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Mythologie
 
 

 

 

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La troisième république (1870 - 1945)

CHAPITRE DEUXIEME : Royauté, République, Empire ?

(mai 1871 à juin 1894) 

 

III : Les scandales de la troisième république (1885 à 1894)

           

            1° Le court ministère Brisson (avril à décembre 1885) – Nommé président du conseil le 7 avril 1885, suite à l’affaire du Tonkin, Brisson forma un ministère marqué à gauche.

Henri Brisson, Le Monde Illustré, N° 1285, 12 novembre 1881.

Récupérant le portefeuille de la Justice, le nouveau chef du gouvernement confia à Charles de Freycinet le ministère des Affaires étrangères[1] ; René Goblet fut nommé ministre de l’Instruction publique, des Beaux arts et des Cultes ; Sadi Carnot[2] fut nommé ministre des Travaux publics ; enfin, le général Campenon retrouva son poste à la Guerre.

 

a) Les élections législatives d’octobre 1885 : début octobre 1885, de nouvelles élections législatives furent organisées. Ces dernières, bien que consacrant une fois de plus la victoire de la gauche, virent les partis de droite faire un score plus qu’honorable (ces derniers, mettant en place un programme commun, avaient fait campagne contre les expéditions outre mer et la persistance de la crise économique.).

Ainsi, les bonapartistes récupérèrent 65 sièges, les monarchistes 73, et les conservateurs 63 (soit plus de 200 élus, contre seulement 88 lors du suffrage de 1881.).

A gauche, les radicaux-socialistes obtenaient 60 sièges, soit 15 de plus qu’il y a quatre ans ; suite à la scission de l’Union républicaine de Gambetta, les membres de ce parti s’étaient divisés entre radicaux (40 sièges.) et républicains (200 sièges.) ; enfin, l’on retrouvait aussi 83 modérés.

 

Les républicains, ne disposant plus d’une nette majorité, furent donc contraints de se rapprocher des radicaux pour gouverner, ce qui entraîna une augmentation de l’instabilité ministérielle.

 

b) Les élections présidentielles de décembre 1885, la démission de Brisson : en fin d’année 1885 furent organisées les élections présidentielles, le mandat de Jules Grévy arrivant à son terme. Le président sortant, affaibli, décida toutefois de se représenter devant l’insistance de son gendre Daniel Wilson.

Les élections furent finalement un succès pour Grévy, qui fut réélu le 28 décembre 1885 avec près de 80% des suffrages[3].

Ces adversaires malheureux étaient Charles de Freycinet (2,5%.) et Henri Brisson (11%.). Ce dernier, suite à son échec aux élections, décida alors de présenter sa démission à Grévy.

  

            2° Le troisième ministère Freycinet, la montée du boulangisme (1886) – Le 7 janvier 1886, ce fut Charles de Freycinet qui fut nommé président du conseil, pour la troisième fois.

Ce dernier, conservant le portefeuille des Affaires étrangères, constitua alors un nouveau gouvernement. L’on y retrouvait René Goblet, confirmé au ministère de l’Instruction publique, des Beaux arts et des Cultes ; Sadi Carnot, transféré aux Finances ; Charles Baïhaut aux Travaux publics ; ainsi que le général Georges Ernest Jean Marie Boulanger[4] à la Guerre.

Le général Boulanger.

 

a) Les réformes du général Boulanger : ce dernier ne tarda guère à faire parler de lui. Ainsi, dès janvier, le général Boulanger fit accélérer l’adoption et la mise en fabrication du fusil Lebel modèle 1886. L’objectif était de donner un successeur aux fusils Chassepot[5] (adopté en 1866.) et Gras[6] (adopté en 1874.), la Prusse ayant adopté l’année précédente le Mauser Gewehr 71/84, possédant un magasin tubulaire (les cartouches y étaient stockées les unes derrière les autres, réduisant drastiquement le temps de recharge.).

Fusil Chassepot (en haut) et fusil Gras (en bas).

Si le Chassepot avait prouvé sa supériorité lors de la guerre de 1870 (l’engin avait une portée de tir de plus d’un kilomètre.), il ne pouvait tirer qu’un coup et s’encrassait rapidement. Le fusil Lebel, au contraire, était équipé d’un magasin tubulaire pouvant contenir 8 cartouches, disposait d’une portée de quatre kilomètres, et tirait des balles composées de nitrocellulose (il s’agissait de poudre ne produisant pas de fumée lors du tir, et ne déposant que peu de résidus de combustion sur l’arme.). 

Fusil Lebel (en haut) et fusil Mauser Gewehr 71/84 (en bas).

 

A noter par ailleurs que le ministre des la Guerre introduisit plusieurs changements au sein de l’armée : autorisation du port de la barbe, réorganisation du contre-espionnage, remplacement des paillasses par des sommiers, durée du service militaire réduite de cinq à trois années, suppression des dispenses pour les ecclésiastiques et les jeunes bourgeois faisant des études.

Les réformes du général Boulanger, caricature publiée dans Le Grelot, vers 1886.

Ces quelques réformes lui attirèrent la sympathie des militaires mais aussi des conservateurs, Boulanger incarnant l’esprit de revanche de cette France meurtrie par la guerre de 1870. Le général, considéré comme « l’homme providentiel », reçut aussi le soutien de la Ligue des patriotes de Paul Déroulède[7], comptant près de 200 000 membres à travers toute la France.

Paul Déroulède, par Jean François PORTAELS, 1877, musée des Invalides, Paris.

 

b) La loi d’exil (juin 1886) : en mars 1886, une somptueuse fête fut organisée à l’Hôtel Galliera[8] par Philippe d’Orléans, en l’honneur des fiançailles de sa fille Amélie avec Charles, prince du Portugal. Puis, le 15 mai, le mariage fut célébré.

Amélie et Charles du Portugal.

Cette cérémonie fut jugée scandaleuse par les républicains, d’autant plus qu’aucun membre du gouvernement n’y avait été invité.

 

Ainsi, les députés promulguèrent une nouvelle loi d’exil le 23 juin 1886, interdisant l’accès et le séjour sur le sol français aux chefs des familles ayant régné sur la France ; en outre, il était interdit aux hommes de ces familles de servir dans l’armée.

De ce fait, Philippe d’Orléans fut contraint de s’exiler en Angleterre ; Victor Jérôme Frédéric Napoléon Bonaparte, quant à lui, décida de se réfugier en Belgique[9].

Par la suite, le général Boulanger épura les cadres monarchistes et impérialistes de l’armée, tels que Joachim Joseph Napoléon Murat, petit fils du maréchal Murat ; Robert d’Orléans, duc de Chartre, fils de Ferdinand Philippe d’Orléans (décédé en 1842, il était l’ainé de Louis Philippe I°.) ; Louis d’Orléans, duc de Nemours (second fils de Louis Philippe.) ; Ferdinand d’Orléans, duc d’Alençon (fils du précédent.) ; et Henri d’Orléans, duc d’Aumale (il était le cinquième fils de Louis Philippe.).

La fermeté de Boulanger lui valut les applaudissements des élus radicaux à la Chambre des députés.

Le général Boulanger, par J. WILLIAMSON, fin du XIX° siècle, musée Carnavalet, Paris.

 

En fin d’année 1886, le gouvernement Freycinet fut mis en minorité par la Chambre des députés. Le président du conseil décida alors de présenter sa démission à Jules Grévy, qui le remplaça par René Goblet.

 

            3° Le ministère Goblet, l’affaire Schnæbelé (janvier 1886 à mai 1887) – Le nouveau président du conseil, suite à sa nomination, mit en place un nouveau gouvernement (décembre 1886.). A noter cependant que  ce dernier fut expurgé de ses éléments radicaux, le nouveau ministère s’étant rapproché des conservateurs.

Ainsi, Goblet conservait le portefeuille de l’Instruction publique, des Beaux arts et des Cultes ; Boulanger fut confirmé à la Guerre ; la plupart des ministres du précédent gouvernement furent eux aussi renouvelés dans leurs fonctions.

 

Le principal fait marquant de ce ministère fut l’affaire Schnæbelé, scandale qui éclata en avril 1887.

Comme nous l’avons vu précédemment, le général Boulanger s’était attiré de nombreuses sympathies en se présentant comme le « général revanche », vengeur de la France humiliée par la guerre de 1870.

Ce dernier, multipliant les provocations envers l’Allemagne (érections de baraquements dans le Territoire de Belfort[10], interdiction de faire jouer des opéras allemands dans la capitale, etc.), avait développé un important réseau d’espionnage dans les départements annexés par le deuxième Reich suite à la guerre de 1870. Pour ce faire, le ministre de la Guerre s’était appuyé sur plusieurs fonctionnaires connaissant bien la région.

Cependant, le chancelier Otto von Bismarck ne tarda guère à prendre connaissance de ces activités d’espionnage français, vraisemblablement à cause d’agents doubles parmi les fonctionnaires lorrains collaborant avec Boulanger (à noter qu’en mars 1887, Bismarck fit voter une loi augmentant les effectifs de l’armée allemande de 40 000 hommes, ce qui entraina de vives tensions des deux côtés de la frontière.).

Une rue de Berlin pendant la nuit, par Lesser URY, 1889, Alte Nationalgalerie, Berlin.

 

Les Allemands décidèrent alors de tendre un piège à un de ces espions français, choisissant Guillaume Schnæbelé, commissaire de police résidant à Pagny sur Moselle, dans le département de la Meurthe (c'est-à-dire en Lorraine française.).

Ainsi, ce dernier fut invité à rendre visite à son homologue d’Ars sur Moselle (dans le département de la Moselle, en Lorraine allemande.), au prétexte que le poteau délimitant la frontière allemande avait été vandalisé.

Toutefois, alors que Schnæbelé se trouvait sur la frontière franco-allemande, attendant son homologue, le commissaire de police fut interpellé par deux agents des services de renseignement allemands. Par la suite, Schnæbelé fut incarcéré et interrogé sur ses activités.

L'arrestation de Guillaume Schnæbelé.

 

A Paris, l’arrestation de Schnæbelé fit scandale. Ainsi, la Chambre des députés proposa d’envoyer un ultimatum au gouvernement allemand ; le général Boulanger, soutenu par Goblet, se déclara prêt à décréter la mobilisation générale des troupes.

Toutefois, le président de la république n’était pas partisan d’un nouveau conflit avec l’Allemagne, la France étant toujours sans alliés et ses chances de remporter la guerre trop faibles.

Emile Flourens, le ministre des Affaires étrangères, n’était pas non plus favorable au déclenchement d’un nouvel affrontement avec l’Allemagne. Ainsi, il décida d’envoyer un simple courrier à Berlin, demandant des précisions quant à l’arrestation de Schnæbelé. En effet, que son arrestation ait eu lieu ou non en territoire allemand, ce dernier s’y était rendu en raison d’une convocation officielle (retrouvée dans son bureau.), qui avait valeur de sauf-conduit en droit international.

 

Finalement, Bismarck, empêtré dans des difficultés politiques en Allemagne, décida de faire relâcher Schnæbelé fin avril, classant l’affaire sans suite.

A Paris, cette affaire entraîna une rupture entre Boulanger et les députés radicaux, ces derniers reprochant au ministre de la guerre sa politique personnelle, véritable casus belli vis-à-vis de l’Allemagne, et qui aurait pu entrainer de graves conséquences.

 

Ainsi, le 17 mai 1887, les radicaux parvinrent à faire tomber le ministère Goblet.

 

            4° Le court ministère Rouvier (mai à octobre 1887) – Suite à la démission de Goblet, ce fut Maurice Rouvier[11] qui fut chargé de constituer un nouveau ministère (31 mai 1887.).

Maurice Rouvier, Le Monde Illustré, N° 1287, 26 novembre 1881.

Le nouveau venu, ancien membre de l’Union républicaine, récupéra le ministère des Finances ; Emile Flourens fut confirmé aux Affaires étrangères ; Armand Fallières (président du conseil en début d’année 1883.) eut l’Intérieur.

 

a) L’éviction de Boulanger (juillet 1887) : le général Boulanger, sur la sellette depuis l’affaire Schnæbelé, perdit son portefeuille de la Guerre, ce qui entraîna de vives protestations de ces admirateurs, qui critiquèrent ce « ministère allemand. »

En raison de sa grande popularité, le gouvernement décida d’écarter Boulanger en le nommant commandant du 13° corps d’armée à Clermont Ferrand.

Le 8 juillet, près de 10 000 partisans du général bloquèrent le départ de son train à la gare de Lyon, collant des affiches portant l’inscription « il reviendra ! »

Le départ du général Boulanger pour Clermont Ferrand, perturbé par des manifestations.

 

 

b) Le scandale des décorations (octobre 1887) : en septembre 1887 éclata le scandale des décorations, une affaire qui provoqua l’indignation de la classe politique et entama durablement le « capital confiance » qu’avait engrangé la troisième république depuis 1871.

 

Ainsi, la presse révéla un trafic de décorations, organisé par Daniel Wilson[12], gendre de Jules Ferry, président de la république (il avait épousé Alice Grévy en octobre 1881.).

Daniel Wilson et Alice Grévy.

Parlementaire influent, Wilson avait installé ses bureaux dans une des ailes de l’Elysée. Il y recevait hommes d’affaires, politiques et militaires, qui, en échange de décorations, versait d’importantes sommes d’argent à Wilson[13].

Ce dernier investissait ensuite les fonds récoltés dans ses entreprises, mais en profitait aussi pour financer une vingtaine de journaux, destinés à augmenter son influence en province.

 

A noter que si les activités de Wilson étaient connues par de nombreux notables depuis un certain temps, il n’était pas aisé de mettre en accusation le gendre du président de la république, protégé par l’immunité parlementaire.

Rouvier, qui tenta de protéger Wilson, fut mis en minorité par la Chambre des députés et contraint de démissionner (19 novembre 1887.) ; Grévy, quant à lui, fut poussé à la démission par les radicaux (Clémenceau initia la grève des ministres le 20 novembre, chaque député nommé par le chef de l’Etat devrait refuser de former un nouveau gouvernement.).

Assiette à soupe, par Alfred le Petit, fin du XIX° siècle, musée Carnavalet, Paris. Cette dernière porte l'inscription suivant : La Violette, Jules Grévy : Modeste comme cette fleur, l'ex-président de la république, dégoûté de la politique, met au billard tout son bonheur (en effet, il était de notoriété publique que Grévy, président peu actif, avait une passion pour le billard).

 

Toutefois, comme Grévy refusait de démissionner, une violente campagne de presse se déclencha à la fin novembre, bientôt relayée par la rue (le 2 décembre, plusieurs centaines de Parisiens manifestèrent place de la Concorde afin de réclamer le départ de Grévy.).

"Wilsonneries", caricature publiée par La jeune garde, 1887 (l'on reconnait Wilson, au centre, distribuant de l'argent à Rouvier, à sa droite. La légende indique "Bon appétit, messieurs... Ô ministres intègres..", il s'agit de vers issus de la pièce de théâtre "Ruy Blas", par Victor Hugo).

Finalement, le chef de l’Etat décida d’abandonner ses fonctions, envoyant à la Chambre des députés sa lettre de démission : j’en appelle à la France ! Elle dira que, pendant neuf années, mon gouvernement a assuré la paix, l’ordre et la liberté.

Le lendemain, le quotidien conservateur Le Gaulois publia une analyse mordante de la lettre de Jules Grévy : c’est le mari qui, après avoir constaté son infortune, s’écrie : j’ai fermé la porte très fort, ils ont bien vu que je n’étais pas content.

 

Quant à Daniel Wilson, mis en accusation en décembre 1887, il fut condamné à deux ans de prison en février 1888 ; toutefois, le gendre du président fit appel de la décision et fut finalement acquitté le 27 mars de la même année.

 

            5° L’élection de Sadi Carnot (décembre 1887) – Le 3 décembre 1887, dès le lendemain de la démission de Jules Grévy, la Chambre des députés organisa un vote afin d’élire le nouveau président de la république.

 

Plusieurs élus décidèrent alors de se présenter aux élections présidentielles : à gauche, l’on retrouvait le radical Henri Brisson, candidat malheureux aux suffrages de 1886 ; les anciens présidents du conseil Jules Ferry et Charles de Freycinet, toute deux représentant les républicains ; ainsi que Sadi Carnot, proche des modérés.

A droite, deux candidats s’étaient présentés, les généraux Félix Gustave Saussier[14] et Félix Antoine Appert[15], tous deux conservateurs.

Sadi Carnot et le général Saussier.

 

Au premier tour, Carnot était en tête avec 35% des suffrages, suivi de près par Ferry (25%.) et le général Saussier (17,5 %.). Les autres candidats étaient loin derrière, Freycinet et Appert recevant environ 8% des suffrages, Brisson seulement 3%.

Cependant, les manifestations se multiplièrent suite à l’annonce des résultats. Ainsi, des rumeurs commencèrent à circuler, faisant état d’un coup d’Etat organisé par les socialistes au cas où Ferry (haï à l’extrême-gauche en raison de sa politique coloniale.) serait élu.

 

Clémenceau, craignant l’arrivée d’un président à la personnalité trop affirmée, appela alors à voter pour Sadi Carnot (votons pour Carnot, c’est le plus bête, mais il porte un nom républicain[16].). Freycinet et Ferry, souhaitant éviter une nouvelle Commune mais aussi faire barrage à la droite, décidèrent alors de se désister.

 

Ainsi, ce fut Sadi Carnot qui récolta la majorité des suffrages (75%), suivi de très loin par Saussier (22%.). Les autres candidats franchirent à peine le seuil des 1% de votes favorables.

Suite à son élection, le nouveau président de la république confia à son ami Pierre Tirard[17] la charge de chef du gouvernement.

Pierre Tirard.

 

            6° La crise boulangiste (janvier 1888 à avril 1889) – Le président du conseil, suite à sa nomination, mit en place un ministère composés de républicains modérés.

Tirard, récupérant le ministère des Finances, confirma Fallières à la Justice et Flourens au Affaires étrangères. L’on retrouvait aussi Emile Loubet[18] aux Travaux publics, ainsi que le général François Auguste Logerot à la Guerre.

Emile Loubet vers 1888.

 

Une des premières décisions de Logerot fut de mettre à la retraite le général Boulanger (17 mars 1888.), qui, depuis son exil à Clermont Ferrand, se trouvait au centre de toutes les intrigues politiques (en janvier, ce dernier avait reçu un financement de Victor Bonaparte, prétendant impérial, afin de se présenter aux élections législatives partielles de février.).

Le général, désespéré de voir sa carrière militaire ruinée, décida alors de se lancer ouvertement dans la lutte politique.

Se trouvant à la tête d’une coalition hétéroclite de mécontents (nationalistes, revanchards, bonapartistes, monarchistes et quelques radicaux.), le général fut élu député en juillet 1888, faisant une entrée triomphale au sein de l’hémicycle.

 

A noter qu’entretemps le gouvernement Tirard, mis en minorité à l’assemblée suite à un vote négatif concernant une révision mineure de la constitution, avait été dissous (fin mars 1888.).

Sadi Carnot décida alors d’accorder sa confiance à Charles Floquet[19], un radical, qui composa un ministère plus marqué à gauche que le précédent.

Caricature de Charles Floquet.

Ainsi, outre le nouveau président du conseil, qui s’était réservé le ministère de l’Intérieur, l’on retrouvait René Goblet aux Affaires étrangères, et Charles de Freycinet à la Guerre[20].

 

L’arrivée de Boulanger au sein de l’assemblée fit grand bruit, et, très rapidement, le général eut une violente altercation avec Floquet, le nouveau président du conseil.

Dès le lendemain, les deux hommes se battirent en duel. Boulanger, militaire expérimenté et meilleur bretteur, avait toutes les chances de gagner ; toutefois, le président du conseil, bien que sexagénaire, provoqua la surprise en blessant le général au cou (13 juillet 1888.).

Duel entre le général Boulanger et Charles Floquet.

 

Boulanger, humilié et affaibli, ne souhaitait pas en rester là. Financé par Marie Adrienne Anne Victurnienne Clémentine de Rochechouart de Mortemart, duchesse d’Uzès (cette dernière, fervente orléaniste, pensait ainsi favoriser le retour du duc d’Orléans.), Boulanger reçut de nombreux soutiens en provenance des monarchistes, déçus d’avoir manqué la restauration et soucieux d’affaiblir les républicains.

 

En janvier 1889, le général se présenta à de nouvelles élections législatives partielles, sur un programme en trois mots : dissolution, révision, constituante[21].

Elu à une large majorité, Boulanger célébra sa victoire au restaurant Chez Durand, place de la Madeleine, entouré par 50 000 partisans.

Ces derniers interpellèrent alors le général, l’incitant à marcher sur l’Elysée afin de prendre le pouvoir. Mais Boulanger, prudent, préféra rester dans la légalité : pourquoi voulez vous que j’aille conquérir illégalement le pouvoir quand je suis sûr d’y être porté dans six mois par l’unanimité de la France ?

A gauche, caricature anti-boulangiste, présentant le général comme un bélier (tenu entre autres par Napoléon III) destiné à faire tomber la république ; à droite, caricature pro-boulangiste présentant le général en lutte contre une république corrompue.

 

Le 14 février 1889, le gouvernement Floquet fut mis en minorité à la Chambre des députés, suite au rejet d’un projet de loi visant à réformer les modalités des élections législatives.

Carnot décida alors de confier à nouveau la charge de président du conseil à son ami Pierre Tirard.

Ce dernier, ayant reçu le soutien des radicaux (l’objectif était de lutter activement contre la menace boulangiste.), forma donc un nouveau gouvernement.

Tirard, outre sa charge de président du conseil, récupérait le ministère du Commerce et de l’Industrie ; Jean Antoine Ernest Constans[22] était nommé ministre de l’Intérieur ; Maurice Rouvier reçut le portefeuille des Finances ; Fallières eut l’Instruction publique et les Beaux arts ; enfin, Freycinet était confirmé à la Guerre.

Jean Antoine Constans.

 

L’une des premières actions du second ministère Tirard fut de discréditer Boulanger et de couper ses appuis.

Ainsi, Constans, le ministre de l’Intérieur, décida de s’attaquer à la Ligue des patriotes de Paul Déroulède, en vertu de la loi sur les sociétés secrètes.

Le procès de la Ligue des patriotes - L'audience du 2 avril à la 8° chambre correctionnelle, Le Monde Illustré, N° 1672, 13 avril 1889.

Puis, le 1er avril 1889, il courir le bruit qu’un ordre d’arrestation devait être porté contre Boulanger, et que le même jour la Chambre des députés voterait la levée de son immunité parlementaire.

Effrayé, le général quitta la capitale dès le lendemain afin de se réfugier à Bruxelles ; quelques jours après, l’assemblée leva son immunité parlementaire ; enfin, à la mi-août 1889, le général Boulanger fut condamné par contumace pour complot contre la sûreté intérieure, détournement de fonds et corruption.

 

Suite à son départ précipité de Paris, Boulanger résida en Belgique en compagnie de sa maitresse. Lorsque celle-ci mourut, le 16 juillet 1891, le général décida de la suivre dans la tombe, et se suicida d’un coup de revolver le 31 septembre de la même année.

Le suicide du général Boulanger.

 

            7° L’exposition universelle de Paris (mai à octobre 1889) – Le 6 mai 1889, Sadi Carnot inaugura l’exposition universelle de Paris, la quatrième de son histoire après celles de 1855, 1867[23] et 1878 (le thème de cet évènement était le centenaire de la Révolution française.).

A gauche, Sadi Carnot proclamant l'ouverture de l'exposition universelle, Le Monde Illustré, N° 1676, 11 mai 1889 ; à droite, Sadi Carnot et ses ministres devant l'Opéra de Paris, fragment du Panorama du siècle (exécuté à l'occasion de l'exposition universelle, il représentait les personnalités marquantes du siècle écoulé), par Henri GERVEX et Alfred STEVENS, 1889, musée Carnavalet, Paris.

 

Suite à l'inauguration, les visiteurs découvrirent les deux principaux édifices érigés à l'occasion de l'exposition universelle de 1889 : la galerie des machines et la tour Eiffel.

La galerie des machines.

Le premier bâtiment était à l’époque la plus importante structure métallique d’Europe, mesurant 420 mètres de long sur 110 de large[24]. Les pavillons des arts et de l’industrie, installés dans cette galerie, contribuèrent au développement de l’Art nouveau.

Le dôme central de la galerie des machines durant l'exposition de 1889, par Louis BEROUD, musée d'Orsay, Paris.

La galerie des machines, Le Monde Illustré, N° 1686, 20 juillet 1889.

La tour Eiffel, dont les travaux avaient commencé en 1887, fut elle aussi un des succès de l’exposition, accueillant deux millions de visiteurs. Toutefois, bien qu’étant présenté comme une merveille technologique (haute de 318 mètres, la tour resta longtemps l’édifice le plus haut du monde.), l’œuvre d’Eiffel fut vivement critiquée par de nombreux intellectuels, tels que Guy de Maupassant, Charles Gounod, Charles Lecomte de Lisle, Alexandre Dumas fils, et Paul Verlaine : nous venons […] protester de toutes nos forces […] au nom de l'art et de l'histoire français menacés, contre l'érection, en plein cœur de notre capitale, de l'inutile et monstrueuse tour Eiffel […]. Sans tomber dans l'exaltation du chauvinisme, nous avons le droit de proclamer bien haut que Paris est la ville sans rivale dans le monde. […] La ville de Paris va-t-elle donc s'associer plus longtemps aux baroques, aux mercantiles imaginations d'un constructeur de machines, pour s'enlaidir irréparablement et se déshonorer ? Car la tour Eiffel […] c'est […] le déshonneur de Paris. Il suffit, d'ailleurs, pour se rendre compte de ce que nous avançons, de se figurer un instant une tour vertigineusement ridicule, dominant Paris, ainsi qu'une gigantesque et noire cheminée d'usine, écrasant de sa masse barbare Notre Dame, […] le Louvre, le dôme des Invalides, l’Arc de Triomphe, tous nos monuments humiliés, toutes nos architectures rapetissées, qui disparaîtront dans ce rêve stupéfiant. Et pendant vingt ans nous verrons s'allonger sur la ville entière, frémissante encore du génie de tant de siècles, nous verrons s'allonger comme une tache d'encre l'ombre odieuse de l'odieuse colonne de tôle boulonnée.

Les travaux de construction de la tour Eiffel.

Mais l’édifice, qui n’était à l’origine que provisoire, parvint finalement à résister aux projets de démantèlements, pour devenir aujourd’hui l’un des symboles de Paris et de la France.

L'exposition universelle de 1889 vue du ciel.

 

Outre ces deux édifices, plusieurs attractions étaient proposées aux visiteurs : les pavillons des pays participant à l'exposition, installés sur le Champ de Mars ; une fontaine installée devant la galerie des machines, reliée à un courant électrique, changeait de couleur au son de la musique jouée par une fanfare ; un « village nègre », composé de 400 indigènes, était situé non loin des pavillons coloniaux ; le spectacle « Wild West Show » de Buffalo Bill ; une reconstitution de la Bastille sur l'esplanade des Invalides ; enfin, comme en 1878, des ballons captifs furent loués aux visiteurs afin de pouvoir admirer l'exposition depuis le ciel.

Le pavillon du Mexique, Le Monde Illustré, N° 1686, 20 juillet 1889.

Le pavillon de l'Annam et du Tonkin, Le Monde Illustré, N° 1701, 2 novembre 1889.

La fontaine monumentale du Champ de Mars, Le Monde Illustré, N° 1698, 12 octobre 1889.

La Buffalo Bill's company - Une scène du combat entre les cow-boys et les indiens, Le Monde Illustré, N° 1679, 1er juin 1889.

 

L’exposition universelle fut aussi l’occasion pour de nombreux visiteurs de découvrir de nouvelles technologies : l’électricité, qui commençait peu à peu à remplacer les éclairages au gaz dans la capitale ; la soie artificielle ; ainsi que le perfectionnement de l’outillage dans l’industrie de la houille et de l’acier.

Par ailleurs, la machine à calculer de Léon Bollée (permettant de faire 100 divisions, 120 racines carrées ou 250 multiplications en une heure.) remporta une médaille d'or.

Machine à calculer de Léon Bollée, 1889, musée des Arts & Métiers, Paris.

 

            8° Les élections législatives d’octobre 1889, la chute du ministère Tirard – De nouvelles élections législatives furent organisées à l’automne 1889. A noter toutefois que les scores réalisés par les différents partis au mois d’octobre ne furent guères différents de ceux obtenus en 1885.

L'afficheur municipal au travail (la légende, non dénuée d'humour, indique : "qui qu'aime les électeurs ? C'est ma sœur").

 

A droite, les bonapartistes obtinrent 52 sièges, les boulangistes 72, les royalistes 86 (soit 210 sièges au total contre 201 en 1885.

A gauche, les grands gagnants étaient les radicaux, qui récupéraient 100 sièges (contre seulement 40 lors du dernier scrutin.). Les républicains, quant à eux, conservaient leur hégémonie sur l’assemblée, récupérant 216 sièges. Les modérés, enfin, étaient en baisse, ne disposant que de 38 élus.

 

En mars 1890, Tirard fut mis en difficulté suite à la démission de Constans, le ministre de l’Intérieur. Le président du conseil décida alors de se retirer, laissant sa place à Charles de Freycinet.

 

Le nouveau président du conseil, nommé pour la quatrième fois, forma un gouvernement composé d’une bonne partie des ministres du cabinet précédent.

Ainsi, conservant le ministère de la Guerre, Freycinet confia le ministère de la Justice à Fallières ; Constans reçut l’Intérieur ; Jules Méline fut nommé ministre de l’Agriculture ; Alexandre Félix Joseph Ribot[25] eut les Affaires étrangères ; enfin, Rouvier fut confirmé aux Finances.

Alexandre Ribot.

 

            9° Le long ministère Freycinet (mars 1890 à février 1892), Léon XIII et le ralliement  – Ce quatrième ministère Freycinet fut surtout marqué par les remous causés par les propos du pape Léon XIII[26] au sujet de la jeune république française.

Le pape Léon XIII.

Ainsi, alors que les précédents occupants de la chaire de Saint Pierre étaient ouvertement conservateurs, et partisans d’un rétablissement de la monarchie en France, Léon XIII, au contraire, souhaitait mettre un terme à cette querelle vieille de près d’un siècle.

 

Un premier tollé dans l’opinion catholique eut lieu suite au toast d’Alger (novembre 1890.), alors que le  cardinal Charles Martial Allemand Lavigerie, cardinal d’Alger, prononça le discours suivant, lors d’une réception à laquelle avaient été conviés des officiers de Marine de passage dans cette cité : l'union, en présence de ce passé qui saigne encore, de l'avenir qui menace toujours, est en ce moment, en effet, notre besoin suprême. L'union est aussi […] le premier vœu de l’Eglise et de ses Pasteurs à tous les degrés de la hiérarchie. […] Quand la volonté d'un peuple s'est nettement affirmée, que la forme d'un gouvernement n'a rien en soi de contraire, comme le proclamait dernièrement Léon XIII, aux principes qui seuls peuvent faire vivre les nations chrétiennes et civilisées, lorsqu'il faut, pour arracher enfin son pays aux abîmes qui le menacent, l'adhésion sans arrière-pensée à cette forme de gouvernement, le moment vient de déclarer enfin l'épreuve faite et, pour mettre un terme à nos divisions, de sacrifier tout ce que la conscience et l'honneur permettent, ordonnent à chacun de nous de sacrifier pour le salut de la patrie.

Le port d'Alger, par Jules Alexis MUENIER, 1888, musée d'Orsay, Paris.

 

Alors qu’en France, cette déclaration fit scandale dans les milieux légitimistes, le souverain pontife officialisa sa position en février 1892, diffusant l’encyclique Au milieu des sollicitudes, publiée en français[27].

Ainsi, l’objectif du pape n’était pas d’apporter son soutien à la politique anticléricale adoptée à l’époque (fermeture des écoles catholiques, suppression des signes religieux, etc.), mais d’inciter les catholiques à reconnaitre et à rallier la jeune république (l’objectif était aussi d’empêcher l’extrême gauche anticléricale de gouverner seule.).

 

Cependant, les déclarations du souverain pontife ne firent que déchirer les catholiques en deux clans : d’un part, les ralliés, qui acceptèrent de participer à la vie politique française ; d’autre part, les monarchistes toujours partisans d’un rétablissement de la royauté, soutenus par la majorité des évêques de France[28].

 

A noter par ailleurs que Léon XIII, humaniste et libéral, dénonça la concentration de pouvoir des grands industriels et des grands propriétaires terriens, qui imposaient un joug quasi-servile à la multitude des prolétaires (le pape n’était toutefois pas non plus favorable au communisme, ce dernier considérant que la propriété était un droit inaliénable pour chaque être humain.).

 

A noter que fut adoptée le 11 janvier 1892 la loi Méline, établissant le retour au protectionnisme[29]. De nombreux députés étaient favorables à cette mesure, voyant la fermeture des frontières comme le moyen idéal de diminuer les importations, limiter le chômage, et développer l’industrie française.

Quelques semaines plus tard, le 18 février 1892, Freycinet, mis en minorité à la Chambre des députés, décida de présenter sa démission à Sadi Carnot.

Son successeur fut Emile Loubet, qui, récupérant le ministère de l’Intérieur, confirma Freycinet à la Guerre, Ribot aux Affaires étrangères, et Rouvier aux Finances.

 

            10° Le scandale de Panama (1876 à 1892) – En novembre 1854, le vice-roi d’Egypte Ismaïl Pacha avait cédé une concession à la France, en prévision du percement du futur canal de Suez. La supervision des travaux fut confiée au diplomate Ferdinand, comte de Lesseps[30], qui, après plus d’une décennie de tracasseries en tous genres[31], inaugura le canal le 17 novembre 1869[32].

L'inauguration du canal de Suez.

 

a) Des premiers travaux de recherche à l’adoption du tracé du canal de Panama (1876 à 1878) : reconnu internationalement, de Lesseps rejoignit à l’été 1876 une équipe d’ingénieurs chargée d’explorer la région du Panama et d’y trouver une route qui conviendrait le mieux au percement d’un futur canal.

Ferdinand, comte de Lesseps.

Puis, une fois les travaux de recherche achevés, Lucien Napoléon Wyse-Bonaparte[33], qui dirigeait l’expédition, parvint à obtenir des Etats Unis de Colombie[34] une concession pour la construction du canal (mars 1878.).

 

Au printemps 1879, la Société de géographie de Paris[35], intéressée par le projet, décida de réunir un congrès international (comptant 136 membres, en provenance de 26 pays[36].), en vue du percement du futur canal.

La même année, de Lesseps fit part de son projet d’études devant le congrès, proposant de percer un canal à niveau, long de 75 kilomètres, dans l’isthme de Panama. Le coût de la construction, deux fois plus élevé qu’un canal à écluses[37], était estimé à 600 millions de francs[38] ; toutefois, les plans du comte de Lesseps furent approuvés par la majorité des congressistes.

 

b) Des travaux difficiles entrainent des problèmes financiers (1879 à 1888) : en juillet 1879, de Lesseps donna naissance à la compagnie universelle du canal interocéanique de Panama, une société anonyme destinée à recevoir les fonds pour mener à bien le projet.

En décembre 1880, Charles de Lesseps[39] procéda à l’émission du capital de la compagnie, sous la forme de 800 000 actions de 500 francs chacune. Près de 75 000 souscripteurs participèrent à l’opération, mais ces résultats ne furent pas suffisants pour la compagnie, qui ne récupéra que 30 millions sur les 400 espérés (août 1879.).

 

Malgré ces résultats en demi-teinte, les travaux débutèrent en 1881, mais la compagnie rencontra au fil des mois une série de difficultés (épidémie de malaria et de fièvre jaune à cause des moustiques pullulant dans la région ; éboulement de terrain sur les pentes du massif de la Culebra, une colline surplombant le canal ; manœuvres américaines qui n’appréciaient guère cette présence française en Amérique centrale.).

Travaux dans le massif de la Culebra.

Ainsi, comme le coût du percement du canal avait été sous estimé lors du congrès de 1879, de Lesseps se rapprocha d’hommes d’affaires en 1886, afin que ces derniers fassent rentrer des liquidités dans la caisse de la compagnie. Puis, en 1887, il fut contraint de revoir ses plans. Assisté par l’ingénieur Gustave Eiffel[40], un nouveau projet fut établi, prévoyant la construction de dix écluses sur le tracé, afin de s’adapter au relief de la région.

 

Deux des hommes d’affaires contactés par de Lesseps étaient le baron Jacob Adolphe Reinach, un immigré allemand établi à Paris au cours des années 1850 et naturalisé français en 1871 ; ainsi que Cornelius Herz, un médecin né en France de parents immigrés d’Allemagne et de confession juive[41].

Les deux hommes, responsables de la publicité de la compagnie universelle du canal interocéanique de Panama, décidèrent de se rapprocher de leurs contacts à la Chambre des députés afin de faire voter une loi permettant à la société, alors au bord de la faillite, d’émettre un nouvel emprunt. Grâce à d’importants pots de vins versés à de nombreuses personnalités de la classe politique (Charles Baïhaut, ministre des Travaux publics en 1886, à l’origine hostile au projet, revint sur sa décision suite à la promesse qu’il lui serait versé un million de Francs.), ce décret fut finalement adopté en 1888.

Par ailleurs, Herz lança une vaste campagne de presse afin d’inciter les petits épargnants à investir dans la compagnie (ce dernier finançait plusieurs quotidiens, dont La Justice du député Clémenceau.).

 

b) La liquidation judiciaire de la compagnie universel (1888 à 1889) : le comte de Lesseps, suite à l’autorisation de la Chambre de procéder à un nouvel emprunt, parcourut toute la France afin de trouver de nouveaux actionnaires (juin 1888.)... mais il n’y eut que 100 000 souscripteurs alors que le comte en espérait plus du double.

Finalement, malgré tous les efforts déployés ces derniers mois (les travaux allaient bon train depuis les récentes rentrées d’argent dans les caisses.), la compagnie fut finalement mise en liquidation judiciaire en février 1889, causant d’importantes pertes financières aux familles ayant acheté des actions de cette société.

 

De nombreux mécontents firent entendre leurs voix suite à la liquidation de la société, et une instruction fut ouverte. Toutefois, la classe politique fit tout son possible pour la ralentir au maximum, soucieuse que le scandale reste confiné dans les hautes sphères de l’Etat.

 

c) L’éclatement du scandale de Panama (septembre  à décembre 1892) : ainsi, ce n’est qu’en septembre 1892 que le journaliste Edouard Drumont, nationaliste et antisémite notoire[42], révéla l’affaire dans son journal La Libre Parole. Ce dernier, ayant en main des documents secrets appartenant au baron Reinach, s’attaqua à l’ensemble de la classe politique, dénonçant les pots de vin versés par les dirigeants de la compagnie ainsi qu’un système financier « dominé par des mains juives. »

Caricature de Ferdinand de Lesseps, le "perceur de canaux".

 

Le scandale de Panama fit grand bruit. Ainsi, le baron Reinach fut retrouvé mort chez lui le 20 novembre 1892[43] ; Cornelius Herz s’exila en Angleterre ; le 28 novembre, le ministère Loubet fut mis en minorité à la Chambre des députés ; enfin, plusieurs ministres et députés furent accusés de malversations.

Plus tard, en début d’année 1893, Ferdinand de Lesseps et Gustave Eiffel furent condamnés à cinq ans de prison (ils parvinrent toutefois à y échapper grâce à un vice de forme.) ; Charles de Lesseps n’eut pas la même chance que son père et fut incarcéré ; Herz, réfugié en Angleterre, fut condamné par contumace (il ne fut pas jugé par la justice anglaise en raison de son état de santé.).

 

A noter que les travaux de percement furent repris par les Etats Unis en 1903 ; en 1914, à l’aube de la première guerre mondiale, le canal de Panama fut finalement inauguré.

 

            11° Les ministères Ribot et Dupuy (décembre 1892 à décembre 1893) – Suite à l’éviction de Loubet, en fin d’année 1892, ce fut Alexandre Félix Joseph Ribot qui fut nommé président du conseil.

Le nouveau venu, conservant le ministère des Affaires étrangères, confia le portefeuille de l’Instruction publique, des Beaux-arts et des Cultes à Charles-Alexandre Dupuy[44] ; par ailleurs, il confirma Freycinet à la Guerre, Rouvier aux Finances, et Loubet à l’Intérieur.

 

a) Derniers remous du scandale de Panama, l’échec du ministère Ribot (décembre 1892 à mars 1893) : toutefois, en début d’année 1893, les dernières vagues du scandale de Panama continuaient d’éclabousser la classe politique. Ainsi, Charles Baïhaut, ancien ministre des Travaux publics, fut arrêté et condamné en mars pour corruption ; Georges Clémenceau, Charles de Freycinet et Charles Floquet, eux aussi suspectés, échappèrent finalement aux poursuites judiciaires.

Charles Baïhaut.

Cependant, Ribot décida de procéder à un remaniement ministériel en janvier 1893, afin de se débarrasser des ministres potentiellement impliqués dans le scandale de Panama.

Ainsi, Freycinet, Rouvier et Loubet furent évincés de leurs postes respectifs et remplacés par de nouveaux ministres.

Toutefois, ce nouveau ministère fut particulièrement bref, car Ribot fut contraint de présenter sa démission à Sadi Carnot en mars 1893.

 

b) Le ministère Dupuy, les élections législatives de l’été  1893 : suite à cet évènement, le chef de l’Etat décida de confier la charge de président du conseil à Charles-Alexandre Dupuy (4 avril 1893.).

Charles Dupuy.

Ce dernier, s’entoura de ministres radicaux, récupéra le ministère de l’Intérieur ; il confia le ministère de l’Instruction publique et des cultes à Raymond Poincaré[45].

 

A l’été 1893, quelques mois après l’arrivée de Dupuy à la tête du gouvernement, furent organisées de nouvelles élections législatives.

Le scrutin, organisé peu de temps après le scandale de Panama, fut marqué par deux tendance : d’une part, une abstention particulièrement forte (près de 30% en moyenne.) ; d’autre part, par un renouvellement important de la classe politique (190 nouveaux élus pour 581 sièges, soit environ 30%.) 

Outre le scandale de Panama, qui avaient entrainé une baisse de confiance des électeurs vis-à-vis de la classe politique (par exemple, Georges Clémenceau ne fut pas réélu[46].), les déclarations du pape Léon XIII concernant le ralliement à la jeune république ne furent pas au goût des catholiques monarchistes.

 

Les grands perdants de ce scrutin furent les députés de droite, une fois encore, qui récoltèrent moins d’une centaine de sièges (35 députés de centre-droit et 58 monarchistes[47].).

A gauche, les républicains conservaient leur hégémonie sur la Chambre des députés, récoltant 317 sièges (soit 100 de plus qu’en 1889.) ; les radicaux, quant à eux, maintenaient leur position avec 122 élus.

La véritable nouveauté de ce scrutin fut la montée des voix des radicaux-socialistes et des socialistes, récoltant respectivement 16 et 33 sièges.

 

c) Le rapprochement franco-russe : suite aux élections législatives, malgré cet important renouvellement de la classe politique, Dupuy conserva son poste de président du conseil. Ce dernier put ainsi poursuivre le projet d’alliance avec la Russie, initié depuis maintenant plusieurs années.

 

Ainsi, si un rapprochement entre la France et la Russie semblait se dessiner depuis le congrès de Berlin[48], qui s’était tenu à l’été 1878[49], la Russie resta proche de l’Allemagne pendant encore une décennie.

En effet, le tsar et l’Empereur allemand avaient renouvelé leur entente à plusieurs reprises, que ce soit au sein de l’entente des trois Empereurs, de 1873 à 1875, alliance militaire unissant Autriche, Russie et Allemagne ; le traité des trois Empereurs, de 1881 à 1885 (cette fois il ne s’agissait que d’une promesse de neutralité entre les trois pays[50].) ; et le traité de Réassurance, de 1887 à 1890 (la Russie promettait de rester neutre dans le cadre d’une attaque française contre l’Allemagne, et l’Allemagne dans le cadre d’une attaque autrichienne en Russie.).

Frédéric III à un bal de la Cour, 1878, par Anton VON WERNER, 1895, Alte Nationalgalerie, Berlin.

Toutefois, en mars 1890, le jeune Empereur allemand Guillaume II[51] refusa de renouveler le traité de Réassurance, considérant que ses liens d’amitié avec le tsar Alexandre III étaient largement suffisants (c'est aussi à cette époque que le souverain prussien se débarrassa de Bismarck, qui occupait le poste de chancelier depuis près de vingt ans).

Caricature britannique parodiant l'éviction de Bismarck (Guillaume II, en haut de l'image, se débarrasse du vieux "pilote" qui est prié de descendre à quai), par Joseph SWAIN, 1890, Deutsches historisches museum, Berlin.

 

C’est donc à partir de cette date que la Russie commença à se rapprocher d’une France isolée diplomatiquement depuis la guerre de 1870.

De prime abord, rien n’unissait ces deux pays ; ainsi, en Russie comme en France, les élites contestèrent ce rapprochement : les aristocrates russes n’acceptaient pas une alliance avec un pays républicain et ouvertement réformiste ; les députés français, quant à eux, étaient outrés de s’allier avec un pays autocratique et très conservateur.

Toutefois, Alexandre III, souverain francophile, savait qu’il avait besoin des capitaux français afin de moderniser son pays ; Sadi Carnot, quant à lui, était conscient de l’avantage stratégique que conférait une alliance avec la Russie en cas de conflit contre l’Allemagne.

 

Ainsi, un premier accord secret fut signé le 27 août 1891, les deux gouvernements prévoyant de se consulter en cas de menace de guerre ; puis, le 17 août 1892, fut entérinée une convention militaire secrète (mobilisation mutuelle en cas de mobilisation d’un des pays de la Triplice[52] ; intervention russe contre l’Allemagne en cas d’attaque contre la France ; intervention française contre l’Allemagne en cas d’attaque contre la Russie.).

Le nez de la Triplice, imité du "Laocoon" antique (le français et le russe se promènent main dans la main ; à l'arrière plan, un italien, un allemand et un Autrichien sont présentés comme empêtrés ; à droite, derrière la statue, l'on retrouve un anglais qui n'apprécie guère le rapprochement franco-russe), caricature du Petit Journal, 25 octobre 1896, musée des Invalides, Paris.

Cette convention secrète fut rendue officielle en fin d’année 1893 ; Alexandre III la ratifia en décembre, le gouvernement français en janvier 1894.

 

            12° La crise anarchiste, les derniers mois de mandat de Sadi Carnot (décembre 1893 à juin 1894) – Dupuy, fragilisé suite au départ des ministres radicaux du gouvernement, fut contraint de présenter sa démission le 25 novembre 1893.

Sadi Carnot décida alors de confier la charge de président du conseil à Jean Casimir-Perier[53].

Jean Casimir Perier.

Le nouveau venu, soucieux de mettre en place un gouvernement de centre-gauche, écarta du pouvoir les radicaux et les monarchistes, préférant s’entourer de ministres modérés et de ralliés (c'est-à-dire les catholiques, qui, suite à l’appel du pape, décidèrent de participer à la vie politique de la troisième république.).

 

Toutefois, le ministère Casimir-Perier fut contraint de faire face à la montée de l’anarchisme, un mouvement qui n’avait cessé de croitre depuis la crise économique de 1873.

L’anarchisme, du grec anarkhia, signifie « absence de commandement. » Depuis la Révolution française, plusieurs penseurs et philosophes avaient contribué à façonner cette pensée, depuis Gracchus Babeuf[54] jusqu’à Pierre Joseph Proudhon.

Gracchus Babeuf (à gauche) ; Pierre Joseph Proudhon (à droite), école française du XIX° siècle, musée Carnavalet, Paris.

Les anarchistes, rejetant la propriété et le divin, crurent leur heure arrivée lors de la Commune de Paris, en mars 1871, mais l’armée versaillaise réprima violemment ce mouvement en investissant les rues de la capitale et fusillant à tour de bras.

Ainsi, ce n’est qu’au cours des années 1880, suite à l’adoption des décrets d’amnistie accordés aux anciens communards, que le mouvement anarchiste reprit de l’ampleur.

Ayant adopté le drapeau noir lors d’un meeting en mars 1882, les anarchistes, vivant souvent dans des conditions difficiles[55], n’acceptaient plus cette république « prise en otage » par la bourgeoisie[56], pas plus que les scandales qui ébranlaient régulièrement la classe politique et déconsidéraient le régime (scandale des décorations, crise boulangiste, affaire de Panama, etc.).

 

a) Les attentats de Ravachol (mars 1891) : la crise anarchiste fut marquée par une série d’attentats, dont les premiers furent l’œuvre de Ravachol[57] (de son vrai nom François Claudius Koënigstein[58].).

 

Lors de la fondation de l’Internationale ouvrière (ou Deuxième internationale[59].), proclamée lors du congrès de Paris en juillet 1889, les membres de cette organisation décidèrent que chaque 1er mai serait organisée la fête du travail.

Illustration de "l'Internationale", chant révolutionnaire, par Théophile STEINLEIN, XIX° siècle, musée Carnavalet, Paris.

Toutefois, en France comme à l’étranger, cette annonce ne fit guère l’unanimité, et le gouvernement décida d’interdire les manifestations du 1er mai (toutefois, des marches furent organisées en 1890 et 1891.).

Ainsi, le 1er mai 1891, des militants anarchistes organisèrent un défilé dans les rues de Clichy, mais furent repoussés par les forces de police suite à un échange de coups de feu ; les meneurs, arrêtés, furent vivement molestés lors de leur incarcération (deux des meneurs furent par la suite condamnés à des peines de prison ferme, le troisième fut acquitté.).

Cette affaire, occultée par la fusillade de Fourmies[60], qui eut lieu de même jour, ne manqua pas de susciter l’intérêt de Ravachol.

Place de l'église à Fourmies.

Ce dernier, dérobant plusieurs kilos de poudre et de dynamite dans une carrière de Soisy-sous-Etiolles[61], décida dans un premier temps de faire sauter le commissariat de Clichy. Cependant, devant la difficulté de la tâche, il décida plutôt d’exercer ses représailles sur deux juristes ayant participé au procès de Clichy (les attentats, organisés du 11 au 29 mars 1892, ne firent toutefois pas de victimes mais causèrent d’importants dégâts matériels[62].).

Mais le 30 mars 1892, il fut arrêté en sortant du restaurant Véry, où il avait été reconnu par un garçon de café.

 

L’instruction du procès ne se fit pas sans peine, entre les lettres de menaces reçues par les jurés et l’explosion du Very, restaurant où avait Ravachol avait été arrêté (25 avril 1892.).

A la barre, le prévenu se vanta de son geste et se lança dans un véritable dithyrambe anarchiste : la société est pourrie. Dans les ateliers, les mines et les champs, il y a des êtres humains qui travaillent et souffrent sans pouvoir espérer acquérir la millième partie du fruit de leur travail.

Ravachol à son procès.

Finalement, Ravachol ne fut condamné qu’aux travaux forcés à perpétuité ; mais, en juillet 1892, il fut jugé lors d’un second procès, pour des crimes commis avant l’affaire de Clichy. Cette fois ci, les faits reprochés étant plus graves, Ravachol fut condamné à mort et exécuté à la mi-juillet 1892.

 

b) L’attentat d’Auguste Vaillant à la Chambre des députés (9 décembre 1893), les « lois scélérates » : L’exécution de Ravachol entraîna la colère des milieux anarchistes, qui ne tardèrent pas à répliquer. L’un d’entre eux, Auguste Vaillant[63], soucieux de venger Ravachol, lança une bombe à clous au sein de la Chambre des députés le 9 décembre 1893.

L'attentat de Vaillant à la Chambre des députés.

L’engin, blessant une cinquantaine de personnes (dont Vaillant lui même.), ne fit toutefois pas de victimes, et l’auteur de l’attentat fut rapidement arrêté.

Condamné à mort à l’issue du procès, Vaillant fut exécuté le 8 février 1894.

 

Suite à cet attentant, le président du conseil Jean Casimir-Perier décida de promulguer une série de lois afin de lutter contre l’anarchisme, surnommées lois scélérates par les milieux contestataires.

Le premier décret (décembre 1893.), concernant la sûreté générale, prévoyait la création de nouveaux délits (apologie de faits ou de crimes.), permettant les autorités à procéder à des arrestations préventives ; le second décret (décembre 1893.), concernant les associations de malfaiteurs, autorisait l’arrestation de groupes suspectés de préparer des attentats.

 

c) Les attentats d’Emile Henry (novembre 1892 à février 1894 ) : toutefois, malgré l’adoption de cette série de mesures, les anarchistes ne comptaient pas déposer les armes. Ainsi, se tint en avril 1894 le procès d’Emile Henry[64], accusé d’avoir fait sauter dans la capitale le commissariat de la rue des Bons-Enfants (novembre 1892.), ainsi que le café Terminus (12 février 1894.).

Lors de son procès, le jeune homme révéla avoir rejoint les rangs de l’anarchisme récemment, outré par les privilèges de la bourgeoisie, les fortunes amassés par les industriels au détriment de leurs salariés, ainsi que par les militaires qui n’hésitaient pas à tirer sur la foule[65].

Emile Henry acheva son plaidoyer sur ses mots : dans cette guerre sans pitié que nous avons déclarée à la bourgeoisie, nous ne demandons aucune pitié. Nous donnons la mort et nous devons la subir. C'est pourquoi j'attends votre verdict avec indifférence. Je sais que ma tête ne sera pas la dernière que vous couperez [...]. Vous ajouterez d'autres noms à la liste sanglante de nos morts. Pendus à Chicago, décapités en Allemagne, garrottés à Xérès, fusillés à Barcelone, guillotinés à Montbrison et à Paris, nos morts sont nombreux ; mais vous n'avez pas pu détruire l'Anarchie. Ses racines sont profondes : elle est née au sein d'une société pourrie qui s'affaisse ; elle est une réaction violente contre l'ordre établi ; elle représente les aspirations d'égalité et de liberté qui viennent battre en brèche l'autoritarisme actuel. Elle est partout. C'est ce qui la rend indomptable, et elle finira par vous vaincre et par vous tuer.

Emile Henry, condamné à mort, fut exécuté en mai 1894.

 

A la même date, Casimir-Perier décida de remettre sa démission à Sadi Carnot, dont le gouvernement était fragilisé depuis l’attentat de Vaillant à la Chambre des députés.

Le chef de l’Etat décida alors de confier la charge de président du conseil à Charles Dupuy une seconde fois.

S’entourant d’une nouvelle génération de républicains, Dupuy, récupérant le ministère de l’Intérieur et des Cultes, confia le portefeuille des Finances à Raymond Poincaré ; Félix Faure[66] eut la Marine ; Théophile Delcassé[67] reçut le ministère des Colonies.

 

d) L’assassinat de Sadi Carnot (24 juin 1894) : le point final de cette crise anarchiste eut lieu le 24 juin 1894 dans la soirée, lorsque l’anarchiste italien Sante Geronimo Caserio[68] poignarda le président de la république Sadi Carnot (ce denier était arrivé à Lyon dans la matinée, afin d’inaugurer l’Exposition universelle organisée dans cette ville.).

Caserio fut immédiatement arrêté, mais le chef de l’Etat, mortellement blessé, décéda dans la nuit[69]. Lors de son procès, l’anarchiste annonça qu’il avait voulu venger Vaillant, dont Carnot avait refusé la grâce. Condamné à mort malgré son jeune âge, Caserio fut guillotiné en août 1894.

 

A l’annonce de la nouvelle du décès du président de la république, plusieurs actes de violence contre les immigrés italiens eurent lieu ; par ailleurs, le troisième décret des lois scélérates fut adopté en juillet 1894 (ce dernier, concernant la liberté de la presse, interdisait toute propagande anarchiste dans les journaux[70].). 

 

Suite à la mort de Sadi Carnot, le mouvement anarchiste connut un net reflux, du moins en France, mais il persista en Europe et aux Etats Unis jusqu’aux premières décennies du XX° siècle.

Par ailleurs, plutôt que de mettre en place un intérim en raison du décès de Carnot, il fut décida d’organiser de nouvelles élections présidentielles, qui entraînèrent la victoire de Jean Casimir-Perier le 27 juin 1894.

Tombe de Sadi Carnot, crypte du Panthéon, Paris.

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[1] Rappelons que Freycinet avait été président du conseil à deux reprises sous la présidence de Jules Grévy.

[2] Sadi Carnot, né en août 1837, était le petit-fils de Lazare Carnot, un des membres du Directoire, et le fils de Lazare Hippolyte Carnot, homme politique qui participa à la révolution de 1848. Diplômé de Polytechnique, Carnot fut élu député en 1871.  

[3] Rappelons que jusqu’en 1962, le président de la république était élu au suffrage universel indirect ; c'est-à-dire qu’il était élu par la Chambre des députés et non par la nation. 

[4] Né en avril 1837, Boulanger sortit de Saint Cyr en 1856. Envoyé en Algérie, il participa à la campagne d’Italie, ainsi qu’à l’expédition française en Cochinchine. Pendant la guerre de 1870, il participa au siège de Paris, ainsi qu’à la répression de la Commune. A noter que Boulanger devait sa nomination en tant que ministre de la guerre à Georges Clémenceau, dont il était l’ami d’enfance.

[5] Du nom de son créateur, Antoine Alphonse Chassepot.

[6] Le fusil Gras (du nom de son créateur, le commandant Basile Gras.) n’était qu’une transformation mineure du Chassepot, protégeant mieux le tireur en cas de défaillance de l’appareil. 

[7] Déroulède, né en septembre 1846, était un écrivain ayant participé à la guerre de 1870 et à la répression de la Commune de Paris. Déçu par le traité de paix signé avec la Prusse, Déroulède créa en 1882 la Ligue des patriotes, à l’instigation de Gambetta (rappelons que ce dernier s’était opposé au traité de paix.). La Ligue, à l’origine composée de républicains modérés, se transforma au fil des années en une organisation nationaliste, antisémite, et hostile au parlementarisme.

[8] L’Hôtel Matignon fut érigé au début du XVIII° siècle par Christian Louis de Montmorency Luxembourg, prince de Tingry, mais faute d’argent, ce dernier fut contraint de vendre son bien à Jacques III de Goyon, duc de Matignon. L’édifice ayant changé de main à plusieurs reprises sous la Révolution, l’Empire et la Restauration, fut finalement acheté sous Napoléon III par Raphael de Ferrari, duc de Galliera (l’Hôtel porta alors le nom de son acquéreur pendant plusieurs décennies.). L’Hôtel Matignon est la résidence du premier ministre français depuis 1944.

[9] A noter que le comte de Chambord, qui vivait déjà en exil, était décédé le 24 août 1884.

[10] Rappelons que le Territoire de Belfort était la seule zone d’Alsace à avoir échappé à l’annexion prussienne en 1871.

[11] Né en avril 1842, Rouvier fit des études de droit avant de travailler dans le secteur bancaire. Sous le second Empire, il participa à la rédaction de plusieurs journaux républicains. Elu député en 1871 sur les bancs de l’Union républicaine, il fut ministre du Commerce et des Colonies lors du gouvernement Gambetta.

[12] Daniel Wilson naquit en mars 1840 (il était le fils de Daniel Wilson, un riche ingénieur britannique qui participa à l’éclairage au gaz de Paris.). Elu député en 1869, sous le second Empire, il fut réélu sans discontinuer de 1871 à 1889.

[13] Ainsi, la légion d’honneur se vendait 25 000 francs (environ 300 000 €uros en 2010.).

[14] Né en janvier 1828, Saussier sortit de Saint Cyr en 1850. Il participa aux campagnes de Crimée et d’Italie, ainsi qu’à l’expédition au Mexique. Prisonnier pendant la guerre de 1870, il s’échappa, s’engagea dans l’armée de la Loire, fut à nouveau prisonnier et s’échappa encore une fois. Suite au conflit contre la Prusse, Saussier fut envoyé en Algérie, et fit partie de l’expédition de Tunisie en 1881.

[15] Appert, né en juin 1817, fut attaché à l’Etat major du général Bugeaud en Algérie. Il participa à la campagne de Crimée, puis, suite à la guerre de 1870, il fit partie de l’armée versaillaise chargée de réprimer la Commune.

[16] Rappelons que Sadi Carnot était le petit fils de Lazare Carnot, membre du Directoire lors de la Révolution française.

[17] Tirard naquit en septembre 1827 à Genève, en Suisse. Etabli dans la capitale en tant que bijoutier, il fut élu maire du XI° arrondissement de Paris et député en 1869. Membre de la Commune au début de l’insurrection, il tenta de rapprocher le gouvernement insurrectionnel et les parlementaires installés à Versailles, en vain (il fut finalement contraint de quitter la capitale.). Il fut réélu député de 1871 à 1883, date à laquelle il entra au Sénat.

[18] Loubet était un avocat né en décembre 1838. Ami de Gambetta, il fut élu député en 1876 et siégea sur les bancs de l’Union républicaine. Puis, en janvier 1885, il fut nommé sénateur.

[19] Floquet était un avocat né en octobre 1828. Radical, il fut élu député en 1871, mais protesta contre les conditions de paix exigées par la Prusse. Entreprenant des démarches de conciliation entre communards et parlementaires, Floquet fut un des principaux partisans de l’amnistie suite à la semaine sanglante.

[20] A noter que Freycinet fut le premier civil à occuper le ministère de la Guerre.

[21] Une assemblée est appelée « constituante » lorsqu’elle a la tâche de rédiger une constitution.

[22] Constans était un avocat né en mai 1833. Professeur de droit à l’université de Toulouse, il fut élu député en 1876, siégeant au centre-gauche.

[23] Pour en savoir plus sur les expositions universelles de 1855 et 1867, voir le 5, section 2, chapitre second, le second Empire.

[24] La galerie des machines fut détruite en 1909.

[25] Ribot était un avocat né en février 1842. Elu député en 1877, il siégea sur les bancs des républicains modérés. Hostile au parti radical et à la politique coloniale de Jules Ferry, Ribot fut vaincu aux législatives de 1885, et ne retrouva son siège de député qu’en 1887.

[26] Léon XIII, né en mars 1810, avait été élu pape en mars 1878.

[27] Alors que les encycliques étaient traditionnellement diffusées en latin, langue « officielle » de l’Eglise.

[28] Le ralliement finale de l’Eglise à la république ne se fit qu’après la première guerre mondiale.

[29] Rappelons que sous le second Empire, Napoléon III avait développé le libre échange afin de développer le commerce et l’économie.

[30] De Lesseps naquit en novembre 1805. Après avoir fait des études de droit, le jeune homme épousa une carrière diplomatique. Sous la monarchie de Juillet, il fut consul au Caire, à Rotterdam et à Barcelone. Sous le second Empire, il fut chargé de superviser les travaux de construction du canal de Suez en raison de son expérience de la région et de ces liens avec le vice-roi.

[31] Les Anglais n’appréciaient guère cette montée en puissance des Français en Egypte ; par ailleurs, ils craignaient que le canal perturbe leur route commerciale vers les Indes.

[32] Pour en savoir plus à ce sujet, voir le b), 4, section II, chapitre premier, le second Empire.

[33] Wyse-Bonaparte, né en janvier 1845, était le fils de Thomas Wyse (politicien et diplomate irlandais.) et de Laëtitia Bonaparte (elle était la fille de Lucien, frère de Napoléon I°.) 

[34] A noter qu’à cette date le Panama dépendait de la Colombie. Ce n’est qu’en 1903 que le Panama déclara son indépendance.

[35] La Société de géographie de Paris fut fondée en décembre 1821. Reconnue d’utilité publique depuis 1827, il s’agit de la plus vieille société de géographie du monde ; elle est toujours en activité.

[36] L’on y comptait toutefois une majorité de Français.

[37] L’on parle de canal à niveau dans le cas où les navires naviguent d’un bout à l’autre du canal sans discontinuer (la navigation est plus rapide ; toutefois, les travaux coûtent plus cher car il faut déniveler tous les terrains longeant le canal.). Au contraire, le canal à écluses contraint les navires à faire des pauses régulières (le temps que chaque écluse soit remplie d’eau ou vidée.), mais il coûte moins cher car il n’y a pas de travaux de dénivellation. 

[38] Soit près de 7 milliards d’Euros en 2010.

[39] Il s’agissait du fils de Ferdinand de Lesseps.

[40] Gustave Eiffel (de son vrai nom Gustave Bönickhausen.) naquit en décembre 1832. Ingénieur, ses travaux les plus célèbres furent la statue de la Liberté (érigée en octobre 1886.) et la tour Eiffel (construite pour l’Exposition universelle de Paris de 1889.).

[41] Ce dernier, ouvrant son cabinet aux Etats Unis, fit fortune en investissant dans l’immobilier.

[42] A cette date, il était emprisonné à la prison Sainte Pélagie (depuis avril 1892.), ayant accusé la Banque de France de corruption.

[43] Les médecins conclurent à une congestion cérébrale, mais il s’agissait vraisemblablement d’un suicide (voire d’un meurtre déguisé ?).

[44] Dupuy naquit en novembre 1851. Diplômé de l’Ecole normale supérieure de Paris, il obtint son agrégation de philosophie et travailla dans l’enseignement pendant plusieurs années. Il fut élu député en 1885.

[45] Poincaré était un avocat né en août 1860. Il fut élu député en 1887.

[46] Clémenceau se retira de la vie politique pendant quelques années.

[47] Monarchistes auxquels s’étaient ralliés les ex-orléanistes et les ex-bonapartistes.

[48] Pour en savoir plus sur le congrès de Berlin, voir le d), 7, section I, chapitre deuxième, la troisième république.

[49] Rappelons qu’à cette date la Russie avait été évincée des Balkans à l’initiative de l’Angleterre, au profit de l’Autriche, alliée de l’Allemagne.

[50] Cette alliance prit fin suite à la guerre serbo-bulgare, qui se déroula de novembre 1885 à mars 1886. Les Bulgares, suite au congrès de Berlin, avaient perdu la Roumélie, qui restait ottomane (mais était peuplée de nombreux Bulgares.). La Bulgarie décida donc d’envahir ce territoire, ce qui ne fut pas du goût de la Serbie. Alexandre I°, roi des Bulgares, fit alors envahir la Serbie, mais fut contraint de se retirer, menacé d’une intervention autrichienne. Un traité de paix valida toutefois la conquête de la Roumélie par les Bulgares.

[51] Guillaume II, né en janvier 1859, était monté sur le trône en juin 1888 suite à la mort de son père Frédéric III (qui ne régna que 99 jours.), fils de Guillaume I°.

[52] Rappelons que la Duplice avait été mise en place quelques mois après le congrès de Berlin, en 1879 ; en 1881, l’Italie se rapprocha de l’Allemagne et de l’Autriche, donnant naissance à la Triplice.).

[53] Jean Casimir-Perier, né en novembre 1847, était le petit fils de Casimir Perier, président du conseil sous le règne de Louis Philippe I°. Pour en savoir plus, cliquez ici. Elu député en 1876, il siégea sur les bancs de la gauche républicaine.

[54] Gracchus Babeuf, que l’on peut considérer comme l’un des premiers communistes, fut exécuté lors du Directoire. Pour en savoir plus à ce sujet, voir le 5, section IV, chapitre quatrième, la Révolution française.

[55] Les partisans de la cause anarchiste étaient souvent des personnes issues des classes populaires, travaillant beaucoup pour un salaire médiocre.

[56] En effet, la grande majorité des députés étaient issus de la bourgeoisie (l’on y croisait bien plus d’avocats que d’ouvriers.).

[57] Ravachol, né en octobre 1859 dans une famille modeste, se lia d’amitié plusieurs militants anarchistes au cours des années 1880. Puis, à partir de 1890, il commit ses premiers méfaits (contrebande d’alcool, fabrication de fausse monnaie, cambriolage, profanation de sépulture, meurtre d’un riche ermite, etc.).  

[58] Le père de Ravachol, surnommé l’Allemand, était originaire des Pays Bas.

[59] En écho à la Première internationale, fondée à Londres en septembre 1864 et dissoute en 1873. Pour en savoir plus à ce sujet, voir le b), 4, section I, chapitre deuxième, le Second Empire.

[60] Le 84° régiment d’Infanterie, installé à Fourmies (Nord Pas de Calais.) tira sur la foule qui manifestait, causant dix morts et une trentaine de blessés. La tuerie aurait pu être encore plus grave si le curé du village ne s’était pas interposé entre la foule et les militaires.

[61] Aujourd’hui Soisy-sur-Seine (depuis 1934.).

[62] Plusieurs centaines de millions de dégâts.

[63] Vaillant, né en décembre 1861, était issu d’une famille modeste des Ardennes. S’installant à Paris, où il se lia d’amitié avec le milieu anarchiste, Vaillant tenta sa chance en Argentine, mais l’expédition fut un échec. Rentrant dans la capitale vers 1890, il renoua avec ses amis anarchistes.

[64] Emile Henry, né en 1872, était le fils de Fortuné Henry, qui avait participé à la Commune de Paris et s’était exilé en Espagne suite à la répression de mai 1871. Emile Henry, contrairement à de nombreux anarchistes, avait poursuivi ses études, mais échoua le concours d’entrée à Polytechnique.

[65] Sans doute faisait-il référence à la fusillade de Fourmies, qui avait coûté la vie à une dizaine de personnes, dont plusieurs enfants.

[66] Faure, né en janvier 1841, s’engagea dans une carrière militaire sous le second Empire, avant de s’établir comme négociant en cuir au Havre, en 1867. Initié à la franc-maçonnerie à partir de 1865, il décida de soutenir la jeune république dès septembre 1870, chargé de la défense du Havre. Elu député en 1881, il participa à plusieurs ministères en tant que sous secrétaire d’Etat aux Colonies, avant d’être nommé ministre de la Marine par Charles Dupuy.

[67] Delcassé était un journaliste né en mars 1852.Initié à la franc-maçonnerie en 1886, il fut élu député en 1889. Bien que radical, il soutint la politique coloniale de Jules Ferry, contrairement à son homologue Georges Clémenceau.

[68] Caserio naquit en Italie en septembre 1873, au sein d’une famille paysanne. Suite au décès de son père, il décida de partir pour Milan, où il entra en contact avec les milieux anarchistes. Toutefois, recherché suite à une manifestation, il fut contraint de fuir en Suisse, puis en France.

[69] Carnot fut inhumé au Panthéon quelques jours après son décès. A noter qu'il est le seul président de la république à y être inhumé.

[70] Ces trois décrets ne furent abrogés qu’en 1992.

 
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