroudja à la Bulgarie (qui avait récupéré une grande partie
de l’ancienne Roumélie.) ; la Serbie n’appréciait guère de céder la moitié
nord de l’Epire à l’Albanie ; la Grèce, soucieuse de se prémunir contre
l’expansionnisme bulgare, décida de s’allier avec la Serbie.
La
Bulgarie, plutôt que de faire appel à l’arbitrage russe, décida d’attaquer
la Serbie dès le 16 juin 1913, soit quinze jours après la signature du
traité de Londres.
Cependant, l’offensive bulgare ne fut pas couronnée de succès. Ainsi,
l’armée grecque parvint à bloquer les Bulgares qui marchaient vers
Salonique ; début juillet, les Serbes remportèrent la
bataille de Bregalnica[31]
contre la Bulgarie ; fin juillet, les troupes grecques décidèrent de marcher
vers la capitale Bulgare, Sofia, et vainquirent l’ennemi lors de la
bataille de Kresna.
Par ailleurs, les Turcs, progressant en Thrace, avaient repris Andrinople ;
l’armée roumaine assiégeait Sofia.
Finalement, les Bulgares se résolurent à demander l’arbitrage russe courant
juillet, signant le traité de Bucarest le 7 août 1913.
La
Bulgarie sortait grande perdante de ce conflit, perdant une partie des
territoires acquis suite au traité de Londres : ainsi, la Roumanie
récupérait la Dobroudja ; la Serbie, afin de compenser ses pertes suite à la
création de l’Albanie, annexait la moitié ouest de la Macédoine ; la Grèce
obtint la moitié sud de la Macédoine et le rattachement de la Crète (qui
avait obtenu son indépendance vis-à-vis de la Turquie en 1898.) ; enfin,
les frontières de l’Albanie furent revues à la baisse.
Les Etats des Balkans en 1913.
Plus tard, en septembre 1913, la Bulgarie signa le traité de
Constantinople avec la Turquie. Ainsi, l’Empire ottoman maintenait sa
domination sur Andrinople et la moitié est de la Thrace.
Au
final, ces conflits entre Etats des Balkans eurent de graves conséquences.
Alors qu’à l’origine, ces petites nations avaient décidé de s’allier afin de
faire front contre l’Empire ottoman et la menace autrichienne, la seconde
guerre des Balkans mit un terme à ces bonnes relations.
Abandonnant l’union qui faisait leur force, les Etats des Balkans se
retrouvèrent divisés et affaiblis. La Bulgarie, s’estimant trahie, décida de
rejoindre la Triplice ; Grèce, Serbie et Roumanie, au contraire, se
rapprochèrent de la Triple Entente.
5° La valse des ministères (décembre 1913 à juin 1914) –
Le 2 décembre 1913, les députés commencèrent à discuter le budget pour
l’année 1914, s’élevant à 5 milliards et 873 millions. Barthou proposa alors
le lancement d’un emprunt d’un milliard, destiné à combler le déficit.
Cependant, cette proposition fut rejetée et le président du conseil fut
contraint de démissionner.
a)
Le ministère Doumergue, la vengeance de Mme Caillaux, les élections
législatives du printemps 1914 : suite à la démission de Barthou,
Poincaré décida de confier au radical-socialiste
Gaston Doumergue[32]la charge de président du conseil.
Gaston Doumergue, vers 1910.
Ce
dernier constitua un gouvernement radical, s’arrogeant le ministère des
Affaires étrangères, nommant Viviani à l’Instruction publique, Monis à la
Marine, et Caillaux aux Finances.
Au
printemps 1914, alors que les principaux partis se préparaient pour les
élections législatives, Gaston Calmette, rédacteur en chef du Figaro[33],
fut assassiné par l’épouse de Joseph Caillaux. Cette dernière souhaitait se
venger du défunt, qui avait publié dans son journal plusieurs lettres
intimes que lui avait écrites son mari (Caillaux s’y révélait hostile à
l’impôt sur le revenu, bien qu’ayant pris sa défense à la chambre.).
L'assassinat de Gaston Calmette par Mme Caillaux, printemps 1914.
Caillaux décida alors de démissionner le 18 mars ; arrêtée et incarcérée,
Henriette Caillaux fut quant à elle acquittée en juillet 1914.
A la cour d'assises, Mme Caillaux, pendant son interrogatoire, Le
Monde Illustré, 25 juillet 1914.
Malgré ces évènements, les élections législatives se déroulèrent sans
incidents, du 26 avril au 10 mai 1914.
Comme toujours, la gauche sortait vainqueur de ce scrutin, obtenant la
majorité des sièges : le PRRRS, principal parti de la chambre, récupérait
195 sièges (soit 50 de plus qu’en 1910.) ; les républicains seulement 66, et
l’Union républicaine 88.
Les socialistes, qui une fois de plus n’avaient pas fait alliance avec la
gauche, obtenaient de meilleurs scores qu’au précédent scrutin (102 sièges
pour la SFIO et 24 pour le PRS[34].).
La
droite, toujours minoritaire, perdait à nouveau des voix par rapport au
précédent scrutin, n’obtenant plus que 75 sièges (soit 37 membres de la
Fédération républicaine, 23 libéraux et 15 divers-droite.).
A
noter enfin la présence de 51 non inscrits.
b)
L’éphémère gouvernement Ribot, le ministère Viviani entre en guerre (juin
à août 1914) : selon l’usage, Doumergue présenta sa démission le 2 juin.
Mais Poincaré, soucieux de nommer un président du conseil favorable à la loi
des trois ans[35],
porta son choix sur Alexandre Ribot.
Mais dix jours plus tard, alors que le nouveau président du conseil
présentait son programme à la Chambre des députés (il exposa sa volonté de
défendre la loi des trois ans.), les élus refusèrent de voter la confiance
envers le nouveau ministère.
Le
13 juin, le socialiste René Viviani fut appelé à former un nouveau
gouvernement. Ce dernier, s’engageant à supprimer la loi des trois ans,
parvint en outre à lever un emprunt de 800 millions.
Le
28 juin 1914, au cours d’un voyage à Sarajevo, l’archiduc d’Autriche
François Ferdinand[36]et son épouse la duchesse Sophie de
Hohenberg, furent assassinés par un nationaliste serbe du nom de
Gavrilo Princip.
L'assassinat de François Ferdinand et son épouse par Gavrilo Princip.
L’attentat avait eut lieu dans la plus grande ville de Bosnie-Herzégovine,
un pays qui n’acceptait guère la domination autrichienne ; en outre,
l’assassin était originaire de Serbie, pays frontalier qui s’inquiétait de
l’expansionnisme autrichien.
Rapidement, les enquêteurs furent convaincus que l’attentat avait été
commandité par la Serbie ; ainsi, le 5 juillet, Guillaume II déclara : il
faut en finir avec les Serbes.
Voyant que la situation se dégradait, la France proposa la tenue d’une
conférence internationale afin de trouver une issue favorable au conflit,
mais l’Autriche ne voulut rien entendre : le 25 juillet, les relations
diplomatiques avec la Serbie furent rompues ; le 28 juillet, l’Empereur
Autriche déclara la guerre à ce petit pays.
Cependant, comme la Serbie était alliée avec la Russie, la logique des
alliances se mit en marche, entraînant toute l’Europe sur le chemin de la
guerre. Le 30 juillet, la Russie décréta la mobilisation générale, imitée le
1er août par la France et l’Allemagne ; le 3 août, l’Empereur
Guillaume II déclara la guerre à la France (le même jour, l’Angleterre
annonça qu’elle participerait au conflit si la Belgique était envahie par
les troupes allemandes.) ; le 5 août, les Britanniques déclarèrent la guerre
à l’Allemagne ; le 6 août, l’Autriche-Hongrie déclara la guerre à la
Russie ; le 11 août, France et Angleterre déclarèrent la guerre à
l’Autriche-Hongrie.
L’Italie, pourtant membre de la Triplice, décida de ne pas s’engager ;
toutefois, l’Empire ottoman déclara la guerre fin août aux pays de la
Triple-Entente (la Bulgarie, proche de la Triplice comme nous l’avons vu
plus tôt, s’engagea dans le conflit mondial en octobre 1915.).
En
ce début d’été 1914, alors que l’Europe toute entière se lançait dans la
Grande Guerre, les mots de Victor Hugo semblaient s’estomper au
loin, dans la brume et la poussière : une guerre entre européens est une
guerre civile.
[1]
Les élections législatives fonctionnaient depuis 1871 au scrutin
majoritaire à deux tours. Ainsi, seuls deux candidats étaient
retenus au second tour ; au second tour, seule la liste gagnante
obtenait des sièges à la Chambre des députés.
[2]
Contrairement un scrutin majoritaire, la proportionnelle n’éliminait
pas les candidats perdants. Chacun obtenait des sièges à la chambre,
proportionnellement au nombre de voix obtenues.
[3]
Le scrutin proportionnel n’entra en application qu’aux élections
législatives de 1919, avant d’être finalement supprimé.
[4]
Ce n’est qu’à partir de 1945 que fut mis en place le système de
retraites que nous connaissons aujourd’hui.
[5]
Parti républicain, radical et radical-socialiste. Les élections de
1910 marquaient un gros recul pour la mouvance radicale, qui avait
obtenu plus de 240 sièges en 1906.
[6]
L’Union républicaine était un parti formé par Léon Gambetta suite à
la guerre de 1870. Subissant une scission en 1882, ce mouvement
disparut en l’espace de quelques années. Il fut cependant reformé en
1910 par l’aile gauche de la Fédération républicaine, un
parti regroupant les députés de la droite conservatrice.
[7]
A noter que les chemins de fer de l’ouest avaient été nationalisés
par le gouvernement Clémenceau en juin 1908.
[8]
Monis, né en mai 1846, était issu d’une famille originaire
d’Espagne. Epousant la carrière d’avocat, il fut nommé député en
1885, puis sénateur en 1891 (à noter qu’il fut ministre de la
Justice au sein du ministère Waldeck-Rousseau, entre 1899 et 1902.).
[9]
En 1910, la France comptait 800 aéroplanes pour 45 000 voitures
(soit un véhicule pour 4 400 habitants.).
[10]
Berteaux, né en juin 1852, était issu d’une famille bourgeoise. Elu
député en 1893, il fut nommé ministre de la Guerre lors des
gouvernements Combes, Rouvier et Monis.
[11]
A noter que Caillaux, qui siégeait sur les bancs du centre-droit,
depuis son élection comme député en 1898, s’était rapproché des
radicaux.
[12]
Le chancelier de l’Echiquier anglais est l’équivalent du ministre
des Finances français.
[13]
Caillaux, favorable à l’Allemagne, n’appréciait guère l’alliance
avec la Russie.
[14]
Des manifestations hostiles aux négociations se déroulèrent aussi
bien à Paris qu’à Berlin.
[15]
Particulièrement par Clémenceau qui n’acceptait pas la volonté de
Caillaux de se rapprocher de l’Allemagne.
[16]
Le résident général était le représentant d’une puissance colonial
établie dans un pays conquis.
[17]
Pour en savoir plus sur le congrès de Berlin, voir le e), 8, section
I, chapitre deuxième, la troisième république.
[18]
La Grèce, indépendante depuis 1830, ne possédait à l’origine qu’un
petit territoire, correspondant à peu près à l’actuelle région du
Péloponnèse. Pour en savoir plus à ce sujet, voir le b), 2, section
II, chapitre deuxième, les derniers Bourbons.
[19]
La Roumélie, « terre des Romains » en turc, désignait les
territoires ottomans dans les Balkans.
[20]
Un condominium est un territoire sur lequel deux puissances exercent
une souveraineté commune.
[22]
L’objectif de l’Autriche était d’empêcher la Serbie d’accéder à la
mer Adriatique.
[23]
Pams, né en août 1852, fut élu conseiller général du canton d’Argelès
sur Mer en 1892, puis il fut élu député l’année suivante.
[24]
Deschanel était né en février 1855 en Belgique, au sein d’une
famille de républicains ayant fui le régime impérial de Napoléon
III. Rentrant en France en 1859, Deschanel fit des études de
Lettres, avant d’être élu député en 1885. Président de la chambre de
1898 à 1902, il retrouva son poste en 1912.
[25]
Dubost, né en avril 1842, fut président du Conseil général de
l’isère, avant d’être élu sénateur en 1897 (il conserva son siège
jusqu’à sa mort, en 1921.).
[26]
Vaillant naquit en janvier 1840 au sein d’une famille aisée. Docteur
en médecine, il participa à la Commune de Paris en début d’année
1871, puis s’exila à Londres suite à l’entrée des troupes
versaillaises dans Paris. De retour en France en 1880, suite aux
lois d’amnistie, Vaillant fut élu député en 1893.
[27]
Rappelons que Barthou, ministre des Travaux publics en 1895, avait
été ministre de l’Intérieur (1896.), ministre des Travaux publics
(1906 à 1909.), et ministre de la Justice (1909 à 1913.).
[28]
Rappelons que la durée du service militaire avait été abaissée de
trois à deux années en février 1905.
[29]
Ce dernier préconisait un service militaire de six mois, mais
prévoyait deux jours de manœuvres par mois pour tous les réservistes
(c'est-à-dire l’ensemble de la population française.).
[30]
Elle avait été adoptée en 1886. Pour en savoir plus à ce sujet, voir
le a), 2, section III, chapitre deuxième, la troisième république.
[31]
La Bregalnica est une rivière se jetant dans le Vardar, un fleuve
traversant la Macédoine.
[32]
Doumergue était un avocat né en août 1863. Elu député en 1893, il
participa à plusieurs ministères entre 1902 et 1910.