Car un pays sans passé est un pays sans avenir...

 
Mythologie
 
 

 

 

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Abrégé de l'histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint

Chapitre VIII : De la Religion.

 

La querelle des Images est ce qui s'offre de plus singulier en matière de Religion. Je vois d'abord que l'Impératrice Irène, Tutrice de son malheureux fils Constantin Porphyrogénète, pour se frayer le chemin à l'Empire, flatte le Peuple et les Moines, à qui le Culte des Images proscrit par tant d'Empereurs depuis Léon l'Isaurien plaisait encore. Elle y était elle-même attachée, parce que son mari les avait eu en horreur. On avait persuadé à Irène que pour gouverner son mari, il fallait mettre sur le chevet de son lit les Images de certaines Saintes. La plus ridicule crédulité entre dans les esprits politiques. L'Empereur son mari en avait puni les auteurs. Irène après la mort de son mari donne un libre cours à son goût et à son ambition. Voilà ce qui assemble en 786 le second Concile de Nicée, septième Concile OEcuménique, commencé d'abord à Constantinople. Elle fait élire pour Patriarche un Laïc Secrétaire d'État, nommé Taraise. Il y avait eu autrefois quelques exemples de Séculiers élevés ainsi à l'Évêché, sans passer par les autres grades; mais alors cette coutume ne subsistait plus.

Ce Patriarche ouvrit le Concile. La conduite du Pape Adrien est très-remarquable. Il n'anathématise pas ce Secrétaire d'État qui se fait Patriarche. Il proteste seulement avec modestie dans ses Lettres à Irène contre le titre de Patriarche Universel, mais il insiste qu'on lui rende les patrimoines de la Sicile. Il redemande hautement ce peu de bien, tandis qu'il arrachait ainsi que ses prédécesseurs le domaine utile de tant de belles Terres données par Pépin et par Charlemagne. Cependant le Concile OEcuménique de Nicée, auquel président les Légats du Pape et ce Ministre Patriarche, rétablit le Culte des Images.

C'est une chose avouée de tous les sages Critiques, que les Pères de ce Concile, qui étaient au nombre de 350, y rapportèrent beaucoup de Pièces évidemment fausses; beaucoup de Miracles, dont le récit n'aurait que scandalisé dans d'autres temps; beaucoup de Livres apocryphes. Mais ces Pièces fausses ne firent point de tort aux vraies, sur lesquelles on décida.

Mais quand il fallut faire recevoir ce Concile par Charlemagne et par les Églises de France, quel fut l'embarras du Pape? Charles s'était déclaré hautement contre les Images. Il venait de faire écrire les Livres qu'on nomme "Carolins", dans lesquels ce culte est anathématisé. Il assemblait en 794 un Concile à Francfort, composé de 300 Évêques ou Abbés tant d'Italie que de France, qui rejetait d'un consentement unanime le service et l'adoration des Images. Ce mot équivoque d'adoration était la source de tous ces différends, car si les hommes définissaient les mots dont ils se servent, il y aurait moins de dispute, et plus d'un Royaume a été bouleversé pour un mal-entendu.

Tandis que le Pape Adrien envoyait en France les Actes du second Concile de Nicée, il reçoit les Livres Carolins opposés à ce Concile, et on le presse au nom de Charles de déclarer hérétique l'Empereur de Constantinople et sa mère. On voit assez par cette conduite de Charles, qu'il voulait se faire un nouveau droit de l'hérésie prétendue de l'Empereur, pour lui enlever Rome sous couleur de justice.

Le Pape partagé entre le Concile de Nicée qu'il adoptait et Charlemagne qu'il ménageait, prit, me semble, un tempérament politique qui devrait servir d'exemple dans toutes ces malheureuses disputes qui ont toujours divisé les Chrétiens. Il explique les Livres Carolins d'une manière favorable au Concile de Nicée, et par là réfute le Roi sans lui déplaire; il permet qu'on ne rende point de culte aux Images; ce qui était très raisonnable chez les Germains à peine sortis de l'Idolâtrie, et chez les Français grossiers qui avaient peu de Sculpteurs et de Peintres. Il exhorte en même temps à ne point briser ces mêmes Images. Ainsi il satisfait tout le monde, et laisse au temps à confirmer ou à abolir un culte encore douteux. Attentif à ménager les hommes et à faire servir la Religion à ses intérêts, il écrit à Charlemagne. «Je ne peux déclarer Irène et son fils hérétiques après le Concile de Nicée, mais je les déclarerai tels s'ils ne me rendent les biens de Sicile».

On voit la même prudence de ce Pape dans une dispute encore plus délicate, et qui seule eût suffi en d'autres temps pour allumer des guerres civiles. On avait voulu savoir si le St. Esprit procède du Père et du Fils, ou du Père seulement? Toute l'Église Grecque avait toujours cru qu'il ne procédait que du Père. Tout l'Empire de Charlemagne croyait la procession du Père et du Fils. Ces mots du Symbole "qui ex patre filioque procedit", étaient sacrés pour les Français, mais ces mêmes mots n'avaient jamais été adoptés à Rome. On presse de la part de Charlemagne le Pape de le déclarer. Le Pape répond qu'il est de l'avis du Roi, mais ne change rien au Symbole de Rome: Il apaise la dispute en ne décidant rien, en laissant à chacun ses usages. Il traite en un mot les affaires spirituelles en Prince, et trop de Princes les ont traité en Évêques.

Dès lors la politique profonde des Papes établissait peu à peu leur puissance. Ce même Adrien fait paraître adroitement au jour un recueil des faux Actes connus aujourd'hui sous le nom de "fausses Décretales". Il ne se hasarde pas à les donner lui même. C'est un Espagnol nommé Isidore qui les digère. Ce sont les Évêques Allemands, dont la bonne foi fut trompée, qui les répandent et les font valoir. Dans ces fausses Décretales on suppose d'anciens Canons, qui ordonnent qu'on ne tiendra jamais un seul Concile Provincial sans la permission du Pape; et que toutes les Causes Ecclésiastiques ressortiront à lui. On y fait parler les successeurs immédiats des Apôtres. On leur suppose des écrits. Il est vrai que tout étant de ce mauvais style du VIIe Siècle, tout étant plein de fautes contre l'Histoire et la Géographie, l'artifice était grossier; mais c'était des hommes grossiers qu'on trompait. Ces fausses Décretales ont abusé les hommes pendant huit Siècles; et enfin quand l'erreur a été reconnue, les usages par elle établis, ont subsisté dans une partie de l'Église: l'antiquité leur a tenu lieu de vérité.

Dès ces temps les Évêques d'Occident étaient des Seigneurs temporels, et possédaient plusieurs Terres en fief, mais aucun n'était Souverain indépendant. Les Rois de France nommaient aux Évêchés; plus hardis en cela et plus politiques que les Empereurs des Grecs, et les Rois de Lombardie, qui se contentaient d'interposer leur autorité dans les élections.

Les premières Églises Chrétiennes s'étaient gouvernées en Républiques sur le modèle des Synagogues. Ceux qui présidaient à ces assemblées, avaient pris insensiblement le titre d'Évêque, d'un mot Grec, dont les Grecs appelaient les Gouverneurs de leurs Colonies. Les Anciens de ces assemblées se nommaient Prêtres, qui signifie en Grec "Vieillard".

Charlemagne dans sa vieillesse accorda aux Évêques un droit dont son propre fils devint la victime. Ils firent accroire à ce Prince que dans le Code rédigé sous Thédose une loi portait que si de deux Séculiers en procès, l'un prenait un Évêque pour juge, l'autre était obligé de se soumettre à ce jugement sans en pouvoir appeler. Cette loi qui jamais n'avait été exécutée, passe chez tous les Critiques pour supposée. Elle a excité une guerre civile sourde entre les Tribunaux de la Justice et les Ministres du Sanctuaire, mais comme en ce temps-là tout ce qui n'était pas Clergé était en Occident d'une ignorance profonde, il faut s'étonner qu'on n'ait pas donné encore plus d'empire à ceux qui seuls étant un peu instruits, semblaient seuls mériter de juger les hommes.

Ainsi que les Évêques disputaient l'autorité aux Séculiers, les Moines commençaient à la disputer aux Évêques, qui pourtant étaient leurs maîtres par les Canons. Ces Moines étaient déjà trop riches pour obéir. Cette célèbre Formule de Marculfe était déjà bien souvent mise en usage, "moi, pour le repos de mon âme, et pour n'être pas placé après ma mort parmi les boucs, je donne à tel Monastère, etc". Elle avait enrichi ceux qui s'étaient consacrés à la pauvreté. Des Abbés Bénédictins longtemps avant Charlemagne étaient assez puissants pour se révolter. Un Abbé de Fontenelle avait osé se mettre à la tête d'un parti contre Charles Martel, et assembler des troupes. Le Héros fit trancher la tête au Religieux; exécution juste, qui ne contribue pas peu à toutes ces révélations que tant de Moines eurent depuis de la damnation de Charles Martel.

Avant ce temps on voit un Abbé de St. Rémy de Reims[8] et l'Évêque de cette Ville susciter une guerre civile contre Childebert au VIe Siècle: crime qui n'appartient qu'aux hommes puissants.

Les Évêques et les Abbés avaient beaucoup d'esclaves. On reproche à l'Abbé Alewin d'en avoir eu jusqu'à vingt mille. Ce nombre n'est pas incroyable. Alewin avait trois Abbayes, dont les terres pouvaient être habitées au moins par vingt mille hommes. Ces esclaves connus sous le nom de "serfs", ne pouvaient se marier ni changer de demeure sans la permission de l'Abbé. Ils étaient obligés de marcher 50 lieues avec leurs charrettes, quand il l'ordonnait. Ils travaillaient pour lui trois jours de la semaine, et il partageait tous les fruits de la terre.

«En France et en Allemagne plus d'un Évêque allait au combat avec ses serfs. Charlemagne dans une Lettre à une de ses femmes, nommée Frastade, lui parle d'un Évêque qui a vaillamment combattu auprès de lui, dans une bataille contre les Avares, Peuples descendus des Scytes, qui habitaient vers le Pays qu'on nomme à présent l'Autriche. Je vois de son temps 14 Monastères qui doivent fournir des Soldats; pour peu qu'un Abbé fût guerrier, rien ne l'empêchait de les conduire lui-même. Il est vrai qu'en 603 un Parlement se plaignit à Charlemagne du trop grand nombre de Prêtres qu'on avait tué à la guerre. Il fut défendu alors aux Ministres de l'Autel d'aller aux combats. Il n'était pas permis de se dire Clerc sans l'être, de porter la tonsure sans appartenir à un Évêque. De tels Clercs s'appelaient "acéphales". On les punissait comme vagabonds. On ignorait cet état aujourd'hui si commun, qui n'est ni Séculier ni Ecclésiastique. Le titre d'Abbé, qui signifie Père, n'appartenait qu'aux Chefs des Monastères.

Les Abbés avaient dès lors le Bâton Pastoral que portaient les Évêques, et qui avait été autrefois la marque de la Dignité Pontificale dans Rome Païenne. Telle était la puissance de ces Abbés sur les Moines, qu'ils condamnaient quelquefois aux peines afflictives les plus cruelles. Ils furent les premiers qui prirent le barbare usage des Empereurs Grecs, de faire brûler les yeux; et il fallut qu'un Concile leur défendît cet attentat, qu'ils commençaient à regarder comme un droit.

La Messe était différente de ce qu'elle est aujourd'hui, et plus encore de ce qu'elle était dans les premiers temps.

La Confession Auriculaire commençait à s'introduire. Les Évêques exigèrent d'abord que les Chanoines se confessassent à eux. Les Abbés fournirent leurs Moines à ce joug, et les Séculiers peu à peu le portèrent. La Confession publique ne fut jamais en usage dans l'Occident; car lorsque les Barbares embrassèrent le Christianisme, les abus et les scandales qu'elle entraînait après elle, l'avaient abolie en Orient, sous le
Patriarche Nectaire, à la fin du IVe Siècle; mais souvent les Pécheurs publics faisaient des pénitences publiques dans les Églises d'Occident, surtout en Espagne, où l'invasion des Sarrasins redoublait la ferveur des Chrétiens humiliés.

La Religion Chrétienne ne s'était point encore étendue au Nord plus loin que les conquêtes de Charlemagne. La Scandinavie, le Danemark, qu'on appelait le "Pays des Normands", étaient plongés dans une idolâtrie grossière. Ils adoraient Odin, et ils se figuraient qu'après leur mort le bonheur de l'homme consistait à boire dans la salle d'Odin de la bière dans le crâne de ses ennemis. On a encore de leurs anciennes chansons traduites, qui expriment cette idée. C'était beaucoup pour eux que de croire une autre Vie. La Pologne n'était ni moins barbare, ni moins idolâtre. Les Moscovites, plus sauvages que le reste de la grande Tartarie, en savaient à peine assez pour être Païens; mais tous ces Peuples vivaient en paix dans leur ignorance: heureux d'être inconnus à Charlemagne, qui vendait si cher la connaissance du Christianisme!

Les Anglais commençaient à recevoir la Religion Chrétienne. Elle y avait été apportée un peu auparavant par Constance Chlore, protecteur secret de cette Religion alors persécutée. Elle n'y domina point, l'Idolâtrie eut le dessus encore longtemps. Quelques Missionnaires des Gaules cultivèrent grossièrement un petit nombre de ces Insulaires. Le fameux Pélage, trop zélé défenseur de la Nature Humaine, était né en Angleterre; mais il n'y fut point élevé, et il faut le compter parmi les Romains.

L'Irlande qu'on appelait "Écosse" et l'Écosse connue alors sous le nom d'"Albanie", ou du "Pays des Pictes", avait reçu aussi quelques semences du Christianisme, étouffées toujours par l'idolâtrie, qui dominait. Le Moine Colombon né en Irlande, était du VIe Siècle; mais il paraît par sa retraite en France, et par les Monastères qu'il fonda en Bourgogne, qu'il y avait peu à faire et beaucoup à craindre pour ceux qui cherchaient en Irlande et en Angleterre de ces établissements riches et tranquilles, qu'on trouvait ailleurs à l'abri de la Religion.

Après une extinction presque totale du Christianisme dans l'Angleterre, l'Écosse et l'Irlande, la tendresse conjugale l'y fit renaître. Etherbert, un des Rois Barbares Anglo-Saxons de l'Eptarchie d'Angleterre, qui avait son petit Royaume dans la Province de Kent, où est Cantorbery, voulut s'allier avec un Roi de France. Il épousa la fille de Chérébert Roi de Paris. Cette Princesse Chrétienne, qui passa la mer avec un Évêque de Soissons, disposa son mari à recevoir le baptême, comme Clotilde avait soumis Clovis. Le Pape Grégoire le Grand envoya Augustin avec d'autres Moines Romains en 598. Ils firent peu de conversions; car il faut au-moins entendre la langue du Pays, pour en changer la Religion; mais favorisés par la Reine ils bâtirent un Monastère.

Ce fut proprement la Reine qui convertit le petit Royaume de Cantorbery. Ses sujets Barbares, qui n'avaient point d'opinions, suivirent aisément l'exemple de leurs Souverains. Cet Augustin n'eut pas de peine à se faire déclarer Primat par Grégoire le Grand. Il eût voulu même l'être des Gaules; mais Grégoire lui écrivit qu'il ne pouvait lui donner de juridiction que sur l'Angleterre. Il fut donc premier Archevêque de Cantorbery, premier Primat de l'Angleterre. Il donna à l'un de ses Moines le titre d'Évêque de Londres, à l'autre celui de Rochester. On ne peut mieux comparer ces Évêchés, qu'à ceux d'Antioche et de Babylone, qu'on appelle Évêques in "partibus infidelium". Mais avec le temps, la Hiérarchie d'Angleterre se forma. Les Monastères surtout étaient très-riches au VIIIe et au IXe Siècle. Ils mettaient au catalogue des Saints tous les grands Seigneurs qui leur avaient donné des terres, d'où vient que l'on trouve parmi leurs Saints de ce temps-là, sept Rois, sept Reines, huit Princes, seize Princesses. Leurs Chroniques disent que dix Rois et onze Reines finirent leurs jours dans des Cloîtres; mais il est croyable que ces dix Rois et ces onze Reines se firent seulement revêtir à leur mort d'habits religieux, et peut-être porter à leurs dernières maladies dans des Couvents, mais non pas qu'en effet ils aient en santé renoncé aux affaires publiques, pour vivre en Cénobites.

 

 
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