Opérations en Ombrie (303) et contre les Èques (303-297)
[X, 1]
(1) Sous le consulat de Lucius Genucius et de Servius
Cornelius, du côté des guerres extérieures, on fut à peu près tranquille. À Sora
et à Albe on conduisit des colonies. Pour Albe, chez les Èques, on enrôla six
mille colons. (2) Sora avait fait partie du territoire volsque, mais les
Samnites l'avaient possédée; on y envoya quatre mille personnes. La même année,
on donna le droit de cité aux Arpinates et aux Trébulani. (3) Les Frusinates
furent condamnés à perdre le tiers de leur territoire, parce qu'on reconnut
qu'ils avaient poussé les Herniques à se soulever, et les chefs de cette
conjuration, après une enquête menée par les consuls en vertu d'un
sénatus-consulte, furent battus de verges et frappés de la hache. (4) Toutefois,
pour que l'année ne se passât pas sans aucune guerre, on fit une petite
expédition en Ombrie, d'où l'on annonçait que, partant de certaine caverne, des
hommes armés venaient courir la campagne. (5) On pénétra dans cette caverne avec
les enseignes, et de cet endroit obscur les soldats reçurent mainte blessure,
surtout à coups de pierres, jusqu'à ce que, l'autre issue de cette grotte (elle
était ouverte aux deux extrémités) ayant été trouvée, on eut entassé dans ces
deux goulets du bois qu'on enflamma. (6) Ainsi, à l'intérieur de la caverne, la
fumée et les gaz firent périr environ deux mille hommes armés, qui finirent même
par se jeter dans les flammes en cherchant à s'échapper.
(7) Sous le consulat de Marcus Livius Denter et de Marcus
Aemilius, la guerre avec les Èques recommença. Ayant peine à souffrir une
colonie placée comme une citadelle sur leur propre territoire, ils entreprennent
avec la plus grande vigueur de l'emporter d'assaut, mais sont repoussés par les
colons eux-mêmes. (8) Toutefois leur attaque causa à Rome un si grand effroi car
l'on avait peine à croire que, dans une situation si amoindrie, les Èques,
seuls, d'eux-mêmes, se fussent levés pour combattre - qu'en vue du soulèvement
redouté, on nomma un dictateur, Caius Junius Bubulcus. (9) Celui-ci, parti avec
Marcus Titinius, maître de la cavalerie, à la première rencontre soumit les
Èques; sept jours après, il rentra en triomphe à Rome; et le temple de la déesse
Salus, qu'il avait voué comme consul, et adjugé aux entrepreneurs comme censeur,
il le dédia comme dictateur.
Une flotille grecque est repoussée par les Padouans et les Vénètes (302)
[X, 2]
(1) La même année, une flotte grecque, que commandait le
Lacédémonien Cléonyme, ayant abordé en Italie, prit la ville de Thuriae, chez
les Sallentins. (2) Envoyé contre ces ennemis, le consul Aemilius n'eut besoin
que d'une bataille pour les mettre en fuite et les rejeter dans leurs navires.
Thuriae fut rendue à ses anciens habitants, et la paix acquise au territoire
sallentin. (3) Ce fut Junius Bubulcus, dictateur, qui fut envoyé chez les
Sallentins, à ce que je vois dans certaines annales, et Cléonyme, avant d'être
obligé de lutter avec les Romains, quitta l'Italie. (4) De là, tournant le cap
de Brindes, et emporté par les vents au milieu du golfe Adriatique, comme, à
gauche, la côte sans ports de l'Italie, à droite les Illyriens, les Liburnes et
les Istriens, nations sauvages et décriées, en grande partie pour leur
piraterie, l'effrayaient, il s'enfonça dans le golfe et arriva à la côte vénète.
(5) Il y débarqua quelques hommes pour reconnaître les lieux; et, ayant appris
que la côte qui s'étendait devant lui n'était qu'une bande de terre; qu'en la
traversant, on trouvait derrière des lagunes entretenues par les marées; que,
non loin, on distinguait des champs, d'abord en plaine; qu'au delà, on voyait
des collines; (6) qu'il y avait là l'embouchure d'un fleuve très profond, par où
les éclaireurs avaient vu des navires conduits par un détour à un mouillage sûr
(c'était le Meduacus), Cléonyme ordonna à sa flotte de s'y diriger, et de
remonter ce fleuve. (7) Mais les navires les plus lourds n'y trouvèrent pas des
fonds suffisants. Passée sur des bâtiments plus légers, une foule de soldats
parvint à des territoires peuplés, trois bourgades maritimes de Padouans
occupant cette côte. (8) Là les Grecs débarquent, en laissant quelques hommes
pour garder les bateaux, prennent d'assaut les villages, brûlent les maisons,
emmènent hommes et troupeaux comme butin, et, dans la joie du pillage,
s'avancent trop loin de leurs navires.
(9) À cette nouvelle, à Padoue, où le voisinage des Gaulois
tenait toujours les habitants sous les armes, on divise la jeunesse en deux
corps: l'un est mené vers la région que les ennemis dispersés ravageaient,
disait-on; l'autre, pour ne pas rencontrer de pillards, va par une route opposée
vers le mouillage des bateaux grecs, qui était à quatorze milles de la ville.
(10) On attaque ces bateaux, où l'on tue quelques gardes, et les matelots
terrifiés sont forcés de les amener à l'autre rive. Sur terre, on n'est pas
moins heureux en combattant les pillards dispersés; aux Grecs qui fuient vers
leur mouillage, les Vénètes barrent le chemin; (11) ainsi ces ennemis sont
cernés et taillés en pièces; certains, faits prisonniers, révèlent que la flotte
et le roi Cléonyme sont à trois milles de là. (12) Alors, laissant les
prisonniers en garde au village le plus proche, les Padouans, les uns sur des
embarcations fluviales, bien faites, avec leur fond plat, pour passer là où il y
a peu d'eau, les autres sur les bâtiments enlevés aux Grecs, tous remplis
d'hommes en armes, se dirigent vers la flotte grecque, et attaquent de tous
côtés ses vaisseaux immobiles, qui craignent ces parages inconnus plus que
l'ennemi; (13) et quand ils s'empressent de fuir vers la mer, plutôt que de
repousser l'attaque, les Padouans les poursuivent jusqu'à l'embouchure du
fleuve, prennent et brûlent certains d'entre eux, qui, dans leur hâte, se sont
jetés sur des hauts fonds, et reviennent vainqueurs. (14) Cléonyme, sauvant à
peine un cinquième de ses navires, et n'ayant abordé avec succès aucun point de
la mer Adriatique, s'en éloigna. Les éperons des navires et les dépouilles des
Laconiens furent accrochés dans le vieux temple de Junon; il reste encore
beaucoup de gens qui les ont vus à Padoue. (14) Le souvenir de ce combat naval,
en son jour anniversaire, chaque année, est célébré par une joute solennelle de
bateaux, sur le fleuve, au milieu de la ville.
Le maître de la cavalerie est victime d'une embuscade en Étrurie (302)
[X, 3]
(1) La même année, à Rome, avec les Vestini, qui demandaient
l'amitié des Romains, on conclut un traité. (2) Puis, de plusieurs côtés,
apparurent des sujets de crainte: l'Étrurie se révoltait, annonçait-on, dans un
mouvement issu des séditions d'Arretium, où la famille des Cilnius, très
puissante, ayant excité l'envie par sa richesse, on avait entrepris de la
chasser par les armes: en même temps les Marses défendaient de force leur
territoire, sur lequel on avait conduit la colonie de Carseoli, après avoir
inscrit pour elle quatre mille personnes. (3) C'est pourquoi, à cause de ces
soulèvements, on nomma dictateur Marcus Valerius Maximus, qui se choisit pour
maître de la cavalerie Marcus Aemilius Paulus. (4) Voilà ce que je crois de
préférence, et non que Quintus Fabius, à son âge et avec ses honneurs, fut mis
sous les ordres de Valerius; que, d'ailleurs, le surnom de Maximus ait causé
l'erreur, je me garderai de le nier. (5) Parti avec une armée, le dictateur, en
un seul combat, disperse les Marses; puis, les ayant refoulés dans des places
fortes, il prit en quelques jours Milionia, Plestina, Fresilia, et après avoir
ôté aux Marses, pour les punir, une partie de leur territoire, il leur rendit
leur traité avec Rome.
(6) Puis on tourna la guerre contre les Étrusques; et comme
le dictateur, afin de reprendre les auspices, était parti pour Rome, le maître
de la cavalerie, sorti du camp pour aller au fourrage, est, par suite d'une
embuscade, cerné par l'ennemi, perd plusieurs enseignes, et se voit, avec ses
soldats honteusement massacrés et mis en fuite, rejeté dans son camp. (7) Cette
panique est inadmissible de la part de Fabius, non seulement parce que, s'il fut
par quelque autre talent à la hauteur de son surnom, il le fut surtout par sa
réputation militaire, (8) mais parce que, se rappelant la cruauté de Papirius,
il ne se serait jamais laissé amener à combattre sans ordre du dictateur.
Les Romains échappent à une nouvelle embuscade
[X, 4]
(1) Cette défaite, annoncée à Rome, y excita une crainte plus grande que
ne l'était le fait lui-même. (2) Comme si l'armée eût été détruite, on
suspendit les affaires, on mit des gardes aux portes, des patrouilles,
la nuit, par les rues; on entassa sur les remparts armures et lances.
(3) Ayant fait prêter serment à tous les mobilisables, le dictateur,
envoyé à l'armée, y trouva tout plus tranquille qu'il ne l'espérait, et
remis en ordre par les soins du maître de la cavalerie: (4) le camp
ramené sur une position plus sûre, les cohortes qui avaient perdu leur
drapeau laissées seules, sans tentes, hors du retranchement, l'armée
avide de combattre, pour effacer plus vite sa honte. (5) Aussi
transporta-t-il aussitôt le camp sur le territoire de Rusella. (6) Les
ennemis l'y suivent, et, quoique leur victoire leur inspire le plus
grand espoir dans leurs forces, même pour une lutte ouverte, l'embuscade
leur ayant déjà réussi, ils l'essaient encore. (7) Les maisons à moitié
ruinées d'un village, entièrement brûlé dans la dévastation des
campagnes, se trouvaient près du camp romain. Ils y cachent des soldats,
et poussent des troupeaux sous les yeux du détachement avancé que
commandait le légat Cneius Fulvius. (8) Cette amorce ne faisant sortir
personne des postes romains, un des bergers, après s'être avancé au pied
même de leur retranchement, demande à grands cris à d'autres bergers,
qui hésitaient à pousser en avant des ruines leurs troupeaux, pourquoi
ils tardent, quand ils pourraient leur faire traverser sans danger le
camp romain. (9) Comme certains Caerites traduisaient ces paroles au
légat, et que, dans tous les manipules, l'indignation des soldats était
grande - quoique, sans ordres, ils n'osassent bouger - le légat invite
ceux qui savent la langue de l'ennemi à observer si le langage de ces
bergers ressemble davantage à celui des paysans ou à celui des gens de
la ville. (10) Ils lui rapportent que leur accent, leur tournure, leur
teint, sont plus soignés que ceux des bergers. "Allons donc", répond le
légat, "dites à ces ennemis de découvrir leur embuscade, dressée en
vain: le Romain sait tout, et ne peut pas plus, désormais, être surpris
par la ruse que vaincu par les armes". (11) Ces paroles entendues et
transmises aux soldats établis en embuscade, l'ennemi, soudain, surgit
en foule de sa cachette, et, dans une plaine ouverte aux regards de tous
côtés, fit avancer ses enseignes. (12) Le légat trouva ces troupes trop
nombreuses pour que son détachement pût leur résister. Aussi envoie-t-il
en hâte demander du secours au dictateur; en attendant, il soutient seul
l'attaque.
Victoire décisive des Romains sur les Étrusques (301)
[X, 5]
(1) À cette nouvelle, le dictateur ordonne qu'on porte en
avant les enseignes et que les soldats les suivent, en armes. Mais en tout on
devançait presque ses ordres: (2) les soldats saisissaient sur-le-champ
enseignes et armes; on avait peine à les empêcher de prendre le pas de charge;
la colère provoquée par la défaite récente les poussait, et plus encore les cris
grandissants venant du combat qui se développait. (3) Ils se pressent les uns
les autres, ils invitent les porte-enseignes à aller plus vite; mais plus le
dictateur les voit se hâter, plus il s'emploie à retenir la colonne et à la
faire marcher lentement. (4) Les Étrusques, au contraire, appelés au début du
combat, étaient là avec toutes leurs troupes; et courriers sur courriers
annoncent au dictateur que toutes les légions étrusques sont engagées, que les
siens ne peuvent plus résister: lui-même voit, d'une éminence, combien est
critique la situation de son détachement. (5) Mais, fort de l'idée que le légat
peut encore soutenir la lutte et qu'il n'est pas loin lui-même pour le tirer de
danger, il veut que l'ennemi se fatigue le plus possible, pour attaquer avec des
forces fraîches des hommes épuisés. (6) Cependant, quoique ses troupes avancent
lentement, déjà, pour prendre leur élan, il ne leur restait plus (aux cavaliers
du moins) qu'assez peu d'espace. En avant marchaient les enseignes des légions,
pour que l'ennemi ne craignît ni piège, ni attaque soudaine; mais le dictateur
avait laissé des intervalles entre les rangs de fantassins, assez de place pour
permettre de lancer les chevaux. (7) En même temps que l'infanterie poussa son
cri, la cavalerie, lancée, dans un galop sans obstacle, charge l'ennemi; il
n'est pas disposé pour résister à cette trombe de cavaliers; elle répand chez
lui une frayeur soudaine. (8) C'est pourquoi, si les secours faillirent arriver
trop tard au détachement romain déjà presque cerné, du moins lui donnèrent-ils
une tranquillité complète. Les troupes fraîches se chargèrent du combat, qui ne
fut ni long ni douteux. (9) Les ennemis dispersés regagnent leur camp, et, les
Romains faisant déjà avancer contre lui leurs enseignes, se replient et
s'entassent à l'autre bout du camp. (10) L'étroitesse des portes arrête là les
fuyards; beaucoup escaladent le talus et la palissade, pour voir si, de cet
endroit plus élevé, ils pourront se défendre, ou franchir quelque part le
retranchement et s'échapper. (11) Il se trouva que, sur un point, le talus, mal
tassé, s'éboula dans le fossé, sous le poids des hommes qui s'y trouvaient. Les
Étrusques s'écrient que ce sont les dieux qui leur ouvrent le chemin de la
fuite, et, la plupart sans armes, s'échappent par là.
(12) Cette bataille brisa, pour la seconde fois, les forces
des Étrusques. Contre l'engagement de fournir un an de solde et deux mois de
vivres, le dictateur leur permit d'envoyer des ambassadeurs demander la paix à
Rome. Cette paix leur fut refusée; on leur accorda une trêve de deux ans. (13)
Le dictateur rentra en triomphe à Rome. J'ai des sources d'après lesquelles le
dictateur pacifia l'Étrurie sans aucune bataille mémorable, en arrangeant
seulement les séditions d'Arretium et en faisant rentrer la famille Cilnius en
grâce auprès de la plèbe. (14) En quittant la dictature, Marcus Valerius fut
nommé consul. Il ne brigua pas cette charge et même y fut nommé étant encore
absent, d'après certains auteurs: ce fut un interroi qui présida ces élections.
Une seule chose est indiscutée, c'est qu'il géra le consulat avec Apuleius
Pansa.
Débats à propos de l'accès des plébéiens aux sacerdoces (300)
[X, 6]
(1) Sous le consulat de Marcus Valerius et de Quintus
Apuleius, la situation fut assez paisible à l'extérieur: (2) l'Étrusque, ses
échecs à la guerre et la trêve conclue le tenaient tranquille; le Samnite,
dompté par des années de défaites, ne regrettait pas encore le traité récent.
(3) À Rome aussi la plèbe était tranquille, comme soulagée grâce aux multitudes
envoyées dans les colonies. Cependant, pour que la tranquillité ne régnât pas de
tous côtés, la discorde fut jetée entre les principaux citoyens, patriciens et
plébéiens, par les tribuns de la plèbe Quintus et Cneius Ogulnius, (4) qui,
ayant cherché partout les occasions d'accuser les patriciens devant la plèbe,
après avoir tout tenté en vain, entreprirent une action propre à enflammer non
le bas peuple, mais les chefs mêmes de la plèbe, (5) les consulaires et les
triomphateurs plébéiens, aux honneurs de qui il ne manquait rien que les
sacerdoces, qui n'étaient pas encore ouverts à tous. (6) Ils affichèrent donc un
projet de loi décidant - comme il y avait à cette époque quatre augures, quatre
pontifes, et qu'on voulait augmenter le nombre des prêtres - de leur adjoindre
quatre pontifes et cinq augures, tous plébéiens. (7) Comment le collège des
augures avait-il pu être réduit au nombre de quatre, sinon par la mort de deux
de ses membres, je ne le vois pas, quand c'est un fait établi pour les augures
que leur nombre doit être impair, afin que les trois tribus anciennes, les
Ramnes, les Titienses et les Lucères, aient chacune son augure, (8) ou, s'il en
faut davantage, qu'elles multiplient également entre elles le nombre de leurs
prêtres, comme il fut multiplié quand, en en ajoutant cinq aux quatre anciens,
on atteignit le nombre de neuf, de façon qu'il y en eût trois par tribu.
(9) Mais, comme c'étaient des plébéiens qu'on ajoutait, les
patriciens le prirent aussi mal que quand ils voyaient ouvrir à tous le
consulat. (10) Ils faisaient comme si cela touchait les dieux plus qu'eux-mêmes:
ils aviseraient, eux, à ce que leur culte ne fût pas souillé; ils souhaitaient
seulement qu'il n'arrivât pas quelque désastre à l'État. (11) Mais ils
résistèrent moins qu'avant, étant déjà habitués à se voir vaincre dans les
luttes de ce genre: ils voyaient leurs adversaires non, comme ils l'auraient à
peine espéré autrefois, aspirant aux grandes charges, mais ayant déjà obtenu
tout ce pourquoi ils avaient combattu avec des espoirs bien incertains:
consulats multipliés, censures et triomphes.
Discours de Publius Decius Mus au sénat
[X, 7]
(1) On lutta cependant pour appuyer ou combattre la loi, surtout,
dit-on, Appius Claudius et Publius Decius Mus. (2) Après qu'ils eurent
développé, sur les droits des patriciens et de la plèbe, à peu près les
mêmes arguments que ceux apportés autrefois pour ou contre la loi
Licinia, quand les plébéiens réclamaient le consulat, (3) Decius
rappela, dit-on, l'image de son père, tel que beaucoup de ceux qui
étaient à l'assemblée l'avaient vu, la toge ceinte suivant le rite
gabien, debout sur un javelot, dans l'attitude où il se dévoua pour le
peuple et les légions romaines. (4) Alors Publius Decius, comme consul,
avait paru pieux et pur aux Immortels, autant que si c'eût été Titus
Manlius, son collègue, qui se fût dévoué: (5) et ce même Publius Decius
n'aurait pu être choisi rituellement pour accomplir les cérémonies
publiques du peuple romain? Il y avait danger qu'aujourd'hui les dieux
écoutassent moins les prières de P. Decius Mus que celles d'Appius
Claudius? Celui-ci accomplissait-il plus religieusement les cérémonies
privées du culte, adorait-il les dieux plus pieusement que lui? (6) Qui
regrettait les voeux formés, pour l'État, par tant de consuls plébéiens,
tant de dictateurs, en allant aux armées ou pendant la guerre elle-même?
(7) Qu'ils comptent les généraux de ces années où des plébéiens
commencèrent, sous leur conduite et leurs auspices, à mener les
affaires; qu'ils comptent aussi les triomphes; déjà les plébéiens
n'avaient pas même lieu de trouver insuffisante leur noblesse: (8) s'il
naissait quelque guerre soudaine, le sénat et le peuple romain, il le
tenait pour certain, mettraient leur espoir, autant que dans les
généraux patriciens, dans les généraux plébéiens. (9) "Les choses étant
ainsi, dit Decius, auquel des dieux ou des hommes peut-il paraître
indigne que ces hommes, que vous avez honorés par les chaises curules et
la toge prétexte, par la tunique à palmes, la toge brodée et la couronne
des triomphateurs - la couronne de laurier - dont vous avez fait
remarquer les maisons en accrochant à leur façade les dépouilles des
ennemis, ajoutent à ces honneurs les insignes des pontifes et des
augures? (10) L'homme qui, paré du costume de Jupiter très bon, très
grand, porté sur un char doré à travers la ville, sera monté au
Capitole, on le verra avec étonnement tenir la coupe à anse et le bâton
recourbé, que, la tête voilée, il frappe la victime, ou qu'il prenne les
augures, à la citadelle? (11) L'homme au bas du portrait duquel on lira
sans émoi l'indication d'un consulat, d'une censure, d'un triomphe, si
on y ajoute celle de l'augurat ou du pontificat, les yeux des gens qui
le liront ne pourront le souffrir? (12) En vérité - les dieux me
permettent ce langage! - nous sommes déjà, grâce aux bienfaits du peuple
romain, capables, je l'espère, d'honorer ces sacerdoces, par l'estime
dont nous jouissons, non moins qu'ils ne nous honoreront, et de demander
dans l'intérêt des dieux, plus que dans le nôtre, à rendre aux dieux à
titre public le culte que nous leur rendons à titre privé."
Suite du discours de Publius Decius Mus
[X, 8]
(1) "Mais pourquoi ai-je parlé jusqu'ici comme si la cause
des patriciens, au sujet des sacerdoces, était entière, comme si déjà nous
n'avions pas en notre pouvoir un sacerdoce important entre tous? (2) Parmi les
décemvirs chargés des cérémonies sacrées, interprètes des oracles de la Sibylle
et des destins de notre peuple, desservants aussi du culte d'Apollon et d'autres
cérémonies, nous voyons des plébéiens. (3) On n'a fait, alors, nulle injure aux
patriciens, quand, aux duumvirs chargés des cérémonies sacrées, on a ajouté, en
faveur des plébéiens, un certain nombre de prêtres; de même, aujourd'hui, un
tribun énergique et actif ajoute cinq places d'augures, quatre de pontifes,
destinées à des plébéiens, (4) non pas, Appius, pour vous chasser de vos places,
mais pour que des plébéiens vous aident à vous occuper des affaires des dieux,
comme, pour les autres affaires, qui touchent les hommes, ils vous aident chacun
pour leur part."
(5) "Ne rougis pas, Appius, d'avoir pour collègue au
sacerdoce un homme qu'à la censure, au consulat, tu aurais pu avoir pour
collègue, dont tu pourrais être, s'il était dictateur, le maître de la
cavalerie, comme il pourrait être ton maître de la cavalerie, si tu étais
dictateur. (6) Un sabin, un étranger, qui fut la souche de votre noble famille,
ces fameux patriciens antiques l'admirent parmi eux: ne dédaigne pas de nous
admettre parmi les prêtres. (7) Nous apportons avec nous bien des titres, mieux,
tous les titres, exactement, dont vous vous êtes enorgueillis: (8) Lucius
Sextius, premier des plébéiens, fut nommé consul; Caius Licinius Stolon, premier
des plébéiens, maître de la cavalerie; Caius Marcius Rutilus, premier des
plébéiens, et dictateur, et censeur; Quintus Publilius Philon, premier des
plébéiens, préteur. (9) Chaque fois on a entendu de vous ces mêmes affirmations:
en vos mains sont les auspices; vous seuls avez une famille issue d'un ancêtre
connu, vous seuls, à l'intérieur et à l'armée, le droit au commandement et aux
auspices. (10) Ils ont été pourtant, jusqu'ici, également heureux chez les
plébéiens et chez les patriciens, comme ils le seront à l'avenir. N'avez-vous
pas ouï dire que le patriciat fut créé un jour avec des hommes non pas tombés du
ciel, mais capables de désigner un père légitimement marié, c'est-à-dire, tout
simplement, avec des hommes libres? (11) Or c'est un consul que, déjà, je peux
désigner, moi, comme mon père légitimement marié, que mon fils pourra, déjà,
désigner comme son grand-père. Au fond, Quirites, vous ne faites que commencer,
toujours, par nous refuser ce que nous obtenons; (12) c'est la lutte seule que
cherchent les patriciens, sans se soucier de l'issue de cette lutte. Pour moi,
cette loi (puisse-t-elle être bonne, favorisée des dieux, et heureuse pour vous
et pour l'État!) je suis d'avis que, comme tu le proposes, il faut la voter."
Vote de la loi Ogulnia sur les sacerdoces et de la loi Valéria sur l'appel
au peuple (300). Création de deux nouvelles tribus
[X, 9]
(1) Le peuple criait d'appeler les tribus sur-le-champ, et il
était clair que la loi passait; ce jour-là fut pourtant perdu pour le vote, à
cause d'une opposition tribunicienne; (2) mais le lendemain, la peur détournant
ces tribuns de leur opposition, elle passa à une très grande majorité. On nomme
pontifes le défenseur du projet de loi, Publius Decius Mus, et Publius
Sempronius Sophus, Caius Marcius Rutilus, Marcus Livius Denter; on nomme cinq
augures également plébéiens: Caius Genucius, Publius Aelius Paetus, Marcus
Minucius Faesus, Caius Marcius, Titus Publilius. Ainsi on porta à huit le nombre
des pontifes, à neuf celui des augures.
(3) La même année, le consul Marcus Valerius présenta, sur
l'appel au peuple, une loi comportant des sanctions plus sérieuses que les
précédentes. C'était la troisième proposée depuis l'expulsion des rois, et
toujours par la même famille. (4) La raison pour laquelle on la renouvelait
souvent, ce fut uniquement, je crois, que la puissance de quelques hommes
l'emportait sur la liberté de la plèbe. Seule cependant, la loi Porcia semble
avoir été portée pour défendre les citoyens contre les sévices, parce qu'elle
punit d'une lourde peine quiconque aura frappé ou tué un citoyen romain; (5) la
loi Valeria, tout en défendant de battre de verges ou de frapper de la hache le
citoyen qui avait fait appel au peuple, ajoutait seulement que qui
l'enfreindrait "agirait mal". (6) Vu le sentiment de l'honneur qu'on avait
alors, cela parut, je crois, une chaîne assez forte pour la faire observer;
aujourd'hui, on aurait peine à prendre au sérieux une telle menace.
(7) Le même consul fit une guerre, qui n'eut rien de
mémorable, contre les Èques révoltés, mais qui, en dehors de leur courage
farouche, n'avaient rien de leur ancienne fortune. (8) L'autre consul, Apuleius,
assiégea en Ombrie la place de Nequinum. L'endroit était escarpé, et même, d'un
côté, à pic - du côté où est maintenant Narnia - et ne pouvait être pris ni
d'assaut, ni par des lignes d'investissement. (9) Aussi cette entreprise
inachevée revint-elle aux nouveaux consuls, Marcus Fulvius Paetus, Titus Manlius
Torquatus.
(10) Comme, pour cette année-là, Quintus Fabius avait été élu
consul, sans être candidat, par toutes les centuries, il demanda lui-même, au
dire de Macer Licinius et de Tubero, qu'on remît son consulat à une année où il
y aurait plus de guerres: (11) pour l'année présente, il serait, dit-il, plus
utile à l'État dans une magistrature urbaine. Sans cacher, ainsi, ses
préférences, mais sans poser non plus sa candidature, il fut nommé édile curule
avec Lucius Papirius Cursor. (12) Je ne donne pas le fait pour certain, parce
que Pison, annaliste plus ancien, rapporte que, cette année là, les édiles
curules furent Cneius Domitius, fils de Cneius, Calvinus, et Spurius Carvilius,
fils de Quintus, Maximus. (13) C'est ce surnom, je crois, qui causa l'erreur au
sujet des édiles, et il en résulta cette histoire, mélange d'élections
édilitiennes et consulaires, inventée pour expliquer l'erreur.
(14) Cette année-là aussi, le lustre fut accompli par les
censeurs Publius Sempronius Sophus et Publius Sulpicius Saverrio, et l'on ajouta
deux nouvelles tribus, l'Aniensis et la Teretina. Voilà ce qu'on fit à Rome.
Prise de Néquinum en Ombrie. Les Gaulois quittent le territoire des
Étrusques (299)
[X, 10]
(1)Mais, alors qu'à Nequinum un blocus peu rigoureux faisait
perdre leur temps aux Romains, deux des habitants, dont les maisons touchaient
le rempart, creusent un passage souterrain et arrivent aux postes romains par ce
chemin dérobé. (2° De là, menés au consul, ils affirment qu'ils introduiront un
détachement en armes à l'intérieur du rempart et des murs. (3) Il ne fallait,
pensa-t-on, ni dédaigner cette promesse, ni s'y fier sans précaution. Avec l'un
des assiégés - l'autre étant retenu comme otage - on envoie deux éclaireurs par
ce tunnel. (4) L'affaire bien reconnue par eux, trois cents hommes armés,
conduits par le déserteur, entrèrent dans la ville et prirent de nuit la porte
la plus proche. Ils l'enfoncèrent, et, par là, le consul et l'armée romaine
envahirent la ville sans combat. (5) Ainsi Nequinum tomba sous la loi du peuple
romain. Une colonie y fut envoyée pour résister aux Ombriens, et appelée, du nom
du fleuve, Narnia; l'armée, chargée d'un grand butin, fut ramenée à Rome.
(6) La même année les Étrusques, malgré la trêve, préparaient
la guerre; mais, comme ils s'occupaient d'une telle entreprise, une grande armée
gauloise, pénétrant sur leur territoire, les détourna un peu de leur projet. (7)
Puis, comptant sur leur argent, qui leur donnait grand pouvoir, ils s'efforcent
de transformer ces Gaulois ennemis en alliés, pour faire, avec cette armée comme
renfort, la guerre aux Romains. (8) Les barbares ne refusent pas cette alliance;
on traite du prix. Celui-ci convenu et versé, comme tout était prêt pour la
guerre et que l'Étrusque disait aux Gaulois de le suivre, ils déclarent que, par
ce marché, ils ne se sont pas engagés à faire la guerre aux Romains: (9) tout ce
qu'ils ont reçu, ils l'ont reçu pour ne pas dévaster le territoire étrusque, ni
harceler de leurs armes ses paysans. (10) Ils feront pourtant cette campagne, si
les Étrusques y tiennent absolument, mais à ce seul prix qu'ils seront admis à
un partage du territoire, et se fixeront enfin dans une résidence déterminée.
(11) Nombreuses furent, à ce sujet, les réunions des peuples d'Étrurie, mais on
ne put aboutir, moins parce qu'on craignait de diminuer le territoire que parce
que chacun redoutait de se donner comme voisins des hommes d'une nation si
sauvage. (12) Ainsi renvoyés, les Gaulois emportèrent une grosse somme d'argent,
gagnée sans peine ni danger. À Rome, ce fut une terreur à l'annonce d'une
invasion gauloise s'ajoutant à la guerre contre les Étrusques: on hésita
d'autant moins à conclure un traité avec le peuple picentin.
Les Samnites menacent les Lucaniens, alliés de Rome (298)
[X, 11]
(1) La "province" d'Étrurie échut au consul Titus Manlius. À
peine entré en territoire ennemi, comme, en s'entraînant au milieu des
cavaliers, il faisait tourner son cheval en plein galop, il fut jeté à terre et
faillit expirer sur-le-champ; le troisième jour après cette chute vit finir la
vie du consul. (2) Prenant cet accident comme un présage pour la guerre, les
Étrusques dirent que les dieux avaient engagé la lutte à leur place, et leur
courage en grandit. (3) À Rome, le regret de cette mort, surtout dans des
circonstances si fâcheuses, en rendit la nouvelle funeste; si les sénateurs
n'ordonnèrent pas de nommer un dictateur, seule l'élection d'un consul subrogé
répondant au choix des personnages importants les en empêcha. (4) Ce fut Marcus
Valerius que tous les suffrages, toutes les centuries nommèrent consul, l'homme
même que le sénat avait eu l'intention de faire nommer dictateur. Il lui ordonna
alors de rejoindre aussitôt les légions d'Étrurie. (5) Son arrivée calma si bien
les Étrusques, qu'aucun n'osait sortir des retranchements et qu'ils étaient
craintifs comme des assiégés. (6) Et le nouveau consul, en ravageant leurs
terres, en brûlant leurs maisons, quoique çà et là non seulement des fermes,
mais des villages peuplés fument, incendiés, ne peut les attirer au combat.
(7) Tandis que cette guerre durait plus qu'on ne s'y
attendait, le bruit d'une seconde guerre, justement redoutée à cause des
défaites subies tour à tour par les deux adversaires, s'éleva, sur une
dénonciation des nouveaux alliés, les Picentins: les Samnites, disaient-ils,
regardaient du côté des armes et de la révolte; ils les avaient sollicités. (8)
On remercia les Picentins, et les sénateurs reportèrent la plupart de leurs
soucis de l'Étrurie sur les Samnites. La cherté du blé inquiéta aussi les
citoyens, et l'on en serait venu à une extrême disette, comme l'ont écrit ceux
qui veulent que Fabius Maximus ait été édile cette année-là, si l'activité de
cet homme, telle qu'elle avait été souvent à la guerre, ne s'était montrée alors
à l'intérieur dans la distribution des vivres, pour amasser et faire transporter
des blés.
(10) La même année, on en vint (sans que la raison nous en
soit donnée) à un interrègne. Les interrois furent Appius Claudius, puis Publius
Sulpicius. Celui-ci présida des élections consulaires, et proclama consuls
Lucius Cornelius Scipion et Cneius Fulvius.
(11) Au début de la nouvelle année, des parlementaires
lucaniens vinrent se plaindre aux nouveaux consuls de ce que les Samnites,
n'ayant pu, par leurs propositions, amener les Lucaniens à une alliance
militaire avec eux, étaient entrés en ennemis sur leur territoire, qu'ils
ravageaient, et les forçaient, par la guerre, à la guerre. (12) Le peuple
lucanien, disent-ils, a assez fait, trop fait de fautes jadis; maintenant il est
si résolu, qu'il juge plus acceptable de tout supporter, de tout souffrir, que
de jamais manquer, dorénavant, au nom romain. (13) Il prie le sénat et de
recevoir les Lucaniens sous sa protection, et d'écarter d'eux les violences et
les outrages des Samnites. Pour les Lucaniens, quoique, en prenant sur eux une
guerre contre les Samnites, ils se soient, désormais, fait une nécessité de la
fidélité envers les Romains, ils sont prêts cependant à leur livrer des otages.
Victoire des armées consulaires sur les Étrusques et sur les Samnites (299)
[X, 12]
(1) La délibération du sénat fut courte: tous à l'unanimité
sont d'avis de s'allier avec les Lucaniens et d'adresser une réclamation aux
Samnites. (2) On répondit favorablement aux Lucaniens et l'on conclut un traité
avec eux; on envoya les féciaux inviter les Samnites à quitter le territoire des
alliés de Rome et à faire sortir leur adnée des frontières de la Lucanie. Ils
rencontrèrent des envoyés samnites chargés de leur annoncer que, s'ils se
présentaient dans une assemblée publique du Samnium, ils ne s'en tireraient pas
sans violences.
(3) À cette nouvelle, à Rome, la guerre contre les Samnites
fut votée par le Sénat et ordonnée par le peuple. Les consuls se partagèrent les
"provinces": l'Étrurie échut à Scipion, les Samnites à Fulvius; et, en sens
opposé, chacun d'eux partit pour la guerre dont il était chargé. (4) Scipion,
qui s'attendait à une guerre mollement menée, et semblable à la campagne de
l'année précédente, vit, à Volaterrae, les ennemis accourir contre lui en
colonne prête au combat. (5) On lutta la plus grande partie du jour, avec de
fortes pertes de part et d'autre; la nuit sépare les adversaires sans qu'ils
sachent à qui est donnée la victoire. Le jour suivant montra le vainqueur et le
vaincu: car les Étrusques, dans le silence de la nuit, abandonnèrent leur camp.
(6) Le Romain, sorti en bataille, quand il voit que les ennemis, en partant, lui
ont cédé la victoire, marche vers leur camp, et s'empare de ce camp vide de
soldats, mais contenant un très grand butin; car c'était un camp fixe, et on
l'avait abandonné précipitamment. (7) De là on ramena les troupes en territoire
falisque, et, les trains ayant été laissés à Faléries sous une faible garde,
l'armée, sans bagages, marche vers le territoire ennemi pour le dévaster. (8)
Tout est ravagé par le fer et par le feu; de tous côtés on ramène du butin. Ce
ne fut pas le sol seulement qu'on laissa dévasté à l'ennemi: aux châteaux forts
même et aux villages on mit le feu; mais on s'abstint d'attaquer les villes où
la peur avait chassé en foule les Étrusques.
(9) Le consul Cneius Fulvius livra dans le Samnium, à
Bovianum, une bataille célèbre, où la victoire ne fut pas douteuse. Puis il
attaqua Bovianum et peu après prit d'assaut Aufidena.
L'élection de Fabius Maximus pour un quatrième consulat (298)
[X, 13]
(1) La même année on conduisit à Carséoles une colonie sur le
territoire des Aequicoles. Le consul Fulvius triompha des Samnites. (2) Comme
l'élection des consuls approchait, le bruit s'éleva que les Étrusques et les
Samnites enrôlaient de grandes armées: (3) ouvertement, dans toutes les
assemblées, on attaquait les chefs étrusques pour n'avoir pas amené, à n'importe
quelle condition, les Gaulois à la guerre; on reprochait aux magistrats samnites
d'avoir opposé aux Romains une armée préparée contre un ennemi comme les
Lucaniens: (4) le résultat, c'était, disait-on à Rome, que les ennemis se
levaient pour la guerre avec leurs forces et celles de leurs alliés, et qu'elle
était bien inégale, la lutte qu'il fallait soutenir.
(5) La crainte de cette guerre fit que, malgré la candidature
au consulat d'hommes illustres, tous tournèrent les yeux vers Quintus Fabius
Maximus, qui, d'abord, n'était pas candidat, puis alla même, quand il vit la
faveur populaire pencher vers lui, jusqu'à refuser: (6) pourquoi venait-on,
dit-il, quand il était déjà vieux et avait connu toutes les peines et les
récompenses de ces peines, troubler son repos? Ni son corps, ni son esprit ne
gardaient leur ancienne vigueur; il craignait même la fortune, et que quelque
dieu ne trouvât la sienne déjà excessive, et plus constante que ne le veulent
les choses humaines. (7) Comme sa gloire avait grandi après celle de ses
prédécesseurs, d'autres hommes s'élevaient pour atteindre à sa propre gloire, il
le voyait avec joie; ni les grands honneurs, à Rome, ne manquaient aux hommes
très valeureux, ni, à ces honneurs, ne manquaient les hommes valeureux.
(8) Il aiguisait par cette modestie les sentiments si
légitimes de la foule. Pensant les apaiser par le respect des lois, il fit lire
celle qui exigeait un intervalle de dix ans entre deux consulats du même homme.
(9) Le bruit empêcha presque d'entendre la loi, et les tribuns de la plèbe
déclaraient que cela ne serait pas un empêchement: ils proposeraient au peuple
d'affranchir Fabius des lois. (10) Lui persistait à refuser, demandant à quoi
servirait de voter des lois que les hommes mêmes qui les auraient fait voter
ruineraient: (11) désormais, disait-il, on commande aux lois au lieu qu'elles
commandent. Le peuple n'en passait pas moins au vote et chaque centurie appelée
dans le "parc" pour voter nommait évidemment consul Fabius. (12) Alors
seulement, vaincu par cet accord de ses concitoyens, il dit: "Que les dieux
approuvent ce que vous faites et ce que vous ferez, Quirites! Mais, puisque vous
allez faire, à mon sujet, ce que vous voulez, puisse, au sujet de mon collègue
mon crédit trouver place auprès de vous: (13) c'est Publius Decius, avec qui
j'ai éprouvé mon entente quand il était mon collègue, et qui est digne de vous,
digne de son père, que je vous prie de nommer consul avec moi". Cette
recommandation parut légitime: toutes les centuries restantes nommèrent consuls
Quintus Fabius et Publius Decius.
(14) Cette année-là les édiles assignèrent beaucoup de
citoyens, parce qu'ils possédaient plus de terre que ne permettait la loi;
presque aucun ne se justifia, et cela entrava fortement une avidité démesurée.
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