| |
Abrégé de l'histoire universelle depuis Charlemagne jusques à
Charlequint
Chapitre VII : Des Usages du temps de Charlemagne. |
Je m'arrête à cette célèbre époque pour considérer les Usages, les
Lois, la Religion, les Moeurs, l'Esprit qui régnaient alors.
J'examine d'abord l'Art de la guerre, par lequel Charlemagne établit cette
puissance que perdirent ses enfants.
Je trouve peu de nouveaux règlements, mais une grande fermeté à faire exécuter
les anciens. Voici à peu près les lois en usage, que sa valeur fit servir à tant
de succès, et que sa prudence perfectionna.
Des Ducs amovibles gouvernaient les Provinces, et levaient les troupes à peu
près comme aujourd'hui les Beglierbeis des Turcs. Ces Ducs avaient été institués
en Italie par Dioclétien. Les Comtes dont l'origine me paraît du temps de
Théodose, commandaient sous les Ducs, et assemblaient les troupes, chacun dans
son Canton. Les Métairies, les Bourgs, les Villages fournissaient un nombre de
soldats proportionné à leurs forces. Douze Métairies donnaient un cavalier armé
d'un casque et d'une cuirasse, les autres soldats n'en portaient point, mais
tous avaient le bouclier carré long, la hache d'armes, le javelot et l'épée.
Ceux qui se servaient de flèches, étaient obligés d'en avoir au moins douze dans
leur carquois. Leur habit me paraît ressembler à celui des troupes Prussiennes
d'aujourd'hui. La Province qui fournissait la milice, lui distribuait du blé et
les provisions nécessaires pour six mois, le Roi en fournissait pour le reste de
la campagne. On faisait la revue au premier de Mars ou au premier de Mai. C'est
d'ordinaire dans ces temps qu'on tenait les Parlements. Dans les sièges de Ville
on employait le bélier, la baliste, la tortue, et la plupart des machines des
Romains. Les Seigneurs nommés Barons, leudes richeomes, composaient avec leurs
suivants le peu de cavalerie qu'on voyait alors dans les armées. Les Musulmans
d'Afrique et d'Espagne avaient plus de cavaliers.
Charles avait des forces navales aux embouchures de toutes les grandes Rivières
de son Empire; avant lui on ne les connaissait pas chez les Barbares, après lui
on les ignora longtemps. Par ce moyen et par la police guerrière il arrêta ces
inondations des peuples du Nord, il les contint dans leurs climats glacés, mais
sous ses faibles descendants ils se répandirent dans l'Europe.
Les affaires générales se réglaient dans des assemblées, qui représentaient la
Nation. Sous lui ses Parlements n'avaient d'autre volonté que celle d'un Maître
qui savait commander et persuader.
Il fit fleurir le Commerce, parce qu'il était le Maître des Mers; ainsi les
Marchands des Côtes de Toscane, et ceux de Marseille allaient trafiquer à
Constantinople chez les Chrétiens et au Port d'Alexandrie chez les Musulmans,
qui les recevaient, et dont ils tiraient les richesses de l'Asie.
Venise et Gênes, si puissantes depuis par le Négoce, n'attiraient pas encore à
elles les richesses des Nations; mais Venise commençait à s'enrichir et à
s'agrandir. Rome, Ravenne, Milan, Lyon, Arles, Tours, avaient beaucoup de
Manufactures d'Étoffes de laine. On damasquinait le Fer à l'exemple de l'Asie.
On fabriquait le Verre, mais les Étoffes de Soie n'étaient tissées dans aucune
Ville de l'Empire d'Occident.
Les Vénitiens commençaient à les tirer de Constantinople, mais ce ne fut que
près de quatre cents ans après Charlemagne que les Princes Normands établirent à
Palerme une Manufacture de Soie. Le Linge était peu commun. Saint Boniface dans
une Lettre à un Évêque d'Allemagne, lui mande qu'il lui envoie du drap à longs
poils pour se laver les pieds. Probablement ce manque de linge était la cause de
toutes ces maladies de la peau, connues sous le nom de "lèpre", si générales
alors; car les Hôpitaux nommés "Léproseries" étaient déjà très nombreux.
La Monnaie avait à peu près la même valeur que celle de l'Empire Romain depuis
Constantin. Le Sou d'or était le "solidum romanum". Ce sou d'or équivalait à
quarante deniers d'argent. Ces deniers tantôt plus forts, tantôt plus faibles,
pesaient l'un portant l'autre trente grains.
Le sou d'or vaudrait aujourd'hui 1740 environ quinze francs, le denier d'argent
trente sous de compte.
Il faut toujours en lisant les Histoires, se ressouvenir qu'outre ces monnaies
réelles d'or et d'argent, on se servait dans le calcul d'une autre dénomination.
On s'exprimait souvent en monnaie de compte, monnaie fictive, qui n'était comme
aujourd'hui qu'une manière de compter.
Les Asiatiques et les Grecs comptaient par Mines et par Talens; les Romains par
grands Sesterces, sans qu'il y eût aucune monnaie qui valût un grand sesterce ou
un talent.
La Livre numéraire du temps de Charlemagne, était réputée le poids d'une livre
d'argent de douze onces. Cette livre se divisait numériquement comme aujourd'hui
en vingt parties. Il y avait à-la-vérité des sous d'argent semblables à nos
écus, dont chacun pesait la 20. ou 22. ou 24. Partie d'une livre de douze onces,
et ce sou se divisait comme le nôtre en douze deniers. Mais Charlemagne ayant
ordonné que le sou d'argent serait précisément la 20. partie de douze onces, on
s'accoutuma à regarder dans les comptes numéraires 20 sous pour une livre.
Pendant deux Siècles les Monnaies restèrent sur le pied où Charlemagne les avait
mis; mais petit à petit les Rois dans leurs besoins tantôt chargèrent les sous
d'alliage, tantôt en diminuèrent le poids; de sorte que par un changement qui
est presque la honte des Gouvernements de l'Europe, ce sou qui était autrefois
ce qu'est à peu près un écu d'argent, n'est plus qu'une légère pièce de cuivre
avec un 11e d'argent tout au plus; et la livre qui était le signe représentatif
de douze onces d'argent, n'est plus en France que le signe représentatif de 20
de nos sous de cuivre. Le Denier qui était la 124e partie d'une livre d'argent,
n'est plus que le tiers de cette vile monnaie qu'on appelle un liard: supposé
donc qu'une Ville de France dût à une autre 120 livres de rente, c'est-à-dire
1440 onces d'argent du temps de Charlemagne, elle s'acquitterait aujourd'hui de
sa dette en payant ce que nous appelons un écu de six francs.
La Livre de compte des Anglais, celle des Hollandais, ont moins varié. Une Livre
sterling d'Angleterre vaut environ 22 francs de France, et une Livre de compte
Hollandaise vaut environ 12 francs de France; ainsi les Hollandais se sont
écartés moins que les Français de la Loi primitive, et les Anglais encore moins.
Toutes les fois donc que l'Histoire nous parle de Monnaie sous le nom de livres,
nous n'avons qu'à examiner ce que valait la livre au temps et dans le Pays dont
on parle, et la comparer à la valeur de la nôtre. Nous devons avoir la même
attention en lisant l'Histoire Grecque et Romaine. C'est par exemple un
très-grand embarras pour le Lecteur, d'être obligé de réformer à chaque page les
comptes qui se trouvent dans l'Histoire ancienne d'un célèbre Professeur de
l'Université de Paris, et dans tant d'autres Auteurs. Quand ils veulent exprimer
en Monnaie de France les talens, les mines, les sesterces, ils se servent
toujours de l'évaluation que quelques avants ont fait avant la mort du grand
Colbert. Mais le Marc de 8 onces, qui valait sous ce Ministre 26 francs et dix
sous, vaut depuis longtemps 49 francs, ce qui fait une différence de près de la
moitié. Ces fautes donnent une idée des forces des anciens Gouvernements, de
leur Commerce, de la paye de leurs Soldats, extrêmement contraire à la vérité.
Il paraît qu'il y avait alors autant d'argent à peu près en France, en Italie et
vers le Rhin, qu'il y en a aujourd'hui. On n'en peut juger que par le prix des
denrées, et je le trouve presque le même; 24 livres de pain blanc valaient un
denier d'argent par les Capitulaires de Charlemagne. Ce denier était la 40.
partie d'un sou d'or, qui valait environ 15 francs de notre Monnaie; ainsi la
livre de pain revenait à près de cinq liards, ce qui ne s'éloigne pas du prix
ordinaire dans les bonnes années.
Dans les Pays Septentrionaux l'argent était beaucoup plus rare, le prix d'un
boeuf fut fixé par exemple à un sou d'or. Nous verrons dans la suite comment le
commerce et les richesses se sont étendues de proche en proche. En voilà déjà
trop pour un abrégé.
|
|
|
| |
|