Préparatifs du siège; Hannibal est blessé
[XXI, 7]
(1) Tandis qu'à Rome on se prépare et l'on délibère, déjà
Sagonte était attaquée avec la plus grande vigueur. (2) C'était la plus
puissante des cités au-delà de l'Hèbre, environ à un mille de la mer: dans
l'origine, colonie de l'île de Zacynthe, elle avait reçu le mélange de quelques
Rutules de la ville d'Ardée. (3) Bientôt sa prospérité s'était élevée au plus
haut point, soit par les richesses que lui prodiguaient à la fois la mer et la
terre, soit par l'accroissement de sa population, soit par l'austérité de
principes qui lui fit garder jusqu'au dernier moment la foi jurée à ses alliés.
(4) Hannibal, qui a paru sur son territoire, à la tête d'une armée menaçante,
qui a porté la désolation dans les campagnes, vient attaquer la ville de trois
côtés à la fois. (5) Un angle de la muraille donnait sur une vallée plus unie et
plus découverte que tout le terrain des environs. Ce fut par là qu'il se proposa
de conduire les galeries qui devaient le mettre en état de battre la muraille à
coups de béliers. (6) Tant qu'on fut loin des murs, le sol aidait au transport
des mantelets; mais des difficultés presque insurmontables se présentèrent,
lorsqu'on vint à effectuer les attaques. (7) D'abord une tour immense dominait
tous les ouvrages; et, comme la faiblesse de cet endroit était suspecte, les
murailles présentaient là plus de force et d'élévation qu'ailleurs. Enfin
l'élite des guerriers, au poste du péril et de l'honneur, opposait une plus
grande résistance. (8) D'abord une grêle de traits repousse l'ennemi, sans
laisser aux travailleurs la moindre sûreté. Bientôt ils ne se bornent plus à
lancer leurs javelines du haut des murs et de la tour; ils s'enhardissent
jusqu'à fondre sur les ouvrages, sur les postes ennemis; (9) et, dans ces
mêlées, il succombait presque autant de Carthaginois que de Sagontins. (10)
Hannibal lui-même, qui s'est avancé au pied du mur avec trop peu de précaution,
est grièvement blessé à la cuisse d'un trait qui le renverse. Aussitôt parmi les
siens, épouvante, confusion; peu s'en fallut que les ouvrages et les galeries ne
fussent abandonnés. Reprise du siège
[XXI, 8]
(1) Pendant quelques jours, ce fut plutôt un blocus qu'un
siège. Les Carthaginois attendaient la guérison d'Hannibal. Alors point de
combat; mais la construction des ouvrages et les fortifications continuèrent
avec la même activité. (2) Aussi les attaques recommencèrent avec plus de
vigueur et sur plusieurs points malgré des obstacles inouïs, on fit avancer les
galeries et le bélier. (3) Le Carthaginois avait une armée considérable; elle
montait, dit-on, à cent cinquante mille hommes. (4) Les assiégés, pour tout
défendre, pour tout surveiller, furent contraints de diviser beaucoup leurs
forces: aussi ils allaient succomber; (5) car le bélier battait les murailles,
et plusieurs parties étaient ébranlées. Une large brèche laissait d'un côté la
ville à découvert; ensuite trois tours et la muraille qui se trouvait dans
l'intervalle s'étaient écroulées avec un horrible fracas, (6) et les
Carthaginois avaient cru que cet écroulement mettait la ville en leur pouvoir.
Les deux partis s'avancent par là au combat, comme si chacun eût été protégé
également par un rempart. (7) Ce n'était point ces mêlées irrégulières qui ont
lieu dans tous les sièges lors d'une brusque attaque, mais deux armées rangées
en bataille comme dans une plaine découverte, entre les décombres du mur et les
maisons de la ville placées à peu de distance. (8) D'un côté l'espérance, de
l'autre le désespoir, irritent les courages. Les Carthaginois se croient maîtres
de la ville s'ils font un dernier effort; les Sagontins couvrent de leurs corps
une patrie qui n'a plus de remparts. Aucun d'eux ne lâche pied; car l'ennemi
s'emparerait du terrain abandonné. (9) Aussi plus la lutte était serrée,
opiniâtre, plus elle devenait sanglante: aucun trait ne portait à faux entre les
armes et le corps. (10) Les Sagontins avaient une sorte de trait qu'ils
nommaient falarique, dont la hampe, de bois de sapin, était cylindrique dans
toute sa longueur, à l'exception du côté d'où sortait le fer. Carré comme dans
notre pilum, le fer était garni d'étoupe et enduit de poix: (11) il avait trois
pieds de long, pour qu'il pût transpercer l'armure et le corps. Mais, lors même
que la falarique se serait arrêtée sur le bouclier sans pénétrer jusqu'au corps,
elle répandait encore l'effroi, (12) parce qu'on ne la lançait qu'embrasée par
le milieu, et que le mouvement seul donnait à la flamme une telle vivacité que
le soldat, contraint de jeter ses armes, était exposé sans défense aux nouveaux
coups qui pouvaient l'assaillir. Arrivée de l'ambassade romaine
[XXI, 9]
(1) Le combat avait été longtemps indécis. Les Sagontins
sentaient redoubler leur ardeur, parce qu'ils résistaient contre toute
espérance; et les Carthaginois se croyaient vaincus, parce qu'ils n'avaient pu
vaincre, (2) lorsque tout à coup les assiégés poussent un cri, et font reculer
l'ennemi jusqu'aux ruines du mur. Le désordre, la confusion est dans ses rangs;
il s'ébranle; enfin il fuit, il est en déroute et chassé dans ses lignes. (3)
Cependant on annonce l'arrivée de la députation romaine. Hannibal envoie à sa
rencontre jusqu'à la mer, afin de lui signifier qu'il n'y a point de sûreté pour
elle à s'avancer au milieu d'une foule de nations sauvages qui ont les armes à
la main; que, pour lui, dans une conjoncture si critique, il ne peut donner
audience à des ambassadeurs. (4) Il était clair qu'après ce refus, ils iraient
droit à Carthage: aussi, pour les prévenir, une lettre, un courrier, sont
expédiés aux chefs de la faction Barcine, qui, d'avance, doivent disposer les
esprits à rejeter toutes les concessions que le parti contraire pourrait faire
aux Romains. Audience de l'ambassade romaine à Carthage
[XXI, 10]
(1) Cette fois les députés furent admis et entendus, mais
encore sans fruit et sans succès. (2) Hannon seul, malgré l'opposition du sénat,
parla en faveur du traité: il se fit un grand silence, tant l'orateur imposait à
l'assemblée (3) qui ne partageait point son avis. "Au nom des dieux, arbitres et
garants des traités, il les avait avertis, conjurés de ne point envoyer à
l'armée le fils d'Amilcar. Les mânes, le rejeton d'un tel homme, s'indignent du
repos; et jamais, tant qu'il restera quelqu'un de la race ou du nom de Barca,
l'alliance avec Rome ne sera paisible. (4) Un jeune homme brûlait du désir de
régner; une seule voie, à ses yeux, pouvait le conduire au trône, c'était de
semer guerres sur guerres, de vivre toujours entouré d'armes et de légions. Eh
bien! vous avez alimenté ce foyer terrible; Hannibal est à la tête de vos
armées. Vous seuls avez donc allumé l'incendie qui vous dévore. (5) Vos soldats
ont mis le siège devant Sagonte, d'où les écarte un traité solennel. Bientôt
Carthage verra sous ses murs les légions romaines, guidées par les mêmes dieux,
qui, dans la guerre précédente, ont vengé les infractions des traités. (6)
Méconnaissez-vous donc, et vous et votre ennemi, et la fortune de l'un et de
l'autre peuple? Des ambassadeurs venaient dans votre camp pour des alliés et au
nom des alliés; votre digne général a refusé de les recevoir; il a foulé au pied
le droit des gens. Cependant chassés comme ne l'ont jamais été les envoyés même
d'un peuple ennemi, ils se rendent près de vous; ils vous demandent satisfaction
d'après le traité. Ils n'accusent point la nation; ils inculpent un seul homme;
ils réclament un seul coupable. (7) Plus ils agissent avec douceur, plus ils
procèdent lentement, plus il est à craindre qu'ils ne déploient, dans la suite,
une rigueur inflexible. Rappelez-vous les îles Aegates, le mont Eryx, et tous
les désastres, qui, pendant vingt-quatre ans, vous ont accablés sur terre et sur
mer. (8) Alors vous n'aviez point pour chef un enfant comme Hannibal, mais un
Amilcar, son père, un autre Mars pour parler le langage de ses partisans.
Tarente, ou plutôt l'Italie, fut attaquée par nous contre la foi jurée; Sagonte
l'est de même aujourd'hui. (9) Aussi les hommes et les dieux se réunirent contre
nous; des querelles de mots élevées sur les premiers infracteurs du traité
cédèrent à l'événement de la guerre, qui, juge équitable, fit pencher la
victoire du côté de la justice. (10) C'est contre Carthage qu'Hannibal fait
avancer aujourd'hui ses tours et ses mantelets; ce sont les murs de Carthage que
battent ses béliers. Les ruines de Sagonte (puissent les dieux détourner ce
présage!) retomberont sur nos têtes, et la guerre que nous lui déclarons, nous
aurons à la soutenir contre Rome. (11) Faut-il donc livrer Hannibal, me
dira-t-on? Je sais que l'inimitié que je portais au père peut rendre vaines mes
allégations contre le fils. Mais je n'ai pas vu sans plaisir la fin d'Amilcar,
parce que, s'il existait encore, nous aurions déjà la guerre avec les Romains;
et partant, ce jeune Hannibal, cette espèce de furie qui agite la torche des
combats, je le hais et le déteste? (12) Livrons-le, croyez-moi, comme victime
expiatoire d'un attentat à la foi jurée; et lors même que personne ne le
réclamerait, il nous faudrait encore l'exiler aux dernières extrémités du monde,
et le reléguer si loin, que son nom et sa renommée ne pussent arriver jusqu'à
nous, et troubler le repos de la patrie. (13) Mon avis est donc qu'on envoie
sur-le-champ une ambassade à Rome, pour donner satisfaction au sénat; une autre
à Hannibal, pour lui signifier de lever le siège de Sagonte, et pour le livrer
lui-même aux Romains, en exécution du traité; une troisième enfin, pour rendre
aux Sagontins tout ce qu'on leur a pris. " Échec des négociations
[XXI, 11]
(1) Après le discours d'Hannon, personne ne chercha à lui
répondre en forme, tant la majorité du sénat était pour Hannibal! On reprochait
même à Hannon d'avoir parlé avec plus d'aigreur que Flaccus Valérius, le député
romain. (2) Voici la réponse que reçut l'ambassade: "La guerre est venue des
Sagontins, et non pas d'Hannibal. Le peuple de Rome commettrait une injustice,
s'il préférait les Sagontins aux Carthaginois ses plus anciens alliés." (3)
Tandis que les Romains perdent le temps à envoyer des députations, Hannibal,
dont les troupes étaient fatiguées par les combats et les travaux, accorda
quelques jours de repos, après avoir confié à plusieurs détachements la garde
des mantelets et des autres ouvrages. Cependant il excite les courages, et par
la haine de l'ennemi, et par l'espoir des récompenses. (4) Bientôt il a déclaré
dans une assemblée que tout le butin, après la prise de Sagonte, appartiendrait
aux soldats; alors telle fut leur ardeur, que, si le signal eût été donné à
l'instant même, aucun obstacle n'eût semblé capable de les arrêter. (5) Les
Sagontins, durant la suspension d'armes, qui arrêta quelque temps toute attaque
de part et d'autre, ne cessèrent de travailler jour et nuit à relever un nouveau
mur à l'endroit où la brèche avait laissé leur ville ouverte. (6) Dès lors le
siège recommença avec plus d'acharnement; mais où porter les premiers secours?
de ce côté? de cet autre? Mille cris confus empêchaient les Sagontins de le
savoir. (7) Une tour mobile, dont la hauteur surpassait toutes les
fortifications de la ville, s'avançait, et Hannibal était là pour tout animer de
sa présence: Arrivée au pied de la muraille, la tour, au moyen des catapultes et
des balistes disposées à tous les étages, eut bientôt renversé les combattants
et dégarni les remparts; (8) alors Hannibal saisit l'occasion, et envoie environ
cinq cents Africains avec des haches pour saper le mur par le bas, travail peu
difficile, parce que les pierres n'étaient point unies par de la chaux durcie,
mais seulement par de la terre détrempée, suivant l'ancienne méthode de
construction. (9) Aussi n'était-ce pas seulement l'endroit sapé qui s'écroulait,
et de larges ouvertures vomissaient dans Sagonte les bataillons carthaginois.
(10) Ils s'emparent d'une hauteur, y placent des catapultes et des balistes et,
pour se faire, dans la place même, une sorte de boulevard qui domine tout le
reste, ils élèvent une muraille autour de la hauteur. De leur côté, les
Sagontins construisent un mur dans la partie intérieure de la ville, qui n'est
pas encore au pouvoir d'Hannibal. (11) De part et d'autre, activité extrême à
défendre, à combattre; mais ces remparts intérieurs, dont s'entourent les
assiégés, resserrent, de jour en jour, Sagonte dans l'espace le plus étroit.
(12) En proie à un dénuement affreux, suite d'un long siège, ils voient
s'évanouir l'espoir d'un secours étranger; Rome, leur unique ressource, est si
loin d'eux; tout le pays d'alentour appartient à l'ennemi. (13) Cependant un peu
de courage ranima les esprits abattus, à la nouvelle du départ précipité
d'Hannibal qui marchait contre les Orétans et les Carpétans. Ces deux peuples,
effrayés de la rigueur avec laquelle on poussait les levées, avaient arrêté les
agents d'Hannibal. Il craignait un soulèvement; sa rapidité le prévint, et les
rebelles eurent bientôt déposé les armes. Tractations du Sagontin Alcon
[XXI, 12]
(1) Les opérations du siège n'étaient point ralenties.
Maharbal, fils d'Himilcon, qui commandait pour Hannibal, déploya tant
d'activité, que ni le soldat ni l'ennemi ne s'aperçut de l'absence du général.
(2) Il remporta quelques avantages, fit tomber, avec trois béliers, un pan de
muraille, et, au retour d'Hannibal, put lui montrer des ruines toutes récentes.
(3) Celui-ci conduisit sur-le-champ son armée devant la citadelle. Après une
lutte sanglante, funeste pour les deux armées, une partie de la citadelle fut
emportée d'assaut. (4) Deux hommes, Alcon de Sagonte et l'Espagnol Alorcus,
tentèrent ensuite quelques voies d'accommodement. Alcon, à l'insu de ses
compatriotes, passa la nuit dans le camp d'Hannibal, se flattant de gagner
quelque chose à force de prières: mais insensible à ses larmes, le vainqueur
irrité imposait les plus dures conditions; dès lors, le négociateur, devenu
transfuge, resta chez l'ennemi, protestant que la mort attendait celui qui
porterait aux Sagontins une pareille capitulation. (5) Car on exigeait d'eux
entière satisfaction à l'égard des Turdétans; ils livreraient tout leur argent,
tout leur or; ils sortiraient de la ville, avec un seul vêtement; ils iraient
s'établir dans les lieux qu'auraient prescrits le Carthaginois. (6) "Jamais,
disait Alcon, Sagonte n'acceptera de semblables propositions. - Le courage cède,
quand tout le reste est vaincu, dit Alorcus, je m'offre pour médiateur." Soldat
dans l'armée d'Hannibal, Alorcus avait eu avec les Sagontins des liaisons
publiques d'amitié et d'hospitalité. (7) Il remit sans mystère ses armes aux
sentinelles ennemies, franchit les retranchements, et se fit conduire devant le
gouverneur de Sagonte. (8) Une multitude de citoyens de toutes classes s'était
attroupée en un moment; on écarta la foule; le sénat donna audience à Alorcus
qui prononça ce discours: Discours de l'Espagnol Alorcus
[XXI, 13]
(1) "Si Alcon, votre concitoyen, après être venu auprès
d'Hannibal pour lui demander la paix, vous avait rapporté sa réponse, il m'eût
été inutile de me rendre ici, comme envoyé d'Hannibal, et plus encore comme
transfuge. (2) Mais, puisqu'il est resté chez l'ennemi, soit par sa faute, si
ses craintes sont imaginaires, soit par la vôtre, si l'on ne peut sans péril
vous dire la vérité, je suis venu, au nom de notre ancienne amitié, vous
apprendre qu'il est encore pour vous quelques voies d'accommodement et de salut.
(3) Votre intérêt seul, et non des considérations étrangères, me dicte ce
langage. Vous le croirez, Sagontins; car, tant que vous avez résisté avec vos
propres forces, ou que vous avez compté sur le secours de Rome, jamais je ne
vous ai parlé de capitulation. (4) Mais aujourd'hui plus d'espoir du côté des
Romains; vos armes, vos remparts même ne vous protègent plus; aussi je vous
apporte une paix plus nécessaire qu'avantageuse. (5) Cet espoir, vous pouvez le
réaliser, si vous acceptez en vaincus les conditions du vainqueur; si vous ne
considérez point comme une perte ce que vous n'avez plus, puisque tout est au
pouvoir de l'ennemi; si vous ne voyez qu'une faveur dans ce qu'il veut vous
laisser. (6) Votre ville, déjà détruite en grande partie, presque tout entière
en sa puissance, cessera de vous appartenir; il vous abandonne le territoire, et
fixera la place où doit s'élever la nouvelle Sagonte. Tout l'or, tout l'argent
de l'État, des particuliers, lui sera remis; (7) vos femmes, vos enfants,
vous-mêmes aurez la vie sauve, si vous vous résignez à sortir de la ville, sans
armes et avec deux vêtements. (8) Tel est l'arrêt du vainqueur, arrêt funeste et
terrible, mais que la fortune vous fait une loi d'accepter; et je ne désespère
pas, lorsqu'il sera maître de tout, de le trouver moins rigoureux sur quelque
point. (9) Mais mieux vaudrait encore subir ce traitement, que de vous laisser
massacrer, que de voir traîner, enlever devant vous vos femmes et vos enfants,
victimes du droit de la guerre." La fin de Sagonte (mars 218)
[XXI, 14]
(1) Pendant qu'Alorcus parlait, la foule avait pénétré
insensiblement, et le peuple s'était mêlé avec le sénat. Tout à coup les
principaux sénateurs quittent l'assemblée avant qu'on ait rendu réponse,
réunissent dans le forum tout l'or, tout l'argent des édifices publics, des
maisons particulières, le jettent dans un bûcher allumé à la hâte, et la plupart
se précipitent eux-mêmes dans les flammes. (2) Ce spectacle avait répandu la
consternation et l'effroi dans toute la ville, lorsqu'un nouveau tumulte se fait
entendre du côté de la citadelle. Une tour, battue depuis longtemps, venait de
s'écrouler; une cohorte de Carthaginois s'élance à travers les décombres, et
avertit Hannibal que la ville n'a plus ni postes, ni sentinelles. (3) Pensant
qu'une telle occasion ne permet point de retard, il fait à la hâte avancer
toutes ses forces, et, en un instant, la place est emportée. L'ordre est donné
de passer au fil de l'épée tous ceux qui sont en état de porter les armes,
mesure cruelle, mais que l'événement justifia; (4) car quel est le moyen
d'épargner ceux qui, renfermés dans leurs demeures avec leurs enfants et leurs
femmes, y mirent le feu pour trouver eux-mêmes la mort, ou ceux qui, les armes à
la main, ne cessèrent de combattre qu'en expirant? Problèmes de chronologie
[XXI, 15]
(1) On fit dans la ville un butin immense: en vain les
habitants avaient détruit à dessein presque tous leurs trésors; le glaive du
vainqueur irrité avait fait à peine quelque distinction d'âge; les prisonniers
étaient devenus la proie du soldat; (2) le produit des ventes donna encore une
somme assez considérable; beaucoup d'objets de luxe et d'étoffes précieuses
furent envoyés à Carthage. (3) Le siège de Sagonte dura huit mois, selon
quelques historiens. Hannibal, ajoutent-ils, alla prendre ensuite ses quartiers
d'hiver à Carthagène, et arriva en Italie, cinq mois après son départ de cette
ville. (4) Si ce récit est exact, il est impossible que les consuls Publius
Cornélius et Tibérius Sempronius aient reçu la députation des Sagontins, au
commencement du siège, et que, pendant leur consulat, ils aient livré bataille à
Hannibal, l'un auprès du Tessin, et tous deux ensemble sur les bords de la
Trébie, peu de temps après. (5) Ou la marche de ces événements fut bien plus
rapide, ou la prise, et non le commencement du siège de Sagonte, date des
premiers jours de l'année où Publius Cornélius et Tibérius Sempronius entrèrent
en magistrature; (6) car l'affaire de la Trébie ne peut être rejetée à l'année
de Cneius Servilius et de Caius Flaminius, parce que ce dernier prit possession
du consulat à Ariminum, après avoir été nommé à cette dignité par Tibérius
Sempronius, qui, après la bataille de la Trébie, vint à Rome pour l'élection des
consuls, et retourna ensuite rejoindre l'armée dans ses quartiers d'hiver. |