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Abrégé de l'histoire universelle depuis Charlemagne jusques à
Charlequint
Chapitre VI : Renouvellement de l'Empire en Occident. |
Le Royaume de Pépin s'étendait du Rhin aux Pyrénées et aux Alpes;
Charlemagne son fils aîné recueillit cette succession toute entière car un de
ses frères était mort après le partage, et l'autre s'était fait Moine auparavant
au Monastère de St. Sylvestre. Une espèce de piété qui se mêlait à la barbarie
de ces temps, enferma plus d'un Prince dans le Cloître; ainsi Rachis Roi des
Lombards, Carloman frère de Pépin, un Duc d'Aquitaine, avaient pris l'habit de
Bénédictin. Il n'y avait presque alors que cet Ordre dans l'Occident. Les
Couvents étaient riches, puissants, respectés. C'étaient des asiles honorables
pour ceux qui cherchaient une vie paisible. Bientôt après ces asiles furent les
prisons des Princes détrônés.
Pépin n'avait pas à beaucoup près le domaine direct de tous ces États:
l'Aquitaine, la Bavière, la Provence, la Bretagne Pays nouvellement conquis,
rendaient hommage et payaient tribut.
Deux Voisins pouvaient être redoutables à ce vaste État, les Germains
Septentrionaux et les Sarrasins. L'Angleterre, conquise par les Anglo-Saxons
partagée en sept dominations, toujours en guerre avec l'Albanie qu'on nomme
Écosse, et avec les Danois, était sans politique et sans puissance. L'Italie
faible et déchirée n'attendait qu'un nouveau Maître qui voulût s'en emparer.
Les Germains Septentrionaux étaient alors appelés Saxons. On connaissait sous ce
nom tous ces Peuples qui habitaient les bords du Weser et ceux de l'Elbe, de
Hambourg à la Moravie, et de Mayence à la Mer Baltique. Ils étaient Païens,
ainsi que tout le Septentrion. Leurs Moeurs et leurs Lois étaient les mêmes que
du temps des Romains. Chaque Canton se gouvernait en République, mais ils
élisaient un Chef pour la Guerre. Leurs Lois étaient simples comme leurs moeurs:
leur Religion grossière: ils sacrifiaient dans les grands dangers, des hommes à
la Divinité, ainsi que tant d'autres Nations; car c'est le caractère des
Barbares, de croire la Divinité malfaisante, les hommes font Dieu à leur image.
Les Français, quoique déjà Chrétiens, eurent sous Théodebert cette superstition
horrible, ils immolèrent des victimes humaines en Italie au rapport de Procope,
et les Juifs avaient commis quelquefois ces sacrilèges par piété. D'ailleurs ces
Peuples cultivaient la justice, ils mettaient leur gloire et leur bonheur dans
la liberté. Ce sont eux qui sous le nom de Cattes, de Chéruskes et de Bructéres
avaient vaincu Varus, et que Germanicus avait ensuite défait.
Une partie de ces Peuples vers le Ve Siècle appelée par les Bretons insulaires
contre les habitants de l'Écosse, subjugua la Bretagne qui touche à l'Écosse, et
lui donna le nom d'Angleterre. Ils y avaient déjà passé au IIIe Siècle; car au
temps de Constantin les côtes de cette Île étaient appelées les Côtes Saxoniques.
Charlemagne, le plus ambitieux, le plus politique et le plus grand guerrier de
son Siècle, fit la guerre aux Saxons trente années avant de les assujettir
pleinement. Leur Pays n'avait point encore ce qui tente aujourd'hui la cupidité
des Conquérants. Les riches Mines de Goflar, dont on a tiré tant d'argent,
n'étaient point découvertes, elles ne le furent que sous Henri l'Oiseleur. Point
de richesses accumulées par une longue industrie, nulle Ville digne de
l'ambition d'un Usurpateur. Il ne s'agissait que d'avoir pour esclaves des
millions d'hommes qui cultivaient la terre sous un climat triste, qui
nourrissaient leurs troupeaux, et qui ne voulaient point de Maîtres.
Ils étaient mal armés; car je vois dans les Capitulaires de Charlemagne une
défense rigoureuse de vendre des cuirasses aux Saxons. Cette différence des
armes, jointe à la discipline, avait rendu les Romains vainqueurs de tant de
Peuples, elle fit triompher enfin Charlemagne.
Le Général de la plupart de ces Peuples était ce fameux Vitiking, dont on fait
aujourd'hui descendre les principales Maisons de l'Empire; Homme tel
qu'Arminius, mais qui eut enfin plus de faiblesse. Charles prend d'abord la
fameuse Bourgade d'Eresbourg; car ce lieu ne méritait ni le nom de Ville, ni
celui de Forteresse. Il fait égorger les habitants. Il y pille et rase ensuite
le principal Temple du Pays, élevé autrefois au Dieu "Tanfana", Principe
universel, et dédié alors au Dieu Irminsul; Temple révéré en Saxe comme celui de
Sion chez les Juifs. On y massacra les Prêtres sur les débris de l'Idole
renversée. On pénétra jusqu'au Weser avec l'armée victorieuse. Tous ces Cantons
se soumirent. Charlemagne voulut les lier à son joug par le Christianisme,
tandis qu'il court à l'autre bout de ses États à d'autres conquêtes, il leur
laisse des Missionnaires pour les persuader, et des soldats pour les forcer.
Presque tous ceux qui habitaient vers le Weser, se trouvèrent en un an Chrétiens
et esclaves.
Vitiking retiré chez les Danois qui tremblaient déjà pour leur liberté et pour
leurs Dieux, revient au bout de quelques années. Il ranime ses compatriotes, il
les rassemble. Il trouve dans Brème, Capitale du Pays qui porte ce nom, un
Évêque, une Église, et ses Saxons désespérés, qu'on traîne à des autels
nouveaux. Il chasse l'Évêque, qui a le temps de fuir et de s'embarquer. Il
détruit le Christianisme, qu'on n'avait embrassé que par la force. Il vient
jusqu'auprès du Rhin suivi d'une multitude de Germains. Il bat les Lieutenants
de Charlemagne.
Ce Prince accourt. Il défait à son tour Vitiking, mais il traite de révolte cet
effort courageux de liberté. Il demande aux Saxons tremblants qu'on lui livre
leur Général, et sur la nouvelle qu'ils l'ont laissé retourner en Danemark, il
fait massacrer 4500 prisonniers au bord de la petite Rivière d'Aire. Si ces
prisonniers avaient été des sujets rebelles, un tel châtiment aurait été une
sévérité horrible; mais traiter ainsi des hommes qui combattaient pour leur
liberté et pour leurs lois, c'est l'action d'un Brigand, que d'illustres succès
et des qualités brillantes ont d'ailleurs fait Grand-homme.
Il fallut encore trois victoires avant d'accabler ces Peuples sous le joug.
Enfin le sang cimenta le Christianisme et la Servitude. Vitiking lui-même lassé
de ses malheurs fut obligé de recevoir le baptême, et de vivre désormais
tributaire de son Vainqueur. Le Roi pour mieux s'assurer du Pays, transporta des
Colonies Saxonnes jusqu'en Italie, et établit des Colonies de Francs dans les
terres des vaincus, mais il joignit à cette politique sage la cruauté de faire
poignarder par des espions les Saxons qui voulaient retourner à leur culte.
Souvent les Conquérants ne sont cruels que dans la guerre. La paix amène des
moeurs et des lois plus douces. Charlemagne au contraire fit des lois qui
tenaient de l'inhumanité de ses conquêtes.
Ayant vu comment ce Conquérant traita les Allemands idolâtres, voyons comment il
se conduisit avec les Mahométans d'Espagne. Il arrivait déjà parmi eux ce qu'on
vit bientôt après, en Allemagne, en France et en Italie. Les Gouverneurs se
rendaient indépendants. Les Émirs de Barcelone et ceux de Saragosse s'étaient
mis sous la protection de Pépin. L'Émir de Saragosse en 778 vient jusqu'à
Paderborne prier Charlemagne de le soutenir contre son Souverain. Le Prince
Français prit le parti de ce Musulman, mais il se donna bien garde de le faire
Chrétien. D'autres intérêts, d'autres soins. Il s'allie avec des Sarrasins
contre des Sarrasins; mais après quelques avantages sur les frontières
d'Espagne, son arrière-garde est défaite à Roncevaux, vers les montagnes des
Pyrénées par les Chrétiens mêmes de ces montagnes, mêlés aux Musulmans. C'est là
que périt Roland son neveu. Ce malheur est l'origine de ces fables qu'un Moine
écrivit au IIe Siècle, sous le nom de l'Archevêque Turpin, et qu'ensuite
l'imagination de l'Arioste a embellies. On ne sait point en quel temps Charles
essuya cette disgrâce, et on ne voit point qu'il ait tiré vengeance de sa
défaite.
Content d'assurer ses frontières contre des ennemis trop aguerris, il n'embrasse
que ce qu'il peut retenir, et règle son ambition sur les conjonctures qui la
favorisent.
C'est à Rome et à l'Empire d'Occident que cette ambition aspirait. La puissance
des Rois de Lombardie était le seul obstacle; l'Église de Rome et toutes les
Églises sur lesquelles elle influait, les Moines déjà puissants, les Peuples
déjà gouvernés par eux, tout appelait Charlemagne à l'Empire de Rome. Le Pape
Adrien né Romain, homme d'un génie adroit et ferme, aplanit la route. D'abord il
l'engage à répudier la fille du Roi Lombard Didier, et Charlemagne la répudie
après un an de mariage, sans en donner d'autre raison, sinon qu'elle ne lui
plaisait pas. Didier qui voit cette union fatale du Roi et du Pape contre lui,
prend un parti, courageux. Il veut surprendre Rome et s'assurer de la personne
du Pape, mais l'Évêque habile fait tourner la guerre en négociation. Charles
envoie des Ambassadeurs pour gagner du temps. Enfin il passe les Alpes, une
partie des troupes de Didier l'abandonne. Ce Roi malheureux s'enferme dans Pavie
sa Capitale, Charlemagne l'y assiège au milieu de l'hiver. La Ville réduite à
l'extrémité se rend après un siège de six mois. Didier pour toute condition
obtient la vie. Ainsi finit ce Royaume des Lombards qui avaient détruit en
Italie la puissance Romaine, et qui avaient substitué leurs lois à celles des
Empereurs. Didier le dernier de ces Rois fut conduit en France dans le Monastère
de Corbie, où il vécut et mourut captif et Moine, tandis que son fils allait
inutilement demander des secours dans Constantinople à ce fantôme d'Empire
Romain détruit en Occident par ses ancêtres. Il faut remarquer que Didier ne fut
pas le seul Souverain que Charlemagne enferma, il traita ainsi un Duc de Bavière
et ses enfants.
Charlemagne n'osait pas encore se faire Souverain de Rome. Il ne prit que le
titre de Roi d'Italie, tel que le portaient les Lombards. Il se fit couronner
comme eux dans Pavie d'une couronne de fer qu'on garde encore dans la petite
Ville de Monza. La justice s'administrait toujours à Rome au nom de l'Empereur
Grec. Les Papes même recevaient de lui la confirmation de leur élection.
Charlemagne prenait seulement ainsi que Pépin le titre de "Patrice", que
Théodoric et Attila avaient aussi daigné prendre; ainsi ce nom d'Empereur, qui
dans son origine ne désignait qu'un Général d'armée, signifiait encore le Maître
de l'Orient et de l'Occident. Tout vain qu'il était, on le respectait, on
craignait de l'usurper, on n'affectait que celui de "Patrice", qui autrefois
voulait dire Sénateur Romain.
Les Papes déjà très puissants dans l'Église, très-grands Seigneurs à Rome et
Princes temporels dans un petit Pays, n'avaient dans Rome même qu'une autorité
précaire et chancelante. Le Préfet, le Peuple, le Sénat, dont l'ombre
subsistait, s'élevaient souvent contre eux. Les inimitiés des familles qui
prétendaient au Pontificat, remplissaient Rome de confusion.
Les deux neveux d'Adrien conspirèrent contre Léon III son successeur, élu Pape
selon l'usage par le Peuple et le Clergé Romain. Ils l'accusent de beaucoup de
crimes, ils animent les Romains contre lui: on traîne en prison, on accable de
coups à Rome celui qui était si respecté partout ailleurs. Il s'évade, il vient
se jeter aux genoux du Patrice Charlemagne à Paderborne. Ce Prince qui agissait
déjà en maître absolu, le renvoya avec une escorte et des Commissaires pour le
juger. Ils avaient ordre de le trouver innocent. Enfin Charlemagne, maître de
l'Italie comme de l'Allemagne et de la France, juge du Pape, arbitre de l'Europe
vient à Rome en 801. Il se fait reconnaître et couronner Empereur d'Occident,
titre qui était éteint depuis près de 500 années.
Alors régnait en Orient cette Impératrice Irène, fameuse par son courage et par
ses crimes, qui avait fait mourir son fils unique, après lui avoir arraché les
yeux. Elle eût voulu prendre Charlemagne; mais trop faible pour lui faire la
guerre, elle voulut l'épouser et réunir ainsi les deux Empires. Tandis qu'on
ménageait ce mariage, une révolution chassa Irène d'un trône qui lui avait tant
coûté. Charles n'eut donc que l'Empire d'Occident. Il ne posséda presque rien
dans les Espagnes; car il ne faut pas compter pour domaine le vain hommage de
quelques Sarrasins. Il n'avait rien sur les côtes d'Afrique, tout le reste était
sous sa domination.
S'il eût fait de Rome sa Capitale, si ses Successeurs y eussent fixé leur
principal séjour, et surtout si l'usage de partager ses États à ses enfants
n'eût point prévalu chez les Barbares, il est vraisemblable qu'on eût vu
renaître l'Empire Romain. Tout concourut depuis à démembrer ce vaste corps, que
la valeur et la fortune de Charlemagne avait formé, mais rien n'y contribua plus
que ses descendants.
Il n'avait point de Capitale, seulement Aix-la-Chapelle était le séjour qui lui
plaisait le plus. Ce fut-là qu'il donna des audiences avec le faste le plus
imposant aux Ambassadeurs des Califes et à ceux de Constantinople. D'ailleurs il
était toujours en guerre ou en voyage, ainsi que vécut Charlequint longtemps
après lui. Il partagea ses États et même de son vivant, comme tous les Rois de
ce temps-là.
Mais enfin quand de ses fils qu'il avait désignés pour régner, il n'y resta plus
que ce Louis si connu sous le nom de "Débonnaire", auquel il avait déjà donné le
Royaume d'Aquitaine, il l'associa à l'Empire dans Aix-la-chapelle et lui
commanda de prendre lui-même sur l'autel la Couronne Impériale, pour faire voir
au monde que cette Couronne n'était due qu'à la valeur du Père et au mérite du
fils, et comme s'il eût pressenti qu'un jour les Ministres de l'autel voudraient
disposer de ce diadème.
Il avait raison de déclarer son fils Empereur de son vivant; car cette Dignité
acquise par la fortune de Charlemagne, n'était point assurée au fils par le
droit d'héritage; mais en laissant l'Empire à Louis, et en donnant l'Italie à
Bernard fils de son fils Pépin, ne déchirait-il pas lui-même cet Empire qu'il
voulait conserver à sa postérité? N'était-ce pas armer nécessairement ses
successeurs les uns contre les autres? Était-il à présumer que le neveu Roi
d'Italie obéirait à son oncle Empereur, ou que l'Empereur voudrait bien n'être
pas le Maître en Italie?
Il paraît que dans les dispositions de sa famille, il n'agit ni en Roi ni en
Père; Partager les États, est-il d'un sage Conquérant? Et puisqu'il les
partageait, laisser trois autres enfants sans aucun héritage, à la discrétion de
Louis, était-il d'un Père juste?
Il est vrai qu'on a cru que ces trois enfants ainsi abandonnés, nommés Drogon,
Thierri et Hugues, étaient bâtards; mais on l'a cru sans preuve. D'ailleurs les
enfants des concubines héritaient alors. Le grand Charles Martel était bâtard,
et n'avait point été déshérité.
Quoi qu'il en soit, Charlemagne mourut en 813, avec la réputation d'un Empereur
aussi heureux qu'Auguste, aussi guerrier qu'Adrien, mais non tel que les Trajans
et les Antonins, auxquels nul Souverain n'a été comparable.
Il y avait alors en Orient un Prince qui l'égalait en gloire comme en puissance;
c'était le célèbre Calife Aaron Rachild, qui le surpassa beaucoup en justice, en
science, en humanité.
J'ose presque ajouter à ces deux hommes illustres le Pape Adrien, qui dans un
rang moins élevé, dans une fortune presque privée, et avec des vertus moins
héroïques, montra une prudence à laquelle ses successeurs ont dû leur
agrandissement.
La curiosité des hommes qui pénètre dans la vie privée des Princes, a voulu
savoir jusqu'au détail de la vie de Charlemagne et au secret de ses plaisirs. On
a écrit qu'il avait poussé l'amour des femmes jusqu'à jouir de ses propres
filles. On en a dit autant d'Auguste: mais qu'importe au Genre-humain le détail
de ces faiblesses, qui n'ont influé en rien sur les affaires publiques!
J'envisage son règne par un endroit plus digne de l'attention d'un citoyen. Les
Pays qui composent aujourd'hui la France et l'Allemagne jusqu'au Rhin, furent
tranquilles pendant près de cinquante ans, et l'Italie pendant treize, depuis
l'avènement à l'Empire. Point de révolution en France, point de calamité pendant
ce demi-Siècle, qui par là est unique. Un bonheur si long ne suffit pas pourtant
pour rendre aux hommes la Politesse et les Arts. La rouille de la Barbarie était
trop forte, et les Âges suivants l'épaissirent encore.
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