La lumière n'est pas encore faite sur l'origine des
Étrusques. D'où venaient-ils? Les anciens eux-mêmes l'ignoraient. Les Grecs les
désignaient sous le nom de Tyrrhènes ou Tyrrhéniens, et les Latins sous celui de
Tusci (Turci, nom dérivé de Turrhènes[1]).
Les Grecs parlaient souvent de la mer tyrrhénienne et de la trompette
tyrrhénienne à forme recourbée. Ils appelaient souvent aussi ce peuple les
Pélasges Tyrrhènes et le confondaient avec les Pélasges. Denys d'Halicarnasse
affirme, au contraire, que ces deux peuples vivaient ensemble, mais qu'ils
constituaient des races différentes, présentant une situation que nous pourrions
assimiler à celle des Gallo-Romains par exemple. La question de l'origine des
Étrusques ne sera résolue que le jour où la clef de leur langue
sera retrouvée[2].
Quant à leur alphabet, on peut considérer comme certain qu'il dérive de
l'alphabet grec archaïque. MM. Ottfried Muller, Steub, Mommsen, Maury, ont
prouvé que les Étrusques reçurent des Grecs l'écriture. C'était l'opinion de
Tacite[3].
Les Étrusques ne connaissaient pas les arts avant l'arrivée
des colons grecs; ils se formèrent sous la direction de ces derniers, mais leurs
œuvres ont conservé un cachet original, et plusieurs de leurs représentations,
telles que celles de certaines divinités et de femmes ailées, leur sont
essentiellement propres et nationales.
Quoi qu'il en soit, le peuple que les Grecs désignaient sous
le nom de Tyrrhéniens a précédé comme puissance maritime les Grecs et les
Phéniciens eux-mêmes. Ces Tyrrhéniens passaient pour des écumeurs de mer; les
anciens les appelaient «les farouches Tyrrhéniens». Une tradition dont j'ai
parlé rapportait que les Argonautes les auraient déjà rencontrés sur les mers et
que Bacchus aurait été fait prisonnier par ces pirates tyrrhéniens. Nous les
avons vus aussi dans leurs tentatives d'invasion en Égypte sous les dix-neuvième
et vingtième dynasties.
Le centre de l'empire tyrrhénien ou étrusque était la contrée qui s'étend entre
l'Arno, l'Apennin et le Tibre, qui aujourd'hui encore conserve le nom de
Toscane. Les Étrusques étaient constitués en douze cités avec un chef «lucumo».
Cette constitution avait le même caractère que celle de la société ionienne, qui
représente le mieux les traditions pélasges. De ces douze villes, appelées par
Tite-Live «les têtes de la nation[1]»,
partirent des colonies qui étendirent la puissance des Étrusques. Il y eut une
Étrurie dans le bassin du Pô dont les villes les plus célèbres furent Adria, qui
donna son nom à la mer Adriatique, Felsina et Mantua. Au delà du Tibre, Fidènes,
Crustuminia et Tusculum, colonisées, ouvrirent aux Étrusques la route vers les
pays des Volsques et des Rutules, qui furent assujettis[2],
et vers la Campanie, où, 800 ans avant notre ère, se forma une nouvelle Étrurie
dont Vulturnum, Nola, Acerræ, Herculanum et Pompeï furent les principales cités.
Enfin, les Étrusques, possesseurs de vastes rivages et de ports nombreux,
dominèrent dans les deux mers italiennes, dont l'une portait leur nom même «Tuscum
mare», et l'autre celui d'une
de leurs colonies. Ils formèrent aussi des
établissements dans les îles voisines, notamment en Corse et en Sardaigne; ils
occupèrent même une partie de l'Espagne, car le nom de Tarago (Aragon)
est étrusque. Au temps de la fondation de Rome, ils avaient, selon Tite-Live[3],
rempli du bruit de leur nom la terre et la mer dans toute la longueur de
l'Italie, depuis les Alpes jusqu'au détroit de Sicile.
Des ports de Luna, de Pise, de Télamone, de Gravisca, de
Populonia, de Pyrgi, partaient des navires qui allaient faire le négoce et la
course depuis les colonnes d'Hercule jusque sur les côtes de l'Asie-Mineure et
de l'Égypte[4]. Les Étrusques
étaient de grands métallurgistes; ils exploitèrent d'une manière savante les
mines de la Maremme et de l'île d'Elbe. Leurs œuvres d'art en bronze surtout,
qui excitent encore notre admiration, étaient fort recherchées dans l'antiquité.
L'histoire nous apprend qu'à l'époque de la deuxième guerre punique, la ville de
Populonia fournit à Scipion l'Africain tout le fer dont il avait besoin pour son
expédition contre Carthage[5].
Enclins à la violence et au pillage, les Étrusques furent
l'effroi des Hellènes, pour qui le grappin d'abordage était d'invention
tyrrhénienne. Corsaires audacieux
et féroces, ils se postaient sur le cap escarpé de
Sorrente et sur le rocher de Capri, d'où ils commandaient tout le golfe de
Naples et la mer tyrrhénienne, pour y guetter une proie à saisir au passage.
Toutes les peuplades de l'Italie primitive, du reste, vivaient de brigandage. Le
soir, des feux étaient allumés le long des côtes pour attirer les navigateurs
comme dans un port, et aussitôt descendus à terre, les malheureux étaient
massacrés et leur cargaison était pillée et emportée dans des bourgs fortifiés,
oppida, placés au sommet d'un rocher presque inaccessible. Ces
populations ont conservé les mêmes instincts, et il n'y a pas longtemps qu'elles
guettaient encore les navires ou les barques qui se réfugiaient, en cas de
mauvais temps, dans les criques de la côte, et s'en emparaient. Elles faisaient
même des prières pour que les naufrages fussent nombreux sur leurs rivages.
J'ai dit que Carthage jugea prudent de faire avec l'Étrurie,
puissante sur mer, une alliance armée pour lutter contre l'envahissement de la
race hellénique, et que l'empire maritime tusco-carthaginois s'écroula après les
désastres des Carthaginois en Sicile et la défaite des Étrusques devant Cumes
(475 av. J.-C.). L'Étrurie, menacée de tous côtés et dépourvue de lien politique
serré et fort, succomba sous les coups de Rome, qui livra ses villes opulentes
au pillage. Devenue province romaine, elle ne joua plus
aucun rôle
politique, et quand Tibérius Gracchus la traversa au retour de Numance, il fut
effrayé de sa dépopulation.
Au nord de l'Étrurie, le long des côtes de l'Italie et d'une
partie de celles de la Gaule, vivaient des peuples connus sous le nom de Ligures
et dont l'origine est aussi mystérieuse que celle des Étrusques et fait encore
le sujet de savantes controverses entre les historiens. Sur les côtes où ils
étaient divisés en petites nations, Apuans, Ingaunes, Intémèles, Védiantiens,
etc., ils vivaient de la pêche, du commerce, le plus souvent même de la
piraterie, qui alors était en honneur. Dès que la tempête commençait à troubler
les mers, ces hardis corsaires mettaient à flot leurs barques ou radeaux,
soutenus par des outres, et tombaient sur les navires étrangers. Gênes était
leur port principal; ils y avaient des chantiers de constructions navales, des
arsenaux et un marché national. Ils infestèrent souvent les côtes d'Étrurie et
d'Italie, où les anciens les redoutaient comme des hommes «rudes, farouches,
fourbes, perfides et intéressés[1]».
Les Phocéens de Marseille furent leurs premiers adversaires. Après avoir, eux
aussi, longtemps
exercé la piraterie[2], les
Massaliotes s'organisèrent en nation maritime de premier ordre. Ils enlevèrent
aux Ligures une partie de leur territoire et y fondèrent les colonies de
Tauroentium (La Ciotat), Olbia (Hyères), Antipolis (Antibes), Nicæa (Nice), etc.
Ils livrèrent de nombreux combats aux Ligures et aux Ibères, leurs rivaux sur
mer. Alliés avec Rome, les Phocéens parvinrent à donner la sécurité aux
navigateurs. Les Ligures se retirèrent dans les montagnes, où ils résistèrent
pendant un demi-siècle aux Romains.