La Macédoine, a dit Montesquieu, était presque entourée de
montagnes inaccessibles; les peuples en étaient très propres à la guerre,
courageux, industrieux, obéissants, infatigables, et il fallait bien qu'ils
tinssent ces qualités du climat, puisque encore aujourd'hui les hommes de ces
contrées sont les meilleurs soldats de l'empire des Turcs[1].
Philippe II (359-336 av. J.-C.) fut le premier roi de
Macédoine qui organisa, au milieu d'immenses difficultés, la puissance de son
royaume. Un cercle d'ennemis entourait la Macédoine, et les déchirements
intérieurs ouvraient la porte aux étrangers. Philippe s'attacha les Macédoniens
en les unissant sous une forte discipline; au dehors, il repoussa les Péoniens,
les Illyriens et les Thraces et leur imposa des tributs. Puis, se trouvant trop
resserré dans les
bornes étroites de son royaume, il voulut l'agrandir sur les débris de la Grèce,
et comprit que pour parvenir à son but il lui fallait une marine.
A cette époque, la mer Égée était le théâtre de brigandages
incessants; Athènes ruinée avait perdu l'empire de la mer. Alexandre, tyran de
Phères, était, au dire de Xénophon[1],
un voleur de grands chemins et pirate sur mer. A la tête de la première flotte
que les Thébains équipèrent, Alexandre battait une escadre athénienne et entrait
au Pirée. Continuant ses exploits, il pillait Ténos, en vendait les habitants et
ravageait les Cyclades. Grâce à la confusion qui existait dans les affaires de
la Grèce, les pirates reparaissaient de tous côtés, et lorsqu'ils s'étaient
enrichis, pour faire une fin, ils conquéraient quelque ville et s'y déclaraient
tyrans. Ce fut ainsi qu'un ancien pirate du nom de Charidémos s'empara sur les
côtes d'Asie de Scepsis, de Cébren, d'Ilion, et y régna. Philippe trouva le
moment opportun pour s'emparer de l'empire de la mer. Pour réussir dans son
projet, mais sous prétexte de nettoyer les mers des pirates qui les infestaient,
il équipa une flotte et fit construire des arsenaux où ses officiers exerçaient
matelots et pilotes. Il occupa Pydna, sur le golfe Thermaïque, puis Amphipolis
qui, par sa position aux bouches du Strymon, ouvrait ou fermait la mer à la
Macédoine. Cependant
il crut devoir tout d'abord rechercher l'alliance des Athéniens, et leur
proposa, en effet, de réunir leurs vaisseaux aux siens pour chasser les
corsaires qui troublaient la liberté de la navigation. On fit voir aux Athéniens
que Philippe voulait se servir d'eux contre eux-mêmes, qu'à la faveur de cette
confédération, il irait suborner leurs alliés, pour les gagner à force d'argent
et de promesses, et visiter leurs îles dans le dessein de s'en rendre maître.
Philippe, voyant ses projets découverts, poussa ses conquêtes
par terre. Il prit la ville d'Olynthe, malgré le secours de trente vaisseaux
envoyés par les Athéniens sur les exhortations de Démosthène. Il sut profiter
habilement des divisions qui avaient armé les villes de la Grèce les unes contre
les autres, pour étendre sa puissance. Il ne perdit point de vue sa marine et
chercha des places plus avantageuses pour l'établir. Il se fixa sur Héraclée et
sur Byzance, deux villes qui lui paraissaient bien situées pour les expéditions
navales qu'il méditait. Il en fit le siège, mais Démosthène décida les Athéniens
à envoyer aux Byzantins, leurs alliés, un secours de cent vingt galères sous le
commandement de Phocion, renforcées encore des vaisseaux de Chio, de Rhodes et
d'autres îles. Cette flotte obligea Philippe à lever le siège et à se retirer
après avoir perdu la plus grande partie de ses navires.
Ces expéditions malheureuses avaient épuisé les finances du roi de Macédoine.
Pour les réparer, il fit le métier de pirate[1].
Il courut les mers avec ses vaisseaux et enleva ainsi cent soixante-dix
bâtiments chargés de marchandises dont le butin lui fut d'une grande ressource
pour continuer la guerre. Les îles de Thasos et de Halonèse tombèrent en son
pouvoir. Il ruina le commerce de toutes les Cyclades, prit et livra au pillage
un grand nombre de villes, fit vendre à l'encan les femmes et les enfants, et
n'épargna ni les temples, ni les édifices sacrés. De la Chersonèse, il passa en
Scythie pour la ravager et couvrir les frais d'une guerre par les profits d'une
autre, comme pourrait le faire un marchand.
Pendant les conquêtes d'Alexandre le Grand, fils de Philippe
de Macédoine, les corsaires ne cessèrent pas d'écumer la mer et de commettre
mille ravages sur les côtes et dans les îles. Les Perses qui avaient une marine
beaucoup plus forte que celle des Macédoniens, encourageaient eux-mêmes la
piraterie et le pillage des établissements grecs. Après la défaite de Darius et
la ruine de Tyr, la grande ville phénicienne, Alexandre se fit un devoir de
rétablir la sécurité sur la Méditerranée. Il chargea ses amiraux Amphothère et
Égéloque de nettoyer la mer et d'imposer
sa domination dans les îles. Le grand conquérant
remplissait ainsi le rôle du vieux Minos. Partout les pirates furent traqués,
pris et envoyés au supplice. Le plus célèbre corsaire de cette époque, Dionides,
fut fait prisonnier. On le conduisit devant Alexandre qui lui demanda pourquoi
il s'était arrogé ainsi l'empire de la mer. «Pourquoi saccages-tu toi-même toute
la terre? répondit Dionides.—Je suis roi, dit Alexandre, et tu n'es qu'un
pirate.—Qu'importe le nom? reprit Dionides, le métier est le même pour tous
deux: Dionides vole des navires et Alexandre des empires. Si les dieux me
faisaient Alexandre et toi Dionides, peut-être serais-je meilleur prince que tu
ne serais bon pirate!»
En répondant ainsi, Dionides était moins effronté qu'on ne
croit: la piraterie n'était-elle pas un métier comme un autre, et, en
poursuivant et en punissant Dionides, Alexandre pouvait-il oublier que les
antécédents de la maison de Macédoine étaient entachés de piraterie?
Ce ne fut pas seulement en conquérant qu'Alexandre parcourut
et soumit une grande partie de l'Asie, chacun de ses actes après la victoire
décèle une politique aussi sage qu'habile. Partout il respecta les mœurs, les
coutumes et la religion des peuples dont il triomphait. Il chercha surtout à
opérer une fusion civilisatrice entre des races différentes. Il forma de grands
projets touchant la marine; la mort seule en
empêcha l'exécution. Il fonda Alexandrie dans une
heureuse situation pour avoir un commerce actif avec les Indes et l'Éthiopie par
la mer Rouge et le Nil, et avec l'Europe et l'Afrique par la Méditerranée. Il la
plaça entre Tyr et Carthage pour y attirer le commerce de ces deux villes et
pour les mieux dominer. Sous les Ptolémées, l'Égypte devint le plus grand marché
de l'univers.