Abrégé de l'histoire universelle depuis Charlemagne jusques à
Charlequint
Chapitre II :
Des Indes, de la Perse, de l'Arabie, et du Mahométisme. |
En me ramenant vers l'Europe, je trouve d'abord l'Inde ou l'Indoustan, Contrée
un peu moins vaste que la Chine, et plus connue par les denrées précieuses que
l'industrie des Négociants en a tiré dans tous les temps, que par des relations
exactes.
Une chaîne de montagnes peu interrompues, semble en avoir fixé les limites entre
la Chine, la Tartarie et la Perse. Le reste est entouré de mers. Cependant
l'Inde en-deçà du Gange fut longtemps soumise aux Persans, et voilà pourquoi
Alexandre, vengeur de la Grèce et vainqueur de Darius, poussa ses conquêtes
jusqu'aux Indes tributaires de son ennemi. Depuis Alexandre les Indiens avaient
vécu dans la liberté et dans la mollesse qu'inspirent la valeur du climat et la
richesse de la terre.
Les Grecs y voyageaient avant Alexandre pour y chercher la Science. C'est là que
le célèbre Pilpay écrivit, il y a 2300 années, ces "Fables Morales", traduites
dans presque toutes les Langues du Monde. Le Jeu des Échecs y fut inventé. Les
Chiffres dont nous nous servons, et que les Arabes nous ont apporté vers le
temps de Charlemagne, nous viennent de l'Inde. Peut-être les anciennes
Médailles, dont les Curieux Chinois font tant de cas, sont une preuve que les
Arts furent cultivés aux Indes avant d'être connus des Chinois.
On y a de temps immémorial divisé la route annuelle du Soleil en douze parties.
L'année des Bracmanes et des plus anciens Gymnosophistes commença toujours,
quand le Soleil entrait dans la Constellation qu'ils nomment "Moscham", et qui
est pour nous le Bélier. Leurs Semaines furent toujours de sept jours: division
que les Grecs ne connurent jamais. Leurs Jours portent les noms des sept
Planètes. Le Jour du Soleil est appelé chez eux "Mitradinam", reste à savoir si
ce mot "Mitra", qui chez les Perses signifie aussi le Soleil, est originairement
un terme de la Langue des Mages, ou de celle des Sages de l'Inde. Il est bien
difficile de dire, laquelle des deux Nations enseigna l'autre; mais s'il
s'agissait de décider entre les Indes et l'Égypte, je croirais les Sciences bien
plus anciennes dans les Indes. Ma conjecture est fondée sur ce que le terrain
des Indes est bien plus aisément habitable que le terrain voisin du Nil, dont
les débordements dûrent longtemps rebuter les premiers Colons, avant qu'ils
eussent dompté ce fleuve en creusant des canaux. Le sol des Indes est d'ailleurs
d'une fertilité bien plus variée, et qui a dû exciter davantage la curiosité et
l'industrie humaine: mais il ne paraît pas que la Science du Gouvernement et de
la Morale y ait été perfectionnée autant que chez les Chinois.
La Superstition y a dès longtemps étouffé les Sciences qu'on y venait apprendre
dans les temps reculés. Les Bonzes et les Bramins, y soutiennent la doctrine de
la Métempsycose. Ils y répandent d'ailleurs l'abrutissement avec l'erreur: ils
engagent, quand ils peuvent, les femmes à se brûler sur le corps de leurs maris
morts. Les vastes Côtes de Coromandel sont en proie à ces coutumes affreuses,
que le Gouvernement Mahométan n'a pu encore détruire.
Ces Bramins, qui entretiennent dans le peuple la plus stupide idolâtrie, ont
pourtant entre leurs mains un des plus anciens Livres du Monde, écrit par leurs
premiers Sages, dans lequel on ne reconnaît qu'un seul Être suprême. Ils
conservent précieusement ce témoignage qui les condamne. Ils prêchent des
erreurs qui leur sont utiles, et cachent une vérité qui ne serait que
respectable.
Dans ce même Indoustan sur les Côtes de Malabar et de Coromandel, on est surpris
de trouver des Chrétiens établis depuis environ 1200 ans. Ils se nomment les
Chrétiens de St. Thomas. Un Marchand Chrétien de Syrie nommé "Mar Thomas" ("Mar"
signifie "Monsieur") y établit sa religion avec son commerce. Il y laissa une
nombreuse famille, des Facteurs, des Ouvriers, qui s'étant un peu multipliés,
ont depuis douze Siècles conservé la Religion de "Mar Thomas", qu'on n'a pas
manqué de prendre ensuite pour St. Thomas l'Apôtre.
Ces Chrétiens ne connaissaient ni la Suprématie de Rome, ni la
Transubstantiation, ni plusieurs Sacrements, ni le Purgatoire, ni le Culte des
Images. Nous verrons en son temps comment de nouveaux Missionnaires leur ont
appris ce qu'ils ignoraient.
En remontant vers la Perse, on y trouve un peu avant le temps qui me sert
d'époque, la plus grande et la plus prompte révolution que nous connaissions sur
la Terre.
Une nouvelle Domination, une Religion et des Moeurs jusqu'alors inconnues,
avaient changé la face de ces Contrées; et ce changement s'étendait déjà fort
avant en Asie, en Afrique et en Europe.
Pour me faire une idée du Mahométisme qui a donné une nouvelle forme à tant
d'Empires, je me rappellerai d'abord les parties du Monde qui lui furent les
premières soumises.
La Perse avait étendu sa domination avant Alexandre, de l'Égypte à la Bactriane
au-delà du Pays où est aujourd'hui Samarcande, et de la Thrace jusqu'au Fleuve
de l'Inde.
Divisée et resserrée sous les Séleucides, elle avait repris des accroissements
sous Arsaces le Parthien 250 ans avant Jésus Christ. Les Arsacides n'eurent ni
la Syrie, ni les Contrées qui bordent le Pont-Euxin; mais ils disputèrent avec
les Romains de l'Empire de l'Orient, et leur opposèrent toujours des barrières
insurmontables.
Du temps d'Alexandre Sévère, vers l'an 226, Artaxare enleva ce Royaume et
rétablit l'Empire des Perses, dont l'étendue ne différait guères alors de ce
qu'elle est de nos jours.
Au milieu de toutes ces révolutions, l'ancienne Religion des Mages s'était
toujours soutenue en Perse, et ni les Dieux des Grecs, ni d'autres Divinités
n'avaient prévalu.
Noushirvan ou Cosroés le Grand, sur la fin du VIe Siècle, avait étendu son
empire dans une partie de l'Arabie pétrée et de celle qu'on nommait heureuse. Il
en avait chassé des Abyssins Chrétiens, qui l'avaient envahie. Il proscrivit
autant qu'il le put le Christianisme de ses propres États, forcé à cette
sévérité par le crime d'un fils de sa femme, qui s'étant fait Chrétien, se
révolta contre lui.
La dernière année du règne de ce fameux Roi, naquit Mahomet à la Mecque dans
l'Arabie pétrée en 570. Son Pays défendait alors sa liberté contre les Perses et
contre ces Princes de Constantinople, qui retenaient toujours le nom d'Empereurs
Romains.
Les enfants du Grand Noushirvan, indignes d'un tel Père, désolaient la Perse par
des guerres civiles et par des parricides. Les successeurs du sage Justinien
avilissaient le nom de l'Empire. Maurice venait d'être détrôné par les armes de
Phocas, et par les intrigues du Patriarche Ciriaque et de quelques Évêques, que
Phocas punit ensuite de l'avoir servi. Le sang de Maurice et de ses cinq fils
avait coulé sous la main du bourreau; et le Pape Grégoire le Grand, ennemi des
Patriarches de Constantinople, tâchait d'attirer le Tyran Phocas dans son parti,
en lui prodiguant des louanges, et en condamnant la mémoire de Maurice, qu'il
avait loué pendant sa vie.
L'Empire de Rome en Occident était anéanti, un déluge de Barbares, Goths,
Hérules, Huns, Vandales inondaient l'Europe, quand Mahomet jetait dans les
Déserts de l'Arabie les fondements de la Religion et de la Puissance Musulmane.
On sait que Mahomet était le cadet d'une famille pauvre, qu'il fut longtemps au
service d'une femme de la Mecque, nommée Caditscha, laquelle exerçait le négoce;
qu'il l'épousa, et qu'il vécut obscur jusqu'à l'âge de quarante ans. Il ne
déploya qu'à cet âge les talents qui le rendaient supérieur à ses compatriotes.
Il avait une éloquence vive et forte, dépouillée d'art et de méthode, telle
qu'il la fallait à des Arabes; un air d'autorité et d'insinuation, animé par des
yeux perçants et par une physionomie heureuse; l'intrépidité d'Alexandre, sa
libéralité, et la sobriété dont Alexandre aurait eu besoin pour être un
grand-homme en tout.
L'amour, qu'un tempérament ardent lui rendait nécessaire, et qui lui donna tant
de femmes et de concubines, n'affaiblit ni son courage, ni son application, ni
sa santé. C'est ainsi qu'en parlent les Arabes contemporains, et ce portrait est
justifié par ses actions.
Après avoir bien connu le caractère de ses concitoyens, leur ignorance, leur
crédulité et leur disposition à l'enthousiasme, il vit qu'il pouvait s'ériger en
Prophète. Il feignit des révélations, il parla, il se fit croire d'abord dans sa
maison, ce qui était probablement le plus difficile. En trois ans il eut
quarante-deux disciples persuadés; Omar, son persécuteur, devint son Apôtre; au
bout de cinq ans il en eut 114.
Il enseignait aux Arabes adorateurs des Étoiles, qu'il ne fallait adorer que le
Dieu qui les a faites: que les Livres des Juifs et des Chrétiens s'étant
corrompus et falsifiés, on devait les avoir en horreur: qu'on était obligé sous
peine de châtiment éternel de prier cinq fois par jour; de donner l'aumône; et
surtout, en ne reconnaissant qu'un seul Dieu, de croire en Mahomet son dernier
Prophète; enfin de hasarder sa vie pour sa foi.
Il défendit l'usage du Vin, parce que l'abus en est trop dangereux. Il conserva
la Circoncision pratiquée par les Arabes, ainsi que par les anciens Égyptiens,
instituée probablement pour prévenir ces abus de la première puberté, qui
énervent souvent la jeunesse. Il permit aux hommes la pluralité des femmes,
usage immémorial de tout l'Orient. Il n'altéra en rien la Morale, qui a toujours
été la même dans le fond chez tous les hommes, et qu'aucun Législateur n'a
jamais corrompue.
Il proposait pour récompense une Vie éternelle, où l'Âme serait enivrée de tous
les plaisirs spirituels, et où le Corps ressuscité avec ses sens goûterait par
ces sens même toutes les voluptés qui lui sont propres.
Sa Religion s'appela l'"Islamisme", qui signifie "résignation à la volonté de
Dieu". Le Livre qui la contient, s'appela "Coran", c'est-à-dire le "Livre", ou
l'"Écriture", ou "la Lecture par excellence".
Tous les Interprètes de ce Livre conviennent que sa morale est contenue dans ces
paroles: "Recherchez qui vous chasse; donnez à qui vous offense; pardonnez à qui
vous offense; faites du bien à tous; ne contestez point avec les Ignorants".
Parmi les déclamations incohérentes, dont ce Livre est rempli selon le goût
Oriental, on ne laisse pas de trouver des morceaux qui peuvent paraître
sublimes. Mahomet, par exemple, en parlant de la cessation du Déluge, s'exprime
ainsi. "Dieu dit, Terre engloutis tes eaux, Ciel puise les ondes que tu a
versées: le Ciel et la Terre obéirent".
Sa définition de Dieu est d'un genre plus véritablement sublime. On lui
demandait quel était cet "Alla" qu'il annonçait: "C'est celui", répondit-il,
"qui tient l'être de soi-même, et de qui les autres le tiennent; qui n'engendre
point, et qui n'est point engendré; et à qui rien n'est semblable dans toute
l'étendue des Êtres".
Il est vrai que les contradictions, les absurdités, les anachronismes sont
répandues en foule dans ce Livre. On y voit surtout une ignorance profonde de la
Physique la plus simple et la plus connue. C'est-là la pierre de touche des
Livres que les fausses Religions prétendent écrits par la Divinité; car Dieu
n'est ni absurde ni ignorant; mais le Vulgaire qui ne voit point ces fautes, les
adore, et les Docteurs emploient un déluge de paroles pour les pallier.
Quelques personnes ont cru sur un passage équivoque de l'Alcoran, que Mahomet ne
savait ni lire ni écrire; ce qui ajouterait encore aux prodiges de ses succès:
mais il n'est pas vraisemblable qu'un homme qui avait été négociant si
longtemps, ne sût pas ce qui est si nécessaire au négoce: encore moins est-il
probable, qu'un homme si instruit des Histoires et des Fables de son Pays,
ignorât ce que savaient tous les enfants de sa Patrie. D'ailleurs les Auteurs
Arabes rapportent qu'en mourant, Mahomet demanda une plume et de l'encre.
Persécuté à la Mecque, sa fuite qu'on nomme "Égire", devint l'époque de sa
gloire et de la fondation de son Empire. De fugitif il devint conquérant;
réfugié à Médine, il y persuada le peuple et l'asservit: il battit d'abord avec
113 hommes les Mecquois, qui étaient venus fondre sur lui au nombre de mille.
Cette victoire, qui fut un miracle aux yeux de ses Sectateurs, les persuada que
Dieu combattait pour eux, comme eux pour lui. Dès la première victoire, ils
espérèrent la conquête du Monde. Mahomet prit la Mecque, vit ses persécuteurs à
ses pieds, conquit en neuf ans par la parole et par les armes toute l'Arabie,
Pays aussi grand que la Perse, et que les Perses ni les Romains n'avaient pu
conquérir.
Dès ses premiers succès il avait écrit au Roi de Perse Cosroès Second, à
l'Empereur Héraclius, au Prince des Coptes Gouverneur d'Égypte, au Roi des
Abyssins, à un Roi nommé Mandar, qui régnait dans une Province près du Golfe
Persique.
Il osa leur proposer d'embrasser sa Religion; et ce qui est étrange, c'est que
de ces Princes il y en eut deux qui se firent Mahométans. Ce furent le Roi
d'Abyssinie et ce Mandar. Cosroès déchira la Lettre de Mahomet avec indignation.
Héraclius répondit par des présents. Le Prince des Coptes lui envoya une Fille
qui passait pour un chef-d'oeuvre de la Nature, et qu'on appelait "La belle
Marie".
Mahomet au bout de neuf ans se croyant assez fort pour étendre sa conquête et sa
religion dans l'Empire Grec et Persan, commença par attaquer la Syrie soumise
alors à Héraclius, et lui prit quelques Villes. Cet Empereur entêté de disputes
métaphysiques de Religion, et qui avait pris le parti des Monothélites, essuya
en peu de temps deux propositions bien singulières; l'une de la part de Cosroès
Second, qui l'avait longtemps vaincu, et l'autre de la part de Mahomet. Cosroès
voulait qu'Héraclius embrassât la Religion des Mages, et Mahomet qu'il se fît
Musulman.
Enfin Mahomet maître de l'Arabie, et redoutable à tous ses voisins, attaqué
d'une maladie mortelle à Médine à l'âge de 63 ans, voulut que ses derniers
moments parussent ceux d'un Héros et d'un Juste: "Que celui à qui j'ai fait
violence et injustice paraisse", s'écria-t-il, "et je suis prêt de lui faire
réparation". Un homme se leva, qui lui redemanda quelque argent; Mahomet le lui
fit donner, et expira peu de temps après, regardé comme un grand-homme par ceux
mêmes qui savaient qu'il était un imposteur, et révéré comme un Prophète par
tout le reste.
Sa dernière volonté ne fut point exécutée. Il avait nommé Aly son gendre et
Fatime sa fille pour les héritiers de son Empire. Mais l'ambition qui l'emporte
sur le fanatisme même, engagea les Chefs de son Armée à déclarer Calife,
c'est-à-dire Vicaire du Prophète, le vieux Abubéker son beau-père, dans
l'espérance qu'ils pourraient bientôt eux-mêmes partager la succession. Aly
resta dans l'Arabie, attendant le temps de se signaler.
Abubéker rassembla d'abord en un corps les feuilles éparses de l'Alcoran. On lut
en présence de tous les Chefs les chapitres de ce Livre, et on établit son
authenticité invariable.
Bientôt Abubéker mena ses Musulmans en Palestine, et y défit le frère
d'Héraclius. Il mourut peu après avec la réputation du plus généreux de tous les
hommes, n'ayant jamais pris pour lui qu'environ quarante sous de notre monnaie
par jour de tout le butin qu'on partageait, et ayant fait voir combien le mépris
des petits intérêts peut s'accorder avec l'ambition que les grands intérêts
inspirent.
Omar élu après lui fut un des plus rapides Conquérants qui aient désolé la
Terre. Il prend d'abord Damas, célèbre par la fertilité de son territoire, par
les ouvrages d'acier les meilleurs de l'Univers, par ces étoffes de Soie qui
portent encore son nom. Il chasse de la Syrie et de la Phénicie les Grecs qu'on
appelait Romains. Il reçoit à composition après un long siège, la Ville de
Jérusalem toujours occupée par des étrangers, qui se succédèrent les uns aux
autres, depuis que David l'eut enlevée à ses
anciens citoyens.
Dans le même temps les Lieutenants d'Omar s'avançaient en Perse. Le dernier des
Rois Persans, que nous appelons Hormisdas IV, livre bataille aux Arabes à
quelques lieues de Madain, devenue la Capitale de cet Empire. Il perd la
bataille et la vie. Les Perses passent sous la domination d'Omar, plus
facilement qu'ils n'avaient subi le joug d'Alexandre.
Alors tomba cette ancienne Religion des Mages, que le Vainqueur de Darius avait
respectée; car il ne toucha jamais au culte des Peuples vaincus.
Les Mages fondés par Zoroastre et réformés ensuite par un autre Zoroastre du
temps de Darius, fils d'Hydaspes, adorateurs d'un seul Dieu, ennemis de tout
simulacre, révéraient dans le Feu qui donne la vie à la Nature, l'emblême de la
Divinité. Ils reconnaissaient de tout temps un mauvais Principe, à qui Dieu
permettait de faire le mal, ils le nommaient "Satan", et c'est parmi eux que
Mannés avait puisé sa Doctrine des deux Principes. Ils regardaient leur Religion
comme la plus ancienne et la plus pure. La connaissance qu'ils avaient des
Mathématiques, de l'Astronomie et de l'Histoire, augmentait leur mépris pour
leurs vainqueurs alors ignorants. Ils ne purent abandonner une Religion
consacrée par tant de siècles pour une Secte ennemie qui venait de naître.
Ils se retirèrent aux extrémités de la Perse et de l'Inde. C'est là qu'ils
vivent aujourd'hui sous le nom de "Gavres" ou de "Guèbres", ne se mariant
qu'entre eux, entretenant le Feu sacré, fidèles à ce qu'ils connaissent de leur
ancien culte, mais ignorants, méprisés et, à leur pauvreté près, semblables aux
Juifs si longtemps dispersés sans s'allier aux autres Nations, et plus encore
aux Banians, qui ne sont établis et dispersés que dans l'Inde.
Tandis qu'un Lieutenant d'Omar subjugue la Perse, un autre enlève l'Égypte
entière aux Romains et une grande partie de la Lybie. C'est dans cette conquête
qu'est brûlée la fameuse Bibliothèque d'Alexandrie, monument des connaissances
et des erreurs des hommes, commencée par Ptolémée Philadelphe, et augmentée par
tant de Rois. Alors les Sarrasins ne voulaient de Science que l'Alcoran.
Après Omar tué par un Esclave Perse, Aly ce gendre de Mahomet que les Persans
révèrent aujourd'hui, et dont ils suivent les principes en opposition à ceux
d'Omar, obtint enfin le Califat, et transféra le Siège des Califes dans la Ville
de Médine, où Mahomet est enseveli dans la Ville de Couffa sur les bords de
l'Euphrate: à peine en reste-t-il aujourd'hui des ruines. C'est le sort de
Babylone, de Séleucie, et de toutes les anciennes Villes de la Chaldée, qui
n'étaient bâties que de briques.
Après le règne de seize Califes de la Maison des Ommiades, régnèrent les Califes
Abassides. C'est Abougrafar Almanzor, second Calife Abasside, qui fixa le Siège
de ce grand Empire à Bagdad au-delà de l'Euphrate dans la Chaldée. Les Turcs
disent qu'il en jeta les fondements. Les Persans assurent qu'elle était
très-ancienne, et qu'il ne fit que la réparer. C'est cette Ville qu'on appelle
quelquefois Babylone, et qui a été le sujet de tant de guerres entre la Perse et
la Turquie.
La domination des Califes dura 655 ans, despotiques dans la Religion, comme dans
le Gouvernement. Ils n'étaient point adorés, ainsi que le grand Lama; mais ils
avaient une autorité plus réelle, et dans les temps même de leur décadence, ils
furent respectés des Princes qui les persécutaient. Tous ces Sultans Turcs,
Arabes, Tartares, reçurent l'investiture des Califes, avec bien moins de
contestation, que plusieurs Princes Chrétiens n'en ont reçu des Papes. On ne
baisait point les pieds du Calife, mais on se prosternait sur le seuil de son
Palais.
Si jamais Puissance a menacé toute la Terre, c'est celle de ces Califes, car ils
avaient le droit du Trône et de l'Autel, du Glaive et de l'Enthousiasme. Leurs
ordres étaient autant d'oracles, et leurs soldats autant de fanatiques.
Dès l'an 671 ils assiégèrent Constantinople, qui devait un jour devenir
Mahométane; les divisions presque inévitables parmi tant de Chefs féroces,
n'arrêtèrent pas leurs conquêtes. Ils ressemblèrent en ce point aux anciens
Romains, qui parmi leurs guerres civiles avaient subjugué l'Asie mineure.
On les voit en 711 passer d'Égypte en Espagne, soumise aisément tour à tour, par
les Carthaginois, par les Romains, par les Goths et Vandales, et enfin par ces
Arabes qu'on nomme Maures. Ils y établissent d'abord le Royaume de Cordoue. Le
Sultan d'Égypte secoue à-la-vérité le joug du grand Calife de Bagdag, et
Abdérame, Gouverneur de l'Espagne conquise, ne reconnaît plus le Sultan
d'Égypte; cependant tout plie encore sous les Armes Musulmanes.
Cet Abdérame, petit-fils du Calife Hétham, prend les Royaumes de Castille, de
Navarre, de Portugal, d'Aragon, il établit les siens en Languedoc, il s'empare
de la Guyenne et du Poitou; et sans Charles Martel, qui lui ôta la victoire et
la vie, la France était une Province Mahométane.
À mesure que les Mahométans devinrent puissants, ils se polirent. Ces Califes
toujours reconnus pour Souverains de la Religion, et en apparence de l'Empire,
par ceux qui ne reçoivent plus leurs ordres de si loin, tranquilles dans leur
nouvelle Babylone, y font enfin renaître les Arts. Aaron Rachild contemporain de
Charlemagne, plus respecté que ses prédécesseurs, et qui sut se faire obéir
jusqu'en Espagne et aux Indes, ranima les Sciences, fit fleurir les Arts
agréables et utiles, attira les Gens-de-Lettres, composa des vers, et fit
succéder dans ses vastes États la Politique à la Barbarie. Sous lui les Arabes
qui adoptaient déjà les Chiffres Indiens, nous les apportèrent. Nous ne connûmes
en Allemagne et en France le cours des Astres, que par le moyen de ces mêmes
Arabes. Le mot seul d'"Almanach" en est encore un témoignage.
L'Almageste de Ptolémée fut alors traduit du Grec en Arabe par l'astronome
Benhonain. Ce Calife Almanon fit mesurer géométriquement un degré du Méridien
pour déterminer la grandeur de la Terre. Opération qui n'a été faite en France
que plus de 900 ans après, sous Louis XIV. Ce même Astronome Benhonain poussa
les observations assez loin, reconnut ou que Ptolémée avait fixé la plus grande
déclinaison du Soleil trop au septentrion, ou que l'obliquité de l'Écliptique
avait changé. Il vit même que le période de trente-six mille ans qu'on avait
assigné au mouvement prétendu des Étoiles fixes d'Occident en Orient, devait
être beaucoup raccourcie.
La Chimie et la Médecine étaient cultivées par les Arabes. La Chimie
perfectionnée par nous, ne nous fut connue que par eux. Nous leur devons de
nouveaux remèdes, qu'on nomme les "minoritifs", plus doux et plus salutaires que
ceux qui étaient auparavant en usage dans l'École d'Hippocrate et de Galien.
Enfin dès le second Siècle de Mahomet, il fallut que les Chrétiens d'Occident
s'instruisissent chez les Musulmans.
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