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Mythologie
 
 

 

 

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Histoire Romaine - traduction M. Nisard (1864)

Livre XXVI - Rome, 210 à 207

 

3. Situation à Rome, dans le sud de l'Italie et en Grèce - 208

([XXVII, 21] à [XXVII, 35])

 

Élections pour l'année 208

[XXVII, 21]

(1) On discuta sur le commandement de Marcellus au cirque Flaminius, au milieu d'une grande affluence de la plèbe et de tous les ordres; (2) et le tribun de la plèbe n'accusa pas Marcellus seulement, mais toute la noblesse: c'était, dit-il, par la mauvaise volonté, les lenteurs des nobles qu'Hannibal, pour la dixième année déjà, gardait l'Italie comme sa province, qu'il y avait déjà vécu plus longtemps qu'à Carthage. (3) Le bénéfice de la prorogation de pouvoir de Marcellus, le peuple romain l'avait retiré: son armée, deux fois battue, passait l'été dans les cantonnements de Vénouse.

(4) Ce discours du tribun, Marcellus l'écrasa de telle façon sous le rappel de ses exploits, que non seulement la proposition d'abroger son commandement fut rejetée, mais que, le lendemain, à une énorme majorité, toutes les centuries le nommèrent consul. (5) On lui donne comme collègue Titus Quinctius Crispinus, alors préteur. Le lendemain on nomma préteurs Publius Licinius Crassus le Riche, grand pontife, Publius Licinius Varus, Sextus Julius César, et Quintus Claudius Flamen.

(6) Aux jours mêmes des élections, la cité s'inquiéta de la défection de l'Étrurie. L'origine de cette affaire se trouvait chez les Arretini, d'après une lettre de Caius Calpurnius, qui conservait cette province comme propréteur. (7) Aussi y envoya-t-on aussitôt Marcellus, consul désigné, pour examiner la situation, et, si elle le méritait, faire venir son armée et transporter la guerre d'Apulie en Étrurie. Contenus par la crainte, les Étrusques se tinrent tranquilles.

(8) Des envoyés de Tarente demandant la paix à condition de garder leur liberté et leurs lois, le sénat leur dit de revenir quand le consul Fabius serait de retour à Rome. (9) Des Jeux Romains et des Jeux Plébéiens on ne recommença, cette année-là, qu'une seule journée. Les édiles curules furent Lucius Cornelius Caudinus et Servius Sulpicius Galba, les édiles plébéiens Caius Servilius et Quintus Coecilius Metellus. (10) On déclarait illégal que Servilius eût été tribun de la plèbe et fût édile, parce que son père, triumvir pour le partage des terres, dont on avait cru pendant dix ans que les Boïens l'avaient tué aux environs de Modène, vivait et était prisonnier des ennemis, tout le monde le savait.

Attribution des postes et répartition des troupes

[XXVII, 22]

(1) La onzième année de la guerre punique entrèrent en charge comme consuls Marcus Marcellus, consul pour la cinquième fois - en comptant celle où un vice dans son élection l'empêcha d'exercer sa magistrature - et Titus Quinctius Crispinus. (2) À ces deux consuls, un décret donna l'Italie comme "province", avec les armées des consuls de l'année précédente - la troisième, qu'avait commandée Marcellus, était alors à Vénouse - avec la faculté de choisir, sur ces trois armées, les deux qu'ils voudraient, et de donner la troisième au magistrat à qui Tarente et les Sallentini écherraient comme "province". (3) Les autres "provinces" furent ainsi réparties: pour les préteurs, Publius Licinius Varus eut la préture urbaine, Publius Licinius Crassus, grand pontife, la préture pérégrine et la mission où le sénat l'enverrait, Sextus Julius César la Sicile, Quintus Claudius Flamen Tarente. (4) On prorogea pour un an le commandement de Quintus Fulvius Flaccus, pour tenir avec une légion la "province" de Capoue, qu'avait eue le préteur Titus Quinctius; (5) on prorogea aussi celui de Caius Hostilius Tubulus, pour succéder, en Étrurie, comme propréteur et commandant de ses deux légions, à Caius Calpurnius; on prorogea aussi celui de Lucius Veturius Philo, pour garder, comme propréteur, cette même "province" de Gaule et ces deux mêmes légions qu'il avait eues comme préteur. (6) Le même décret que pour Lucius Veturius, sur la prorogation du commandement, fut pris par le sénat et proposé au peuple pour Caius Aurunculeius, qui, comme préteur, avait tenu la "province" de Sardaigne avec deux légions; on lui donna en outre, pour défendre cette "province", cinquante navires de guerre que Publius Scipion enverrait d'Espagne. (7) Publius Scipion et Marcus Silanus, eux aussi, virent un décret leur affecter pour un an leur "province" d'Espagne et leurs armées; on ordonna à Scipion, sur les quatre-vingts vaisseaux qu'il avait amenés avec lui d'Italie ou pris à Carthagène, d'en envoyer cinquante en Sardaigne, (8) parce que le bruit courait qu'on faisait, cette année, de grands préparatifs navals à Carthage, qu'on s'y disposait à couvrir de deux cents navires toutes les côtes d'Italie, de Sicile et de Sardaigne. (9) En Sicile, on arrangea les choses ainsi: Sextus César reçut l'armée de Cannes; Marcus Valerius Laevinus - à lui aussi, on avait prorogé son commandement - garderait la flotte de soixante-dix bâtiments qui était sur les côtes de Sicile; il y ajouterait les trente vaisseaux qui étaient à Tarente l'année précédente; avec cette flotte de cent navires il irait, s'il le jugeait bon, faire du butin en Afrique. (10) À Publius Sulpicius aussi, pour qu'il gardât, avec la même flotte, les "provinces" de Macédoine et de Grèce, on prorogea pour un an son commandement. Pour les deux légions qui étaient près de Rome, on ne changea rien. (11) On permit aux consuls d'enrôler les renforts nécessaires. C'est avec vingt et une légions que fut, cette année-là, défendu l'empire romain. (12) On chargea encore Publius Licinius Varus, préteur urbain, de faire réparer trente vieux bateaux de guerre, qui se trouvaient à Ostie, et de fournir des équipages à vingt bateaux neufs, pour pouvoir, avec cette flotte de cinquante vaisseaux, protéger les côtes voisines de Rome. (13) On défendit à Caius Calpurnius d'éloigner son armée d'Arretium avant l'arrivée de son successeur; le même ordre fut aussi donné à Tubulus, pour veiller surtout à ce qu'il ne sortît pas de cette ville de nouveaux projets de défection.

Conjuration des prodiges. Célébration des Jeux Apollinaires (5 juillet 208)

[XXVII, 23]

(1) Les préteurs partirent pour leurs "provinces"; les consuls étaient retenus par un scrupule religieux; pour quelques prodiges qu'on avait annoncés, il n'était pas facile d'obtenir des présages favorables. (2) De Campanie, on avait annoncé qu'à Capoue, la foudre avait frappé deux temples, ceux de la Fortune et de Mars, et quelques tombeaux; qu'à Cumes, des rats - tant la religion mal comprise mêle les dieux aux moindres faits! - avaient rongé de l'or dans le temple de Jupiter; qu'à Casinum, un gros essaim d'abeilles s'était fixé au forum; (3) on annonçait aussi qu'à Ostie, le rempart et une porte avaient été frappés de la foudre, qu'à Caeré un vautour était entré en volant dans le temple de Jupiter, et qu'à Volsinii le déversoir du lac avait roulé du sang. (4) Pour ces prodiges, il y eut une journée de prières publiques; pendant quelques jours, on immola des victimes adultes sans avoir de réponse favorable, et l'on resta longtemps à obtenir la paix avec les dieux; ce fut contre la tête des consuls, l'état restant sauf, que tourna l'effet funeste de ces prodiges.

(5) Les Jeux Apollinaires, sous le consulat de Quintus Fulvius et d'Appius Claudius, avaient été célébrés, pour la première fois, par Publius Cornelius Sylla, préteur urbain; depuis, tous les préteurs urbains successivement les avaient célébrés; mais ils ne faisaient voeu de les célébrer que pour un an, et les célébraient à un jour variable. (6) Cette année-là, une grave épidémie s'abattit sur la ville et la campagne, donnant lieu pourtant à des maladies plutôt longues que mortelles. (7) Pour cette épidémie, on fit à la fois des prières publiques, aux carrefours, dans toute la ville de Rome, et Publius Licinius Varus, préteur urbain, fut invité à proposer au peuple une loi ordonnant de faire voeu de célébrer à perpétuité les Jeux Apollinaires, à un jour fixé. Lui-même les voua et fut le premier à les célébrer ainsi, le troisième jour avant les nones de juillet (5 juillet). Ce fut le jour qui leur resta consacré.

Menace d'un soulèvement en Étrurie

[XXVII, 24]

(1) Au sujet des Arretini, les bruits de défection étaient chaque jour plus sérieux, et le souci du sénat augmentait. Aussi écrivit-on à Caius Hostilius de prendre sans différer des otages à Arretium, et, pour les recevoir de lui et les amener à Rome, on y envoya Caius Terentius Varron avec pleins pouvoirs. (2) Dès son arrivée, Hostilius fit entrer dans la ville une légion, qui campait devant ses murs, et disposa des postes sur les points convenables; puis, convoquant au forum les sénateurs, il en exigea des otages. (3) Les sénateurs demandant deux jours de délai pour réfléchir, Hostilius leur dit ou d'en donner aussitôt d'eux-mêmes, ou que, le lendemain, il prendrait comme otages tous leurs enfants. Puis il ordonna aux tribuns militaires, aux commandants des alliés et aux centurions de garder les portes, pour que nul ne sortît de la ville pendant la nuit. (4) L'ordre fut exécuté avec mollesse et négligence: sept des principaux sénateurs, sans attendre qu'on mît des gardes aux portes, s'échappèrent avant la nuit avec leurs enfants. (5) Le lendemain, à l'aube, alors qu'on avait commencé de réunir le sénat au forum, on constata leur absence; leurs biens furent vendus. Des autres sénateurs on reçut cent vingt otages - leurs propres enfants - qu'on remit à Caius Terentius pour les mener à Rome.

(6) Celui-ci, au sénat, présenta tous les événements comme plus inquiétants qu'ils n'avaient été jusque-là. C'est pourquoi, comme si un soulèvement était imminent en Étrurie, Caius Terentius lui-même reçut l'ordre de conduire à Arretium une légion, l'une des deux légions urbaines, et de l'y maintenir comme garnison de la ville; (7) on décida que Caius Hostilius, avec le reste de l'armée, parcourrait toute la province, et veillerait à ce qu'on ne fournît aucune occasion favorable à ceux qui désiraient une révolution. (8) Quand Caius Terentius fut arrivé à Arretium avec sa légion, il demanda aux magistrats les clefs des portes; ceux-ci disant qu'elles étaient introuvables, Terentius, pensant qu'on les avait enlevées par ruse plutôt que perdues par négligence, fit mettre lui-même d'autres clefs à toutes les portes, et veilla avec soin à avoir tout en son pouvoir; (9) quant à Hostilius, il l'avertit avec force de n'espérer voir les Étrusques renoncer à leurs tentatives que s'il avait veillé d'avance à leur rendre toute tentative impossible.

Jonction des deux armées consulaires près de Vénouse en Apulie

[XXVII, 25]

(1) Puis, au sujet des Tarentins, il y eut au sénat une grande discussion en présence de Fabius, qui défendit lui-même ceux que ses armes avaient conquis, tandis que les autres sénateurs leur étaient hostiles et, pour la plupart, égalaient leurs torts et leur crime à ceux des Campaniens. (2) Un sénatus-consulte, conforme à l'avis de Manius Acilius, décida que la place serait surveillée par une garnison, tous les Tarentins gardés entre leurs murailles, et que, sur l'affaire entière, on en réfèrerait à nouveau au sénat, quand la situation de l'Italie serait plus tranquille. (3) Au sujet de Marcus Livius, commandant de la citadelle de Tarente, le débat ne fut pas moins vif, les uns proposant de le flétrir par un sénatus-consulte pour avoir, par sa négligence, livré Tarente à l'ennemi, (4) les autres, de lui décerner des récompenses pour avoir défendu pendant cinq ans la citadelle, et avoir fait ainsi plus qu'aucun autre pour la reprise de la ville, (5) les modérés enfin disant que c'étaient les censeurs, non le sénat qui étaient compétents sur cette affaire. Ce fut aussi l'avis de Fabius; il ajouta cependant qu'il avouait que c'était Livius qui avait fait reprendre Tarente, comme ses amis ne cessaient de le répéter à tous au sénat, car il n'aurait pas fallu la reprendre, si on ne l'avait pas perdue.

(6) L'un des consuls, Titus Quinctius Crispinus, partit avec des renforts pour la Lucanie, afin de commander l'armée qu'avait eue Quintus Fulvius Flaccus. (7) Quant à Marcellus, des scrupules toujours nouveaux, se présentant à son âme, le retenaient à Rome; entre autres ce fait qu'ayant, pendant la guerre contre les Gaulois, à Clastidium, voué un temple à l'Honneur et à la Valeur, les pontifes l'empêchaient de le dédier, (8) en disant qu'un seul sanctuaire ne pouvait être régulièrement dédié à deux divinités, car, s'il était frappé de la foudre, si quelque prodige s'y produisait, l'expiation en serait difficile, puisqu'on ne pourrait savoir à quel dieu adresser les cérémonies; (9) et en effet, sauf pour certaines divinités particulières, on ne pouvait, rituellement, sacrifier à deux divinités une seule victime. Aussi construisit-on à la hâte un second temple, pour la Valeur (et pourtant ce ne fut pas Marcellus qui dédia ces deux temples). (10) Alors seulement il partit, avec des renforts, pour l'armée qu'il avait laissée l'année précédente à Vénouse.

(11) Crispinus, faisant un effort pour attaquer Locres en Bruttium, parce que, disait-on, la prise de Tarente avait donné une grande réputation à Fabius, avait fait venir de Sicile toute sorte de machines de jet et de siège; de la même région il avait aussi mandé des navires, pour attaquer la partie de la ville tournée vers la mer. (12) Il abandonna cette attaque parce qu'Hannibal avait rapproché ses troupes de Lacinium, et qu'on donnait comme déjà sortie de Vénouse l'armée de son collègue, auquel il voulait se joindre. (13) C'est pourquoi il revint du Bruttium en Apulie; entre Vénouse et Bantia, à moins de trois mille pas d'intervalle, les consuls établirent leurs deux camps. (14) Hannibal revint aussi dans la même région, la guerre s'étant écartée de Locres. Les consuls, tous deux d'un naturel hardi, offraient presque chaque jour la bataille, dans le ferme espoir que, si l'ennemi engageait la lutte contre deux armées consulaires réunies, on pût terminer la guerre.

Les deux consuls partent en reconnaissance

[XXVII, 26]

(1) Hannibal, ayant été, dans les deux batailles livrées à Marcellus l'année précédente, vainqueur et vaincu, n'avait, pour le cas où il devrait combattre le même général, ni espérance, ni crainte vaine; mais il se croyait loin de pouvoir lutter à égalité avec les deux consuls; (2) aussi, tout entier à ses ruses, cherchait-il un endroit pour une embuscade. (3) Il y avait cependant des escarmouches entre les deux camps, avec des succès divers; croyant que l'été pouvait se passer à de tels engagements, et persuadés qu'ils n'empêchaient en rien l'attaque de Locres, les consuls écrivent à Lucius Cincius de passer, avec sa flotte, de Sicile à Locres; (4) et pour pouvoir du côté de la terre aussi attaquer ses remparts, ils ordonnèrent d'y amener une partie de l'armée qui gardait Tarente. (5) Informé par certains Thurini de ce qui allait se passer, Hannibal envoie occuper la route de Tarente. Là, au pied de la colline de Pételia, on cache trois mille cavaliers, deux mille fantassins; (6) les Romains, marchant sans éclaireurs, étant tombés dans cette embuscade, perdirent environ deux mille tués; près de quinze cents furent pris vivants; les autres, dispersés par la fuite dans les champs et les monts, retournèrent à Tarente.

(7) Il y avait entre le camp punique et le camp romain une colline boisée, que ni les uns, ni les autres n'avaient d'abord occupée, parce que les Romains ignoraient quel en était l'aspect, du côté tourné vers le camp ennemi, et qu'Hannibal l'avait jugée plus propre à y établir des embuscades qu'un camp. (8) Envoyés de nuit, dans ce dessein, quelques escadrons de Numides se cachaient au milieu du bois; aucun d'eux, pendant le jour, ne sortait de ce poste, de peur qu'on n'aperçût de loin leurs armes ou eux-mêmes. (9) On murmurait partout, dans le camp romain, qu'il fallait occuper cette colline et la munir d'un fort, de peur d'avoir, si Hannibal l'occupait, l'ennemi, pour ainsi dire, au-dessus de sa tête. (10) Ces propos frappèrent Marcellus, qui dit à son collègue: "Que n'allons-nous en reconnaissance nous-mêmes avec quelques cavaliers? La vue de la position étendue sous nos yeux nous permettra de délibérer plus sûrement". (11) Crispinus l'approuvant, ils partent avec deux cent vingt cavaliers, dont quarante Fregellani, les autres étant Étrusques; (12) ils étaient suivis des tribuns militaires Marcus Marcellus, fils du consul, et Aulus Manlius, en même temps que de deux commandants des alliés, Lucius Arrenius et Manius Aulus. (13) Certains rapportent que le consul Marcellus avait fait ce jour-là un sacrifice, que le foie de la première victime se trouva sans protubérance, que, dans la seconde, on vit tout ce qui est habituel, et même un foie dont la protubérance était excessive; (14) et qu'il ne plut guère à l'haruspice de voir apparaître, après des viscères incomplets et mal conformés, d'autres exagérément favorables.

L'embuscade; mort de Marcellus (fin de l'été 208)

[XXVII, 27]

(1) Mais le consul Marcellus était possédé d'un tel désir de lutter contre Hannibal, qu'il ne trouvait jamais leurs camps assez rapprochés. (2) Alors encore, en sortant du retranchement, il donna des instructions pour que les soldats, à leurs postes, fussent prêts, si la colline que les consuls allaient reconnaître leur plaisait, à réunir leurs ustensiles de campement et à suivre la reconnaissance.

(3) Il y avait devant le camp un bout de plaine, puis, pour mener à la colline, un chemin découvert de tous côtés et en pleine vue. Du côté numide, un observateur, placé là non dans l'espoir d'une affaire si heureuse, mais pour le cas où quelques Romains, errant en quête de fourrage ou de bois, s'avanceraient trop loin de leur camp et pourraient être enlevés, signale aux siens de sortir en même temps chacun de sa cachette. (4) On ne vit pas apparaître ceux qui, face aux Romains, devaient se lever sur la crête, avant que n'eussent fait leur mouvement tournant ceux qui, par derrière, leur coupaient la route. À ce moment, tous sortirent de tous côtés, et, poussant un cri, chargèrent. (5) Quoique les consuls fussent dans un vallon tel qu'ils ne pouvaient ni en sortir par la crête, qu'occupait l'ennemi, ni se replier, étant entourés, ils auraient pu lutter plus longtemps si les Étrusques, en commençant à fuir, n'avaient inspiré la terreur à tous les autres. (6) Cependant les Fregellani, quoique lâchés par les Étrusques, n'abandonnèrent pas le combat tant que les consuls, intacts, les encourageant et se battant eux-mêmes de leur côté, soutinrent l'attaque; (7) mais quand ils les virent tous deux blessés, et Marcellus même, transpercé d'un coup de lance, tombant mourant de cheval, alors eux aussi - il en restait d'ailleurs très peu - avec le consul Crispinus, frappé de deux javelots, et le jeune Marcellus, blessé lui-même, ils prirent la fuite.

(8) Il tomba là le tribun militaire Aulus Manlius. Des deux commandants des alliés, Manius Aulius fut tué, Lucius Arrenius fut pris; quant aux licteurs des consuls, cinq tombèrent vivants au pouvoir de l'ennemi, les autres furent tués ou s'échappèrent avec le consul Crispinus. (9) Des cavaliers, quarante-trois tombèrent ou dans la lutte, ou dans la fuite, dix-huit furent pris vivants. (10) On s'était déjà agité, dans le camp, pour aller au secours des consuls, quand on aperçoit l'un d'eux et le fils de l'autre, tous deux blessés, avec les faibles restes de cette expédition malheureuse, en marche vers le camp. (11) La mort de Marcellus, lamentable à d'autres égards, le fut surtout parce qu'en dépit de son âge, - plus de soixante ans déjà - et de la prudence naturelle à un vieux général, il avait poussé à l'abîme, avec tant d'imprévoyance lui-même, son collègue et l'état presque entier.

(12) Je tournerais longtemps autour de cette seule affaire, si je voulais exposer en détail tous les points sur lesquels, au sujet de la mort de Marcellus, les auteurs sont en désaccord. (13) Pour laisser les autres, Coelius donne trois récits de ce qui se passa alors: un transmis par la tradition; un second, écrit, fourni par l'oraison funèbre prononcée par son fils, qui avait assisté à l'affaire; un troisième qu'il apporte lui-même comme résultat de ses propres recherches. (14) Mais si ces récits varient, la plupart cependant rapportent que Marcellus sortit de son camp pour reconnaître le terrain, et tous qu'il fut cerné dans une embuscade.

Les habitants de Salapia prennent Hannibal à son propre piège. Libération de Locres

[XXVII, 28]

(1) Hannibal, convaincu que la mort d'un consul, la blessure de l'autre avaient inspiré à ses ennemis une grande terreur, et ne voulant manquer aucune occasion, transporte aussitôt son camp sur la hauteur où l'on s'était battu. Il y trouve le corps de Marcellus et l'ensevelit. (2) Crispinus, effrayé à la fois par la mort de son collègue et par sa propre blessure, partit dans le silence de la nuit suivante, et, dès qu'il atteignit les montagnes, établit son camp sur un point élevé et protégé de tous côtés.

(3) Les deux généraux y entreprirent avec sagacité l'un de tendre un piège, l'autre de l'éviter. (4) Hannibal s'était emparé de l'anneau de Marcellus en même temps que de son corps; craignant qu'avec ce sceau trompeur, Hannibal n'ourdît quelque ruse, Crispinus avait envoyé dire alentour dans les cités les plus proches, que son collègue avait été tué, que l'ennemi s'était emparé de son anneau: on ne devait se fier à aucune lettre écrite au nom de Marcellus. (5) Ce message du consul venait d'arriver à Salapia, quand Hannibal y fit porter une lettre, écrite au nom de Marcellus: la nuit suivante, il viendrait à Salapia; les soldats de la garnison devaient être prêts, pour le cas où il aurait quelque besoin de leurs services. (6) Les gens de Salapia s'aperçurent du stratagème, et pensant qu'irrité non seulement par leur défection, mais par le massacre de ses cavaliers, Hannibal cherchait une occasion de les punir, (7) ayant renvoyé son messager - c'était un déserteur romain - pour que les soldats romains fissent ce qu'ils voudraient sans témoin, ils répartissent les habitants sur les remparts et dans la ville aux endroits favorables; (8) ils placent avec un soin particulier, pour cette nuit-là, corps de garde et sentinelles, et, à la porte par où ils pensent qu'arrivera l'ennemi, lui opposent l'élite de la garnison.

(9) Hannibal arriva près de la ville vers la quatrième veille; il avait comme avant-garde des déserteurs romains, portant des armes romaines. En arrivant à la porte, tous, en latin, crient pour réveiller les gardes, et leur ordonnent d'ouvrir la porte: le consul est là. (10) Les gardes, comme éveillés par leurs appels, s'agitent, s'empressent, s'efforcent d'ouvrir la porte. Une herse abattue la fermait; les uns la soulèvent avec des leviers, les autres la tirent avec des câbles juste assez haut, pour qu'on puisse passer dessous sans se baisser. (11) À peine le chemin ouvert, les déserteurs se ruent à l'envi par cette porte; six cents environ étaient entrés quand la herse, le câble qui la retenait ayant été lâché, retombe à grand bruit. (12) Une partie des habitants attaque ces déserteurs qui, après une marche, portent négligemment, comme en pays ami, leur armure suspendue à leurs épaules; les autres, de la tour qui défend cette porte et des remparts, à coups de pierres, d'épieux, de javelots, chassent l'ennemi.

(13) Ainsi Hannibal, pris à sa propre ruse, s'en alla; il partit pour faire lever le siège de Locres, que Lucius Cincius attaquait avec la plus grande vigueur, au moyen de travaux de siège et de machines de jet de toute sorte, amenées de Sicile. (14) Alors que Magon ne croyait plus guère pouvoir garder et défendre la ville, la nouvelle de la mort de Marcellus fit briller pour lui un premier espoir. (15) Suivit la nouvelle qu'Hannibal, derrière la cavalerie numide envoyée en avant, arrivait lui-même, en pressant sa marche le plus possible, avec l'infanterie. (16) Aussi, dès qu'un signal de ses observatoires lui apprend l'approche des Numides, Magon, par une porte soudain ouverte, fait hardiment une sortie. Ce fut d'abord la surprise, plutôt que l'égalité des forces, qui rendit le combat incertain; (17) puis, quand survinrent les Numides, les Romains en éprouvèrent une telle peur, qu'ils s'enfuirent partout vers la mer et leurs vaisseaux, laissant leurs travaux et les machines dont ils battaient les murs. Ainsi l'arrivée d'Hannibal fit lever le siège de Locres.

Situation politique à Rome. Actes de piraterie en Afrique (début de l'année 207)

[XXVII, 29]

(1) Quand Crispinus s'aperçut qu'Hannibal était parti pour le Bruttium, il ordonna à Marcus Marcellus, tribun militaire, d'emmener à Vénouse l'armée qu'avait commandée son collègue; (2) parti lui-même, avec ses légions, pour Capoue, en ayant peine à supporter les cahots de sa litière, à cause de la gravité de ses blessures, il écrivit à Rome une lettre sur la mort de son collègue et l'état critique où il était lui-même: (3) il ne pouvait, disait-il, aller à Rome pour les élections, car il pensait qu'il ne supporterait pas les fatigues de la route, et il était inquiet pour Tarente, craignant qu'Hannibal, du Bruttium, ne dirigeât de ce côté son armée. Il avait besoin qu'on lui envoyât des lieutenants, des hommes avisés, à qui il pût dire ce qu'il voudrait de la situation. (4) La lecture de cette lettre causa de grands regrets pour la mort d'un des consuls, de grandes inquiétudes pour l'autre. Aussi envoya-t-on à la fois Quintus Fabius, le fils, à l'armée de Vénouse, et, au consul, trois lieutenants, Sextus Julius César, Lucius Licinius Pollion et Lucius Cincius Alimentus, revenu quelques jours avant de Sicile. (5) On les chargea de dire au consul, s'il ne pouvait aller lui-même à Rome pour les élections, de nommer, en territoire romain, un "dictateur aux élections"; (6) si le consul était parti pour Tarente, le préteur Quintus Claudius emmènerait de là les légions dans la région où il pourrait défendre le plus de villes alliées.

(7) Le même été, Marcus Valerius, avec une flotte de cent navires, passa de Sicile en Afrique, et, ayant fait une descente près de Clupea, en ravagea largement le territoire, sans presque rencontrer d'adversaires en armes. Puis les pillards revinrent précipitamment à leurs vaisseaux, au bruit soudain qu'une flotte punique approchait. (8) Elle comptait quatre-vingt-trois bateaux. Le Romain la bat non loin de Clupea; ayant pris dix-huit de ses navires, et mis les autres en fuite, il revient à Lilybée avec un grand butin tiré du territoire et de la flotte. (9) Le même été encore, Philippe, répondant à leurs supplications, porta secours aux Achéens, dont Machanidas, tyran de Lacédémone, dévastait par le feu les frontières, tandis que les Étoliens, ayant, grâce à leurs navires, fait passer à leur armée le détroit qui roule ses eaux, entre Naupacte et Patras - les gens du pays l'appellent Rhion - les avaient déjà pillés. (10) De plus Attale, roi d'Asie, s'étant vu conférer par les Étoliens, à leur dernière assemblée, la plus haute magistrature de leur nation, allait, disait-on, passer en Europe.

Les Étoliens ruinent le plan de paix proposé par Philippe (printemps 208)

[XXVII, 30]

(1) Comme, pour ces raisons, Philippe descendait en Grèce, près de Lamia les Étoliens, commandés par Pyrrhias, qu'ils avaient, cette année-là, nommé préteur, ainsi qu'Attale absent, marchèrent contre lui. (2) Ils avaient et des renforts venus de chez Attale, et mille hommes environ de la flotte romaine envoyés par Publius Sulpicius. Sur ce général et ces troupes Philippe remporta deux victoires; il tua mille ennemis - en chiffres ronds - dans ces deux combats. (3) Puis comme les Étoliens, chassés par la peur, restaient entre les murs de Lamia, Philippe ramena son armée à Phalara. C'est une localité sur le golfe Maliaque, autrefois très peuplée à cause de son port excellent, des mouillages sûrs alentour, et d'autres avantages maritimes et terrestres. (4) Là des ambassadeurs du roi d'Égypte Ptolémée, de Rhodes, d'Athènes et de Chios arrivèrent, pour mettre fin, à la guerre entre Philippe et les Étoliens; les Étoliens firent appel aussi pour rétablir la paix à un de leurs voisins, Amynander, roi des Athamanes. (5) Tous, d'ailleurs, s'inquiétaient moins des Étoliens, nation plus farouche qu'il n'est naturel à des Grecs, que de la crainte de voir Philippe et son royaume se mêler des affaires de la Grèce, ce qui serait dangereux pour sa liberté. (6) La délibération sur la paix fut remise à l'assemblée des Achéens; on fixa le siège et le jour exact de cette assemblée; en attendant, on obtint une trêve de trente jours.

(7) De là le roi, traversant la Thessalie et la Béotie, arriva à Chalcis en Eubée, pour interdire au roi Attale, dont il avait appris l'intention de gagner avec sa flotte l'Eubée, les ports de cette île et le débarquement sur ses côtes. (8) Après y avoir laissé des troupes pour résister à Attale, au cas où il ferait la traversée pendant son absence, Philippe, partant lui-même avec quelques cavaliers et fantassins armés à la légère, alla à Argos. (9) Là, le peuple, par ses suffrages, lui avait confié la direction des jeux Héréens et Néméens, parce que les rois de Macédoine se disent originaires de cette cité. Les jeux Héréens achevés, au sortir des jeux mêmes il partit aussitôt pour Egium, pour l'assemblée, annoncée longtemps avant, des confédérés achéens.

(10) On s'occupa là de terminer la guerre étolienne, pour ôter aux Romains comme à Attale toute raison d'entrer en Grèce. (11) Mais tous ces plans, la durée de la trêve à peine achevée, furent troublés par les Étoliens, quand ils eurent appris qu'Attale était arrivé à Égine et que la flotte romaine était mouillée devant Naupacte. (12) Convoqués en effet à l'assemblée des Achéens, où se trouvaient aussi les ambassades qui, à Phalara, s'étaient occupées de la paix, ils s'y plaignirent d'abord de certaines petites infractions à la convention jurée, commises pendant la trêve; (13) à la fin, ils déclarèrent qu'on ne pouvait terminer la guerre si les Achéens ne rendaient Pylos aux Messéniens, si l'on ne restituait pas l'Atintania aux Romains, et les Ardiaei à Scerdilaedus et à Pleuratus. (14) Pour le coup Philippe, trouvant scandaleux que des vaincus lui posent les premiers, à lui vainqueur, leurs conditions, s'écria que, même avant, s'il avait écouté des projets de paix et conclu une trêve, ce n'était nullement avec l'espoir que les Étoliens resteraient tranquilles, mais pour que tous les alliés pussent témoigner qu'ils avaient recherché, lui, les motifs de paix, eux, les motifs de guerre. (15) Ainsi, sans avoir fait la paix, il congédia le congrès, en laissant quatre mille hommes pour défendre les Achéens, et recevant d'eux cinq vaisseaux de guerre; (16) après les avoir joints, s'il le pouvait, à la flotte que venaient de lui envoyer les Carthaginois et aux bateaux venant de Bithynie, du roi Prusias, il avait décidé de provoquer à une bataille navale les Romains, depuis longtemps déjà maîtres de la mer dans cette région. (17) Lui-même, du congrès des Achéens, retourna à Argos; car déjà approchait la date des jeux Néméens, où il voulait attirer les foules par sa présence.

Comportement scandaleux de Philippe lors des Jeux (courant de l'été 208)

[XXVII, 31]

(1) Tandis que le roi était occupé par les préparatifs de ces jeux, et, pendant ces jours de fête, s'abandonnait à une licence excessive en temps de guerre, Publius Sulpicius, parti de Naupacte, aborda entre Sicyone et Corinthe, et dévasta en se répandant au loin ce territoire si célèbre par sa fertilité. (2) Le bruit de cette expédition rappela Philippe des jeux; partant à la hâte avec sa cavalerie, en ordonnant aux fantassins de le suivre, il attaqua les Romains dispersés çà et là par les champs et alourdis par leur butin, en hommes qui ne craignaient rien de semblable, et les repoussa vers leurs vaisseaux. (3) La flotte romaine, fort peu contente de son butin, revint à Naupacte. Philippe gagna encore, pour les jeux qui restaient à faire, une plus grande affluence grâce au bruit de sa victoire, qui, quelle que fût son importance, avait été, en tout cas, remportée sur des Romains, (4) et les fêtes furent célébrées avec une immense joie; d'autant plus, même, qu'en ôtant démocratiquement l'insigne royal de sa tête, la pourpre et les autres attributs royaux, Philippe s'était fait, en apparence, l'égal du reste des hommes; et rien ne plaît davantage aux républiques.

(5) Il aurait fait aussi, sans aucun doute, espérer ainsi la liberté, s'il n'avait commis, avec une licence intolérable, toute sorte d'actions honteuses et laides. Il courait en effet, jour et nuit, avec un ou deux compagnons, les maisons de gens mariés; (6) en s'abaissant au rang des simples citoyens, étant moins en vue, il avait d'autant moins d'entraves; et la liberté qu'il avait seulement fait voir aux autres, il l'avait, pour lui, transformée tout entière en licence. (7) Car il n'achetait pas tout, il n'obtenait pas tout par la flatterie; aux outrages, il ajoutait même la violence, et il était dangereux pour les maris, pour les parents d'avoir fait obstacle, avec une vertu fâcheuse, aux caprices royaux. (8) Même à un chef des Achéens, Aratus, on enleva sa femme, nommée Polycratia, et, en lui faisant espérer d'épouser le roi, on la transporta en Macédoine.

(9) Après avoir passé à ces débauches la solennité des jeux Néméens et attendu quelques jours encore, Philippe partit pour Dymè; afin d'en chasser une garnison étolienne demandée aux Éléens par cette ville et reçue dans ses murs. (10) Au-devant du roi accoururent, près de Dymè, Cycliadas - il avait le pouvoir suprême - et les Achéens, enflammés de haine contre les Éléens, parce qu'ils s'étaient séparés des autres Achéens, et hostiles aux Étoliens, qu'ils croyaient coupables d'avoir poussé les Romains mêmes à leur faire la guerre. (11) Tous, partis de Dymè après avoir réuni leurs forces, traversent le Larisus, fleuve qui sépare le territoire Éléen de celui de Dymè.

Philippe échoue devant Élis et retourne en Macédoine (automne 208)

[XXVII, 32]

(1) Le jour où ils entrèrent en territoire ennemi, ils le passèrent à ravager la contrée. Le lendemain, en ligne, ils s'avancèrent vers la ville d'Élis, après avoir envoyé en avant la cavalerie pour chevaucher devant les portes, et provoquer ainsi au combat les Étoliens, prêts, d'ordinaire, à courir hors de leurs murs. (2) Ils ignoraient que Sulpicius, avec quinze vaisseaux, était allé de Naupacte à Cyllène, et, débarquant quatre mille soldats, dans le silence de la nuit, pour qu'on ne pût apercevoir sa colonne, était entré à Élis. (3) Aussi cette surprise inspira-t-elle aux assaillants une grande peur, quand, au milieu des Étoliens et des Éléens, ils reconnurent les drapeaux et les armures de Rome. (4) D'abord le roi avait voulu rappeler ses troupes; puis, le combat étant déjà engagé entre les Étoliens et les Tralles - c'est une peuplade d'Illyrie, - le roi, voyant presser les siens, charge lui aussi, avec sa cavalerie, une cohorte romaine. (5) Alors son cheval, percé d'un javelot, l'ayant jeté à terre par-dessus sa tête, des deux côtés s'alluma une lutte affreuse, les Romains s'élançant sur le roi, les soldats royaux le protégeant. (6) Philippe lui-même se battait dans des conditions extraordinaires, étant forcé d'attaquer à pied au milieu de ses cavaliers. Puis, la lutte devenant déjà inégale, et beaucoup, autour de lui, tombant morts ou étant blessés, le roi, enlevé par les siens et jeté sur un autre cheval, s'enfuit.

(7) Il campa ce jour-là à cinq mille pas de la ville des Éléens. Le lendemain, il mena toutes ses troupes vers un bourg éléen tout proche - on l'appelle Pyrgos - où il avait entendu dire que, de crainte du pillage, une foule de paysans s'étaient réfugiés avec leurs troupeaux. (8) Cette foule confuse et sans armes, en profitant du premier mouvement de terreur, il la prit dès son arrivée; et ce butin avait déjà compensé l'affront subi devant Élis. (9) Tandis qu'il partageait le butin et les prisonniers - quatre mille hommes, et environ vingt mille têtes de bétail de tout genre - un courrier venant de Macédoine annonça qu'un certain Aeropus, ayant acheté le commandant de la citadelle et de la garnison, avait pris Lychnidus, qu'il tenait aussi certains villages des Dassareti, et qu'il soulevait même les Dardaniens. (10) Négligeant donc la guerre d'Achaïe et d'Étolie, tout en laissant deux mille cinq cents soldats de toute sorte, commandés par Ménippe et Polyphantas, pour défendre ses alliés, (11) Philippe partit de Didymè, et, par l'Achaïe, la Béotie et l'Eubée, parvint, en dix étapes, à Démétriade, en Thessalie.

Désignation d'un dictateur. Mort du consul Titus Quinctius Crispinus

[XXVII, 33]

(1) Là accourent à lui d'autres messagers apportant la nouvelle d'un soulèvement plus grand encore; les Dardaniens, répandus en Macédoine, tenaient déjà l'Orestide, et étaient descendus dans la plaine d'Argeste; et c'était un bruit général parmi ces barbares que Philippe avait été tué. (2) Dans l'expédition pendant laquelle il combattit, près de Sicyone, contre des pillards, emporté contre un arbre par l'élan de son cheval, il avait brisé, en passant sous une branche, l'une des deux pointes de son casque; (3) trouvée par un Étolien et apportée, en Étolie, à Scerdilaedos, qui connaissait cet insigne du casque royal, elle répandit le bruit de la mort de Philippe.

(4) Le roi parti d'Achaïe, Sulpicius, partant avec sa flotte pour Égine, se joignit à Attale. (5) Les Achéens remportèrent une victoire sur les Étoliens et les Éléens non loin de Messène. Le roi Attale et Publius Sulpicius hivernèrent à Égine.

(6) A la fin de cette année, le consul Titus Quinctius, après avoir nommé Titus Manlius Torquatus comme dictateur aux élections et aux jeux, meurt de sa blessure; les uns rapportent que ce fut à Tarente, d'autres en Campanie.

(7) Ainsi - fait sans précédent dans aucune guerre antérieure - la mort de deux consuls, sans qu'on eût livré aucun combat mémorable, avait laissé l'état comme orphelin. Le dictateur Manlius nomma maître de la cavalerie Caius Servilius, alors édile curule. (8) Le sénat, le premier jour où il se réunit, ordonna au dictateur de célébrer les Grands Jeux, que le préteur urbain Marcus Aemilius, sous le consulat de Caius Flaminius et de Cneius Servilius, avait célébrés lui-même et fait voeu de célébrer cinq ans plus tard. Le dictateur les célébra, et fit voeu qu'on les célébrerait au prochain lustre. (9) D'ailleurs, comme deux armées consulaires se trouvaient sans chefs si près de l'ennemi, négligeant tout le reste, les sénateurs et le peuple furent envahis par un souci dominant tous les autres, celui de nommer au plus tôt des consuls, et de nommer de préférence des hommes dont la valeur sût bien se protéger des ruses puniques: (10) si, disait-on, dans toute cette guerre, le naturel précipité et bouillant des généraux avait été funeste, cette année surtout les consuls, par désir excessif d'en venir aux mains avec l'ennemi, étaient tombés dans un piège imprévu; (11) mais les Immortels, ayant pitié de ce qui se nomme romain, avaient épargné leurs armées innocentes, et puni la témérité des consuls sur leur propre tête.

Élection des consuls pour l'année 207

[XXVII, 34]

(1) Comme les sénateurs regardaient autour d'eux qui nommer consuls, ils voyaient, bien avant les autres, se distinguer Caius Claudius Néron; (2) on lui cherchait un collègue. On jugeait, certes, Claudius Néron éminent, mais aussi plus entreprenant, plus hardi que ne le demandaient ce temps de guerre ou un ennemi comme Hannibal; (3) il fallait, pensaient les sénateurs, tempérer son naturel hardi, par la modération, la prévoyance de l'homme qu'on lui adjoindrait comme collègue. Il y avait Marcus Livius, condamné, des années auparavant, à sa sortie du consulat, par un jugement du peuple, (4) et qui avait si mal pris cet affront, qu'il s'était retiré à la campagne, et, des années durant, était resté loin de la ville et, en général, des hommes. (5) Sept ans environ après sa condamnation, les consuls Marcus Claudius Marcellus et Marcus Valerius Laevinus l'avaient ramené à Rome; mais il avait des vêtements râpés et laissait pousser ses cheveux et sa barbe, portant sur lui-même, dans son air et sa mise, le signe qu'il se rappelait l'affront subi. (6) Les censeurs Lucius Veturius et Publius Licinius le forcèrent à se faire couper les cheveux et la barbe, à quitter sa tenue négligée, à venir au sénat et à s'acquitter des autres fonctions publiques. (7) Mais, même alors, il approuvait d'un mot l'avis d'un autre, ou se rangeait de son côté, jusqu'au jour où la cause d'un de ses parents, Marcus Livius Macatus, dont la réputation était en jeu, l'obligea à se lever et à exposer son avis devant le sénat. (8) Le fait de l'entendre alors, après un tel intervalle de silence, attira sur lui les regards et fournit un sujet aux conversations: le peuple avait commis là, disait-on, une injustice envers qui ne le méritait pas, et ç'avait été grand dommage pour l'état, dans une guerre si dangereuse, de ne disposer ni des services, ni des conseils d'un tel homme. (9) À Caius Néron, on ne pouvait donner comme collègue ni Quintus Fabius, ni Marcus Valerius Laevinus, puisqu'il n'était pas permis de nommer deux patriciens; (10) la même raison valait pour Titus Manlius, outre qu'il avait refusé l'offre du consulat et la refuserait encore; (11) on aurait une paire de consuls remarquable, en adjoignant comme collègue à Caius Claudius Marcus Livius. Le peuple ne dédaigna pas cette idée, quoi qu'elle vînt des sénateurs. (12) Seul dans la cité, l'homme à qui l'on conférait cet honneur le repoussait, en accusant les citoyens de légèreté: sans pitié pour lui, disait-il, quand il était un accusé en habit de deuil, ils lui apportaient maintenant, malgré lui, la toge blanche du candidat; ils entassaient ensemble honneurs et châtiments; (13) s'ils le jugeaient honnête homme, pourquoi l'avoir condamné ainsi comme méchant et coupable? S'ils l'avaient reconnu coupable, pourquoi, après lui avoir ainsi confié malheureusement un premier consulat, lui en confier un second? (14) Pour ces arguments, pour ces plaintes et d'autres semblables, les sénateurs blâmaient Livius, en rappelant que Marcus Furius, lui aussi rappelé d'exil, avait relevé sa Patrie, chassée par l'ennemi de son siège, de Rome comme la rigueur des parents, celle de la patrie devait être apaisée par la patience et la soumission. (15) Grâce aux efforts de tous, on nomma consul Marcus Livius avec Caius Claudius.

Répartition des postes et des troupes (février-mars 207)

[XXVII, 35]

(1) Deux jours après eut lieu l'élection des préteurs. On élut préteurs Lucius Porcius Licinus, Caius Mamilius, Caius et Aulus Hostilius Caton. Les élections achevées et les jeux célébrés, le dictateur et le maître de la cavalerie sortirent de charge. (2) Caius Terentius Varron fut envoyé comme propréteur en Étrurie, pour que Caius Hostilius, quittant cette province, allât à Tarente commander l'armée qu'avait eue le consul Titus Quinctius; (3) Lucius Manlius devait, comme légat, traverser la mer Adriatique et voir ce qui se passait là-bas; en même temps, comme il allait y avoir cet été les Jeux Olympiques, qui étaient célébrés par une grande affluence de Grecs, on l'invite, s'il peut traverser sans danger le pays ennemi, à se rendre à cette réunion, (4) pour que les Siciliens réfugiés en Grèce à cause de la guerre, ou les citoyens Tarentins bannis par Hannibal, rentrent chez eux et sachent que tous leurs biens - ceux qu'ils avaient avant la guerre - le peuple romain les leur rend.

(5) Comme l'année suivante semblait devoir être très dangereuse et que l'état n'avait pas de consuls, tous les citoyens, tournés vers les consuls désignés, voulaient les voir au plus tôt tirer au sort les "provinces", décider d'avance quelle "province", quel ennemi aurait chacun d'eux. (6) On s'occupa aussi, au sénat, de les réconcilier, sur l'initiative de Quintus Fabius Maximus: (7) il y avait entre eux une inimitié bien connue, rendue plus âpre et plus insupportable, chez Livius, par son malheur, parce qu'il croyait, dans une telle situation, avoir été méprisé. (8) Aussi était-il le plus implacable et disait-il qu'il n'y avait nul besoin de réconciliation: ils feraient tout avec plus d'ardeur et d'attention, s'ils craignaient chacun d'offrir à un collègue détesté la possibilité de grandir à ses dépens. (9) L'autorité du sénat arriva cependant à leur faire laisser leur rivalité pour gérer, avec des sentiments et des desseins communs, les affaires de l'état.

(10) Leurs commandements ne s'entremêlèrent pas, comme les années précédentes, du fait des régions dans lesquelles ils s'exerçaient; ils se trouvèrent opposés aux deux bouts de l'Italie, des décrets ayant donné à l'un, contre Hannibal, les Bruttii et les Lucani, à l'autre la Gaule contre Hasdrubal: on racontait déjà qu'il approchait des Alpes. (11) Des deux armées, qui étaient l'une en Gaule, l'autre en Étrurie (avec, en outre, l'armée urbaine) on laissait le choix au consul qui aurait tiré au sort la Gaule; (12) le consul à qui auraient échu comme "province" les Bruttii, après avoir enrôlé de nouvelles légions urbaines, prendrait l'armée de celui qu'il voudrait des consuls de l'année précédente; (13) l'armée laissée par le nouveau consul, Quintus Fulvius la prendrait à titre de proconsul; on lui donnait le commandement pour un an. (14) À Caius Hostilius, à qui le sénat avait donné Tarente en échange de l'Étrurie, il donna Capoue en échange de Tarente; on lui accorda une légion, celle qu'avait commandée Fulvius l'année précédente.

 

 

 
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