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Abrégé de l'histoire universelle depuis Charlemagne jusques à
Charlequint
Chapitre XXI : État de la France aux Xe et XIe Siècles. |
La France démembrée languit dans des malheurs obscurs depuis
Charles le Gros jusqu'à Philippe Ier arrière-petit-fils de Hugues Capet, près de
250 années. Nous verrons si les Croisades qui signalèrent le règne de Philippe
Ier à la fin de l'XIe Siècle, rendirent la France plus florissante. Mais dans
l'espace de temps dont je parle, tout ne fut que confusion, tyrannie, barbarie
et pauvreté. Chaque Seigneur un peu considérable faisait battre monnaie, mais
c'était à qui l'altèrerait. Les belles Manufactures étaient en Grèce et en
Italie. Les Français ne pouvaient les imiter dans des Villes sans privilège, et
dans un Pays sans union.
De tous les évènements de ce temps, le plus digne de l'attention d'un Citoyen
est l'excommunication du Roi Robert. Il avait épousé Berthe sa cousine au
quatrième degré; mariage en soi légitime, et de plus nécessaire au bien de
l'État. Nous avons vu de nos jours des particuliers épouser leurs nièces, et
acheter au prix ordinaire les dispenses à Rome, comme si Rome avait des droits
sur des mariages qui se font à Paris. Le Roi de France n'éprouva pas autant
d'indulgence. L'Église Romaine dans l'avilissement et les scandales où elle
était plongée, osa imposer au Roi une pénitence de sept ans, lui ordonna de
quitter sa femme, l'excommunia en cas de refus. Le Pape interdit tous les
Évêques qui avaient assisté à ce mariage, et leur ordonna de venir à Rome lui
demander pardon. Tant d'audace paraît incroyable, mais l'ignorante superstition
de ces temps peut l'avoir souffert, et la politique peut l'avoir causée.
Grégoire V qui fulmina cette excommunication, était Allemand, et gouverné par
Gerbert ci-devant Archevêque de Reims, ennemi de la Maison de France. L'Empereur
Othon III peu ami de Robert, assista lui-même au Concile où l'excommunication
fut prononcée; tout cela fait croire que la Raison d'État eut autant de part à
cet attentat, que le fanatisme.
Les Historiens disent que cette excommunication fit en France tant d'effet, que
tous les Courtisans du Roi et ses propres Domestiques l'abandonnèrent, et qu'il
ne lui resta que deux Serviteurs qui jetaient au feu le reste de ses repas,
ayant horreur de ce qu'avait touché un excommunié. Quelque dégradée que fût
alors la Raison humaine, il n'y a pas d'apparence que l'absurdité pût aller si
loin. Le premier Auteur qui a écrit cet excès de l'abrutissement de la Cour de
France, est le Cardinal Pierre Damien, qui n'écrivit que 64 ans après. Il
rapporte qu'en punition de cet inceste prétendu, la Reine accoucha d'un monstre;
mais il n'y eut rien de monstrueux dans toute cette affaire, que l'audace du
Pape, et la faiblesse du Roi qui se sépara de sa femme.
Les excommunications, les interdits sont des foudres qui n'embrasent un État que
quand ils trouvent des matières combustibles. Il n'y en avait point alors, mais
peut-être Robert craignit-il qu'il ne s'en formât.
La condescendance du Roi Robert enhardit tellement les Papes, que son petit-fils
Philippe Ier fut excommunié comme lui. D'abord le fameux Grégoire VII le menaça
de le déposer en 1075, s'il ne se justifiait de l'accusation de simonie devant
ses Nonces. Un autre Pape l'excommunia en effet, Philippe s'était dégoûté de sa
femme, et était amoureux de Bertrade épouse du Comte d'Anjou. Il se servit du
ministère des Lois pour casser son mariage sous prétexte de parenté, et Bertrade
sa Maîtresse fit casser le sien avec le Comte d'Anjou sous le même prétexte.
Le Roi et sa Maîtresse furent ensuite mariés solennellement par les mains d'un
Évêque de Bayeux. Ils étaient condamnables, mais ils avaient au moins rendu ce
respect aux lois, que de se servir d'elles pour couvrir leurs fautes. Quoi qu'il
en soit, un Pape avait excommunié Robert pour avoir épousé sa parente, et un
autre Pape excommunia Philippe pour avoir quitté sa parente. Ce qu'il y a de
plus singulier, c'est qu'Urbain II qui prononça cette sentence, la prononça dans
les propres États du Roi, à Clermont en Auvergne, où il venait chercher un
asile, et dans ce même Concile où nous verrons qu'il prêcha la Croisade.
Cependant il ne paraît point que Philippe excommunié ait été en horreur à ses
Sujets; c'est une raison de plus pour douter de cet abandon général, où l'on dit
que le Roi Robert avait été réduit.
Ce qu'il y eut d'assez remarquable, c'est le mariage du Roi Henri père de
Philippe avec une Princesse Moscovite. Les Moscovites ou Russes commençaient à
être Chrétiens, mais ils n'avaient aucun commerce avec le reste de l'Europe. Ils
habitaient au-delà de la Pologne, à peine Chrétienne elle-même, et sans aucune
correspondance avec la France. Cependant le Roi Henri envoya jusqu'en Russie
demander la fille du Souverain, à qui les autres Européens donnaient le titre de
Duc, aussi bien qu'au Chef de la Pologne. Les Russes le nommaient dans leur
langage "Tzar", dont on a fait depuis le mot de "Czar". On prétend que Henri se
détermina à ce mariage, dans la crainte d'essuyer des querelles Ecclésiastiques.
De toutes les superstitions de ces temps-là, ce n'était pas la moins nuisible au
bien des États, que celle de ne pouvoir épouser sa parente au septième degré.
Presque tous les Souverains de l'Europe étaient parents de Henri. Quoi qu'il en
soit, Anne fille de Jaraflau Czar de Moscovie fut Reine de France, et il est à
remarquer qu'après la mort de son mari, elle n'eut point la Régence et n'y
prétendit point.
Les Lois changent selon les temps. Ce fut le Comte de Flandres, un des Vassaux
du Royaume, qui en fut Régent. La Reine veuve se remaria à un Comte de Crépi.
Tout cela serait singulier aujourd'hui, et ne le fut point alors.
Ni Henri, ni Philippe Ier ne firent rien de mémorable, mais de leur temps leurs
Vassaux et Arrières-vassaux conquirent des Royaumes.
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