Histoire
romaine, par Dion Cassius
Livre LX |
Le règne de
Claude
1. Caius étant
mort de la manière que nous avons dit, les consuls, après avoir établi des
postes dans toutes les parties de la ville, assemblèrent le sénat au Capitole,
où furent proposés des avis aussi nombreux que divers : les uns voulaient un
gouvernement populaire, les autres un gouvernement monarchique ; les uns
préféraient tel prince, les autres tel autre. Aussi passèrent-ils le reste du
jour et la nuit entière sans prendre aucune résolution. Sur ces entrefaites,
quelques soldats étant entrés dans le palais, à dessein de piller, trouvèrent
Claude caché dans un coin obscur (il était avec Caius et s'était alors tapi dans
une cachette, effrayé du tumulte) ; ils commencèrent par l'en tirer, dans la
créance que c'était un autre ou qu'il avait quelque objet précieux ; puis,
l'ayant reconnu, ils le saluèrent empereur, et l'emmenèrent dans le camp, où,
avec le reste de leurs compagnons, attendu qu'il était de la famille impériale
et qu'il passait pour homme de bon caractère, ils lui donnèrent la souveraine
puissance. Les consuls, jusque-là, avaient envoyé, entre autres personnages, des
tribuns du peuple pour défendre à Claude de rien faire et de demeurer soumis à
l'autorité du peuple, du sénat et des lois ; mais, abandonnés par les soldats
qui les entouraient, ils finirent par consentir à cette élection et décernèrent
à Claude tous les honneurs appartenant au pouvoir suprême.
2. C'est ainsi que Claude Tibère Néron Germanicus, fils de Drusus fils de
Livie, parvint à l'empire, bien qu'auparavant il n'eût exercé absolument aucune
charge, sinon, une seule fois, celle de consul ; il était alors âgé de cinquante
ans. Son esprit n'était pas sans distinction : il s'était exercé aux lettres
assez pour avoir composé des mémoires ; mais son corps était tellement maladif,
qu'il avait un tremblement dans la tête et dans les mains. Aussi sa voix
manquait-elle de fermeté, et, quand il apportait au sénat quelque projet, ce
n'était pas toujours lui qui le lisait ; presque toujours, dans les premiers
temps, il en faisait, même lorsqu'il était présent, communication par le
questeur. Tout ce qu'il lisait lui-même, il le prononçait assis. Il fut le
premier des Romains qui fit usage d'une chaise couverte ; depuis lui, non
seulement les empereurs, mais nous aussi, lorsque nous avons passé par le
consulat, nous avons une chaise ; auparavant, Auguste et Tibère, ainsi que
quelques autres, se faisaient porter parfois dans des litières semblables à
celles dont les femmes se servent encore communément aujourd'hui. Néanmoins, ce
ne furent pas tant ces infirmités que ses affranchis et les femmes avec qui il
eut commerce, qui lui firent tort. Parmi ceux de sa famille, nul ne fut plus que
lui dominé d'une façon aussi manifeste par les esclaves et par les femmes ; car
ayant été, dès son enfance, sujet aux maladies et d'une timidité extrême,
affectant pour cette raison, comme il l'avoua lui-même un jour dans le sénat,
une sottise plus grande que celle qu'il avait réellement, longtemps dans la
compagnie de son aïeule Livie, de sa mère Antonia et des affranchis, et, de
plus, ayant eu des relations avec beaucoup de femmes, il n'y eut chez lui aucun
sentiment libéral ; et, bien qu'il fut maître de l'empire romain et de ses
sujets, il n'en fut pas moins esclave. C'était surtout par les plaisirs de la
table et de l'amour qu'on l'attaquait, car il avait pour les deux une passion
insatiable, et, dans ces occasions, il était très facile à circonvenir. En
outre, il était d'une faiblesse de coeur qui, souvent, le saisissait si
vivement, qu'il ne raisonnait plus. C'était par ce moyen que ceux qui s'étaient
emparés de son esprit accomplissaient beaucoup de choses ; ils l'effrayaient
pour profiter de sa peur, et ils inspiraient aux autres tant de crainte, que,
pour tout dire en un mot, bien des gens invités à souper, le même jour à la
fois, et par Claude et par ses ministres, négligeaient l'invitation de
l'empereur, comme chose indifférente, et se rendaient à celle des autres.
3. Bref, avec un tel caractère, Claude faisait beaucoup de choses bonnes,
toutes les fois qu'il n'était pas sous l'influence des passions que j'ai dites
et qu'il était maître de lui. Je vais rapporter ici le détail de ses actes. Il
accepta immédiatement tous les honneurs qui lui étaient décernés, excepté le
surnom de Père (il le prit dans la suite) ; néanmoins, il ne se rendit
pas sur-le-champ au sénat, ce ne fut que tard et trente jours après son
élection. Voyant de quelle manière avait péri Caius, et apprenant que plusieurs
avaient été proposés par cette compagnie comme préférables à lui, il manquait de
confiance, et, entre autres précautions dont il s'entourait, il faisait fouiller
tous ceux qui l'approchaient, hommes et femmes, de peur qu'ils n'eussent un
poignard ; dans n'importe quels festins, il avait des soldats auprès de lui.
Cette coutume, introduite par lui, subsiste encore de nos jours. Quant à l'usage
de fouiller rigoureusement les gens, il fut aboli par Vespasien. Mais, pour
revenir à Claude, bien qu'il fût content de la mort de Caius, il n'en fit pas
moins mettre à mort Chéréas ; loin de lui être reconnaissant d'une action qui
lui avait valu l'empire, il le haïssait pour avoir osé assassiner son empereur,
prenant de loin à l'avance des mesures en vue de sa propre sûreté pour l'avenir.
En apparence, ce ne fut pas pour venger Caius qu'il en agit ainsi, mais parce
qu'il avait surpris Chéréas tramant un complot contre sa personne. Sabinus
mourut volontairement avec Chéréas, ne croyant pas devoir survivre au supplice
de son ami. Quant aux autres citoyens qui s'étaient déclarés partisans du
gouvernement populaire ou qui jouissaient d'une considération assez grande pour
arriver au pouvoir, non seulement il ne montra aucun ressentiment contre eux,
mais même il leur donna des honneurs et des charges ; car, mieux que personne,
il sut et promettre une amnistie, à l'exemple de celle des Athéniens, comme il
le disait, et l'observer. Il abolit également les accusations de majesté, non
pas par des édits, mais encore par ses actes, et il ne punit personne pour ces
sortes de délits, soit antérieurs, soit postérieurs à son avènement! Ceux qui,
pendant qu'il n'était que simple particulier, l'avaient offensé en paroles ou en
actions (beaucoup l'avaient fait sans réflexion comme s'adressant à un homme de
nulle valeur, pour complaire les uns à Tibère, les autres à Caius), ne furent de
sa part exposés à aucune accusation déguisée ; néanmoins, quand ils se
trouvaient avoir commis quelque autre crime, ils étaient également punis de
leurs offenses.
4. Il abolit les impôts établis sous le règne de Caius et rapporta celles
des mesures prises par ce prince qui méritaient le blâme, sans toutefois le
faire d'un seul coup, mais selon que l'occasion se présenta pour chacune
d'elles. Il rappela les citoyens injustement exilés par son prédécesseur, ainsi
qu'Agrippine et Julie, soeurs de Caius, à qui il rendit leurs biens. Parmi les
citoyens jetés en prison (beaucoup étaient dans les fers), il fit relâcher ceux
qui étaient accusés de lèse-majesté ou d'autres crimes de ce genre et punir ceux
qui étaient véritablement coupables : il porta, en effet, une attention sérieuse
à empêcher que ceux qui avaient commis quelque crime fussent relâchés parce
qu'il y avait des calomniateurs, ou que les gens calomniés fussent confondus
avec les coupables ! Chaque jour, pour ainsi dire, il rendait la justice, soit
en compagnie du sénat entier, soit en son particulier, la plupart du temps sur
le Forum, quelquefois aussi dans un autre endroit, sur son tribunal ; car il
rétablit l'usage des assesseurs, usage tombé en désuétude depuis la retraite de
Tibère dans son île. Souvent aussi il examinait les causes de concert avec les
consuls et avec les préteurs, surtout avec ceux qui étaient chargés de
l'administration du trésor public, et il en confiait fort peu aux autres
tribunaux. Les nombreux poisons trouvés dans les coffres de Caius, les livres de
Protogène, qu'il fit mettre à mort, les lettres que Caius feignait d'avoir
brùlées et qui furent retrouvées dans la demeure impériale, Claude les montra
aux sénateurs, les donna à lire tant à ceux qui les avaient écrites qu'à ceux
contre qui elles étaient écrites, et ensuite les livra aux flammes. Cependant,
lorsque le sénat voulut noter Caius d'infamie, Claude s'opposa au décret, et, la
nuit, il fit, en son privé nom, disparaître toutes les statues de ce prince.
C'est pour cela que le nom de Caius, non plus que celui de Tibère, ne se trouve
dans la liste des empereurs dont nous faisons mention soit dans nos serments
soit dans nos prières; néanmoins ni l'un ni l'autre n'ont été notés d'infamie.
5. Claude rapporta donc les mesures injustes prises par Caius et par
d'autres à cause de lui ; il donna les jeux du cirque pour le jour natal de
Drusus son père et pour celui d'Antonia sa mère, transportant à d'autres jours
les jeux qui tombaient en même temps, afin qu'ils ne fussent pas célébrés
ensemble. Non seulement il honora la mémoire de son aïeule Livie par des jeux
équestres, mais, de plus, il la mit au rang des déesses en lui consacrant une
statue dans le temple d'Auguste, en prescrivant aux Vestales de lui offrir des
sacrifices et en ordonnant aux femmes de jurer par son nom. Bien qu'ayant
accordé de tels honneurs à ses parents, il n'accepta pour lui-même d'autres noms
que ceux qui se rapportaient à son autorité. Le premier jour des calendes
d'Auguste, qui était le jour de sa naissance, il y eut des jeux équestres, non
pas en son honneur, mais en celui de Mars dont le temple avait été dédié ce
jour-là, jour qui était, en souvenir de cette dédicace, fêté par des jeux
annuels. En cela Claude se tint dans les bornes de la modération ; de plus, il
défendit qu'on se prosternât devant lui et qu'on lui offrît aucun sacrifice. Il
mit aussi un terme aux acclamations fréquentes et exagérées ; il n'accepta
d'abord qu'une seule figure de lui, et encore était-ce en argent, avec deux
statues d'airain et de pierre, qui lui furent décernées par un décret. Ces
sortes de dépenses étaient, disait-il, superflues, et occasionnaient de grandes
pertes et de grands embarras pour la ville ; tous les temples et tous les autres
édifices étaient tellement remplis de statues et d'offrandes qu'il déclara
vouloir délibérer sur le parti à prendre à leur égard. Il défendit aux préteurs
de donner des combats de gens armés, et ordonna que, toutes les fois qu'une
autre personne en donnerait, n'importe en quel endroit, on se gardât bien
d'écrire ou de dire qu'on le faisait pour le salut du prince. Tout cela était
chez lui une résolution tellement arrêtée et si peu le résultat d'un calcul,
qu'il prit encore d'autres mesures semblables. Les fiançailles de l'une de ses
filles avec Junius Silanus et le mariage de l'autre avec Cn. Pompée Magnus (le
Grand), qu'on célébra cette année, ne donnèrent lieu à rien d'extraordinaire ;
Claude, ces jours-là, rendit la justice et il y eut réunion du sénat. Il voulut
que ses gendres fussent alors investis du vigintivirat et ensuite de la charge
de préfets urbains pendant les Féries Latines ; ce ne fut que tard qu'il finit
par leur permettre de demander les autres charges cinq ans avant l'âge. Caius
avait enlevé au Pompée dont il s'agit ici son nom de Magnus. Il avait
même été sur le point de le faire périr parce qu'il s'appelait ainsi ; mais,
dédaignant de recourir à ce parti à cause du bas âge de Pompée, il n'exécuta pas
son dessein et se contenta de lui supprimer ce surnom, en disant qu'il était
dangereux pour lui que quelqu'un portât le surnom de Magnus. Claude lui
rendit ce nom et lui donna sa fille en mariage.
6. Voilà de la part de Claude des actes estimables ; de plus, les consuls,
dans la curie, étant un jour descendus de leurs sièges pour lui parler, il se
leva à leur approche et alla à leur rencontre. A Naples, il vécut tout à fait en
simple particulier : lui et ceux de sa suite employèrent leur temps à la manière
des Grecs ; il prit le pallium et les sandales dans les concours de
musique, la robe de pourpre et la couronne d'or dans les jeux gymniques. Il
montra un désintéressement admirable à l'endroit des richesses. Il interdit
l'usage de lui apporter de l'argent, comme cela s'était pratiqué sous Auguste et
sous Caius, et défendit à ceux qui avaient des parents à un degré quelconque de
l'instituer héritier ; il alla même jusqu'à restituer les biens de ceux qui
avaient été dépouillés sous Tibère et sous Caius, soit aux victimes elles-mêmes,
lorsqu'elles existaient encore, soit à leurs enfants. L'usage voulait aussi que
si, dans la célébration des jeux, il s'était passé la moindre chose contraire
aux prescriptions de la loi, on les recommençât, comme je l'ai dit, chose qui
souvent se répétait trois, quatre, cinq et jusqu'à dix fois, tantôt par l'effet
du hasard, tantôt, et le plus souvent, par préméditation des intéressés ; une
loi établit que les jeux du cirque n'auraient lieu qu'un seul jour la seconde
fois, et le plus souvent même il empêcha de les recommencer ; les entrepreneurs,
en effet, n'y trouvant plus de gros bénéfices à réaliser cessèrent aisément
leurs prévarications. Les Juifs étant de nouveau devenus trop nombreux pour
qu'on pût, attendu leur multitude, les expulser de Rome sans occasionner des
troubles, il ne les chassa pas, mais il leur défendit de s'assembler pour vivre
selon les coutumes de leurs pères. Il supprima aussi les confréries rétablies
par Caius. Voyant que la plupart du temps il est inutile de défendre une chose
aux hommes lorsqu'on ne réforme pas leur vie de chaque jour, il ferma les
cabarets où se réunissaient les buveurs, défendit de vendre de la viande cuite
et de l'eau chaude et châtia les contrevenants. Il restitua aux villes les
statues que Caius avait transportées de chez elles à Rome, il restitua également
leur temple aux Dioscures, et à Pompée un souvenir pour son théâtre sur la scène
duquel il ajouta une inscription portant le nom de Tibère, parce que ce prince
l'avait reconstruite à la suite d'un incendie. Il y grava son nom, parce qu'il
l'avait non seulement restaurée, mais dédiée ; il ne le mit sur aucune autre
partie. Il ne garda pas non plus la toge triomphale tout le temps des jeux, mais
seulement pendant le sacrifice ; le reste du temps, il les présida vêtu de la
prétexte.
7. Il fit paraître sur l'orchestre, entre autres citoyens, des chevaliers et
des femmes du même rang qui avaient coutume d'y monter du temps de Caius, non
parce que la chose lui plaisait, mais il voulait faire honte du passé ; car,
sous le règne de Claude, aucun d'eux ne fut admis désormais à monter sur la
scène. Les enfants que Caius avait fait venir pour apprendre la pyrrhique, la
dansèrent une seule fois, et, après avoir été, pour cela, honorés du droit de
cité, furent renvoyés : les acteurs furent de nouveau pris parmi les esclaves.
Voilà ce qui eut lieu pour le théâtre ; dans le cirque, il y eut des courses de
chameaux une fois, et douze fois des courses de chevaux ; de plus, trois cents
ours et un nombre égal de bêtes libyennes y furent égorgées. Chaque ordre en
particulier, le sénat, les chevaliers et les plébéiens, y occupaient déjà une
place séparée des autres, depuis que cette distinction avait été établie par une
loi, sans néanmoins qu'aucune place fixe leur fût assignée ; Claude alors
réserva pour les sénateurs les bancs où ils sont encore aujourd'hui assis et
permit, en outre, à ceux d'entre eux qui le voudraient d'assister au spectacle à
une place quelconque, pourvu que ce fût en costume de simple particulier. Cela
fait, il donna un banquet aux sénateurs et à leurs femmes, ainsi qu'aux
chevaliers et aux tribus.
8. Ensuite il rendit à Antiochus la Commagène (Caius, en effet, après la lui
avoir donnée lui-même, l'en avait dépouillé), et renvoya Mithridate l'Ibère dans
son pays reprendre son royaume. Il accorda aussi à un autre Mithridate,
descendant du fameux Mithridate, le Bosphore, en échange duquel il donna une
partie de la Cilicie à Polémon. Il augmenta les Etats d'Agrippa de Palestine (ce
prince se trouvait alors par hasard à Rome), qui l'avait aidé à se rendre maître
de l'empire, et le décora des ornements consulaires. De plus, il donna à Hérode,
frère d'Agrippa, le rang de préteur et un gouvernement ; il permit aux deux
princes de venir au sénat et de lui rendre grâces en langue grecque. Ces actes
émanaient de Claude personnellement, et lui valurent l'approbation de tous ;
mais d'autres actes, qui ne ressemblaient en rien à ceux-là, furent commis par
ses affranchis et par sa femme Valéria Messaline. Messaline, en effet, irritée
de ne recevoir de Julie, nièce de son mari, ni honneur ni flatteries, jalouse
d'ailleurs de sa beauté et de ce que souvent elle s'entretenait seule avec
Claude, la fit bannir, lui intentant, entre autres, une accusation d'adultère,
qui fut aussi cause de l'exil d'Annius Sénèque, et, peu après, elle la fit
mourir. Les affranchis, de leur côté, persuadèrent à Claude de recevoir les
honneurs du triomphe pour les faits accomplis en Mauritanie, bien que, loin d'y
avoir remporté quelque succès, il ne fut pas encore parvenu à l'empire au moment
de la guerre. Au reste, cette même année, Sulpicius Galba battit les Maurusiens,
et P. Gabinius, vainqueur des Cattes, conquit, entre autres honneurs, celui de
rapporter la seule aigle restée chez ce peuple à la suite du désastre de Varus,
de telle sorte que les deux victoires permirent à Claude de prendre justement le
nom d'imperator.
9. L'année suivante, les Maures, qui avaient recommencé la guerre, furent
domptés. Suétonius Paulinus, ancien préteur, fit à son tour des incursions dans
leur pays jusqu'à l'Atlas ; Cn. Hosidius Géta, personnage du même rang et
successeur du précédent, fit aussitôt marcher son armée contre leur chef Salabus
et le vainquit une première et une deuxième fois. Celui-ci, après avoir laissé
sur les frontières quelques soldats chargés d'arrêter la poursuite, s'étant
réfugié dans les régions sablonneuses, Hosidius osa y pénétrer avec lui :
disposant une partie de son armée de façon à se garder contre les embuscades, il
poussa en avant, emportant avec lui la plus grande quantité d'eau qu'il put.
Mais, quand cette eau vint à manquer et qu'il n'en trouva plus d'autre, il fut
en proie à toute sorte de tourments ; les barbares, habitués à résister pendant
longtemps à la soif, et réussissant, grâce à leur connaissance des lieux, à se
procurer de l'eau, prolongeaient leur résistance, tandis qu'il était impossible
aux Romains d'avancer et qu'il leur était difficile de revenir en arriere. Dans
cet embarras, un indigène allié décida Hosidius à recourir aux incantations et à
la magie, affirmant que souvent un pareil moyen avait amené de l'eau en grande
quantité : en effet, il en tomba du ciel une si grande abondance que l'armée put
éteindre sa soif et que les ennemis furent effrayés, pensant que c'était un
secours divin survenu à leurs adversaires. Aussi se décidèrent-ils spontanément
à traiter de la paix. Cela fait, Claude partagea les Maures soumis en deux
provinces, l'une comprenant les pays qui sont aux environs de Tingis, l'autre
ceux qui entourent Césarée (c'est aussi de là que vient le nom donné à ces
provinces), dont il confia le gouvernement à deux chevaliers. Dans ce même
temps, plusiers parties de la Numidie furent attaquées par les barbares du
voisinage, et ne retrouvèrent la paix qu'après leur défaite dans plusieurs
batailles.
10. Claude fut consul avec C. Largus ; il le laissa exercer cette charge
l'année entière ; mais, pour lui, il ne la garda, cette fois encore, que deux
mois. Il fit jurer les autres sur les actes d'Auguste et lui-même il s'engagea à
y être fidèle (pour les siens, il ne permit à qui que ce fut de le faire), et,
en sortant de charge, il prêta de nouveau serment comme les autres magistrats.
Toujours, chaque fois qu'il fut consul, il observa cette règle ; il fit alors
cesser la lecture de certains discours d'Auguste et de Tibère, qui avait lieu,
en vertu d'un sénatus-consulte, aux calendes de janvier, lecture qui retenait
les sénateurs jusqu'au soir, disant que c'était assez que ces discours fussent
gravés sur les plaques. Quelques-uns des préteurs chargés de l'administration du
trésor ayant été accusés de malversation, Claude ne les poursuivit pas, mais,
par la surveillance qu'il porta sur les ventes et sur les locations faites par
eux, il corrigea tout ce qu'il trouvait mal, chose qu'il répéta fréquemment dans
la suite. Le nombre des préteurs qu'on élisait à cette époque n'était jamais le
même : on en nommait quatorze ou dix-huit, quelquefois un nombre intermédiaire,
selon les circonstances. Telles furent les mesures qu'il prit relativement à
l'administration du trésor ; de plus, il chargea du recouvrement des sommes dues
à l'Etat trois anciens préteurs, à qui il donna des licteurs et tous les autres
gens dont le service leur était utile.
11. Une grande famine étant survenue, Claude avisa aux moyens d'avoir, non
seulement dans le présent, mais aussi toujours dans l'avenir, des vivres en
abondance. Presque tout le blé, en effet, que consomment les Romains étant
apporté du dehors, et le pays situé à l'embouchure du Tibre, n'offrant ni rades
sûres ni ports convenables, rendait inutile aux Romains l'empire de la mer ;
car, excepté celui qui arrivait dans la belle saison et qu'on portait dans les
greniers, il n'en venait point l'hiver, et, si quelqu'un essayait d'en amener,
la tentative réussissait mal. Claude, comprenant ces difficultés, entreprit de
construire un port, sans se laisser détourner de son projet par les architectes,
qui, lorsqu'il leur demanda à combien monterait la dépense, lui répondirent :
«Tu ne le feras pas», tant ils espéraient, par la grandeur de la dépense, s'il
en était informé à l'avance, le forcer de renoncer à son dessein ; mais, bien
loin de là, il crut la chose digne de la majesté et de la grandeur de Rome, et
il la mena à son terme. Il creusa bien avant dans le rivage un espace qu'il
garnit de quais, et y fit entrer la mer ; puis il jeta de chaque côté dans les
flots des môles immenses, dont il entoura une grande portion de mer et y fit une
île où il bâtit une tour portant des fanaux. Le Port, qui aujourd'hui
conserve ce nom dans la langue du pays, fut alors construit par lui. Il voulut
aussi, par la dérivation du lac Fucin dans le Liris, chez les Marses, donner les
terres d'alentour à l'agriculture et rendre le fleuve plus navigable, mais ces
dépenses ont été en pure perte. Il fit encore plusieurs lois qu'il n'est
nullement nécessaire de rapporter ; il ordonna aussi que les gouverneurs élus
par le sort auraient à se rendre dans leurs provinces avant les calendes
d'avril, attendu qu'ils s'attardaient longtemps dans Rome ; que ceux qui avaient
été nommés au choix seraient dispensés de lui adresser des remerciements dans le
sénat, comme cela se pratiquait d'habitude : «Ce n'est pas à eux, disait-il, de
me remercier, comme s'ils obtenaient leurs charges par brigue ; c'est à moi, au
contraire, puisque, par leur zèle, il m'aident à supporter le poids de l'empire
; et, s'ils gouvernent bien, c'est à moi plutôt de les louer». Ceux à qui leurs
moyens ne permettaient pas de tenir leur rang de sénateurs eurent l'autorisation
de se retirer ; des chevaliers furent admis à être tribuns du peuple ; quant aux
autres, il les força tous d'assister aux délibérations chaque fois qu'ils
seraient convoqués. Ceux qui n'obéirent pas furent punis avec tant de rigueur
que plusieurs se donnèrent eux-mêmes la mort.
12. Il était du reste populaire et affable à leur égard, il les visitait
quand ils étaient malades et se mêlait à leurs fêtes. Un tribun du peuple ayant
publiquement fait battre de verges un de ses esclaves, il ne lui infligea
d'autre punition que de lui retirer ses licteurs, qu'il lui rendit peu de temps
après. Un autre esclave de ce tribun ayant outragé une personne de distinction,
il l'envoya sur le Forum pour y être fouetté. Dans la curie, lorsque les
sénateurs étaient longtemps restés debout, il se levait aussi lui-même ; car, je
l'ai dit, sa santé le forçait souvent de rester assis pour lire son avis quand
on le lui demandait. Il permit également à L. Sylla, qui, empêché par son grand
âge d'entendre certaines paroles, s'était levé de sa place, de s'asseoir sur le
banc des préteurs. Le jour du premier anniversaire de son élévation â l'empire,
il ne fit rien d'extraordinaire ; seulement il donna vingt-cinq drachmes aux
soldats prétoriens, ce qu'il fit chaque année dans la suite. Quelques préteurs,
néanmoins, par un mouvement spontané et sans aucun décret, célébrèrent au nom de
l'Etat ce jour et celui de la naissance de Messaline. Car tous ne le firent pas,
il n'y eut que ceux qui le voulurent ; tant était grande la liberté qui leur
était laissée. Claude montra d'ailleurs en toutes ces choses une modération si
vraie que la naissance d'un fils, qui reçut alors les noms de Claude Tibère
Germanicus, et, plus tard, celui de Britannicus, ne lui inspira aucun orgueil ;
il ne permit pas qu'on lui décernât le titre d'Auguste, ni à Messaline
celui d'Augusta.
13. Il donnait sans cesse des combats de gladiateurs, car il les aimait au
point de s'être attiré le blâme à ce sujet. Fort peu de bêtes y périssaient,
mais en revanche beaucoup d'hommes, les uns en combattant, les autres dévorés
par les bêtes. En effet, les esclaves et les affranchis qui, sous Tibère et sous
Caius, avaient dressé des embûches à leurs maîtres, ceux qui avaient légèrement
intenté des accusations calomnieuses ou porté de faux témoignages contre des
citoyens, étaient de sa part l'objet d'une haine impitoyable : il en fit périr
de cette manière le plus grand nombre ; d'autres furent châtiés différemment,
beaucoup aussi furent remis à leurs maîtres pour être punis par eux. Telle était
la multitude des condamnés livrés en public au supplice, que la statue d'Auguste
érigée en cet endroit fut transportée ailleurs, pour qu'elle fut censée ne pas
voir ces meurtres et ne restât pas perpétuellement voilée. Cette précaution
excita un rire général, attendu que, les spectacles qu'il voulait que l'airain
insensible semblât ne pas voir, lui-même il s'en repaissait ; car, entre autres
délassements, dans l'intervalle des spectacles, au moment de son dîner, il
prenait plaisir à voir des combattants qui se déchiraient les uns les autres, et
cela, bien qu'il eût fait tuer un lion instruit à manger des hommes et qui, pour
ce sujet, était fort agréable au peuple, sous le prétexte qu'une pareille vue
était indigne de Romains ; mais les manières populaires qu'il montrait en
assistant aux spectacles, la facilité avec laquelle il accordait tout ce qu'on
lui demandait, et le peu d'usage qu'il faisait de hérauts, écrivant sur des
tablettes la plupart de ses communications, lui attiraient de grands éloges.
14. Habitué à se repaître ainsi de sang et de meurtres, il n'en fut que plus
porté à ordonner les autres supplices. Les auteurs de ces crimes furent les
Césariens et Messaline. Quand ils voulaient tuer quelqu'un, ils effrayaient le
prince et obtenaient ainsi la permission de faire tout ce qu'ils voulaient.
Souvent même, frappé tout à coup de terreur, et ayant, dans le saisissement de
la crainte, ordonné la mort de quelqu'un, lorsque ensuite il était revenu à lui
et avait repris son calme, il le redemandait, et, en apprenant ce qui s'était
passé, il en était chagrin et plein de repentir. Le premier de ces meurtres fut
celui de C. Appius Silanus. Claude, après avoir mandé près de lui, comme s'il
eût besoin de ses services, ce Silanus, qui était d'une haute naissance et alors
gouverneur de l'Espagne, après l'avoir marié à la mère de Messaline et l'avoir
quelque temps honoré comme l'un de ses plus grands amis et de ses plus proches
parents, le fit ensuite mettre à mort tout à coup, pour avoir offensé Messaline
en refusant les faveurs de cette femme impudique et luxurieuse, et, par elle,
Narcisse, affranchi du prince. Narcisse, attendu qu'ils n'avaient rien de vrai
ni de croyable à dire contre Silanus, imagina un songe où il avait vu Claude
égorgé de la propre main de Silanus, et il vint, dès le point du jour, raconter,
tout tremblant, ce songe au prince qui était encore au lit, et Messaline,
reprenant le récit de Narcisse, l'exagéra encore. C'est ainsi que Silanus mourut
victime d'un songe.
15. Silanus mort, les Romains n'espérèrent plus rien de bon de Claude, et
des complots furent immédiatement tramés contre lui, entre autres par Annius
Vinicianus. Vinicianus était un de ceux qui, après la mort de Caius, avaient été
proposés pour l'empire, et la crainte que cela lui causait le poussa à la
révolte. Comme il ne disposait d'aucunes forces, il envoya des messagers à
Furius Camillus Scribonianus, gouverneur de la Palmatie, qui était à la tête
d'une nombreuse armée composée de troupes romaines et étrangères, et, attendu
surtout qu'il avait paru digne du pouvoir souverain, il poussa cet officier, qui
en avait déjà la pensée secrète, à faire défection. Un grand nombre de sénateurs
et de chevaliers se rendirent, en cette occurrence, auprès de Camillus. [...]
Les soldats, en effet, voyant Camillus mettre en avant le nom du peuple et
promettre le rétablissement de l'antique liberté, craignirent de nouveaux ennuis
et de nouvelles séditions, et ils cessèrent de lui obéir. Alors celui-ci effrayé
s'enfuit de son camp, et, arrivé dans l'île d'Issa, se donna volontairement la
mort. Quant à Claude, il avait été jusque-là tellement effrayé, qu'il était
disposé à céder l'empire ; mais alors, reprenant courage, il récompensa les
soldats par des présents, puis la septième et la onzième légion romaine par le
surnom de Claudiennes, de Fidèles et de Pieuses, qu'il leur
fit accorder par le sénat. Il fit rechercher les complices de la conjuration, et
mettre à mort, entre autres, un préteur, après qu'il eut abdiqué sa charge.
Beaucoup aussi, et entre autres Vinicianus, se tuèrent eux-mêmes. Car Messaline,
Narcisse et les affranchis de Claude saisirent ce prétexte pour se porter à tous
les excès. Entre autres moyens, ils avaient recours à la dénonciation des
maîtres par leurs esclaves et par leurs affranchis. Ils les mettaient à la
torture, eux et d'autres personnes nobles, non seulement des étrangers, mais
aussi des citoyens, non seulement des plébéiens, mais encore des chevaliers et
des sénateurs, bien que Claude, au commencement, de son règne, eût juré de ne
mettre à la torture aucune personne libre.
16. Beaucoup d'hommes et de femmes, quelques-unes dans la prison même,
furent, en cette circonstance, livrés au supplice. Les femmes condamnées à
mourir étaient amenées au tribunal chargées de chaînes comme des captives, et
leurs corps, à elles aussi, étaient précipités aux Gémonies ; car les têtes
seules de ceux qui étaient mis à mort hors de la prison étaient exposées en cet
endroit. Néanmoins quelques-uns des plus coupables échappèrent par faveur et par
argent, grâce à l'intervention de Messaline et des Césariens qui entouraient
Narcisse. Aucun des enfants de ceux qui périrent ne furent inquiétés,
quelques-uns même eurent les biens de leurs pères. Les informations avaient lieu
dans l'assemblée du sénat, en présence de Claude, des préfets du prétoire et des
affranchis du prince. Claude faisait lui-même le rapport, assis au milieu des
consuls, sur la chaise curule ou sur le banc des tribuns ; après quoi, il
retournait à sa place ordinaire, et on plaçait des siéges pour ces magistrats
aussi. Ces formalités s'observaient également dans les affaires les plus
importantes ; mais alors un certain Galèse, affranchi de Camillus, ayant été
amené dans le sénat, fit entendre, entre autres paroles libres, celle-ci qui
mérite d'être rapportée. Narcisse s'étant avancé au milieu de l'assemblée et lui
ayant demandé : «Qu'aurais-tu fait, Galèse, si Camillus eût régné ? - Je me
serais, répondit celui-ci, tenu debout derrière lui en silence». Galèse par ce
mot, Arria par un autre, ont rendu leur nom célèbre. Arria, femme de Caecina
Poetus, ne voulut pas survivre à son mari condamné à mort, bien qu'elle pût, en
le faisant, jouir d'une certaine considération (elle était, en effet, grande
amie de Messaline) ; bien plus, le voyant trembler, elle le rassura :
saisisissant l'épée de son mari, elle s'en porta un coup, puis elle la lui
présenta en disant : «Tiens, Poetus, cela ne fait pas de mal». On leur donna des
éloges ; car, par la continuité des maux, on en était venu au point qu'on ne
voyait plus la vertu que dans le courage de mourir. Quant à Claude, il avait
tellement à coeur leur punition et celle des autres coupables, qu'il donnait
sans cesse comme mot d'ordre aux soldats ce vers, qu'il faut se venger de qui
nous a le premier fait une injure. Il leur faisait aussi, à eux et au sénat,
une foule de citations grecques de ce genre, et dont quelques-unes excitaient le
rire de ceux qui étaient capables de les comprendre. Voilà ce qui se passait
alors ; de plus, un des tribuns étant mort, ses collègues, bien que les consuls
fussent présents, convoquèrent eux-mêmes le sénat pour lui élire un successeur.
17. Ensuite Claude, étant consul pour la troisième fois, abolit un grand
nombre de sacrifices et de fêtes qui occupaient la plus grande partie de l'année
au grand détriment de l'État. Il les supprima donc et abrégea tout ce qu'il
était possible d'abréger dans les autres. Il força plusieurs citoyens de
rapporter les sommes que Caius leur avait données sans justice et sans raison,
et restitua aux curateurs des routes les amendes que sous ce règne Corbulon leur
avait infligées. De plus, il enjoignit aux gouverneurs de provinces tirés au
sort, qui alors encore tardaient à quitter Rome, d'avoir à partir avant le
milieu d'avril. Les Lyciens, dans une sédition, étant allés jusqu'à tuer des
citoyens romains, perdirent leur liberté et furent réunis à la préfecture de
Pamphylie. Claude, dans le courant de l'information (il la fit dans le sénat),
interrogea en latin un des députés, Lycien d'origine mais devenu Romain ;
celui-ci n'ayant pas compris la question, i1 lui enleva le droit de cité, en
disant qu'on ne devait pas être citoyen de Rome quand on n'en savait pas la
langue. Il priva aussi de ce droit beaucoup de gens qui en étaient indignes, et
le donna sans retenue à d'autres, tantôt individuellement, tantôt en masse. En
effet, les Romains étant, en toutes choses, pour ainsi dire, préférés aux
étrangers, beaucoup lui demandaient le droit de cité, ou l'achetaient de
Messaline et des Césariens ; aussi ce droit, vendu à haut prix d'abord, tomba
plus tard si bas, par suite de la facilité de l'obtenir, qu'on disait
communément qu'en donnant à quelqu'un des vases de verre, quand même ils
seraient cassés, on était citoyen romain, Claude, sur ce chef, fut exposé aux
railleries, mais il s'attira des éloges pour ce que, plusieurs personnes étant
accusées, celles-ci de ne pas prendre le nom de Claude, celles-là de ne rien lui
laisser en mourant, comme si l'un et l'autre eût été obligatoire à ceux qui
avaient reçu de lui le droit de cité, il défendit d'inquiéter qui que ce soit à
raison de ces faits. Messaline et les affranchis du prince vendaient, comme de
vrais cabaretiers, avec si peu de réserve, non seulement le droit de cité, ou
les charges militaires et celles de procurateur et de gouverneur, mais encore
tout le reste, que toutes les denrées devinrent rares, et que, par suite, Claude
fut forcé de convoquer le peuple dans le Champ-de-Mars, et, là, de fixer, du
haut d'un tribunal, le prix des divers objets. Il donna en personne, dans le
camp des prétoriens, un combat de gladiateurs, revêtu d'une chlamyde ; les
préteurs, de leur propre mouvement, célébrèrent le jour natal de son fils par
des spectacles et des banquets. Tous ceux d'entre eux qui le jugèrent à propos
en firent autant dans la suite.
18. Pendant ce temps, Messaline vivait dans le désordre, et contraignait les
autres femmes à se livrer elles-mêmes à la débauche : plusieurs durent, à son
instigation, commettre l'adultère dans le palais même, en présence et sous les
yeux de leurs maris. Ceux-là, elle les aimait et les favorisait, elle les
comblait d'honneurs et de dignités ; ceux, au contraire, qui ne se prêtaient pas
à ces débordements, elle les haïssait et elle les faisait périr. Ces désordres,
si graves et si ouvertement commis, échappèrent longtemps à Claude : Messaline
faisait coucher auprès de lui de jeunes servantes, et détournait, soit par des
bienfaits, soit par des supplices, ceux qui auraient pu lui découvrir ses
débauches, comme Justus Catonius, préfet des gardes prétoriennes, dont la mort
prévint les révélations. Jalouse de Julie, fille de Drusus, fils de Tibère et
femme de Germanicus Néron, elle la fit périr comme l'autre Julie. Dans ce même
temps aussi, un chevalier, accusé d'avoir conspiré contre Claude, fut précipité
du Capitole par les tribuns du peuple et par les consuls.
19. Voilà ce qui se passait à Rome. Dans le même temps, Aulus Plautius,
sénateur distingué, fit une expédition en Bretagne : un certain Béricus, chassé
de l'île par une sédition, avait persuadé à Claude d'y envoyer une armée.
Plautius eut peine, pour cette expédition, à emmener ses troupes de la Gaule :
les soldats, persuadés qu'ils allaient combattre hors du monde habitable,
s'irritèrent et refusèrent d'obéir, jusqu'au moment où Narcisse, envoyé par
Claude, voulut monter sur le tribunal de Plautius et les haranguer ; alors,
irrités bien plus encore de cette prétention, ils l'empêchèrent de parler, en
poussant subitement et tous ensemble le fameux cri Io ! Saturnales,
attendu qu'au temps des Saturnales, les esclaves, pour célébrer la fête,
changent de rôles avec leurs maîtres ; et aussitôt ils suivirent volontairement
Plautius. Ils partirent donc, après un long retard causé par cette mutinerie,
partagés en trois corps, de peur d'être repoussés s'ils tentaient d'aborder sur
un seul point. Incommodés par le roulis dans la traversée, mais ayant repris
courage à la vue d'un flambeau qui courut, dans le ciel, de l'Orient à
l'Occident, dans le sens de leur navigation, ils débarquèrent dans l'île sans
obstacle, attendu que les Bretons, à cause de ce qu'ils avaient appris, ne
croyant pas à la venue des Romains, n'avaient pas réuni leurs troupes.
Cependant, même alors, ils n'en vinrent pas aux mains, mais ils se réfugièrent
dans les marécages et les forêts, espérant fatiguer l'ennemi par ces vains
retards, au point de le forcer, comme cela était arrivé sous Jules César, à s'en
retourner sans avoir obtenu aucun résultat.
20. Plautius eut donc beaucoup de peine à leur recherche ; puis, quand il
les eut enfin trouvés (les Bretons n'étaient pàs indépendants, mais soumis à
divers rois), il vainquit d'abord Cataratacus, et puis Togodumnus, tous deux
fils de Cynobellinus, car Cynobellinus lui-même était mort. Leur fuite lui
procura la soumission d'une partie des Boduni qui obéissaient aux Catuellani ;
et, après y avoir laissé garnison, il poussa plus loin. Quand on fut arrivé à un
fleuve que les barbares croyaient les Romains incapables de passer autrement que
sur un pont, et sur la rive opposée duquel ils étaient, pour cette raison,
campés sans précaution, Plautius détacha les Celtes, habitués à traverser
facilement à la nage, avec leurs armes, les courants les plus rapides. Ceux-ci,
fondant sur les ennemis qui ne s'y attendaient pas, au lieu de frapper les
hommes, blessèrent les chevaux qui traînaient les chars, et, portant ainsi le
désordre dans leurs rangs, ils enlevèrent toute espèce de sureté à ceux qui les
montaient ; Plautius envoya en outre Flavius Vespasien qui, plus tard, fut
empereur, avec son frère Sabinus, placé sous ses ordres : ceux-ci, ayant
également passé le fleuve, firent un grand carnage parmi les barbares pris ainsi
à l'improviste. Le reste, néanmoins, loin de prendre la fuite, engagea de
nouveau, le lendemain, une lutte dont le succès fut balancé, jusqu'au moment où
Cn. Hosidius Géta, qui avait failli être pris auparavant, les vainquit si
complètement qu'il reçut les ornements du triomphe, bien qu'il n'eut pas été
consul. Les Bretons s'étant de là portés vers la Tamise, à l'endroit où elle se
jette dans l'Océan et forme port à son embouchure, et ayant passé le fleuve sans
difficulté, grâce à leur grande connaissance des endroits fermes et praticables,
les Romains en les poursuivant éprouvèrent là un échec ; mais les Celtes,
traversant une seconde fois le fleuve à la nage, et d'autres corps de troupes
passant par un pont situé un peu au-dessus de l'ennemi, fondirent sur lui de
plusieurs côtés à la fois et en firent un grand carnage ; puis, poursuivant le
reste sans précaution, ils tombèrent dans des marais inextricables, où ils
perdirent beaucoup de monde.
21. Cette perte, jointe à ce que, malgré la mort de Togodumnus, les Bretons,
loin de céder, ne s'en soulevaient qu'avec plus d'ardeur de toute part pour le
venger, ayant inspiré des craintes à Plautius, il ne s'avança pas plus loin, il
se contenta de veiller sur les parties conquises et manda Claude ; car il lui
avait été prescrit d'agir ainsi, s'il survenait quelque accident ; entre autres
ressources préparées en abondance pour cette expédition, on avait réuni des
éléphants. Quand la nouvelle parvint à Claude, il remit les affaires intérieures
et même les soldats à L. Vitellius, son collègue (il lui avait donné le consulat
pour six mois entiers, sur le pied d'égalité avec lui), et partit lui-même pour
la guerre. S'embarquant pour Ostie, il gagna Marseille, et de là, voyageant
tantôt par terre, tantôt sur les fleuves, il parvint à l'Océan, d'où, passant en
Bretagne, il rejoignit, sur les bords de la Tamise, son armée qui l'attendait. A
sa tête, il passa le fleuve, et, engageant l'action avec ceux qui avaient pris
les armes en masse à son approche, il les vainquit en bataille rangée et se
rendit maître de Camulodunum, résidence du roi Cynobellinus. Ayant, à la suite
de ce succès, réduit, les uns par composition, les autres par force, un grand
nombre de peuples sous sa puissance, il fut, contre les usages des ancêtres,
proclamé plusieurs fois imperator (il n'est, en effet, permis à personne
de prendre ce titre plus d'une fois pour la même guerre) ; il enleva les armes à
ces peuples dont le gouvernement fut par lui confié à Plautius, avec ordre
d'achever la soumission du reste du pays. Puis il se hâta de retourner lui-même
à Rome, où il fit apporter d'avance la nouvelle de sa victoire par ses gendres
Magnus et Silanus.
22. Le sénat, lorsqu'il connut les succès remportés en Bretagne, donna à
Claude le surnom de Britannicus, et lui décerna le triomphe. Il décréta,
en outre, des jeux annuels, l'érection de deux arcs de triomphe, l'un à Rome,
l'autre dans la Gaule, à l'endroit où il s'était embarqué pour passer en
Bretagne ; il décora son fils du même surnom, en sorte que le nom de
Britannicus devint, pour ainsi dire, véritablement celui de l'enfant.
Messaline eut la préséance, qu'avait eue autrefois Livie, et l'autorisation de
faire usage d'un char. Tels furent les honneurs que le sénat rendit aux princes
; de plus, la mémoire de Caius lui étant odieuse, il ordonna que toutes les
monnaies d'airain frappées à son image seraient fondues. La mesure fut exécutée,
mais l'airain ne fut pas mieux employé, car Messaline en fit faire des statues
du danseur Mnester. Ce Mnester avait été autrefois le familier de Caius, et
Messaline lui témoignait ainsi la reconnaissance de ses rapports avec elle. Car
elle était vivement éprise de ce danseur, et, comme elle ne pouvait en aucune
façon, ni par promesses, ni par menaces, le faire consentir à ses désirs, elle
s'adressa à son mari, le priant de forcer Mnester à lui obéir, comme si elle
avait eu besoin de lui pour un service d'un autre genre : Claude lui ayant dit
alors de faire tout ce qui lui serait commandé par Messaline, Mnester entra en
commerce avec elle, comme si cela eût été compris dans l'ordre de l'empereur.
Elle fit la même chose à l'égard de beaucoup d'autres ; car elle commettait des
adultères, comme si Claude avait connaissance de ce qui se passait, et lui avait
permis de se plonger dans la débauche.
23. C'est ainsi que certaines parties de la Bretagne furent alors soumises ;
à la suite de cette conquête, sous le second consulat de C. Crispus et le
premier de T. Statilius, Claude rentra dans Rome après une absence de six mois,
sur lesquels il n'avait passé que seize jours en Bretagne, et célébra un
triomphe où, entre autres prescriptions de la loi qu'il accomplit, il monta à
genoux les degrés du Capitole, soutenu sous les deux bras par ses gendres. Il
accorda les ornements triomphaux à tous les sénateurs qui l'avaient accompagné
dans son expédition, et non pas seulement aux consulaires, faveur que, du reste,
il prodiguait à tort et à travers même pour les moindres choses ; une statue et
un siège parmi les sénateurs à Rubrius Pollion, préfet du prétoire, toutes les
fois qu'il l'accompagnerait dans le sénat ; et, pour ne paraître introduire
aucune nouveauté, il allégua qu'Auguste en avait fait autant à l'égard d'un
certain Valérius Ligur. Lacon, autrefois chef des Vigiles, en ce moment
gouverneur de la Gaule, reçut le même honneur et, de plus, fut décoré des
ornements consulaires. Après cela, Claude célébra les jeux triomphaux, et pour
cela il recut le pouvoir consulaire. Ces jeux eurent lieu sur les deux théâtres
à la fois : souvent il quitta le spectacle, et d'autres y présidèrent à sa
place. Il promit autant de courses de chevaux qu'il pourrait y en avoir dans le
jour, néanmoins il n'y en eut pas plus de dix : car, dans l'intervalle des
courses, on égorgea des ours et on fit combattre des athlètes ; des enfants,
venus d'Asie, dansèrent la pyrrhique. Les artistes dramatiques donnèrent aussi,
avec la permission du sénat, d'autres jeux, célébrés également à l'occasion de
la victoire de l'empereur. Voilà ce qui eut lieu pour les affaires de Bretagne,
et, pour faciliter la soumission du reste du pays, on décréta que toutes les
conventions faites par Claude et toutes celles que feraient ses lieutenants avec
quelqu'un de ces peuples seraient valables comme faites avec le sénat et le
peuple.
24. L'Achaïe et la Macédoine qui, depuis le règne de Tibère, étaient
confiées à des gouverneurs choisis par le prince, furent alors remises au sort
par Claude, qui, ayant destitué les préteurs chargés de l'administration du
trésor, la confia, suivant l'antique usage, aux questeurs, sans, toutefois,
rendre annuels ces fonctionnaires, ce qui avait eu lieu pour eux auparavant, et
qui eut lieu plus tard pour les préteurs, puisque les deux mêmes questeurs
administrèrent trois années entières ; quelques-uns d'entre eux arrivèrent
aussitôt après à la préture, les autres reçurent un salaire proportionné à
l'opinion qu'ils donnèrent de leur administration. Claude rendit donc aux
questeurs l'administration du trésor, au lieu de gouvernements en Italie hors de
Rome (elles furent toutes abolies), et il confia, en revanche, aux préteurs la
connaissance de certaines causes qui étaient auparavant du ressort des consuls.
Il accorda aux soldats, attendu que les lois ne leur permettaient pas d'avoir de
femmes, les droits d'hommes mariés. Il augmenta les États que M. Julius Cottius
tenait de son père, auprès des Alpes appelées de son nom Cottiennes, avec
le titre de roi, qu'il lui donna alors pour la première fois. Il priva les
Rhodiens de la liberté, pour avoir mis en croix des citoyens romains. Il fit
venir de Bétique Umbonius Silion, qu'il chassa du sénat, pour avoir envoyé trop
peu de blé aux troupes qui servaient en Mauritanie : c'était le crime dont on le
chargeait ; mais son crime réel était d'avoir offensé des affranchis du prince,
Silion mit sous la haste tout son nombreux et magnifique mobilier, comme pour
tout mettre à l'enchère, mais il ne vendit que sa toge de sénateur, montrant par
là qu'il n'était pas bien malheureux et qu'il pourrait vivre agréablement dans
une condition privée. Voilà ce qui eut lieu alors ; de plus, les nundines
furent transférées à un autre jour, à cause de certains sacrifices, chose qui
arriva encore dans plusieurs autres occasions.
25. L'année suivante, furent consuls M. Vinicius pour la seconde fois, et
Statilius Corvinus. Claude prêta seul tous les serments en usage, et défendit
aux autres de jurer individuellement ; de même, parmi les préteurs, il n'y en
eut qu'un, comme autrefois, et un aussi parmi les tribuns, qui récita la formule
du serment pour ses collègues. Cette manière se pratiqua pendant plusieurs
années. Rome était remplie de statues innombrables (il était permis, sans
réserve, à quiconque le voulait, de se faire représenter en public par la
peinture, par l'airain, ou par le marbre) ; Claude en fit transporter la plupart
dans d'autres lieux, et défendit qu'on érigeât une statue à un particulier sans
l'autorisation du sénat, à moins qu'il n'eût construit ou réparé quelque édifice
; alors il lui était loisible, à lui et à ses descendants, de le faire en cet
endroit. De plus, en punissant de l'exil un gouverneur de province qui s'était
laissé corrompre, il confisqua tout ce que cet homme avait acquis durant son
gouvernement. Pour empêcher ceux qui commettraient une semblable infraction de
se soustraire aux accusations qu'on voudrait leur intenter, il n'accorda à
personne un gouvernement immédiatement à la suite d'un autre. C'était bien, en
effet, déjà auparavant, une prescription de la loi que l'on pût librement citer
en justice, dans l'intervalle de leurs fonctions, ceux qui avaient exercé une
charge (il ne leur était même pas permis, au sortir d'une province,
d'entreprendre des voyages successifs, afin que, s'ils avaient prévariqué, ils
ne parvinssent pas, soit par l'exercice d'un nouvel emploi, soit par des
voyages, à éluder leur responsabilité), mais cette disposition était tombée en
désuétude. Claude observa ces deux prescriptions avec tant de soin, qu'il ne
permettait pas même à un assesseur de tirer immédiatement la province qui lui
revenait, bien que continuant deux années à quelques-uns le gouvernement de la
même province, et y envoyant même parfois des citoyens de son choix. Lorsqu'on
lui demandait une légation libre hors de l'Italie, il l'accordait de son propre
chef, sans prendre l'avis du sénat ; mais, pour paraître agir légalement, il s'y
fit autoriser par un sénatus-consulte. Cette mesure fut décrétée encore l'année
suivante ; pour le moment, il célébra les jeux votifs qu'il avait promis pour
son expédition, et donna à tous les citoyens qui recevaient du blé de l'Etat
soixante-quinze drachmes par tête, plus même à quelques-uns ; ce qui fit que
certains eurent jusqu'à trois cent douze drachmes et demie. Néanmoins tout ne
fut pas distribué par lui ; une partie le fut par ses gendres, car la
répartition dura plusieurs jours, durant lesquels il voulut aussi rendre la
justice. Il rétablit en outre le cinquième jour que Caius avait ajouté aux
Saturnales, et qu'on avait ensuite supprimé.
26. Le soleil devant s'éclipser le jour anniversaire de sa naissance, Claude
craignit qu'il n'en résultât quelque trouble, attendu qu'il était arrivé
d'autres prodiges, et il publia un édit pour faire connaître à l'avance, non
seulement l'éclipse, son moment et sa grandeur, mais les causes qui devaient
nécessairement l'amener. Ces causes, les voici. La lune qui, comme on le croit,
fait son tour au-dessous du soleil, qu'elle le fasse immédiatement sous lui, ou
que Mercure et Vénus soient entre deux, se meut en longitude comme cet astre ;
elle se meut aussi comme lui en hauteur, et elle a, de plus, un mouvement en
latitude que n'a nullement le soleil. Lors donc que la lune vient à se trouver
sur la même droite que lui, au-dessus de nos regards, et qu'elle s'interpose
entre nous et ses rayons, alors elle dérobe la lumière qui vient de cet astre à
la terre, plus pour certains lieux, moins pour d'autres ; pour quelques endroits
même, elle n'en cache rien du tout ; car le soleil, ayant toujours une lumière
qui lui est propre, ne la perd jamais ; et c'est ce qui fait que, dans les
endroits où la lune n'est pas en opposition, de manière à le couvrir de son
ombre, il ne cesse d'être visible en entier. Voilà ce qui a constamment lieu
pour le soleil, et ce que Claude fit alors publier. Quant à la lune (il n'est
pas hors de propos de parler d'elle aussi, puisque je suis engagé dans cette
matière), toutes les fois que, se trouvant à son opposition avec le soleil (cela
ne lui arrive qu'aux époques de pleine lune, comme au soleil qu'aux époques de
nouvelle lune), elle rencontre l'ombre de la terre, qui a la forme d'un cône (la
chose a lieu lorsqu'elle est au milieu de son mouvement latitudinal), elle est
privée de la lumière que lui envoie le soleil, et se montre telle qu'elle est
par elle-même. Voilà ce qu'il en est de ce phénomène.
27. Cette année écoulée, Valérius Asiaticus fut consul pour la seconde fois,
et M. Silanus pour la première. Ce dernier exerça sa charge pendant tout le
temps pour lequel il avait été nommé ; Asiaticus avait été désigné consul pour
l'année entière, ce qui se pratiquait pour d'autres aussi ; au lieu de cela, il
abdiqua volontairement cette charge, ce que d'autres avaient fait encore. Mais
ceux-là l'avaient fait à cause de leur pauvreté (les dépenses pour les jeux du
cirque étaient montées fort haut, et la plupart du temps il y avait vingt-quatre
courses) ; Asiaticus le fit à cause de ses richesses, qui causèrent sa mort.
Comme il avait de grands biens, et que son deuxième consulat l'avait rendu
incommode et odieux à beaucoup de monde, il voulut se rabaisser, et, pour ainsi
dire, s'amoindrir lui-même, dans l'espoir d'être ainsi moins exposé au danger.
Son attente fut trompée. Pour Vinicius, Claude ne lui fit aucun mal (c'était un
homme illustre, et il vivait en sûreté, tranquillement occupé de ses propres
affaires) ; mais Messaline, ayant conçu des soupçons contre lui, parce qu'elle
avait tué sa femme Julie, irritée, en outre, de ce qu'il avait refusé d'avoir
commerce avec elle, le fit périr par le poison. Aussi fut-il honoré de
funérailles aux frais de l'Etat, et d'une oraison funèbre, honneur qui, du
reste, était accordé à beaucoup de monde. Quant à Asinius Gallus, frère utérin
de Drusus, il ourdit une conspiration contre Claude ; néanmoins il ne fut pas
mis à mort, mais condamné à l'exil. La cause en fut, sans doute, qu'il n'avait
pour cela ni réuni d'armée, ni amassé d'argent, et que l'excès de la folie, lui
persuadant que les Romains, en considération de sa naissance, lui accorderaient
volontairement la souveraineté, l'avait seul poussé à cette audace ; mais ce fut
plutôt que, méprisé pour la petitesse de sa taille et pour sa laideur, il était
un sujet de risée, loin d'être un sujet d'inquiétude.
28. Claude obtint pour cet acte des éloges sans réserve, et aussi, par
Jupiter ! parce qu'un affranchi ayant, non content de citer devant les tribuns
du peuple le patron qui lui avait donné la liberté, demandé et obtenu
l'assistance d'un licteur, il s'en montra indigné, punit l'affranchi et ceux qui
lui avaient prêté leur concours, et défendit que, par la suite, personne prêtât
aide à des affranchis qui présenteraient pareilles requêtes contre leurs anciens
maîtres, sous peine d'être privé à jamais du droit d'intenter une accusation. On
n'en était pas moins chagrin de le voir esclave de sa femme et de ses
affranchis, surtout depuis le jour où plusieurs citoyens, et Claude lui-même,
ayant cherché à faire périr, dans un combat de gladiateurs, Sabinus, gouverneur
de la Gaule sous Caius, Messaline lui avait sauvé la vie ; Sabinus, en effet,
était son amant. Les Romains étaient affligés de cela, et aussi de ce que
Messaline retenait près d'elle Mnester, qu'elle avait enlevé au théâtre, et
parce que, toutes les fois que le peuple parlait des motifs qui empêchaient
Mnester de danser, Claude en témoignait sa surprise et protestait avec serment,
entre autres choses, qu'il n'avait pas de relations avec lui. Comme on croyait
qu'il n'avait réellement pas connaissance de ce qui se passait, on était peiné
qu'il fût le seul à ignorer les désordres de la maison impériale, désordres dont
le bruit s'était déjà répandu jusque chez les ennemis; mais on ne voulait pas
l'en avertir, par respect pour Messaline, et par crainte de nuire à Mnester,
qui, s'il était agréable à Messaline pour sa beauté, ne l'était pas moins au
peuple pour son talent. En effet, il était si habile danseur, qu'un jour, les
spectateurs l'ayant prié avec de grandes instances de danser une pièce célèbre,
il les regarda de la scène et répondit : «Je ne saurais, car j'ai couché avec
Oreste». Tels étaient donc les actes de Claude ; de plus, comme le nombre des
procès était infini, et que ceux qui craignaient de succomber ne se rendaient
pas à l'appel de leur cause, il avertit par un édit les parties intéressées que,
passé un certain jour, qu'il fixa, il statuerait sur elles, même en leur
absence, et il tint parole.
29. L'année suivante, qui fut la huit-centième de Rome, furent consuls,
Claude pour la quatrième fois, et L. Vitellius pour la troisième. Claude raya du
sénat plusieurs membres qui, la plupart, loin de répugner à cette dégradation,
la subirent volontiers à cause de leur pauvreté, et il en mit plusieurs autres
en leur place. Un certain Surdinius Gallus, à qui ses moyens permettaient de
faire partie du sénat; s'étant retiré à Carthage, il s'empressa de l'envoyer
quérir, et lui dit : «Je t'attacherai par des chaînes d'or». Ainsi Surdinius,
enchaîné par sa dignité, demeura à Rome. Bien que Claude châtiât avec rigueur
les affranchis des autres, quand il les prenait à mal faire, il était tellement
indulgent pour les siens qu'un jour, au théâtre, un acteur ayant prononcé ce mot
bien connu : Insupportable est le marchand d'étrivières que la fortune a
élevé ; et Polybe, son affranchi, sur qui tout le peuple avait jeté les
yeux, ayant reparti à haute voix : «Le même poète a dit aussi : Rois sont
devenus, qui auparavant étaient chevriers » ; il ne lui fit aucun mal. Avant
reçu avis que plusieurs avaient conspiré contre lui, il méprisa tous les autres
accusés en disant : «On ne se doit pas venger d'une puce comme on se venge d'une
bête farouche» ; Asiaticus fut, seul, jugé dans l'appartement du prince, et
encore il s'en fallut bien peu qu'il ne fût absous. Car, comme Asiaticus niait
le crime, et répétait sans cesse : «Je n'ai jamais vu, je ne reconnais aucun de
ces témoins qui déposent contre moi», un soldat qui prétendait avoir été son
complice, et à qui on demanda où était Asiaticus, montra un homme chauve qui,
par hasard, se tenait à peu de distance de l'accusé ; c'était, en effet, le seul
signalement qu'il eût de sa personne. Un grand éclat de rire s'en étant suivi et
Claude étant sur le point d'absoudre l'accusé, Vitellius, pour faire sa cour à
Messaline, dit qu'Asiaticus l'avait supplié de faire en sorte qu'il eût le choix
du genre de mort. Ces paroles persuadèrent à Claude qu'Asiaticus s'était
véritablement condamné lui-même dans sa conscience, et il le fit périr. Il
sortit des flots cette même année, auprès de l'île de Théra, un îlot qui n'y
était pas auparavant. Comme il y avait des maîtres qui, loin de prendre soin de
leurs esclaves malades, les chassaient de leurs maisons, Claude disposa que tous
ceux de ces esclaves qui, ayant été chassés de la sorte, recouvreraient la
santé, seraient libres.
30. En Bretagne, cependant, Vespasien ayant été enfermé par les barbares et
courant risque d'y périr, son fils, saisi de crainte pour son père, rompit le
cercle ennemi par une hardiesse extraordinaire, et tailla en pièces les fuyards.
Plautius, pour sa belle conduite et ses succès dans la guerre de Bretagne,
obtint de Claude des éloges et le triomphe. [Dans le combat de gladiateurs, on
mit aux prises plusieurs affranchis étrangers et les captifs bretons ; un grand
nombre fut moissonné dans cette sorte de spectacle, et Claude s'en fit gloire].
Cn. Domitius Corbulon, qui commandait en Germanie, rassembla ses troupes et
incommoda, entre autres barbares, le peuple appelé les Cauques. Il était sur la
terre ennemie, lorsqu'il fut rappelé par Claude; instruit de sa valeur et de la
discipline qu'il appliquait, le prince ne lui permit pas de grandir davantage.
Informé de cet ordre, Corbulon revint sur ses pas, en se contentant de s'écrier
: «Heureux les généraux d'autrefois !» pour montrer qu'on pouvait alors sans
danger être vaillant, au lieu que, lui, il trouvait un obstacle dans la jalousie
de l'empereur. Malgré cela cependant il obtint les ornements du triomphe.
Replacé à la tête de ses troupes, il n'en continua pas moins l'application de la
même discipline, et, comme on était en paix, il les occupa à creuser, dans tout
l'espace compris entre le Rhin et la Meuse, cent soixante-douze stades environ,
un canal destiné à empêcher que le reflux de l'Océan, faisant remonter ces
fleuves, inondât le pays.
31. Messaline, comme s'il ne lui eût pas suffi d'être adultère et courtisane
(elle allait jusqu'à se prostituer elle-même et à prostituer, dans le palais,
d'autres femmes du premier rang), voulut encore, comme dit le proverbe, avoir
plusieurs maris. [Peut-être eut-elle contracté mariage avec tous ceux qui
avaient commerce avec elle, si elle n'eût, surprise dès le premier, été punie de
mort aussitôt. Tous les Césariens, en effet, jusque-là parlaient comme elle, et
rien ne se faisait que d'un commun accord ; mais quand elle eut, malgré ses
accointances avec lui, accusé et fait périr Polybe, ils n'eurent plus confiance
en elle ; ainsi abandonnée d'eux, elle succomba]. Elle prit pour mari C. Silius,
[fils de ce Silius qui avait été égorgé par Tibère], célébra ses noces par des
festins somptueux, donna à ce nouvel époux une demeure princière, où elle fit
transporter les meubles les plus précieux de Claude, et enfin le nomma consul.
Or, ces scandales qui, [déjà auparavant], étaient venus aux oreilles et aux yeux
de tous [les autres], étaient ignorés de Claude. Mais, dans le temps qu'il était
descendu à Ostie pour veiller à l'apport des blés, tandis que Messaline, sous
prétexte d'indisposition, était restée à Rome où elle célébra un festin fameux
et se livra à l'orgie la plus effrénée, Narcisse profita de cet isolement de
Claude pour lui découvrir, par l'entremise de ses concubines, tout ce qui se
passait. [Puis, l'effrayant de l'idée que Messaline allait le tuer et mettre
Silius à sa place, il le décida à se saisir de plusieurs personnes et à leur
donner la question]. Par suite de ces révélations, Claude revint en hâte à Rome,
et, à peine arrivé, livra au supplice un grand nombre de citoyens, entre autres
Mnester, et fit mourir Messaline elle-même, [retirée dans les jardins d'Asiaticus,
jardins qui n'avaient pas peu contribué à la perte de leur maître]. Peu après,
il épousa sa nièce Agrippine, mère de Domitius surnommé Néron : elle était
belle, visitait souvent l'empereur, s'entretenait en particulier avec lui, en sa
qualité d'oncle et se conduisait à son égard d'une façon trop tendre pour une
nièce. [Silanus avait la réputation d'homme de bien, et Claude l'estimait si
fort, qu'il le décora, encore enfant, des ornements triomphaux, lui fiança sa
fille Octavie, le nomma préteur bien avant le temps fixé par les lois, fit les
frais des jeux que Silanus devait donner, jeux pendant lesquels il vint
lui-même, comme un chef de parti, lui demander une permission, et ordonna à
haute voix tout ce qu'il s'apercevait que le peuple désirait. Mais Claude fut
tellement esclave de ses femmes, que, pour elles, il tua ses deux gendres].
32. Agrippine ne fut pas plutôt dans la demeure du prince que, femme habile
à tirer parti des choses, elle s'empara de l'esprit de Claude et s'attacha par
la crainte ou par de bons offices ceux qui avaient quelque bienveillance pour
lui. [Elle faisait élever comme un enfant du peuple Britannicus, fils de Claude
; car l'autre fils du prince, celui qui avait été fiancé à la fille de Séjan,
était déjà mort. Pour le moment, elle procura à Domitius l'honneur de devenir le
gendre de Claude ; plus tard, elle le fit adopter par lui. Elle réussit dans ses
menées, partie en usant de la persuasion avec Claude par l'entremise de ses
affranchis, partie en subornant le sénat, le peuple et les soldats, de manière
qu'on entendît sans cesse retentir des cris favorables à son projet. Agrippine
élevait son fils] pour être le maître un jour, lui donnait Sénèque pour
précepteur, lui amassait des richesses incalculables, sans reculer devant aucuns
moyens, même les plus infâmes, de se procurer de l'argent, caressant tout le
monde, pour peu qu'on fût riche, et faisant périr plusieurs citoyens pour ce
seul motif. Il y eut aussi des femmes illustres qui furent victimes de sa
jalousie ; c'est ainsi que Paulina Lollia fut punie de mort pour avoir autrefois
eu quelque espérance d'épouser Claude. Quand on lui eut apporté la tête de
Lollia, ne pouvant la reconnaître, elle lui ouvrit la bouche de sa propre main
et regarda ses dents qu'elle avait faites d'une façon particulière. [Néron
grandissait, et Britannicus n'obtenait aucun honneur, aucun soin ; Agrippine,
bien loin de là, s'appliquait à chasser ou à faire mourir tous ceux qui
portaient quelque intérêt au jeune prince; Sosibius, à qui son éducation et son
instruction étaient confiées, fut égorgé sous prétexte d'avoir conspiré contre
Néron. A partir de ce moment, livrant Britannicus à des gens de son choix, elle
lui fit tout le mal qu'elle put, ne lui permit ni de s'entretenir avec son père
ni de sortir en public, et le tint, pour ainsi dire, en garde libre].
33. [Personne n'osait offenser Agrippine en quoi que ce fût, car elle était
plus puissante que Claude lui-même, et elle admettait publiquement à la saluer
tous ceux qui le voulaient ; et la chose était consignée dans les Actes]. [Elle
devint bientôt une seconde Messaline, surtout parce que, entre autres honneurs,
elle reçut du sénat la permission de se faire porter en char dans les jeux.
Lorsque Claude adopta Néron, fils d'Agrippine, et le nomma son gendre, après
avoir fait passer sa fille dans une autre famille, pour ne pas sembler unir un
frère et une soeur, il survint un grand prodige : le ciel, ce jour-là, parut
tout en feu]. Claude désira donner un combat naval sur sur un lac ; il fit
mettre une muraille de bois et construire des échafauds tout autour, et il
rassembla une multitude innombrable de personnes. Les autres citoyens s'y
trouvèrent en tel équipage qu'il plut à chacun d'eux ; Claude et Néron portaient
le paludamentum ; Agrippine était parée d'une chlamyde tissue d'or. Les
combattants étaient des condamnés à mort ; ils avaient cinquante vaisseaux de
chaque côté, avec les noms de Rhodiens et de Siciliens. Après s'être d'abord
réunis en une seule troupe, ils s'adressèrent tous ensemble à Claude en ces
termes : «Joie à toi, empereur ; au moment de mourir, nous te saluons». N'ayant
pu obtenir grâce et ayant, malgré cette prière, reçu l'ordre de combattre, ils
se mirent simplement en rangs et ne s'attaquèrent que lorsqu'ils eurent été
contraints de se massacrer les uns les autres. Narcisse se jouait tellement de
la stupidité de Claude, qu'un jour, comme les Bithyniens, dit-on, se plaignaient
à grands cris devant son tribunal de Junius Cilon, leur gouverneur, coupable
d'une vénalité sans borne, et que Claude (le bruit qu'ils faisaient l'avait
empêché d'entendre distinctement) demandait à l'assistance ce que disaient les
Bithyniens, Narcisse, par un mensonge, lui ayant répondu qu'ils remerçiaient
Junius, Claude le crut et ajouta : «Eh bien ! il les gouvernera encore deux
ans». [Narcisse fut vivement accusé à cause de l'accident du lac Fucin, travaux
dont il avait eu l'intendance, et on crut qu'ayant dépensé beaucoup moins que
les prévisions, il avait à dessein préparé cet accident pour que ses
malversations ne pussent être découvertes]. Agrippine était souvent à côté de
Claude en public, soit lorsqu'il s'occupait des affaires de l'Etat, soit
lorsqu'il donnait audience à des ambassadeurs, assise sur une tribune
particulière. C'était un spectacle qui ne le cédait à aucun autre. Claude,
irrité contre un orateur, Julius Gallicus, qui plaidait devant lui, commanda
qu'on le jetât dans le Tibre, dont son tribunal se trouvait voisin. P. Domitius
Afer, le plus célèbre des avocats de son siècle, fit une agréable raillerie à ce
sujet. La partie abandonnée par Gallicus l'ayant prié de prendre sa défense, il
lui répondit : «Et qui t'a dit que je nage mieux que Gallicus ?»
34. Claude, irrité des menées d'Agrippine, dont il commençait à
s'apercevoir, et cherchant son fils Britannicus qu'elle avait soin de soustraire
la plupart du temps à ses yeux, en même temps qu'elle faisait tout pour assurer
l'empire à l'enfant qu'elle avait eu de Domitius son premier mari, ne voulut
plus supporter cette conduite ; il s'apprêta à renverser Agrippine et à nommer
son fils successeur à l'empire. Quand Agrippine fut instruite de ces projets de
Claude, elle fut saisie de crainte et résolut de le prévenir par le poison.
Mais, comme le vin qu'il prenait toujours en grande quantité, et les autres
précautions dont usent les empereurs pour conserver leur vie, empêchaient qu'il
pût en ressentir aucune atteinte, elle envoya chercher Lucuste, empoisonneuse
fameuse, et prépara, avec son assistance, un poison sans remède qu'elle mit dans
ce qu'on appelle un champignon. Elle mangea ensuite elle-même des autres
champignons, et fit manger à Claude celui qui était empoisonné (c'était aussi le
plus gros et le plus beau). Quand il eut été surpris de la sorte, on l'emporta
hors de table, comme si, ce qui lui était mainte autre fois arrivé, il eût été
gorgé outre mesure par l'excès de l'ivresse ; et, la nuit, il mourut sans avoir
pu retrouver ni la parole ni l'ouïe, le 13 octobre, après une vie de
soixante-trois ans et un règne de treize, plus huit mois et vingt jours.
Agrippine réussit dans ces entreprises, parce qu'elle avait envoyé en avant
Narcisse dans la Campanie, sous prétexte d'y prendre les eaux pour se guérir de
la goutte ; car, s'il eût été présent, jamais elle n'en serait venue à bout,
tant était grande la vigilance avec laquelle il veillait sur son maître. La mort
de Claude fut incontinent suivie de celle de Narcisse, qui s'était rendu l'homme
le plus puissant de son siècle. Il possédait une fortune de plus de mille fois
dix mille drachmes, et avait des liaisons étroites avec des villes et avec des
rois. Sur le point de mourir, il fit une belle action : il brûla tous les écrits
secrets de Claude contre Agrippine et contre d'autres personnes qu'il avait en
sa possession comme secrétaire du prince.
35. Ce fut ainsi que mourut Claude : une comète, qui se montra pendant
longtemps, une pluie de sang, la foudre, qui tomba sur les enseignes des gardes
prétoriennes, les portes du temple de Jupiter Vainqueur s'ouvrant d'elles-mêmes,
un essaim d'abeilles qui se peletonna dans le camp, la mort d'un magistrat par
chaque collège, semblèrent des signes de cette mort. Claude obtint la sépulture
et tous les autres honneurs qui avaient été décernés à Auguste. Agrippine et
Néron firent semblant de regretter celui qu'ils avaient tué, et élevèrent au
ciel celui qu'ils avaient emporté de table sur un brancard. Ce fut pour L.
Junius Gallion, frère de Sénèque, le sujet d'une plaisanterie. Sénèque a composé
un écrit sous le titre de Apokolokuntosis, c'est-à-dire, la
Divinisation en citrouille ; la raillerie que l'on rapporte de Gallion
renferme beaucoup en très peu de mots. Comme les bourreaux traînent avec de
grands crocs à travers le Forum le corps de ceux qui ont été exécutés dans la
prison, et de là les jettent dans le fleuve, il dit que Claude avait été attiré
au ciel avec un croc. Néron aussi a dit une parole qui mérite bien de ne pas
rester oubliée ; il a dit que les champignons étaient un mets des dieux,
puisqu'ils avaient valu à Claude de devenir dieu. |
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