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Le transport de la Mère de l'Ida à Rome (début de 204)
[XIX, 10]
(1) Déjà le moment des élections approchait, quand on apporta 
à Rome une lettre du consul Publius Licinius: son armée et lui, disait-il, 
étaient atteints d'une grave maladie, et l'on n'aurait pas pu se maintenir, si 
un mal de la même violence, et plus grave encore, ne s'était abattu sur 
l'ennemi; (2) aussi, comme il ne pouvait venir présider les élections, il 
proclamerait, si le sénat le jugeait bon, Quintus Caecilius Metellus dictateur 
aux élections. L'armée de Quintus Caecilius, il était, ajoutait-il, dans 
l'intérêt de l'État de la démobiliser; (3) car elle ne servait à rien pour le 
moment, alors qu'Hannibal avait déjà ramené les siens dans leurs quartiers 
d'hiver; et si grande était la violence du mal qui avait envahi le camp que, si 
on ne libérait pas ces soldats à la hâte, il semblait qu'aucun d'eux ne 
survivrait. Le sénat permit au consul de le faire, dans l'intérêt de l'État et 
en conscience.  
(4) À cette époque, les citoyens, à Rome, s'étaient, depuis 
peu, mis dans l'esprit un scrupule religieux, parce qu'on avait trouvé dans les 
livres sibyllins, consultés à cause de la fréquence exceptionnelle des pluies de 
pierres cette année-là, une prédiction disant qu'à (5) quelque moment qu'un 
ennemi étranger portât la guerre en Italie, on pouvait le chasser d'Italie et le 
vaincre, si l'on transportait la Mère de l'Ida de Pessinonte à Rome. (6) Cette 
prédiction, découverte par les décemvirs, avait d'autant plus frappé le sénat 
que les ambassadeurs qui avaient porté une offrande à Delphes rapportaient, eux 
aussi, et que, dans leurs sacrifices à Apollon Pythien, les entrailles avaient 
toujours été favorables, et que l'oracle avait répondu qu'une victoire, bien 
plus grande que celle dont les dépouilles leur permettaient de porter cette 
offrande, était proche pour le peuple romain. (7) À l'ensemble des raisons 
propres à leur donner le même espoir, ils ajoutaient cette inspiration de 
Scipion qui avait semblé présager la fin de la guerre, en réclamant la 
"province" d'Afrique. (8) Aussi, pour hâter la réalisation d'une victoire qui 
s'annonçait par les livres du destin, les présages et les oracles, ils 
examinaient et discutaient les moyens de transporter à Rome la déesse. 
Arrivée de la déesse. Élections à Rome (printemps 204)
[XIX, 11]
(1) Le peuple romain n'avait encore aucune cité alliée en 
Asie; toutefois, en se rappelant que jadis on avait fait venir, pour assurer la 
santé du peuple romain, Esculape, lui aussi, de la Grèce, qui n'était encore 
unie avec Rome par aucun traité, (2) et que maintenant on avait déjà, avec le 
roi Attale, à cause de la guerre menée avec lui contre Philippe, un commencement 
d'amitié, on pensa qu'il ferait ce qu'il pourrait pour le peuple romain. (3) On 
décide de lui envoyer comme ambassadeurs Marcus Valerius Laevinus, qui avait été 
deux fois consul et avait fait campagne en Grèce, Marcus Caecilius Metellus, 
ancien préteur, Servius Sulpicius Galba, ancien édile, et deux anciens 
questeurs, Cneius Tremellius Flaccus et Marcus Valerius Falto. (4) Un décret 
leur donne cinq quinquérèmes, pour qu'ils abordent d'une façon conforme à la 
dignité du peuple romain sur ces terres où il fallait donner du prestige au nom 
romain.  
(5) Les ambassadeurs, en gagnant l'Asie, ayant, chemin 
faisant, débarqué à Delphes, allèrent demander à l'oracle, pour la mission qu'on 
les envoyait remplir de Rome, quel espoir de la mener à bien il leur donnait, à 
eux et au peuple romain. (6) L'oracle répondit, à ce qu'on rapporte, que, grâce 
au roi Attale, ils obtiendraient ce qu'ils demandaient; et que, quand ils 
auraient transporté à Rome la déesse, ils devaient veiller à ce que ce fût 
l'homme le meilleur de Rome qui lui donnât l'hospitalité. (7) À Pergame, ils 
arrivèrent chez le roi. Il les reçut aimablement, les conduisit à Pessinonte en 
Phrygie, leur remit la pierre sacrée dont les habitants disaient qu'elle était 
la Mère des Dieux, et les invita à l'emporter à Rome. (8) Envoyé en avant par 
ses compagnons d'ambassade, Marcus Valerius Falto annonça qu'on apportait la 
déesse, et qu'il fallait rechercher l'homme le meilleur de la cité, pour qu'il 
lui offrît l'hospitalité selon la prescription de l'oracle. 
(9) Quintus Caecilius Metellus fut nommé, par le consul alors 
dans le Bruttium, dictateur aux élections, et son armée licenciée; le maître de 
la cavalerie fut Lucius Veturius Philo. (10) Le dictateur présida les élections. 
On nomma consuls Marcus Cornelius Cethegus, et Publius Sempronius Tuditanus, qui 
était absent, ayant la "province" de Grèce. (11) Puis on nomma préteurs Tiberius 
Claudius Nero, Marcus Marcus Ralla, Lucius Scribonius Libo, Marcus Pomponius 
Matho. Les élections achevées, le dictateur se démit de sa charge. 
(12) On recommença trois journées des Jeux Romains, sept des 
Jeux Plébéiens. Les édiles curules étaient Cneius et Lucius Cornelius Lentulus; 
Lucius avait la "province" d'Espagne; il avait obtenu la charge d'édile étant 
absent, il l'exerça étant absent. (13) Tiberius Claudius Asellus et Marcus 
Junius Pennus furent édiles plébéiens. 
Marcus Marcellus dédia cette année-là, près de la porte 
Capène, le temple de la Valeur, seize ans après que son père, pendant son 
premier consulat, en eut fait le voeu en Gaule, à Clastidium. 
(14) Cette année-là aussi mourut le flamine de Mars, Marcus 
Aemilius Regillus. 
Conclusion de la paix avec Philippe à Phoenice (205)
[XIX, 12] 
(1) Pendant les deux dernières années, on avait négligé les 
affaires de Grèce. Aussi Philippe, les Étoliens étant privés du secours des 
Romains, le seul auquel ils se fiassent, les força à demander et à conclure la 
paix aux conditions qu'il voulut. (2) S'il n'avait hâté de toutes ses forces la 
conclusion de cette affaire, pendant qu'il se serait trouvé en guerre contre les 
Étoliens, le proconsul Publius Sempronius, envoyé, pour succéder à Sulpicius 
dans son commandement, avec dix mille fantassins, mille cavaliers et trente-cinq 
vaisseaux de guerre, appoint considérable pour porter secours à des alliés, 
l'aurait écrasé.  
(3) À peine la paix faite, la nouvelle parvint au roi que les 
Romains étaient arrivés à Dyrrachium, que les Parthini et d'autres nations 
voisines s'étaient soulevés dans l'espoir d'une révolution, et que Dimallum 
était attaqué: (4) les Romains s'étaient tournés de ce côté au lieu d'aller là 
où ils étaient envoyés, au secours des Étoliens, dans leur colère de voir que 
ceux-ci, sans leur assentiment, et contrairement au traité, avaient fait la paix 
avec le roi. (5) À cette nouvelle, Philippe, craignant un soulèvement plus 
important chez les nations et les peuples voisins, se dirige à grandes étapes 
sur Apollonie, où Sempronius s'était retiré après avoir envoyé son lieutenant 
Laetorius, avec une partie des troupes et quinze vaisseaux, en Étolie, pour 
examiner la situation, et, si possible, troubler la paix.(6) Philippe dévasta le 
territoire d'Apollonie et, approchant ses troupes de la ville, offrit la 
bataille au Romain; (7) quand il vit que celui-ci se contentait de garder 
tranquillement les remparts, n'étant pas assez sûr de ses forces pour attaquer 
la place et désirant faire, avec les Romains comme avec les Étoliens, la paix, 
s'il le pouvait, sinon, une trêve, au lieu d'attiser encore les haines par une 
nouvelle bataille, il se retira dans son royaume. 
(8) Pendant la même époque, les Épirotes, dégoûtés de la 
longueur de la guerre, après avoir sondé les dispositions des Romains, 
envoyèrent des ambassadeurs proposer à Philippe une paix générale, (9) affirmant 
leur conviction qu'elle serait conclue, s'il venait à une entrevue avec Publius 
Sempronius, le général en chef romain. (10) On obtint facilement du roi - car il 
ne répugnait pas à faire la paix - qu'il passât en Épire. (11) Phoenice est une 
ville d'Épire. Le roi, après s'y être entretenu avec Aeropus, Darda et Philippe, 
préteurs des Épirotes, se rencontre avec Publius Sempronius. (12) Assistèrent à 
l'entrevue Amynander, roi des Athamani, et d'autres personnages, magistrats des 
Épirotes et des Acarnaniens. Le préteur Philippe parla le premier, et demanda à 
la fois au roi et au général romain de mettre fin à la guerre, d'accorder cette 
faveur aux Épirotes. (13) Publius Sempronius mit pour conditions à la paix que 
les Parthini, Dimallum, Bargullum, et Eugenium appartiendraient aux Romains, que 
l'Atintania, si une ambassade envoyée à Rome l'obtenait du sénat, serait 
incorporée à la Macédoine. (14) La paix conclue à ces conditions, on fit 
comprendre dans le traité, du côté du roi Prusias, roi de Bithynie, les Achéens, 
les Béotiens, les Thessaliens, les Acarnaniens, les Épirotes; du côté des 
Romains, les gens d'Ilion, le roi Attale, Pleuratus, Nabis, tyran de Lacédémone, 
les Éléens, les Messéniens et les Athéniens. (15) Telles furent les conditions 
rédigées et signées en commun; et l'on conclut une trêve de deux mois, le temps 
d'envoyer des courriers à Rome pour faire voter par le peuple la paix à ces 
conditions. (16) Toutes les tribus la votèrent, parce que, les hostilités étant 
tournées contre l'Afrique, on voulait pour le moment être débarrassé de toutes 
les autres guerres. Publius Sempronius, la paix faite, quitta la province pour 
Rome, afin d'y exercer son consulat. 
Attribution des postes (mars 204)
[XIX, 13] 
		(1) Aux consuls Marcus Cornelius et Publius Sempronius - en cette 
		quinzième année de la guerre punique - un décret donna comme "provinces" 
		à Cornelius, l'Étrurie, avec une armée ancienne, à Sempronius, le 
		Bruttium, avec permission de lever de nouvelles légions. (2) Quant aux 
		préteurs, le sort donna à Marcus Marcius la préture urbaine, à Lucius 
		Scribonius Libo la préture pérégrine; et à tous deux en même temps, la 
		"province" de Gaule; à Marcus Pomponius Matho la Sicile; à Tiberius 
		Claudius Néron la Sardaigne.( 3) À Publius Scipion, avec l'armée, avec 
		la flotte qu'il avait, on prorogea pour un an son commandement. Il en 
		fut de même pour Publius Licinius, afin qu'il gardât le Bruttium avec 
		deux légions, tant que le consul jugerait utile à l'État qu'il restât 
		dans cette province avec son commandement. (4) Marcus Livius et Spurius 
		Lucretius, eux aussi, chacun avec les deux légions avec lesquelles ils 
		avaient défendu la Gaule contre Magon, virent leur commandement prorogé; 
		(5) Cneius Octavius également, afin qu'après avoir remis la Sardaigne et 
		sa légion à Tiberius Claudius, il protégeât lui-même, avec quarante 
		vaisseaux de guerre, le rivage de la mer, dans les limites qu'aurait 
		fixées le sénat. (6) Au préteur Marcus Pomponius, un décret donna, en 
		Sicile, l'armée de Cannes, deux légions; Titus Quinctius devait garder 
		Tarente, Caius Hostilius Tubulus Capoue, comme propréteurs, ainsi que 
		l'année précédente, l'un et l'autre avec la garnison ancienne. (7) Quant 
		au commandement en Espagne, la désignation des deux proconsuls à envoyer 
		dans cette province fut laissée au peuple. Toutes les tribus élurent les 
		mêmes hommes, Lucius Cornelius Lentulus et Lucius Manlius Acidinus, 
		comme proconsuls pour garder, ainsi qu'ils l'avaient fait l'année 
		précédente, ces provinces. (8) Les consuls se mirent à lever des 
		troupes, et afin d'enrôler de nouvelles légions pour le Bruttium, et 
		afin de fournir des renforts aux autres armées: ainsi le leur avait 
		ordonné le sénat. 
Réception de la Grande déesse à Rome (4 avril 204)
[XIX, 14]
(1) Quoique aucun décret n'eût encore fait ouvertement de 
l'Afrique une province (le sénat, je crois, gardait le secret là-dessus pour ne 
pas avertir d'avance les Carthaginois), Rome était tendue vers l'espoir qu'on 
irait, cette année, combattre en Afrique, et que la fin de la guerre punique 
était proche. (2) Cela avait rempli les esprits de superstitions: ils 
inclinaient à annoncer des prodiges et à y croire. (3) On n'en racontait que 
davantage: on avait vu deux soleils; pendant la nuit, il y avait eu des moments 
de clarté; à Setia, on avait aperçu une traînée de feu allant de l'orient à 
l'occident; à Tarracine une porte, à Anagnia une porte et le rempart, à 
plusieurs endroits, avaient été frappés de la foudre; dans le temple de Junon 
Sospita, à Lanuvium, il s'était produit un bruit accompagné de craquements 
affreux. (4) Pour détourner l'effet de ces prodiges il y eut un jour de 
supplications, et l'on fit un sacrifice de neuvaine pour une pluie de pierres.
 
(5) À cela s'ajouta le débat sur la réception de la Mère de 
l'Ida; non seulement Marcus Valerius, un des ambassadeurs, envoyé en avant, 
avait annoncé qu'elle serait bientôt en Italie, mais un messager était là depuis 
peu, disant qu'elle se trouvait déjà à Tarracine. (6) Il était d'importance, le 
jugement qui occupait le sénat: il cherchait l'homme le meilleur de la cité; (7) 
une victoire si véritable, sur un tel sujet, chacun l'eût préférée à tout 
commandement, à toute charge donnés par le vote soit du sénat, soit du peuple. 
(8) Ce fut Publius Scipion, fils du Cneius Scipion qui était tombé en Espagne, 
un jeune homme qui n'avait pas encore été questeur, qu'on jugea le meilleur de 
tous les citoyens. (9) Pour quelles vertus en jugea-t-on ainsi? Comme, si cela 
nous avait été rapporté par les écrivains les plus proches de cette époque, je 
le rapporterais volontiers à la postérité, de même je ne ferai pas intervenir 
des suppositions personnelles, en essayant de deviner une chose ensevelie par 
les ans. 
(10) Publius Cornelius reçut l'ordre d'aller, avec toutes les 
matrones, à Ostie, au-devant de la déesse; de la prendre lui-même au bateau, et, 
après l'avoir apportée à terre, de la donner à porter aux matrones. (11) Quand 
le bateau fut arrivé devant l'embouchure du Tibre, il se fit conduire au large, 
suivant les ordres qu'il avait reçus, par une barque, prit la déesse des mains 
des prêtres et la porta à terre. (12) Les femmes les plus nobles de la cité la 
reçurent; le nom d'une d'elles, Claudia Quinta, est célèbre: sa réputation, 
auparavant douteuse, dit-on, fit remarquer davantage, après qu'elle eut pu 
remplir un si saint ministère, sa chasteté à la postérité. (13) Se passant 
ensuite la déesse, de main en main, les unes aux autres, tandis que tous les 
citoyens se répandaient sur son chemin, après avoir placé des brûle-parfums 
devant leur porte là où elle passait, et que l'encens allumé, ils la priaient 
d'entrer de bon gré et favorable dans la ville de Rome, les femmes la portèrent 
au temple de la Victoire qui se trouve sur le Palatin, la veille des Ides 
d'avril; et ce jour resta férié. (14) Un peuple nombreux apporta au Palatin des 
offrandes à la déesse, et il y eut un lectisterne et des jeux, qu'on appela 
Mégalésiens. 
Rappel à l'ordre de douze colonies qui avaient refusé de 
fournir des contingents
[XIX, 15] 
(1) Alors qu'on délibérait sur les renforts à envoyer aux 
légions des provinces, certains sénateurs suggérèrent que c'était le moment, 
après avoir, dans une situation incertaine, souffert tant bien que mal certains 
abus, de ne pas les tolérer davantage maintenant que la bienveillance des dieux 
avait enfin fait disparaître la crainte. (2) Ayant ainsi excité l'attention du 
sénat, ils ajoutèrent que les douze colonies latines qui, sous le consulat de 
Quintus Fabius et de Quintus Fulvius, avaient refusé de fournir des soldats 
étaient, depuis près de six ans déjà, exemptes d'obligations militaires, comme 
si l'on voulait leur accorder un honneur ou une faveur, (3) tandis que les 
alliés dévoués et obéissants, en échange de leur fidélité et de leur docilité 
envers le peuple romain, étaient épuisés par les levées de troupes faites tous 
les ans sans exception.  
(4) Ces paroles rappelèrent aux sénateurs le souvenir d'une 
affaire déjà presque effacée, et n'irritèrent pas moins leur colère. (5) Aussi 
décident-ils, sans permettre aux consuls de leur soumettre avant aucune autre 
question, de leur faire mander à Rome les magistrats et dix notables de chacune 
des villes de Nepete, Sutrium, Ardea, Calès, Albe, Carseoli, Sora, Suessa, Setia, 
Cercei, Narnia et Interamna - c'étaient les colonies en cause -, (6) d'ordonner 
à chacune d'elles de fournir, comme fantassins, le double du plus grand nombre 
de soldats qu'elle aurait fourni au peuple romain depuis que l'ennemi était en 
Italie, et, en outre, cent vingt cavaliers; (7) si l'une d'elles ne pouvait 
atteindre ce nombre de cavaliers, il lui serait permis, ajouta le sénat, de 
donner trois fantassins pour un cavalier; fantassins et cavaliers seraient 
choisis aussi riches que possible, et envoyés partout où, hors de l'Italie, on 
aurait besoin de renfort. (8) Si certains refusaient, on retiendrait à Rome les 
magistrats et les envoyés de cette colonie, et on ne leur accorderait aucune 
audience du sénat - s'ils le demandaient - avant qu'ils eussent fait ce qu'on 
leur ordonnait. (9) En outre, comme tribut, on imposerait à ces colonies, et 
l'on exigerait d'elles chaque année, un as pour mille recensés; le cens y serait 
établi selon une règle donnée par les censeurs de Rome (10) - on décida que ce 
serait la même que pour le peuple romain -, et les rôles seraient présentés à 
Rome par les censeurs assermentés des colonies avant leur sortie de charge. 
(11) Par suite de ce sénatus-consulte, les magistrats et les 
notables de ces colonies furent mandés à Rome; et, les consuls leur ordonnant de 
fournir les soldats et le tribut, ils refusaient à l'envi, se récriaient, 
déclaraient impossible de fabriquer tant de soldats; (12) ils auraient de la 
peine, disaient-ils, si l'on exigeait d'eux le simple chiffre prévu par le 
traité d'alliance, à se tirer d'affaire; ils priaient, ils adjuraient les 
consuls de leur permettre de se présenter au sénat pour le supplier de les 
épargner. (13) Ils n'avaient, ajoutaient-ils, commis aucun crime qui méritât la 
mort; mais même s'ils devaient périr, ni leur faute, ni la colère du peuple 
romain ne pouvaient leur faire fournir plus de soldats qu'ils n'en avaient. (14) 
Les consuls, inflexibles, ordonnent aux notables de rester à Rome, aux 
magistrats d'aller chez eux faire les levées: s'ils n'amenaient pas à Rome le 
nombre total de soldats exigé d'eux, nul ne leur accorderait une audience du 
sénat. (15) Voyant ainsi fauché leur espoir de se présenter au sénat et de le 
supplier, ils menèrent à bien les levées de troupes dans les douze colonies, 
sans difficulté, la longue exemption dont ils avaient joui ayant accru le nombre 
des mobilisables. 
Remboursement de la dette publique
[XIX, 16]
(1) Une seconde affaire, presque aussi longtemps négligée et 
passée sous silence, fut rappelée à l'attention par Marcus Valerius Laevinius, 
qui dit que les sommes avancées à l'État sous son consulat et celui de Marcus 
Claudius par des particuliers, il était équitable de les leur rendre enfin; (2) 
personne, ajouta-t-il, ne devait s'étonner qu'il eût un souci particulier de cet 
engagement public; car, outre qu'il touchait en quelque sorte personnellement le 
consul de l'année où ces sommes avaient été avancées, c'était lui-même qui avait 
pris l'initiative de ces contributions, alors que le trésor était vide et que le 
peuple ne suffisait pas au tribut. (3) Ce rappel fut bien accueilli par le 
sénat; les consuls ayant été invités à mettre l'affaire à l'ordre du jour, on 
décida que ces dettes seraient acquittées en trois paiements, les consuls 
actuels faisant immédiatement le premier, les consuls en charge deux ans et cinq 
ans après faisant les deux autres.  
(4) Tous les autres soucis cédèrent ensuite la place à un 
seul, quand les malheurs des Locriens, ignorés jusqu'à ce jour, furent connus 
par suite de l'arrivée de leurs envoyés. (5) Ce fut moins le crime de Pleminius 
que la complaisance intéressée ou la négligence de Scipion à son sujet qui 
irrita les colères. (6) Dix députés des Locriens, couverts de vêtements de 
deuil, tendant aux consuls, assis au comitium, les rameaux à bandelettes des 
suppliants - des branches d'olivier, selon la coutume grecque - se prosternèrent 
devant le tribunal, avec des cris lamentables. (7) Aux questions des consuls, 
ils répondirent qu'ils étaient Locriens, et qu'ils avaient souffert du légat 
Quintus Pleminius et des soldats romains un traitement tel, que même aux 
Carthaginois le peuple romain ne voudrait pas le faire souffrir; ils 
demandaient, ajoutèrent-ils, qu'on leur permît de se présenter au sénat et de 
s'y plaindre de leur infortune. 
Audience au sénat des délégués de Locres
[XIX, 17]
(1) L'audience du sénat leur ayant été accordée, le plus âgé 
dit:  
"Pour le cas que vous ferez, Pères Conscrits, de nos plaintes 
devant vous, ce qui a, je le sais, le plus d'importance, c'est que vous sachiez 
bien et comment Locres a été livrée à Hannibal, et comment, la garnison 
d'Hannibal chassée, cette ville a été replacée sous vos ordres; (2) si, en 
effet, le crime de défection avait été commis sans décision de son conseil 
public, si son retour sous vos ordres était manifestement le fait, non seulement 
de notre volonté, mais de notre énergie et de notre courage, vous vous 
indigneriez davantage que de bons et fidèles alliés aient été si indignement 
outragés par votre légat et vos soldats. (3) Mais l'exposé de nos deux 
défections, je crois, pour ma part, devoir le remettre à un autre moment, pour 
deux raisons: (4) l'une, c'est le désir de le faire devant Publius Scipion, qui 
a repris Locres, qui est témoin de tous nos actes, bons et mauvais; l'autre, 
c'est que, quels que nous soyons, nous n'aurions pas dû souffrir ce que nous 
avons souffert." 
(5) "Nous ne pouvons dissimuler, Pères Conscrits, que, tant 
que nous avions une garnison carthaginoise dans notre citadelle, nous avons 
souffert, de la part du chef de cette garnison, Hamilcar, de ses Numides, de ses 
Africains, bien des outrages honteux et indignes: mais que sont-ils, comparés à 
ceux que nous souffrons aujourd'hui ! (6) Je vous en prie, Pères Conscrits, 
écoutez avec indulgence ce que je vais dire à contre-coeur: le genre humain se 
trouve au moment décisif pour savoir si c'est vous ou les Carthaginois qu'il 
verra les maîtres du monde. (7) Si c'était d'après le traitement que nous, 
Locriens, nous avons souffert de ceux-ci, ou que nous souffrons, maintenant plus 
que jamais, de votre garnison, qu'il fallait juger la domination des Romains et 
celle des Carthaginois, il n'est personne qui ne les préférerait à vous comme 
maîtres ! (8) Et pourtant, voyez quelles ont été les dispositions des Locriens 
envers vous! Quand les outrages des Carthaginois envers nous étaient tellement 
moins graves que les vôtres, c'est à votre général que nous avions recours; 
quand vos troupes nous traitent plus mal que des ennemis, ce n'est pas ailleurs 
qu'à vous que nous portons nos plaintes. (9) Ou vous aurez un regard de pitié 
pour notre situation désespérée, Pères Conscrits, ou il ne nous reste même plus 
une prière à adresser aux Immortel!" 
(10) "Le légat Quintus Pleminius a été envoyé, avec des 
troupes, pour reprendre Locres aux Carthaginois, et y a été laissé avec ces 
mêmes troupes. (11) En cet homme, en votre légat - le malheur extrême donne le 
courage de parler librement - il n'y a rien d'un homme, Pères Conscrits, sauf la 
figure et l'apparence, rien d'un citoyen romain, sauf l'attitude, les vêtements 
et les accents de la langue latine: (12) c'est un fléau, une bête féroce, 
semblable aux monstres qui, jadis, occupaient le détroit qui nous sépare de la 
Sicile pour perdre les navigateurs, à ce que rapportent les légendes. (13) 
Encore, si ses violences; ses débauches, sa cupidité, il se contentait de les 
exercer seul sur vos alliés, ce gouffre profond, certes, mais unique, nous le 
comblerions, grâce à notre patience; (14) en réalité, de tous vos centurions, de 
tous vos soldats, (tant il a voulu voir chez tous indistinctement l'arbitraire 
et le vice!) il a fait des Pleminius; (15) tous pillent, dépouillent, frappent, 
blessent, tuent, déshonorent les femmes, les jeunes filles, les enfants libres 
arrachés aux bras de leurs parents; (16) c'est chaque jour qu'on prend notre 
ville, chaque jour qu'on la met à sac; jour et nuit, tous les quartiers 
retentissent, çà et là, des lamentations des femmes et des enfants qu'on ravit 
et qu'on enlève. (17) Il s'étonnerait, l'homme qui saurait comment nous, nous 
arrivons à supporter tout ce mal, ou comment ceux qui le font ne sont pas encore 
rassasiés de si grands outrages. Je ne peux, moi, passer en revue, et ce n'est 
pas, pour vous, la peine d'entendre ce que nous avons chacun souffert: je 
prendrai tout en bloc. (18) Il n'y a pas, je l'affirme, une maison à Locres, il 
n'y a pas une personne qui ait été exempte d'outrage; il n'y a pas, je 
l'affirme, une sorte de crime, de débauche, de cupidité, qui ait été épargnée à 
qui pouvait la souffrir. (19) Il est difficile de calculer à quel moment le sort 
d'un peuple est le plus affreux, quand des ennemis prennent sa ville, ou quand 
un tyran funeste l'opprime par la violence et les armes. (20) Tout ce que 
souffre une ville prise, nous l'avons souffert, et nous le souffrons maintenant 
plus que jamais; tous les crimes que les tyrans les plus cruels, les plus 
intraitables, commettent contre des citoyens opprimés, Pleminius les a commis 
contre nous, nos enfants et nos femmes." 
Discours du chef de la délégation locrienne (suite)
[XIX, 18] 
(1) "Il y a pourtant un fait dont nous devons spécialement 
nous plaindre, à cause du respect de la religion gravé dans nos âmes, et dont 
nous voulons que vous, Pères Conscrits, vous l'appreniez, pour laver votre État 
d'un tel sacrilège, si vous le jugez bon; (2) nous avons vu, en effet, avec 
quelle piété non seulement vous honorez vos dieux, mais vous recevez des dieux 
étrangers. (3) Un sanctuaire se trouve chez nous; consacré à Proserpine, un 
temple de la sainteté duquel le bruit, je pense, est venu jusqu'à vous pendant 
la guerre contre Pyrrhus, (4) qui, passant, en revenant de Sicile, avec sa 
flotte, devant Locres, entre autres actes honteux accomplis contre notre cité à 
cause de sa fidélité envers vous, pilla les trésors de Proserpine, auxquels nul 
n'avait touché jusqu'à ce jour, et, cet argent ainsi embarqué sur ses navires, 
prit lui-même la route de terre. (5) Qu'arriva-t-il donc, Pères Conscrits? Le 
lendemain, là flotte fut mise en pièces par une tempête affreuse, et tous les 
bateaux qui portaient de l'argent sacré furent jetés sur nos côtes. (6) 
Apprenant enfin par un si grand désastre qu'il existait des dieux, ce roi si 
superbe fit rechercher et rapporter tout cet argent au trésor de Proserpine. 
Toutefois, après cela, il ne lui arriva jamais rien d'heureux; et, chassé de 
l'Italie, il tomba d'une mort obscure et sans gloire, pour être entré de nuit, 
imprudemment, dans Argos. (7) Quoique votre légat et ses tribuns militaires 
eussent entendu raconter cette histoire, et mille autres, qu'on leur rapportait 
non pour augmenter leur vénération pour la déesse, mais comme des manifestations 
actives de sa puissance, souvent reconnues par nous et par nos ancêtres, (8) ils 
n'en ont pas moins osé porter une main sacrilège sur ces trésors que nul n'avait 
touchés, et, par ce butin impie, souiller eux-mêmes leurs maisons et vos 
soldats. (9) Avec ces soldats, Pères Conscrits (nous vous le demandons en votre 
nom, et sur votre conscience), n'entreprenez rien, sans vous être d'abord 
purifiés de leur crime, ni en Italie, ni en Afrique, de peur que le sacrilège 
qu'ils ont commis, ils ne l'expient non seulement par leur sang, mais par un 
désastre touchant tout votre peuple."  
(10) "Toutefois, dès maintenant même, Pères Conscrits, à 
l'égard de vos généraux, de vos soldats, la colère de la déesse n'est pas en 
retard: plusieurs fois déjà, ils se sont attaqués en bataille rangée; un parti 
avait pour chef Pleminius, l'autre les deux tribuns. (11) Avec autant de 
violence que contre les Carthaginois, ils ont lutté entre eux par le fer, et 
leur folie aurait offert à Hannibal l'occasion de reprendre Locres, si, appelé 
par nous, Scipion n'était intervenu. (12) Mais, direz-vous, ce sont les soldats, 
souillés par le sacrilège, que cette folie tourmente; envers les chefs 
eux-mêmes, aucune puissance divine ne s'est manifestée pour les punir. (13) Au 
contraire, c'est là surtout qu'elle a été visible: les tribuns ont été battus de 
verges sur ordre du légat; puis le légat, isolé des siens dans une embuscade, 
non seulement le corps tout déchiré, mais le nez et les oreilles coupés, a été 
laissé exsangue sur la place; (14) ensuite, le légat, guéri de ses blessures, 
ayant jeté les tribuns militaires dans les fers, les a fait périr sous les coups 
et dans tous les supplices réservés aux esclaves; puis, quand ils ont été morts, 
il a défendu de les ensevelir. (15) Tels sont les châtiments que tire la déesse 
des hommes qui dépouillent son temple, et elle ne cesse de les poursuivre de 
toutes les furies, tant que l'argent sacré n'a pas été remis à son trésor. (16) 
Jadis nos ancêtres, lors d'une guerre redoutable contre Crotone, voulurent, le 
temple étant hors de la ville, transporter cet argent dans la ville. Pendant la 
nuit, on entendit sortir du sanctuaire une voix leur disant de ne pas y mettre 
la main: la déesse défendrait son temple. (17) La crainte religieuse de déplacer 
le trésor ainsi jetée en eux, ils voulurent entourer le temple d'un mur. On 
l'avait déjà poussé à une certaine hauteur, quand, brusquement, il s'écroula." 
(18) "Mais si maintenant, et alors, et bien d'autres fois, la 
déesse ou a défendu sa demeure et son temple, ou a tiré de ceux qui les avaient 
violés une dure expiation, les outrages subis par nous, nul autre que vous, 
Pères Conscrits, ne peut les venger, et nous ne souhaitons pas que nul autre le 
puisse; (19) c'est auprès de vous, sous votre protection, qu'en suppliants nous 
nous réfugions. Nulle différence pour nous entre une ville de Locres laissée par 
vous sous la domination de ce légat et de cette garnison, ou livrée à Hannibal 
irrité et aux Carthaginois pour la supplicier. Nous ne vous demandons pas de 
nous croire aussitôt, sur un accusé absent, sans qu'il ait plaidé sa cause: (20) 
qu'il vienne, qu'il nous écoute parler devant lui, qu'il nous réfute lui-même. 
Si un seul des crimes qu'un homme peut commettre contre des hommes, il nous l'a 
épargné, nous ne refusons pas, nous, de souffrir à nouveau tous ces mêmes excès 
- à condition de pouvoir les souffrir -, et lui, de le voir absous de tout crime 
contre les dieux et contre les hommes". 
Délibération au sénat sur la situation des Locriens
[XIX, 19]
(1) Après ces paroles des envoyés de Locres, Quintus Fabius 
leur ayant demandé s'ils avaient porté leurs plaintes devant Publius Scipion, 
ils répondirent qu'ils lui avaient envoyé des députés, mais qu'il était pris 
tout entier par les préparatifs de la guerre, et qu'il était déjà passé en 
Afrique, ou y passerait d'ici quelques jours; (2) et ils avaient éprouvé, 
ajoutèrent-ils, combien le crédit du légat était grand auprès du général, quand, 
ayant connu du différend entre lui et les tribuns il avait jeté les tribuns dans 
les fers, tandis que le légat, aussi coupable qu'eux, et même plus, il le 
maintenait dans ses pouvoirs.  
(3) Les envoyés invités à sortir du temple, non seulement 
Pleminius, mais Scipion furent maltraités par les principaux sénateurs dans 
leurs discours. Avant tous, Quintus Fabius accusait Scipion d'être né pour 
corrompre la discipline militaire: (4) ainsi, disait-il, en Espagne, on avait 
presque plus perdu par les révoltes des soldats que par la guerre; suivant 
l'usage étranger, l'usage des rois, Scipion était à la fois complaisant pour la 
licence des soldats et rigoureux envers eux. (5) À ces considérations, Quintus 
Fabius ajouta un projet de décision aussi rude que son discours: le légat 
Pleminius devait être amené, enchaîné, à Rome, y plaider sa cause enchaîné, et, 
si les plaintes des Locriens étaient fondées, être mis à mort dans sa prison, 
tandis que ses biens seraient confisqués; (6) Publius Scipion, pour avoir quitté 
sa province sans ordre du sénat, serait rappelé, et l'on négocierait avec les 
tribuns de la plèbe pour qu'ils proposent au peuple d'abroger son commandement; 
(7) aux Locriens, le sénat répondrait, de vive voix, que les outrages dont ils 
se plaignaient, ni le sénat, ni le peuple ne les approuvaient; on les 
appellerait hommes d'honneur, alliés et amis; on leur rendrait leurs enfants, 
leurs femmes, et les autres biens qui leur avaient été enlevés; tout l'argent 
enlevé au trésor de Proserpine, on le rechercherait, on remettrait à ce trésor 
le double de cette somme, (8) et l'on ferait une cérémonie expiatoire, après 
avoir demandé au collège des pontifes, pour le déplacement, l'ouverture, la 
violation de ce trésor sacré, quelle expiation, à quels dieux et avec quelles 
victimes il jugeait bon de faire; (9) les soldats qui étaient à Locres seraient 
tous transportés en Sicile; quatre cohortes d'alliés latins seraient amenées à 
Locres en garnison. 
(10) On ne put demander ce jour-là l'avis de tous les 
sénateurs, les passions étant enflammées pour et contre Scipion. (11) Outre le 
forfait de Pleminius et le malheur des Locriens, le genre de vie, non seulement 
peu romain, mais peu militaire, du général lui-même était fort discuté: (12) il 
se promenait, disait-on, en manteau et en souliers grecs au gymnase, il 
s'appliquait à des livres méprisables, aux exercices de la palestre; avec une 
paresse, une mollesse égales, tout son état-major goûtait les agréments de 
Syracuse; (13) Carthage et Hannibal étaient sortis de leur mémoire; toute 
l'armée, gâtée par la licence, comme elle l'avait été sur le Sucro, en Espagne, 
comme maintenant à Locres, était plus redoutable pour les alliés que pour 
l'ennemi. 
La proposition de Metellus est adoptée
[XIX, 20] 
(1) Quoique ces reproches fussent les uns vrais, les autres 
mêlés de vrai et de faux, et par là vraisemblables, l'avis qui l'emporta fut 
celui de Quintus Metellus, qui, approuvant sur le reste Maximus, s'en sépara au 
sujet de Scipion: (2) quelle logique y aurait-il en effet pour les citoyens, 
dit-il, après avoir récemment choisi ce jeune homme comme un général absolument 
unique pour recouvrer l'Espagne, après l'avoir - l'Espagne recouvrée - nommé 
consul pour terminer la guerre punique, après avoir, dans leur espoir, compté 
sur lui pour arracher Hannibal de l'Italie et conquérir l'Afrique, (3) à le 
rappeler soudain de sa province, presque condamné déjà sans avoir même plaidé sa 
cause, tout comme Quintus Pleminius, alors que les crimes impies dont se 
plaignaient les Locriens avaient été commis, de leur propre aveu, sans même que 
Scipion fût présent, et qu'on pouvait blâmer seulement la tolérance et la 
timidité qui lui avaient fait épargner son légat? (4) Métellus proposait donc 
ceci: le préteur Marcus Pomponius, à qui la "province" de Sicile était échue par 
le sort, partirait dans les trois jours pour cette province; les consuls 
choisiraient dans le sénat dix délégués, ceux qui leur plairaient, pour les 
envoyer avec le préteur, en même temps que deux tribuns de la plèbe et un édile; 
assisté de ce conseil, le préteur connaîtrait de l'affaire; (5) si les actes 
dont se plaignaient les Locriens avaient été commis sur l'ordre ou avec 
l'assentiment de Scipion, ils devaient lui ordonner de quitter sa province; (6) 
si Publius Scipion était déjà passé en Afrique, les tribuns de la plèbe et 
l'édile, avec deux des délégués, ceux que le préteur jugerait les plus aptes, 
devraient partir pour l'Afrique, (7) les tribuns et l'édile, pour en ramener 
Scipion, les délégués, pour commander l'armée en attendant qu'un nouveau général 
y fût arrivé; (8) si Marcus Pomponius et les dix délégués reconnaissaient que ce 
n'était ni sur l'ordre, ni avec l'assentiment de Scipion que ces actes avaient 
été commis, Scipion devait rester à l'armée et mener la guerre suivant son plan.
 
(9) Après ce sénatus-consulte, on s'entend avec les tribuns 
de la plèbe afin qu'ils choisissent, à l'amiable ou par le sort, deux d'entre 
eux pour accompagner le préteur et les délégués du sénat; (10) on s'en rapporta 
au collège des pontifes pour l'expiation des impiétés commises à Locres, dans le 
temple de Proserpine, en touchant, en violant et en emportant certains objets. 
(11) Les tribuns de la plèbe qui partirent avec le préteur et les dix délégués 
du sénat furent Marcus Claudius Marcellus et Marcus Cincius Alimentus; on leur 
donna un édile de la plèbe pour que, si Scipion, en Sicile, n'écoutait pas le 
préteur, ou s'il était déjà passé en Afrique, les tribuns pussent ordonner à 
l'édile de l'arrêter et le ramener ainsi, grâce aux droits de leur puissance 
sacro-sainte. La commission se proposait de se rendre à Locres avant d'aller à 
Messine. 
Condamnation de Pléminius
[XIX, 21] 
(1) Mais il y a deux versions en ce qui concerne Pleminius. 
D'après les uns, comme, en apprenant ce qui s'était passé à Rome, il partait en 
exil pour Naples, il tomba par hasard sur Quintus Metellus, l'un des délégués, 
et fut ramené par lui, de force, à Regium; (2) d'après les autres, Scipion 
lui-même envoya un de ses lieutenants, avec trente cavaliers des plus nobles, 
pour mettre aux fers Pleminius, et, avec lui, les chefs de la révolte. (3) Tous 
ces hommes furent remis, soit, auparavant, sur l'ordre de Scipion, soit, alors, 
sur celui du préteur, à la garde des gens de Regium.  
(4) Le préteur et les délégués du sénat, partis pour Locres, 
s'y occupèrent d'abord, suivant leurs instructions, de ce qui touchait la 
religion: tout l'argent sacré qui était en possession soit de Pleminius, soit 
des soldats, ils le recherchèrent, et, y joignant la somme qu'ils avaient 
apportée, ils le remirent dans le trésor de la déesse; ils accomplirent aussi 
une cérémonie expiatoire. (5) Puis, convoquant les soldats à l'assemblée, le 
préteur leur ordonne de sortir en rangs de la ville, et les fait camper dans les 
champs, en menaçant par un édit de peines sévères tout soldat qui restera dans 
la ville ou en emportera ce qui ne lui appartient pas; aux Locriens, il permet 
de reprendre ce que chacun reconnaîtra comme sien, et de réclamer les biens 
qu'ils ne retrouveront pas; (6) avant tout, il décide de faire rendre sans 
retard à leur famille les personnes libres: le châtiment, annonce-t-il, ne sera 
pas léger pour qui ne les rendra pas. 
(7) Le préteur tient ensuite une assemblée des Locriens, et 
leur dit que leur liberté et leurs lois leur sont rendues par le peuple romain 
et par le sénat; si quelqu'un veut accuser Pleminius ou tout autre, il doit le 
suivre à Regium; (8) au sujet de Publius Scipion, si les Locriens veulent se 
plaindre officiellement de ce que les actes impies commis à Locres, contre les 
dieux et contre les hommes, l'ont été sur l'ordre ou avec l'assentiment de 
Publius Scipion, ils doivent envoyer des députés à Messine: là, il connaîtra de 
l'affaire avec son conseil. 
(9) Les Locriens remercient le préteur et les délégués, le 
sénat et le peuple romain; ils iront, disent-ils, accuser Pleminius; (10) quant 
à Scipion, quoiqu'il se soit trop peu inquiété des outrages subis par leur cité, 
c'est un homme tel qu'ils aiment mieux l'avoir comme ami que comme ennemi; ils 
tiennent pour certain que ce n'est ni sur son ordre, ni avec son assentiment que 
tant de crimes abominables ont été commis; (11) ou il a eu trop de confiance en 
Pleminius, trop peu de confiance en eux-mêmes; ou certains hommes ont un tel 
caractère qu'ils désirent qu'on ne commette pas de fautes plus qu'ils n'ont 
d'énergie pour les punir. 
On soulageait d'un beau poids le préteur et la commission en 
leur évitant une enquête sur Scipion; (12) ils condamnèrent Pleminius et 
trente-deux personnes environ avec lui, et les envoyèrent enchaînés à Rome. (13) 
Quant à eux, ils se rendirent auprès de Scipion pour vérifier encore de leurs 
yeux ce qu'on avait raconté sur le genre de vie, l'indolence de ce général, le 
relâchement de la discipline dans son armée, et le rapporter à Rome. 
Réhabilitation de Scipion. Mort de Pleminius
[XIX, 22]
(1) Comme ils se dirigeaient vers Syracuse, Scipion prépara, 
pour se disculper, des faits, non des discours. Il ordonna à toute son armée de 
se rassembler là, à la flotte de se préparer, comme s'il fallait, en ce jour, 
combattre les Carthaginois sur terre et sur mer. (2) Le jour de l'arrivée des 
délégués, on les reçut comme des hôtes, aimablement. Le lendemain, Scipion leur 
montra son armée et sa flotte non seulement rangés en bataille, mais les soldats 
manoeuvrant, et la flotte, elle aussi, se livrant, dans le port, à un simulacre 
de combat naval. (3) Puis, il fit faire au préteur et aux délégués le tour des 
arsenaux, des magasins, de tout ce qu'on avait encore préparé pour la guerre; 
(4) et ils furent frappés d'une si grande admiration pour ces préparatifs, en 
détail et dans leur ensemble, qu'ils restèrent convaincus que ce général et 
cette armée pouvaient vaincre le peuple carthaginois, ou que nuls autres ne le 
pourraient, (5) et qu'ils invitèrent Scipion - en souhaitant que ce dessein 
tournât heureusement! - à passer en Afrique, à faire, de l'espoir conçu le jour 
où les centuries unanimes l'avaient nommé consul le premier, une réalité aussi 
prochaine que possible pour le peuple romain; (6) et ils s'en allèrent le coeur 
aussi joyeux que s'ils allaient annoncer à Rome une victoire, et non pas 
seulement de magnifiques préparatifs de guerre.  
(7) Pleminius et les hommes mis en cause avec lui, une fois 
arrivés à Rome, furent aussitôt emprisonnés. D'abord, quand les tribuns les 
présentèrent au peuple, ils n'obtinrent, des esprits prévenus par les malheurs 
des Locriens, aucune pitié; (8) puis, comme on les représentait plusieurs fois, 
tandis que les haines devenaient moins fraîches, les colères faiblissaient, et 
les mutilations mêmes de Pleminius, le souvenir de Scipion absent, gagnaient aux 
accusés la sympathie de la foule. (9) Toutefois Pleminius mourut dans les fers, 
trop tôt pour que le jugement du peuple eût été rendu à son sujet. (10) Ce 
Pleminius, Clodius Licinus, dans le troisième livre de son histoire romaine, 
rapporte que pendant les jeux votifs que l'Africain, consul pour la seconde 
fois, célébra à Rome, il tenta, grâce à des complices soudoyés, de faire mettre 
le feu en plusieurs points de la ville, pour avoir une occasion de briser la 
porte de sa prison et de s'enfuir, mais que, ce complot découvert, il fut 
transporté dans le Tullianum, conformément à un sénatus-consulte. 
 (11) De Scipion, on ne parla nulle part, sauf au sénat, où 
tous les délégués et les tribuns, en portant aux nues la flotte, l'armée et le 
général, firent décider au sénat qu'il fallait passer en Afrique le plus tôt 
possible, (12) et firent autoriser Scipion à choisir lui-même, dans les armées 
qui se trouvaient en Sicile, les hommes qu'il ferait passer avec lui en Afrique, 
et ceux qu'il laisserait à la garde de la province. 
		
		 
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