Abrégé de l'histoire universelle depuis Charlemagne jusques à
Charlequint
Chapitre XX : De la France vers le temps de Hugues Capet. |
Pendant que l'Allemagne commençait à prendre ainsi une nouvelle
forme d'administration, et que Rome et l'Italie n'en avaient aucune, la France
devenait comme l'Allemagne un Gouvernement entièrement féodal.
Ce Royaume s'étendait des environs de l'Escaut et de la Meuse jusqu'à la Mer
Britannique et des Pyrénées au Rhône. C'était alors ses bornes; car quoique tant
d'Historiens prétendent que ce grand Fief de la France allait par-delà les
Pyrénées jusqu'à l'Ebre, il ne paraît point du tout que les Espagnols de ces
Provinces entre l'Ebre et les Pyrénées fussent soumis au faible Gouvernement de
France en combattant contre les Mahométans.
La France, dans laquelle ni la Provence ni le Dauphiné n'étaient compris, était
un assez grand Royaume, mais il s'en fallait beaucoup que le Roi de France fût
un grand Souverain. Louis, le dernier des descendants de Charlemagne, n'avait
plus pour tout domaine que les Villes de Laon, de Soissons, et quelques Terres
qu'on lui contestait. L'hommage rendu par la Normandie, ne servait qu'à faire un
Roi vassal qui aurait pu soudoyer son Maître. Chaque Province avait ou ses
Comtes ou ses Ducs héréditaires, celui qui n'avait pu se saisir que de deux ou
trois Bourgades, rendait hommage aux usurpateurs d'une Province; et qui n'avait
qu'un Château, relevait de celui qui avait usurpé une Ville.
Le temps et la nécessité établirent que les Seigneurs des grands Fiefs
marcheraient avec des troupes au secours du Roi. Tel Seigneur devait 40 jours de
service, tel autre 25; les arrières-vassaux marchaient aux ordres de leurs
Seigneurs immédiats. Mais si tous ces Seigneurs particuliers servaient l'État
quelques jours, ils se faisaient la guerre entre eux presque toute l'année. En
vain les Conciles, qui dans ces temps de crimes ordonnèrent souvent des choses
justes, avaient réglé qu'on ne se battrait point depuis le jeudi jusqu'au point
du jour du lundi, et dans les temps de Pâques et dans d'autres solennités, ces
règlements n'étant point appuyés d'une justice coercitive, étaient sans vigueur.
Chaque Château était la Capitale d'un petit État de Brigands, chaque Monastère
était en armes: leurs Avocats qu'on appelait Avoyers, institués dans les
premiers temps pour présenter leurs requêtes au Prince et ménager leurs
affaires, étaient les Généraux de leurs troupes: les Moissons étaient ou
brûlées, ou coupées avant le temps, ou défendues, l'épée à la main: les Villes
presque réduites en solitude, et les Campagnes dépeuplées par de longues
famines.
Il semble que ce Royaume sans Chef, sans police, sans ordre, dût être la proie
de l'Étranger; mais une anarchie presque semblable dans tous les Royaumes, fit
sa sûreté; et quand sous les Othons l'Allemagne fut plus à craindre, les guerres
intestines l'occupèrent.
C'est de ces temps barbares que nous tenons l'usage de rendre hommage pour une
Maison et pour un Bourg au Seigneur d'un autre Village. Un Praticien, un
Marchand qui se trouve possesseur d'un ancien Fief, reçoit foi et hommage d'un
autre Fermier ou d'un Pair du Royaume qui aura acheté un arrière-fief dans sa
censive. Les lois de Fiefs ne subsistent plus, mais ces vieilles coutumes de
mouvances, d'hommages, de redevances subsistent encore: dans la plupart des
Tribunaux on admet cette maxime, "nulle Terre sans Seigneur", comme si ce
n'était pas assez d'appartenir à la Patrie.
Quand la France, l'Italie et l'Allemagne furent ainsi partagées sous un nombre
innombrable de petits Tyrans, les armées dont la principale force avait été
l'Infanterie sous Charlemagne, ainsi que sous les Romains, ne furent plus que de
la Cavalerie. On ne connut plus que les Gens d'armes; les Gens de pied n'avaient
pas ce nom, parce qu'en comparaison des hommes de cheval ils n'étaient point
armés.
Les moindres possesseurs de Chatellenies ne se mettaient en campagne qu'avec le
plus de chevaux qu'ils pouvaient, et le faste consistait alors à mener avec soi
des Écuyers qu'on appela "vaslets" du mot "vassalet", petit vassal. L'honneur
étant donc mis à ne combattre qu'à cheval, on prit l'habitude de porter une
armure complète de fer, qui eût accablé un homme à pied de son poids. Les
brassards, les cuissards furent une partie de l'habillement. On prétend que
Charlemagne en avait eu, mais ce fut vers l'an mille que l'usage en fut commun.
Quiconque était riche devint presqu'invulnérable à la guerre, et c'était alors
qu'on se servit plus que jamais de massues pour assommer ces Chevaliers que les
pointes ne pouvaient percer. Le plus grand commerce alors fut en cuirasses, en
boucliers, en casques ornés de plumes.
Les Paysans qu'on traînait à la guerre, seuls exposés et méprisés, servaient de
pionniers plutôt que de combattants. Les chevaux plus estimés qu'eux, furent
bardés de fer, leur tête fut armée de champfrain.
On ne connut guère alors de lois que celles que les plus puissants firent pour
le service des Fiefs. Tous les autres objets de la justice distributive furent
abandonnés au caprice des Maîtres-d'hôtel, Prévôts, Baillis, nommés par les
possesseurs des Terres.
Les Sénats de ces Villes qui sous Charlemagne et sous les Romains avaient joui
du gouvernement municipal, furent abolis presque partout. Le mot de "Senior",
"Seigneur", affecté longtemps à ces principaux du Sénat des Villes, ne fut plus
donné qu'aux possesseurs des Fiefs.
Le terme de Pair commençait alors à s'introduire dans la Langue Gallo-Tudesque,
qu'on parlait en France. Il venait du mot Latin "par", qui signifie "égal" ou
"confrère". On ne s'en était servi que dans ce sens sous la première et la
seconde Race des Rois de France. Les enfants de Louis le Débonnaire s'appellèrent
"pares" dans une de leurs entrevues l'an 851; et longtemps auparavant Dagobert
donne le nom de "pairs" à des Moines. Godegrand, Évêque de Metz du temps de
Charlemagne, appelle "Pairs" des Évêques et des Abbés, ainsi que le marque le
savant Du Cange.
Les Vassaux d'un même Seigneur s'accoutumèrent donc à s'appeler "Pairs".
Alfred le Grand avait établi en Angleterre les Jurés, c'était des Pairs dans
chaque profession. Un homme dans une cause criminelle choisissait douze hommes
de sa profession pour être juges. Quelques Vassaux en France en usèrent ainsi,
mais le nombre des Pairs n'était pas pour cela déterminé à douze. Il y en avait
dans chaque Fief autant que de Barons qui relevaient du même Seigneur, et qui
étaient Pairs entre eux, mais non Pairs de leur Seigneur féodal.
Les Princes qui rendaient un hommage immédiat à la Couronne, tels que les Ducs
de Guyenne, de Normandie, de Bourgogne, les Comtes de Flandres, de Toulouse,
étaient donc en effet des Pairs de France.
Hugues Capet n'était pas le moins puissant. Il possédait depuis longtemps le
Duché de France, qui s'étendait jusqu'en Touraine. Il était Comte de Paris. De
vastes domaines en Picardie et en Champagne lui donnaient encore une grande
autorité dans ces Provinces. Son frère avait ce qui compose aujourd'hui le Duché
de Bourgogne. Son grand-père Robert le Fort, et son grand-oncle Eudes ou Odon,
avaient tous deux porté la couronne du temps de Charles le Simple. Hugues son
père, surnommé l'Abbé à cause des Abbayes de St. Denis, de St. Martin de Tours,
de St. Germain des Prez, et de tant d'autres qu'il possédait, avait ébranlé et
gouverné la France. Ainsi l'on peut dire, que depuis l'année 810, où le Roi
Eudes commença son règne, sa Maison a gouverné sans interruption; et que si on
excepte Hugues l'Abbé qui ne voulut pas prendre la Couronne Royale, elle forme
une suite de Souverains de plus de 850 ans, filiation unique parmi les Rois.
On sait comment Hugues Capet, Duc de France, Comte de Paris, enleva la couronne
au Duc Charles oncle du dernier Roi Louis V. Si les suffrages eussent été
libres, le sang de Charlemagne respecté, et le droit de succession aussi sacré
qu'aujourd'hui, Charles aurait été Roi de France. Ce ne fut point un Parlement
de la Nation qui le priva du droit de ses ancêtres; ce fut ce qui fait et défait
les Rois, la force aidée de la
prudence.
Tandis que Louis, ce dernier Roi du Sang Carolingien, était prêt à finir à l'âge
de 23 ans sa vie obscure par une maladie de langueur, Hugues Capet assemblait
déjà ses forces; et loin de recourir à l'autorité d'un Parlement, il sut
dissiper avec des troupes un Parlement qui se tenait à Compiègne pour assurer la
succession à Charles. La lettre de Gerbert, depuis Archevêque de Reims et Pape
sous le nom de Sylvestre II déterrée par Duchesne, en est un témoignage
authentique.
Charles Duc de Brabant et de Hainaut, États qui composaient la basse Lorraine,
succomba sous un rival plus puissant et plus heureux que lui; trahi par l'Évêque
de Laon, surpris et livré à Hugues Capet, il mourut captif dans la tour
d'Orléans; et deux enfants mâles qui ne purent le venger, mais dont l'un eut
cette basse Lorraine, furent les derniers Princes de la postérité masculine de
Charlemagne. Hugues Capet devenu Roi de ses Pairs, n'en eut pas un plus grand
domaine.
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