Abrégé de l'histoire universelle depuis Charlemagne jusques à
Charlequint
Chapitre XIX : Suite de l'Empire d'Othon et de l'État de l'Italie. |
Othon entra en Italie, et il s'y conduisit comme Charlemagne. Il
vainquit Bérenger, qui en affectait la Souveraineté. Il se fit sacrer et
couronner Empereur des Romains par les mains du Pape, prit le nom de César et
d'Auguste, et obligea le Pape à lui faire serment de fidélité sur le tombeau
dans lequel on dit que repose le corps de St. Pierre. On dressa un instrument
authentique de cet Acte. Le Clergé et la Noblesse Romaine se soumettent à ne
jamais élire de Pape qu'en présence des Commissaires de l'Empereur. Dans cet
Acte Othon confirme les donations de Pépin, de Charlemagne, de Louis le
Débonnaire, «sauf en tout notre puissance, dit-il, et celle de notre fils et de
nos descendants». Cet Instrument écrit en lettres d'or, souscrit par sept
Évêques d'Allemagne, cinq Comtes, deux Abbés et plusieurs Prélats Italiens, est
gardé encore au Château Saint Ange; la date est du 13 Février 962.
On dit, et Mézéray le dit après d'autres, que Lothaire Roi de France et Hugues
Capet depuis Roi, assistèrent à ce couronnement. Les Rois de France étaient en
effet alors si faibles, qu'ils pouvaient servir d'ornement au Sacre d'un
Empereur; mais le nom de Lothaire et de Hugues Capet ne se trouve pas dans les
signatures de cet Acte.
Le Pape s'étant ainsi donné un Maître, quand il ne voulait qu'un Protecteur, lui
fut bientôt infidèle. Il se ligua contre l'Empereur avec Bérenger même, réfugié
chez des Mahométans qui venaient de se cantonner sur les côtes de Provence. Il
fit venir le fils de Bérenger à Rome, tandis qu'Othon était à Pavie. Il envoya
chez les Hongrois pour les solliciter à rentrer en Allemagne, mais il n'était
pas assez puissant pour soutenir cette action hardie, mais l'Empereur l'était
assez pour le punir.
Othon revint donc de Pavie à Rome, et s'étant assuré de la Ville, il tint un
Concile, dans lequel il fit juridiquement le procès au Pape. Au lieu de le juger
militairement, on assembla les Seigneurs Allemands et Romains, 40 Évêques, 17
Cardinaux dans l'Église de Saint Pierre, et là en présence de tout le peuple on
accusa le Saint Père d'avoir joui de plusieurs femmes, et surtout d'une nommée
Étiennette, qui était morte en couche. Les autres chefs d'accusation étaient
d'avoir fait Évêque de Tody un enfant de dix ans, d'avoir vendu les Ordinations
et les Bénéfices, d'avoir fait crever les yeux à son parrain, d'avoir châtré un
Cardinal, et ensuite de l'avoir fait mourir; enfin de ne pas croire en Jésus
Christ, et d'avoir invoqué le Diable: deux choses qui semblent se contredire. On
mêlait donc, comme il arrive presque toujours, de fausses accusations à de
véritables; mais on ne parla point du tout de la seule raison pour laquelle le
Concile était assemblé. L'Empereur craignait sans doute de réveiller cette
révolte et cette conspiration dans laquelle les accusateurs même du Pape avaient
trempé. Ce jeune Pontife qui avait alors vingt-sept ans, parut déposé pour ses
incestes et ses scandales, et le fut en effet pour avoir voulu ainsi que tous
les Romains, détruire la puissance Allemande dans Rome.
Othon ne put se rendre maître de sa personne, ou s'il le put, il fit une faute
en le laissant libre. À peine avait-il fait élire le Pape Léon VIII qui, si l'on
en croit le discours d'Arnoud Évêque d'Orléans, n'était ni Ecclésiastique, ni
même Chrétien. À peine en avait-il reçu l'hommage, et avait-il quitté Rome, dont
probablement il ne devait pas s'écarter, que Jean XII eut le courage de faire
soulever les Romains, et opposant alors Concile à Concile, on déposa Léon VIII.
On ordonna que jamais l'inférieur ne pourrait ôter le rang à son supérieur.
Le Pape par cette décision n'entendait pas seulement, que jamais les Évêques et
les Cardinaux ne pourraient déposer le Pape, mais on désignait aussi l'Empereur,
que les Évêques de Rome regardaient toujours comme un séculier, qui devait à
l'Église l'hommage et les serments qu'il exigeait d'elle. Le Cardinal nommé
Jean, qui avait écrit et lu les accusations contre le Pape, eut la main droite
coupée. On arracha la langue, on coupa le nez et deux doigts à celui qui avait
servi de Greffier au Concile de déposition.
Au reste dans tous ces Conciles où présidaient la faction et la vengeance, on
citait toujours l'Évangile et les Pères, on implorait les lumières du Saint
Esprit, on parlait en son nom, on faisait même des règlements utiles; et qui
lirait ces Actes sans connaître l'Histoire, croirait lire les Actes des Saints.
Tout cela se faisait presque sous les yeux de l'Empereur; et qui sait jusqu'où
le courage et le ressentiment du jeune Pontife, le soulèvement des Romains en sa
faveur, la haine des autres Villes d'Italie contre les Allemands, eussent pu
porter cette révolution? Mais le Pape Jean XII fut assassiné trois mois après,
entre les bras d'une femme mariée par les mains du mari qui vengeait sa honte.
(964)
Il avait tellement animé les Romains, qu'ils osèrent, même après sa mort,
soutenir un siège, et ne se rendirent qu'à l'extrémité. Othon deux fois
vainqueur de Rome, fut le maître de l'Italie comme de l'Allemagne.
Le Pape Léon créé par lui, le Sénat, les principaux du Peuple, le Clergé de Rome
solennellement assemblés dans Saint Jean de Latran, confirmèrent à l'Empereur le
droit de se choisir un Successeur au Royaume d'Italie, d'établir le Pape et de
donner l'investiture aux Évêques. Après tant de Traités et de serments formés
par la crainte, il fallait des Empereurs qui demeurassent à Rome pour les faire
observer.
À peine l'Empereur Othon était retourné en Allemagne, que les Romains voulurent
être libres. Ils mirent en prison leur nouveau Pape, créature de l'Empereur. Le
Préfet de Rome, les Tribuns, le Sénat, voulurent faire revivre les anciennes
lois; mais ce qui dans un temps est une entreprise de héros, devient dans
d'autres une révolte de séditieux. Othon revole en Italie, fait pendre une
partie du Sénat, et le Préfet de Rome qui avait voulu être un Brutus, fut
fouetté dans les carrefours, promené nu sur un âne, et jeté dans un cachot, où
il mourut de faim.
Tel fut à peu près l'état de Rome sous Othon le Grand, Othon II et Othon III.
Les Allemands tenaient les Romains subjugués, et les Romains brisaient leurs
fers dès qu'ils le pouvaient.
Un Consul nommé Crescentius, fils du Pape Jean X et de la fameuse Marozie,
prenant avec ce titre de Consul la haine de la Royauté, arma Rome contre Othon
II. Il fit mourir en prison Benoît VI créature de l'Empereur; et l'autorité
d'Othon quoiqu'éloigné, ayant dans ces troubles donné la Chaire Romaine au
Chancelier de l'Empire en Italie, qui fut Pape sous le nom de Jean XIV ce
malheureux Pape fut une nouvelle victime que le Parti Romain immola. Le Pape
Boniface VIII créature du Consul Crescentius déjà souillé du sang de Benoît VI
fit encore périr Jean XIV. Les temps de Caligula, de Néron, de Vitellius, ne
produisirent ni des infortunes plus déplorables, ni de plus grandes barbaries;
mais les horreurs de ces Papes sont obscures comme eux. Ces tragédies sanglantes
se jouaient sur le théâtre de Rome, mais petit et ruiné; et celles des Césars
avaient pour théâtre le Monde connu.
Crescentius maintint quelque temps l'ombre sur la République Romaine. Il chassa
du siège Pontifical Grégoire IV neveu de l'Empereur Othon III. Mais enfin Rome
fut encore assiégée et prise. Crescentius attiré hors du Château Saint Ange sur
l'espérance d'un accommodement et sur la foi des serments de l'Empereur, eut la
tête tranchée. Son corps fut pendu par les pieds, et le nouveau Pape élu par les
Romains, sous le nom de Jean XV eut les yeux crevés et le nez coupé. On le jetta
en cet état du haut du Château Saint Ange dans la Place.
Les Romains renouvelèrent alors à Othon III les serments faits à Othon Ier et à
Charlemagne.
Après les trois Othon, ce combat de la domination Allemande, et de la liberté
Italique, resta longtemps dans les mêmes termes. Sous les Empereurs Henri II de
Bavière, Conrad II le Salique, dès qu'un Empereur était occupé en Allemagne, il
s'élevait un parti en Italie. Henri II y vint comme les Othons dissiper des
factions, confirmer aux Papes les donations des Empereurs, et recevoir les mêmes
hommages. Cependant la Papauté était à l'encan, ainsi que presque tous les
autres Évêchés.
Benoît VIII Jean XIX l'achetèrent publiquement l'un après l'autre: ils étaient
frères de la maison des Marquis de Toscane, toujours puissante à Rome depuis le
temps de Marozie.
En 1034, après leur mort, pour perpétuer le Pontificat dans leur maison on
acheta encore les suffrages pour un enfant de douze ans. C'était Benoît IX qui
eut l'Évêché de Rome de la même manière, qu'on voit encore aujourd'hui tant de
familles acheter, mais en secret, des Bénéfices pour des enfants.
Ce désordre n'eut point de bornes. On vit sous le Pontificat de ce Benoît IX
deux autres Papes élus à prix d'argent, et trois Papes dans Rome s'excommunier
réciproquement; mais par un accord heureux qui étouffa une guerre civile, ces
trois Papes s'accordèrent à partager les revenus de l'Église, et à vivre en
paix, chacun avec sa Maîtresse.
Ce Triumvirat pacifique et singulier ne dura qu'autant qu'ils eurent de
l'argent; et enfin, quand ils n'en eurent plus, chacun vendit sa part de la
Papauté au Diacre Gratien, homme de qualité, fort riche. Mais comme le jeune
Benoît IX avait été élu longtemps avant les deux autres, on lui laissa par un
accord solennel la jouissance du tribut que l'Angleterre payait alors à Rome,
qu'on appelait le "Denier de Saint Pierre", à quoi un Roi Danois d'Angleterre,
nommé Etelvolft, Edelvolf ou Ethelulfe s'était soumis en 852.
En 1046, ce Gratien qui prit le nom de Grégoire VI et qui passe pour s'être
conduit très-sagement, jouissait paisiblement du Pontificat, lorsque l'Empereur
Henri III fils de Conrad II le Salique, vint à Rome.
Jamais Empereur n'y exerça plus d'autorité. Il déposa Grégoire VI que les
Romains aimaient, et nomma Pape Suidger son Chancelier Évêque de Bamberg sans
qu'on osât murmurer.
En 1048, après la mort de cet Allemand qui parmi les Papes est appelé Clément
II, l'Empereur qui était en Allemagne, y créa Pape un Bavarois nommé Popon:
c'est Damaze II qui avec le Brevet de l'Empereur alla se faire reconnaître à
Rome. Il le fut malgré ce Benoît IX qui voulait encore rentrer dans la Chaire
Pontificale après l'avoir vendue.
Ce Bavarois étant mort vingt-trois jours après son intronisation, l'Empereur
donna la Papauté à son cousin Brunon de la Maison de Lorraine, qu'il transféra
de l'Évêché de Toul à celui de Rome avec une autorité absolue.
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