Il restait à Rome, pour devenir complètement maîtresse de la
Méditerranée, à établir sa domination dans l'île de Cypre et en Égypte.
L'île de Cypre ne dépendait plus en réalité de l'Égypte, où,
du reste, la dynastie lagide, affaiblie par ses dissensions, dégradée par ses
vices, détestée pour ses crimes, n'avait plus qu'une autorité précaire. Elle
s'offrait comme une proie aux Romains.
Lorsque Clodius fut pris par les pirates, il manda au roi de
Cypre, Ptolémée, de lui envoyer l'argent nécessaire à sa rançon. Ptolémée était
riche, avare et lâche; il n'osa refuser, mais il n'envoya que deux talents, dont
les pirates ne voulurent pas se contenter. Ils relâchèrent cependant leur captif
sur parole, et Clodius jura de se venger d'un roi qui l'avait estimé si peu[1].
Étant devenu tribun, en l'an 59, le célèbre agitateur fit rendre un décret qui
déclarait l'île de
Cypre province romaine et qui ordonnait la confiscation des biens de Ptolémée.
Ce n'était pas assez pour Clodius d'écraser un faible prince, il se donna aussi
le plaisir de mortifier, d'humilier le fier Caton, en le chargeant de cette
honteuse mission. «A mes yeux, lui dit-il, tu es de tous les Romains l'homme
dont la conduite est la plus pure, et je veux te prouver que j'ai réellement de
toi cette haute idée. Bien des gens demandent, et avec de pressantes instances,
qu'on les envoie à Cypre, mais je te crois seul digne de ce commandement et je
me fais un plaisir de t'y nommer.»
Caton se récria que cette proposition était un piège et une
injure plutôt qu'une grâce. «Eh bien! reprit Clodius d'un ton fier et méprisant,
si tu ne veux pas y aller de gré, tu partiras de force.» Et il se rendit
aussitôt à l'assemblée du peuple, et il y fit passer le décret qui envoyait
Caton à Cypre, sans lui accorder ni vaisseaux ni soldats.
Par un coup de bonne fortune pour Caton, Ptolémée prit du
poison et se donna la mort. Il n'y avait plus qu'à recueillir la succession.
Caton se rendit dans l'île, où il trouva des richesses prodigieuses et vraiment
royales en vaisselle d'or et d'argent, en meubles précieux, en pierreries, en
étoffes de pourpre. Il fallut tout vendre. L'intègre Caton, jaloux que cette
vente se passât dans les règles, et voulant faire monter, dans l'intérêt du
trésor romain, les effets
à leur plus haute valeur, assista lui-même aux enchères et porta en
compte jusqu'aux moindres sommes. Il rapporta de Cypre près de 7,000 talents
(40,000,000 fr.); il en chargea des caisses qui contenaient chacune 2 talents
500 drachmes (environ 12,000 fr.). Il fit attacher à chaque caisse une longue
corde, au bout de laquelle on mit une grande pièce de liége, afin que si le
vaisseau venait à se briser, les pièces de liége, flottant sur l'eau,
indiquassent l'endroit où seraient les caisses. Tout cet argent, à peu de chose
près, arriva heureusement à Rome. Quand on vit porter à travers le Forum ces
sommes immenses d'or et d'argent, l'admiration pour Caton ne connut plus de
bornes. De tant de richesses, Caton ne s'était réservé qu'une statuette du
célèbre Zénon le stoïcien[1].
L'île de Cypre fut érigée en province prétorienne. Habituée
depuis de longues années à la domination étrangère, elle accepta celle de Rome
avec résignation.
En 58, le roi d'Égypte, Ptolémée Aulétès, «le joueur de
flûte», fils du roi de Cypre, fut chassé par son peuple. Il demanda l'appui des
Romains, et le proconsul de Syrie, Aulus Gabinius, fut chargé par les triumvirs
de faire le nécessaire pour le ramener dans ses États. Le peuple alexandrin
avait mis la
couronne sur la tête de Bérénice, fille aînée du roi expulsé, et lui avait
choisi pour époux Archélaos, grand prêtre de la déesse Ma, à Comæna. Celui-ci,
après avoir vainement tenté de gagner les hommes tout-puissants de Rome, résolut
de disputer son royaume les armes à la main. Il équipa une flotte, formée en
grande partie de pirates; mais Gabinius accourut en Égypte et remporta de
brillants succès, grâce à l'habileté du chef de cavalerie, Marc-Antoine, le
futur triumvir. Archélaos fut tué dans un combat et Ptolémée rétabli sur le
trône. A dater de ce jour, les Romains eurent un pied en Égypte. César, à qui
rien ne pouvait résister, après avoir conquis la Gaule et battu Pompée, organisa
l'Égypte et la donna à Cléopâtre.
Rome était enfin reine de la mer. Jusqu'à la mort de César il
ne fut plus question de la piraterie dans la Méditerranée.