L'exploit de piraterie peut-être le plus ancien est celui qui
est consigné dans la légende de Dionysos (Bacchus). L'enfance, l'éducation et
l'existence habituelle de Dionysos forment le sujet d'un cycle immense de
légendes, de descriptions poétiques et de représentations figurées. Dans toutes
ces œuvres, Dionysos figure comme un grand conquérant, comme un voyageur
infatigable, promenant ses orgies et son cortège par toute la Grèce et
l'Asie-Mineure. L'intervention de ce dieu dans la guerre des Géants est
plusieurs fois représentée sur les vases peints; dans cette lutte, il a pour
auxiliaires des animaux qui sont ses symboles, la panthère, le lion et le
serpent[1]. Les légendes
béotiennes[2] racontaient que
Bacchus avait vaincu Triton qui enlevait des troupeaux
sur les côtes, et ce
Triton ne devait être qu'un pirate puissant.
A Naxos, Bacchus triomphait du dieu marin Glaucus qui lui
disputait l'amour d'Ariadne. Dans cette même île, son culte supplanta celui de
Poséidon (Neptune), ce qui permet de supposer que Bacchus fit sentir sa
puissance belliqueuse sur mer aussi bien que sur terre.
Le plus éclatant de ses triomphes eut la mer pour théâtre. Il
le remporta sur les pirates tyrrhéniens. C'est le thème de l'hymne septième de
la collection homérique. Le dieu, prêt à quitter l'île d'Icaria pour se rendre à
Naxos, se montre sur la côte sous les traits d'un beau jeune homme appesanti de
sommeil et de vin. Des pirates tyrrhéniens, cherchant une proie, s'emparent de
lui et l'emmènent captif sur leurs vaisseaux. Mais ses liens se détachent
d'eux-mêmes, toutes les parties du navire sont subitement enveloppées de pampre
et de lierre; enfin, Dionysos prend la forme d'un lion, et les pirates
épouvantés se précipitent dans la mer où ils sont changés en dauphins. Dans les
versions postérieures, le récit va toujours en se surchargeant de nouveaux
prodiges. Ovide[1] a fait de
cette légende le sujet du troisième livre de ses Métamorphoses. C'est
également le motif de la belle frise du monument choragique
de Lysicrate à
Athènes, dans laquelle il est facile de reconnaître, malgré les mutilations qui
existent, un des traits de l'histoire de Dionysos, qui trouvait naturellement sa
place sur le monument d'une victoire remportée aux fêtes de ce dieu. Les
figures, au nombre de trente, représentent les pirates tyrrhéniens. Dionysos est
assis au centre de la composition, ayant un lion près de lui et entouré de
satyres; d'autres chargent de chaînes les pirates, les torturent avec des
torches ou les assomment à coups de thyrses. Quelques-uns de ces pirates se
jettent à la mer et opèrent leur transformation en dauphins[2].
Sur une plaque d'or, Bacchus, qui va combattre les
Tyrrhéniens, est représenté presque enfant, tenant lui-même les torches et
s'avançant sur les flots de la mer[3].
Un vase peint à figures noires est conforme aux données de
l'hymne homérique: le dieu est seul dans le vaisseau dont le mât est enveloppé
d'une vigne, autour nagent les Tyrrhéniens changés en dauphins[4].
La même fable était le sujet d'un des tableaux décrits
par Philostrate[5].
Enfin, sur certaines pierres gravées[6],
on voit un pirate demi transformé en dauphin et un dauphin avec un thyrse. Les
poètes qualifient quelquefois le dauphin de tyrrhenus piscis[7].
Cette légende de Bacchus et des Tyrrhéniens, si répandue dans
l'antiquité, prouve combien la piraterie remonte à une époque reculée
puisqu'elle nous ramène aux temps mythologiques. Il nous semble probable que la
légende de Jupiter enlevant Europe, celle d'Orphée et d'Eurydice, celles du
poète Arion, de Dédale et cent autres, immortalisées par les poètes, se
rapportent à des actes de piraterie. Dans une époque où la navigation était à
son enfance, il n'est pas étonnant de voir que les peuples se sont plu à se
figurer l'intervention des dieux.
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