Abrégé de l'histoire universelle depuis Charlemagne jusques à
Charlequint
Chapitre XI : État de l'Europe après la mort de Louis le Débonnaire. |
Bientôt après la mort du fils de Charlemagne son Empire éprouva ce
qui était arrivé à celui d'Alexandre, et que nous verrons bientôt être la
destinée de celui des Califes. Fondé avec précipitation, il s'écroula de même,
les guerres intestines le divisèrent.
Il n'est pas surprenant que des Princes qui avaient détrôné leur père, se soient
voulu exterminer l'un l'autre. C'était à qui dépouillerait son frère. Lothaire,
Empereur, voulait tout. Charles le Chauve Roi de France et Louis Roi de Bavière
s'unissent contre lui.
En 841, un fils de Pépin, ce Roi d'Aquitaine fils du Débonnaire, et devenu Roi
après la mort de son père, se joint à Lothaire. Ils désolent l'Empire, ils
l'épuisent de soldats.
Enfin deux Rois contre deux Rois, dont trois sont frères, et dont l'autre est
leur neveu, se livrent une bataille à Fontenay dans l'Auxerrois, dont l'horreur
est digne de guerres civiles. (842)
Plusieurs Auteurs assurent qu'il y périt cent mille hommes. Il est vrai que ces
Auteurs ne sont pas contemporains, et que du moins il est permis de douter que
tant de sang ait été répandu. L'Empereur Lothaire fut vaincu. Il donna alors au
monde l'exemple d'une politique toute contraire à celle de Charlemagne.
Le Vainqueur des Saxons les avait assujettis au Christianisme comme à un frein
nécessaire. Quelques révoltes et de fréquents retours à leur culte avaient
marqué leur horreur pour une Religion qu'ils regardaient comme leur châtiment.
Lothaire pour se les attacher, leur donne une liberté entière de conscience. La
moitié du Pays redevint idolâtre, mais fidèle à son Roi. Cette conduite et celle
de Charlemagne son grand-père, firent voir aux hommes combien diversement les
Princes plient la Religion à leurs intérêts.
Les disgrâces de Lothaire en fournirent un autre exemple: ses deux frères,
Charles le Chauve et Louis de Bavière, assemblèrent un Concile d'Évêques et
d'Abbés à Aix-la-chapelle. (842)
Ces Prélats d'un commun accord déclarèrent Lothaire déchu de son droit à la
couronne, et ses sujets déliés du serment de fidélité: "promettez-vous de mieux
gouverner que lui?" disent-ils aux deux frères Charles et Louis: "nous le
promettons", répondirent les deux Rois: "et nous", dit l'Évêque qui présidait,
"nous vous permettons par l'autorité divine, et nous vous commandons de régner à
sa place".
En voyant les Évêques ainsi donner les couronnes, on se tromperait, si on
croyait qu'ils fussent alors tels que des Électeurs de l'Empire. Ils étaient
puissants à-la-vérité, mais aucun n'était Souverain. L'autorité de leur
caractère et le respect des peuples étaient des instruments dont les Rois se
servaient à leur gré. Il y avait dans ces Ecclésiastiques bien plus de faiblesse
que de grandeur à décider ainsi du droit des Rois suivant les ordres du plus
fort.
On ne doit pas être surpris, que quelques années après un Archevêque de Sens
avec vingt autres Évêques ait osé dans des conjonctures pareilles déposer
Charles le Chauve, Roi de France. (859)
Cet attentat fut commis pour plaire à Louis de Bavière. Ces Monarques, aussi
méchants Rois que frères dénaturés, ne pouvant se faire périr l'un l'autre, se
faisaient anathématiser tour à tour; mais ce qui surprend, c'est ce que ce même
Charles le Chauve exprime dans un Écrit qu'il daigna publier contre l'Archevêque
de Sens: "au moins cet Archevêque ne devait pas me déposer avant que j'eusse
comparu devant les Évêques qui m'avaient sacré Roi: il fallait qu'auparavant
j'eusse subi leur jugement, ayant toujours été prêt à me soumettre à leurs
corrections paternelles et à leur châtiment". La race de Charlemagne réduite à
parler ainsi, marchait visiblement à sa ruine.
Je reviens à Lothaire, qui avait toujours un grand parti en Germanie, et qui
était maître paisible en Italie. Il passe les Alpes, fait couronner son fils
Louis, qui vient juger dans Rome le Pape Sergius II. (844)
Le Pontife comparaît, répond juridiquement aux accusations d'un Évêque de Metz,
se justifie, et prête ensuite serment de fidélité à ce même Lothaire déposé par
ses Évêques. Lothaire même fit cette célèbre et inutile Ordonnance, que pour
éviter les séditions trop fréquentes, le Pape "ne sera plus élu par le Peuple",
et que l'on avertira l'Empereur de la vacance du Saint Siège.
Leur sentence ne fut qu'un scandale de plus ajouté aux désolations de l'Europe.
Les Provinces depuis les Alpes au Rhin ne savaient plus à qui elles devaient
obéir. Les Villes changeaient chaque jour de tyrans, les Campagnes étaient
ravagées tour à tour par différents partis. On n'entendait parler que de
combats, et dans ces combats il y avait toujours des Moines, des Abbés, des
Évêques qui périssaient les armes à la main. Hugues, un des fils de Charlemagne,
forcé jadis à être Moine, et depuis Abbé de Saint Quentin, fut tué devant
Toulouse avec l'Abbé de Ferriére, deux Évêques y furent faits prisonniers.
Cet incendie s'arrêta un moment, pour recommencer avec fureur. Les trois frères
Lothaire, Charles et Louis firent de nouveaux partages, qui ne furent que de
nouveaux sujets de division et de guerre.
L'Empereur Lothaire, après avoir bouleversé l'Europe sans sujet et sans gloire,
se sentant affaibli, vint se faire Moine dans l'Abbaye de Pram. Il ne vécut dans
le froc que six jours, et mourut imbécile après avoir vécu en tyran.
À la mort de ce troisième Empereur d'Occident il s'éleva de nouveaux Royaumes en
Europe, comme des monceaux de terre après les secousses d'un grand tremblement.
Un autre Lothaire, fils de cet Empereur, donna son nom de "Lotharinge" à une
assez grande étendue de Pays nommé depuis par contraction "Lorraine", entre le
Rhin, l'Escaut, la Meuse et la Mer. Le Brabant fut appelé "la basse Lorraine",
le reste fut connu sous le nom de "la haute". Aujourd'hui de cette haute
Lorraine il ne reste qu'une petite Province de ce nom, engloutie depuis peu dans
le Royaume de France.
Un second fils de l'Empereur Lothaire, nommé Charles, eut la Savoie, le
Dauphiné, une partie du Lyonnais, de la Provence et du Languedoc. Cet État
composa le Royaume d'Arles du nom de la Capitale, Ville autrefois opulente et
embellie par les Romains; mais alors petite et pauvre, ainsi que toutes les
Villes en-deçà des Alpes.
Un Barbare, qu'on nomme "Salomon", se fit bientôt après Roi de la Bretagne, dont
une partie était encore Païenne; mais tous ces Royaumes tombèrent aussi
promptement qu'ils furent élevés.
Le fantôme d'Empire Romain subsistait. Louis, second fils de Lothaire, qui avait
eu en partage une partie de l'Italie, fut proclamé Empereur par Sergius II en
855. Il fut le seul de tous ces Empereurs qui fixa son séjour à Rome; mais il ne
possédait pas la neuvième partie de l'Empire de Charlemagne, et n'avait en
Italie qu'une autorité contestée par les Papes et par les Ducs de Bénévent, qui
possédaient alors un État considérable.
Après sa mort arrivée en 875, si la Loi Salique avait été en vigueur dans la
Maison de Charlemagne, c'était à l'aîné de la Maison qu'appartenait l'Empire.
Louis de Bavière, aîné de Charlemagne, devait succéder à son neveu mort sans
enfants; mais des troupes et de l'argent firent les droits de Charles le Chauve.
Il ferma les passages des Alpes à son frère, et se hâta d'aller à Rome avec
quelques troupes. Reginus, les Annales de Metz et de Fulden assurent qu'il
acheta l'Empire du Pape Jean VIII. Le Pape non seulement se fit payer, mais
profitant de la conjoncture il donna l'Empire en Souverain, et Charles le reçut
en Vassal, protestant qu'il le tenait du Pape, ainsi qu'il avait protesté
auparavant en France en 859, qu'il devait subir le jugement des Évêques,
laissant toujours avilir sa dignité pour en jouir.
Sous lui l'Empire Romain était donc composé de la France et de l'Italie. On dit
qu'il mourut empoisonné de son Médecin, un Juif nommé Sédécias; mais personne
n'a jamais dit par quelle raison ce Médecin commit ce crime. Que pouvait-il
gagner en empoisonnant son Maître? Auprès de qui eût-il trouvé une plus belle
fortune? Aucun Auteur ne parle du supplice de ce Médecin. Il faut donc douter de
l'empoisonnement, et faire réflexion seulement, que l'Europe Chrétienne était si
ignorante, que les Rois étaient obligés de chercher pour leurs Médecins des
Juifs et des Arabes.
On voulait toujours saisir cette ombre d'Empire Romain, et Louis le Bègue Roi de
France, fils de Charles le Chauve, le disputait aux autres descendants de
Charlemagne. C'était toujours au Pape qu'on le demandait. Un Duc de Spoléte, un
Marquis de Toscane, investis de ces États par Charles le Chauve, se saisirent du
Pape Jean VIII et pillèrent une partie de Rome, pour forcer, disaient-ils, à
donner l'Empire au Roi de Bavière, Carloman l'aîné de la race de Charlemagne.
Non seulement le Pape Jean VIII était ainsi persécuté dans Rome par des
Italiens, mais venait en 877 de payer vingt-cinq mille livres pesant d'argent
aux Mahométans possesseurs de la Sicile et du Carillan. C'était l'argent dont
Charles le Chauve avait acheté l'Empire. Il passa bientôt des mains du Pape en
celles des Sarrasins, et le Pape même signa un Traité authentique de leur en
payer autant tous les ans.
Cependant ce Pontife tributaire des Musulmans et prisonnier dans Rome,
s'échappe, s'embarque, passe en France. Il vient sacrer Empereur Louis le Bègue
dans la Ville de Troyes, à l'exemple de Léon III, d'Adrien et d'Étienne III
persécuté chez eux, et donnant ailleurs des couronnes.
Sous Charles le Gros, Empereur et Roi de France, la désolation de l'Europe
redoubla. Plus le sang de Charlemagne s'éloignait de sa source, et plus il
dégénérait. Charles le Gros fut déclaré incapable de régner par une assemblée de
Seigneurs Français et Allemands, qui le déposèrent auprès de Mayence dans une
Diète convoquée par lui-même. Ce ne sont point ici des Évêques, qui en servant
la passion d'un Prince, semblent disposer d'une couronne; ce furent les
principaux qui crurent avoir le droit de nommer celui qui devait les gouverner,
et combattre à leur tête. On dit que le cerveau de Charles le Gros était
affaibli. Il le fut toujours sans-doute, puisqu'il se mit au point d'être
détrôné sans résistance, de perdre à la fois l'Allemagne, la France et l'Italie,
et de n'avoir enfin pour subsistance que la charité de l'Archevêque de Mayence,
qui daigna le nourrir. Il paraît bien qu'alors l'ordre de la succession était
compté pour rien, puisqu'Arnould, bâtard de Carloman, fils de Louis le Bègue,
fut déclaré Empereur, et qu'Eudes ou Odon Comte de Paris fut Roi de France. Il
n'y avait alors ni droit de naissance, ni droit d'élection reconnu. L'Europe
était un chaos dans lequel le plus fort s'élevait sur les ruines du plus faible,
pour être ensuite précipité par d'autres.
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