Clovis, ou la France chrétienne
Livre
onzième |
Le sensible guerrier, au triste souvenir,
Pousse encor des soupirs qu’il ne peut retenir ;
Et le saint solitaire accompagne ses larmes.
Mais les brillans rayons de ces celestes armes,
Portent, pour leur secours, tant de joye en leur cœur,
Qu’ils allegent enfin l’excés de leur douleur.
Aurele ainsi reprend la force et la parole.
Dans ce cruel moment Daniel me console.
Laisse tes pleurs, dit-il, entens l’arrest des cieux.
Pour vaincre ta tristesse, abandonne ces lieux.
Quitte d’un ferme effort l’attache qui te serre ;
Et le soin de livrer ce corps froid à la terre.
Tu dois te reserver pour des employs meilleurs.
Laisse-moy ce devoir : le ciel t’appelle ailleurs.
Je vay guerir le mal dont ton ame soupire.
Par toy sera chrestien tout le françois empire.
Par tes ardens soucis, Clovis le vaillant roy,
Du seigneur éternel doit recevoir la loy.
Marche sans differer : suy le dieu qui t’éclaire.
Dans Rome tu verras de Christ le grand vicaire.
Pour bénir tes desseins, il bénira ton front.
Voy le Rhône et ses bords, d’un cœur soigneux et prompt.
Une auguste princesse, aussi sainte que belle,
Lancera dans tes yeux une douce estincelle.
C’est celle que le ciel destine pour ton roy,
Qui doit remplir sa couche, et luy porter sa foy.
Denis, le saint martyr, qui dans la Gaule heureuse
Planta de Jesus-Christ la creance amoureuse,
Prend le soin de sa vie, et luy dicte les loix
Qu’elle doit inspirer au prince des françois.
Mais tandis qu’il vivra dans une loy payenne,
Ton cœur sage et discret luy doit celer la tienne.
Un grand zele, à ces mots, soudain me vient saisir.
Et malgré ma douleur, je sens un doux plaisir.
Je baise le corps froid de mon espouse aimable ;
Et m’arrache à regret de ce lieu déplorable.
Daniel me console, et pour moy fait des vœux.
Il fait oüir les sourds, redresse les boiteux,
Rend le jour à l’aveugle ; et par divers miracles
A mes yeux estonnez confirme ses oracles.
Je le quitte, et je parts : par la Thrace je cours :
Et j’éprouve en tous lieux le celeste secours.
Par tout je crains que Dieu ma paresse n’accuse.
Je passe l’Illyrie, et Dyrraque et Brunduse.
J’arrive aux bords du Tybre ; et dans Rome je voy
Le pontife sacré de la chrestienne loy.
Je luy parle : il m’anime à la sainte entreprise,
Qui d’un peuple si grand doit accroistre l’eglise.
Je baise les tombeaux des martyrs immortels,
Et des apostres saints le seüil et les autels.
Je m’embarque à Ligourne ; et l’onde ligustique
Me porte en deux soleils à Marseille l’antique.
Je vay par tous les bords du Rhône impetueux :
Une princesse enfin, d’un front majestueux,
Me paroist dans Vienne, au temple prosternée ;
D’éclatantes beautez, et de graces ornée.
Puis elle se redresse ; et levant ses beaux yeux,
Semble élever aussi son cœur jusques aux cieux.
Que sert, dis-je, d’errer de province en province ?
Voila ce que le ciel destine pour mon prince.
Voicy de mes travaux l’heureux et noble fruit.
Curieux je m’approche : elle se tourne au bruit.
Alors par un regard que me jetta la sainte,
De joye et de respect mon ame fut atteinte.
Ah ! Dis-je, dans ces yeux je voy l’arrest du ciel.
Voila l’heureux regard promis par Daniel.
Je m’avance, et luy dis. Princesse, Dieu desire
Que par toy soit chrestien Clovis et son empire.
Mais consens en toy-mesme au celeste vouloir.
Je vay mettre en son cœur le desir de te voir.
Clotilde rougissant (c’est le nom de la sainte)
Par sa vertu severe à sa langue contrainte.
Je crains de la troubler : je m’éloigne : je parts.
Puis mon païs natal borne tous mes hazards.
Et pour ma longue absence, à peine en mon visage
Mes parens estonnez connoissent leur image.
Dé-ja la renommée a semé mon retour.
Mon nom seul entretient et la ville et la cour.
Chacun veut par ma voix sçavoir mes avantures :
Mais je cache de Dieu les merveilles futures.
Je me courbe aux genoux de nostre grand Clovis.
Mes recits estonnans rendent ses sens ravis.
Il s’enquiert des destours de mes lointains voyages,
Des terres, et des mers, des mœurs, et des langages,
Des villes, et des ports, des differens climas :
Et son esprit avide épuise mes amas.
Quand ma source est tarie, il fait cent fois redire
L’estat de Genseric, et celuy de l’empire,
Leurs armes, leurs combas, leur pouvoir, leur deffaut ;
Ce que trame Thierry, ce que fait Gondebaut.
Mon souvenir fecond cherche à le satisfaire ;
Et dans ces entretiens j’acquiers l’heur de luy plaire.
Mais je rends son grand cœur d’un doux charme enchanté,
Quand j’arrive au recit de la sage beauté.
Il veut cent et cent fois que mon discours repasse
Son teint, et ses cheveux, et sa bouche, et sa grace,
Et sa taille royale, et son esprit parfait,
Et de ses yeux divins l’inévitable attrait.
Dé-ja sensiblement la princesse le touche,
Dans l’imparfait recit qu’il entend par ma bouche.
Il brule de la voir : il plaint les potentats,
De ne pouvoir en paix sortir de leurs estats,
Privez du libre abbord d’une estrangere terre,
Sans y porter aussi leur puissance et la guerre.
Le bructere et le marse alors aux champs tongrois
(son maternel domaine) estendirent leurs loix.
Mon maistre, en se vangeant, les combat et les dompte :
Mais il ne peut dompter l’amour qui le surmonte.
Aux sources de la Meuse il passe avec plaisir.
Il veut voir la beauté qui seule est son desir.
Il loge en lieux divers sa triomphante armée.
Puis d’une jeune ardeur ayant l’ame enflammée,
Pour escorte il choisit la troupe de Lisois ;
Aux bords de ses estats la range dans un bois :
Fait suivre six coursiers, s’embarque sur la Saône :
Et coule avec moy seul inconnu jusqu’au Rhône.
Trois relays sont placez pour haster le retour,
Quand ses yeux auroient veû l’object de son amour.
Pour n’estre pas cognu, le prince avec prudence
Sous un modeste habit déguise sa naissance.
Et je prens dans Vienne un manteau déchiré.
Je me couche au parvis du temple reveré,
Où le prelat Avite, et saint et venerable,
Chaque jour offre à Dieu la victime adorable.
J’apperçoy la princesse, au front doux, à l’œil bas,
Au temple avec sa suite allant d’un grave pas.
Sur les pauvres rangez sous l’auguste portique,
La charitable vierge estend sa main pudique.
Je m’approche à l’aumosme ; et d’un transport soudain
Je porte avidement un baiser sur sa main.
Je rougis du transport : elle, de mon audace.
Comme pour la punir, sa rougeur me menace.
Alors, pour l’excuser, moy-mesme je l’accrois.
Dans le temple, luy dis-je, à gauche de la croix,
Tu verras un grand prince ; et sçache par ma bouche,
Que Dieu, pour l’heur des francs, te destine à sa couche.
Ce discours surprenant, d’elle seule entendu,
Fait qu’un rouge est encor sur son teint répandu.
Elle passe ; et je suy cette illustre merveille.
J’avance vers mon roy, murmure à son oreille,
Et luy monstre la sainte, où tendoit son desir.
Dé-ja ses yeux frapez d’un sensible plaisir,
Sont charmez et vaincus, et reçoivent la flame
Qui trouble en un moment et captive son ame.
Il rougit ; il paslit. Clotilde d’autre-part
Jette sur le monarque un modeste regard.
Mais l’auguste splendeur sur le grand front brillante,
Et sa taille, et sa grace, et sa mine vaillante,
Ebranlant tout à coup sa sage fermeté,
Par un pudique feu domptent sa liberté.
Elle arreste son pas, rougissante et confuse.
Le respect pour la croix, luy sert de prompte excuse.
Elle tombe à genoux : et contre son transport
Elle demande à Christ et conseil et support.
Elle avance : il la suit d’une démarche émeuë.
Mais toûjours elle baisse, ou détourne la veuë.
Sa sagesse combat l’espoir d’un heur si grand ;
Et tache a repousser l’amour qui la surprend.
Mais malgré sa pudeur religieuse et fiere,
Souvent son œil s’échape, en levant la paupiere.
Puis sa honte severe, ainsi qu’un grand forfait,
Blasme la trahison que son regard luy fait.
Elle sort incertaine, et confuse et vermeille.
Elle prie, elle jeusne, à son dieu se conseille.
Elle invoque Denis, l’apostre des gaulois,
Qui par le doux secours d’une sensible voix,
Au celeste vouloir veut qu’elle s’abandonne ;
Et des puissans françois luy promet la couronne.
Elle consulte Avite en son douteux soucy :
Et d’enhaut inspiré je le consulte aussy.
Du divin Daniel je leur dis les promesses :
Et j’étalle à leurs yeux de brillantes richesses :
Afin que par leur prix tous deux puissent sçavoir
Et le rang de mon maistre, et quel est son pouvoir.
Clotilde et le prelat, par un divin message,
Ont un ordre pressant d’ayder au grand ouvrage :
Toutefois sans espoir que son oncle inhumain
De son gré la remette en si puissante main.
Le beau couple, en secret, s’assemble aux yeux d’Avite.
Un precieux anneau rend leur flame licite :
Et les divins conseils, et du roy la splendeur,
Pour accepter le gage, ayderent la pudeur.
Un rouge estincellant au visage leur monte,
A l’un par le transport, à l’autre par la honte.
Clovis touche sa main : elle promet sa foy,
Si tost que des chrestiens il connoistra la loy.
La fuite est resoluë, et soudaine, et secrete.
Sur les bords de la Saône, à Gondebaut sujete,
Nous enlevons Clotilde, aydez du prompt secours
Des chevaux relayez, dont nous pressons le cours.
Nous quitions ses estats, quand une nuë épaisse.
Mais j’entens quelque bruit. Sçache enfin que sans cesse
L’enfer jaloux des biens à l’eglise promis,
Nous a fait éprouver ses charmes ennemis.
Ce bruit, dit le saint homme, est ta soigneuse suite,
Qui te cherche en ce bois, du ciel mesme conduite.
De combien de plaisirs as-tu charmé mes sens ?
Et combien du grand dieu les secours sont puissans ?
Les escuyers passoient : l’hermite les appelle.
Ils bénissent, ravis, la rencontre d’Aurele.
Que des armes, dit-il, chacun porte une part.
Chacun reçoit sa charge, et s’appreste au départ.
Aurele prend l’épée ; et de l’escu se pare :
Tient la lance en sa droite ; et du saint se separe,
Apres un doux baiser, entre-meslé de pleurs,
Que par les yeux la joye attire de leurs cœurs.
Ils repassent trois fois la Seine tournoyante.
Apres leurs pas s’amasse une troupe ondoyante,
De passans estonnez, ravis, et curieux,
A l’or estincellant attachez par les yeux.
Le saint triomphe arrive en la ville peuplée.
Une presse plus grande est autour assemblée.
Tous semblent, en suivant d’un regard arresté,
En triomphe conduits, comme un peuple dompté.
Ainsi quand des romains les foules estonnées
Voyoient les rois vaincus, les reines enchaisnées,
La dépoüille conquise, et les satrapes fiers,
Traisnez par les vainqueurs couronnez de lauriers,
Et le tresor barbare, et les vases antiques,
Et les vains ornemens des monarques pontiques,
Les curieux regards, au spectacle attentifs,
Suivoient la riche pompe, et les princes captifs.
Aurele entre au palais : le bruit par tout resonne.
Clovis court au balcon : la merveille l’estonne.
Et l’or par le soleil frapé de toutes parts,
Renvoyant les rayons, ébloüit ses regards.
Le celeste present par l’escalier arrive.
Le roy le regardant d’une veuë attentive,
De l’or et de l’ouvrage a tous les sens touchez :
Puis aux propos d’Aurele il les tient attachez ;
Apprenant que du ciel la bonté favorable
Luy fait ce grand present, et riche, et secourable.
Mais il faut en un lieu loin d’oreilles et d’yeux,
Déposer les secrets, et le don precieux.
Clovis luy dit soudain le mal-heur de sa flame ;
De Clotilde la fuite, et l’insolence infame :
Les regrets, les dépits, dont il est accablé ;
Puis luy monstre l’écrit dont son sens est troublé.
Aurele souriant à tant de plaintes vaines,
D’un seul trait de pitié ne console ses peines :
Luy découvre l’erreur de ses sens aveuglez :
D’Albione la fourbe, et les feux déreglez :
Et la grace du ciel, certaine et continuë,
Que promet Genevieve, au grand prince connuë.
Mais avec ce harnois, dit-il, tu dois sçavoir
Que nul charme sur toy jamais n’aura pouvoir.
Son esprit allegé de ses douleurs cruelles,
Gouste et boit à longs traits tant d’aimables nouvelles
Et pour recompenser le present precieux,
Et l’agreable amas de soins officieux,
Luy donne de Melun la ville, et le domaine,
Agreable et fecond par les flots de la Seine :
Et de duc de haut rang, par ses faits merité.
Puis d’une riche épée il orne son costé,
Dont la garde est d’or pur, de diamans brillante,
Digne d’estre en la main et fidele et vaillante.
Le charme fait qu’encore il doute quelquefois.
Le duc le presse alors d’endosser le harnois.
Il s’arme ; et void soudain en son ame contente,
Albione trompeuse, et Clotilde constante.
D’une simple bergere admirable sçavoir !
Le ciel l’aime, dit-il, et je sçay son pouvoir.
Ma voix n’a peû jamais repousser ses demandes,
Quoy qu’à mon gré souvent importunes et grandes.
Et son zele animé d’un langage puissant,
M’arrache le coupable, ainsi que l’innocent.
Le roy mon pere un jour dévoüoit au suplice
Un mortel dont le crime irrita sa justice.
Il craint que Genevieve, esperant l’obtenir,
N’accourust de Nanterre ; il veut la prevenir.
Il fit de la cité barrer toutes les portes.
La vierge les ouvrit par ses paroles fortes.
Et comment n’eût le roy fleschy sous cette voix,
Sous qui fleschit le fer, et l’insensible bois ?
Mais je la veux oüir, bien qu’en toy je me fie ;
Afin qu’en mon bon-heur elle me fortifie.
On la mande : elle vient au desir de son roy ;
Donne au discours d’Aurele une plus grande foy ;
Void le present celeste ; et frémissante d’aise,
En admire l’ouvrage, et l’honore, et le baise.
Va, mon prince, dit-elle, armé de ce harnois,
Punir de Gondebaut l’injurieuse voix.
Il dit que tu le fuis : mais pour l’heur de ton trône,
Va conquerir d’un coup et Clotilde et la Saône.
Desja du bourguignon Clovis se sent vainqueur,
Et par le saint oracle, et par son propre cœur.
Il veut que tout guerrier pour le départ s’appreste ;
Et ne médite plus que vangeance et conqueste.
Puis il pense à Clotilde ; et pour la soulager,
Par l’advis de la sainte, au secret messager
Il confie un écrit, où de la fourbe noire
A sa chere princesse il abrege l’histoire :
Que dans ce prompt départ, qui pouvoit l’irriter,
Il avoit creû la suivre, et non pas la quitter :
Que l’accuser de fuite, est luy faire un outrage :
Qu’il n’a jamais manqué d’amour ny de courage.
Qu’en vain s’enfle l’orgueil de son oncle endurcy,
Dont il va se vanger, et la vanger aussi.
Par un mot adjousté, Genevieve l’exhorte
Au zele, à la souffrance, à la constance forte ;
De Dieu luy promet l’ayde, et que dans peu de mois
Sa main doit soustenir le sceptre des françois.
Mais qu’une autre couronne, éclatante, eternelle,
Sur les astres l’attend, qui sera bien plus belle.
Cependant, par les soins du sensible Lisois,
Yoland se void saine, elle vest le harnois,
S’enfuit avec sa suite ; et de sens dépourveüe,
D’ennemy ny d’amant ne peut souffrir la veüe.
Confuse elle se cache aux bois les plus secrets,
Les soûpirs en la bouche, en l’ame les regrets.
Elle plaint de ses vœux la honteuse impuissance ;
Et sa foible valeur qui trompa sa vangeance.
Dans le forts de Senar, elle sent nuit et jour
Le cuisant feu de haine allumé par l’amour.
La soigneuse Chromis, et l’aimable Myrrhine,
Qui de ses maux cruels ignoroient l’origine,
Couroient apres ses pas, versant autant de pleurs
Que son front rougissant leur monstroit de douleurs.
Ainsi courut la reyne aux bocages de Crete,
Attainte d’une ardeur et honteuse et secrete.
Ses suivantes par tout accompagnoient ses pas.
Elles voyoient sa peine, et ne la sçavoient pas.
Yoland, vers le fonds d’une vallée obscure,
Et d’armes et de voix entend un sourd murmure.
Elle court, et découvre un guerrier abbatu,
Dont sous le nombre seul succomboit la vertu.
Quatre, d’armes couvers, de leurs glaives le pressent.
Les chevaux écartez de l’herbage se paissent.
De cet outrage émeuë en son cœur valeureux,
Elle tire l’épée, et va fondre sur eux.
De l’un, par un fendant, elle entame la teste.
Un autre se retourne, et contr’elle s’appreste.
La princesse l’abbat du choc de son coursier :
Puis au flanc découvert luy plonge son acier.
Chromis en blesse un autre ; et Myrrhine l’acheve.
Le guerrier secouru, d’un prompt saut se releve :
Attaque le dernier ; et le perçant de coups,
Dans le trépas d’un seul, croit se vanger de tous :
Puis vient pour rendre grace à la main secourable.
Yoland luy fait voir son visage admirable.
Ma sœur, dit le guerrier, ah ! Qu’est-ce que je voy ?
Secours doublement cher ! Ah ! Ma sœur, est-ce toy ?
De son casque soudain sa teste dépoüillée,
Rend de son grand éclat la troupe émerveillée.
Sa longue tresse brune, ornant son teint vermeil,
Leur fait voir que son sexe à leur sexe est pareil.
Elle leur tend les bras ; mais leur est inconnuë.
D’un juste estonnement Yoland retenuë,
Ne rend pas ses baisers. Lors la brune aux yeux doux,
Va chercher attentive, entre les durs cailloux,
L’herbe aux charmes contraire, à la feüille argentine,
L’armoise ; et la pressant de sa levre pourprine,
Trois fois redit trois mots : puis soudain leur fait voir
Ses tresses de poil blond, pour des flots de poil noir.
Elle revient changée, et paroist Albione.
Aussi-tost aux baisers Yoland s’abandonne.
Pourquoy donc cachois-tu, dit-elle, ta beauté,
Sous le déguisement d’un éclat emprunté ?
Albione rougit de l’enqueste importune.
Pour mieux cacher mon nom, dit-elle, et ma fortune,
Et combattre inconnuë en ces lieux estrangers.
Mais je devois prevoir les infames dangers ;
Et déguiser mon sexe ; ou paroistre moins belle.
Je goustois la douceur d’une onde qui ruisselle ;
Et le repos de l’ombre agreable à mes vœux,
Ayant du casque lourd soulagé mes cheveux.
Ces impudens guerriers, cherchant le mesme ombrage,
Descendent au ruisseau, contemplent mon visage,
Attaquent ma pudeur de propos insolens,
Puis veulent que je cede à leurs desirs brulans.
Je me couvre du casque ; à l’écart je m’élance ;
Et mets le fer au poing contre leur violence.
Mais sans l’heureux secours de ma vaillante sœur,
Mon bras ne m’eût esté qu’un foible deffenseur.
Enfin leur flame impure, en leur sang estouffée,
Ne peut plus de ma honte élever un trophée.
Mais mon cœur, par leur mort, n’est vangé qu’à demy.
Tout franc soit pour jamais mon mortel ennemy.
Je fay vœu de perir, ou d’esteindre leur race.
Seconde, chere sœur, ma vangeresse audace.
Joignons nous, pour guerir mon courage offensé.
Laisse agir ta valeur, comme elle a commencé.
Toutes deux à l’instant, d’un mesme feu pressées,
Donnent ce faux pretexte à leurs ames blessées :
Et jurent d’immoler à leurs cœurs dépitez,
Les francs qui s’offriront à leurs yeux irritez.
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