Abrégé de l'histoire universelle depuis Charlemagne jusques à
Charlequint
Chapitre IX : Suite des Usages du temps de Charlemagne, de la
Justice, des Lois et Coutumes singulières. |
La Justice se rendait ordinairement par les Comtes nommés par le
Roi. Ils avaient leurs districts assignés. Ils devaient être instruits des Lois,
qui n'étaient ni si difficiles ni si nombreuses, que les nôtres. La procédure
était simple, chacun plaidait sa cause en France et en Allemagne. Rome seule et
ce qui en dépendait, avait encore retenu beaucoup de Lois et de formalités de
l'Empire Romain. Les Lois Lombardes avaient lieu dans le reste de l'Italie
citérieure.
Chaque Comte avait sous lui un Lieutenant, nommé "Viguier", sept Assesseurs, "Scabini",
et un Greffier, "Notarius". Les Comtes publiaient dans leur juridiction l'ordre
des marches pour la guerre, enrôlaient les soldats sous des Centeniers, les
menaient aux rendez-vous, et laissaient alors leurs Lieutenants faire les
fonctions de Juge.
Les Rois envoyaient des Commissaires avec Lettres expresses, "missi Dominici",
qui examinaient la conduite des Comtes. Ni ces Commissaires, ni ces Comtes ne
condamnaient presque jamais à la mort, ni à aucun supplice; car si on en excepte
la Saxe, où Charlemagne fit des Lois de sang, presque les délits se rachetaient
dans le reste de son Empire. Le seul crime de rébellion était puni de mort, et
les Rois s'en réservaient le jugement. La Loi Salique, celle des Lombards, celle
de Ripuaires, avaient évalué à prix d'argent la plupart des autres attentats.
Leur Jurisprudence qui paraît humaine, était en effet plus cruelle que la nôtre.
Elle laissait la liberté de mal faire à quiconque pouvait la payer. La plus
douce loi est celle qui mettant le frein le plus terrible à l'iniquité, prévient
ainsi le plus de crimes.
Par les anciennes "Lois Ripuaires" rédigées sous Théodoric, et depuis sous le
Roi des Francs Dagobert, il en coûtait cent sous pour avoir coupé une oreille à
un homme, et si la surdité ne suivait pas, on était quitte pour cinquante sous.
Le troisième Chapitre de la "Loi Ripuaire" permettait au meurtrier d'un Évêque
de racheter son crime avec autant d'or qu'en pouvait peser une tunique de plomb,
de la hauteur du coupable, et d'une épaisseur déterminée.
La "Loi Salique" remise en vigueur sous Charlemagne, fixe le prix de la vie d'un
Évêque à neuf cents sous d'or.
On donnait la question, mais seulement aux esclaves; et celui qui avait fait
mourir dans les tourments de la question l'esclave innocent d'un autre Maître,
était obligé de lui en donner deux pour toute satisfaction.
Charlemagne qui corrigea les "Lois Saliques" et "Lombardes", ne fit que hausser
le prix des crimes. Ils étaient tous spécifiés. On distinguait ce que valait un
coup qui avait ôté seulement un os de la tête, d'avec un coup qui laissait voir
la cervelle.
Je trouve qu'une Sorcière convaincue d'avoir mangé de la chair humaine, était
condamnée à deux cents sous: et cet article est un témoignage bien humiliant
pour la Nature Humaine.
Il en coûtait sept cents sous pour le meurtre d'une Femme grosse, deux cents
pour celui d'une Fille non encore adulte.
Tous les outrages à la pudicité avaient aussi leurs prix fixes. Le rapt d'une
Femme non mariée ne valait que deux cents sous. Si on avait violé une Fille sur
le grand-chemin on ne payait que quarante sous, et on la rendait à son Maître.
De ces lois barbares la plus sévère était précisément celle qui devait être la
plus douce. Charlemagne lui-même au VIe Livre de ses "Capitulaires", dit que
d'épouser sa Comère est un crime digne de mort, et qui ne peut se racheter qu'en
passant toute sa vie en pèlerinage.
Parmi ces "Lois Saliques", il s'en trouve une qui marque bien expressément dans
quel mépris étaient tombés les Romains chez les Peuples barbares. Le Franc qui
avait tué un Citoyen Romain, ne payait que mille cinquante deniers, et le Romain
payait pour le sang d'un Franc deux mille cinq cents deniers.
Dans les Causes criminelles indécises, on se purgeait par serment. Il fallait
non seulement que la partie accusée jurât, mais elle était obligée de produire
un certain nombre de témoins qui juraient avec elle. Quand les deux parties
opposaient serment à serment, on permettait quelquefois le combat, mais ce
combat n'était point ce qu'on appela depuis "combat à outrance".
Ces combats étaient appelés, comme on sait, "le jugement de Dieu"; c'est aussi
le nom qu'on donnait à une des plus déplorables folies de ce Gouvernement
barbare. Les accusés étaient fournis à l'épreuve de l'eau froide, de l'eau
bouillante, ou du fer ardent. Le célèbre Étienne Baluze a rassemblé toutes les
anciennes cérémonies de ces épreuves. Elles commençaient par la Messe, on y
communiait l'accusé. On bénissait l'eau froide, on l'exorcisait. Ensuite
l'accusé était jeté, garrotté, dans l'eau. S'il tombait au fond, il était réputé
innocent. S'il surnageait, il était jugé coupable. Mr. de Fleury dans son
"Histoire Ecclésiastique" dit que c'était une manière sûre de ne trouver
personne criminel. J'ose croire que c'était une manière de faire périr beaucoup
d'innocents. Il y a bien des gens qui ont la poitrine assez large et les poumons
assez légers, pour ne point enfoncer, lorsqu'une grosse corde qui les lie avec
plusieurs tours, fait avec leur corps un volume moins pesant qu'une pareille
quantité d'eau. Cette malheureuse coutume, proscrite depuis dans les grandes
Villes, s'est conservée jusqu'à nos jours dans beaucoup de Provinces. On y a
très-souvent assujetti même par sentence de Juge, ceux qu'on faisait passer pour
Sorciers: car rien ne dure si longtemps que la Superstition, et il en a coûté la
vie à plus d'un malheureux.
Le jugement de Dieu par l'eau chaude s'exécutait en faisant plonger le bras nu
de l'accusé dans une cuve d'eau bouillante. Il fallait prendre au fond de la
cuve un anneau béni. Le Juge en présence des Prêtres et du Peuple enfermait dans
un sac le bras du patient, scellait le sac de son cachet, et si trois jours
après il ne paraissait sur le bras aucune marque de brûlure, l'innocence était
reconnue.
Tous les Historiens rapportent l'exemple de la Reine Teutberge, bru de
l'Empereur Lothaire petit-fils de Charlemagne, accusée d'avoir commis un inceste
avec son frère Moine et Sous-diacre. Elle nomma un champion qui se soumit pour
elle à l'épreuve de l'eau bouillante, en présence d'une Cour nombreuse. Il prit
l'anneau béni sans se brûler. Plusieurs hommes crédules, fondés sur de telles
histoires, pensent qu'il y a des secrets qui peuvent rendre la peau insensible à
l'action de l'eau bouillante; mais il n'y en a aucun; et tout ce qu'on peut dire
sur cette aventure, et sur toutes celles qui lui ressemblent, c'est qu'elles ne
sont pas vraies, ou que les Juges fermaient les yeux sur les artifices dont on
se servait, pour faire croire qu'on plongeait la main dans l'eau chaude, car on
pouvait aisément faire une cuve à double fond, l'air échauffé pouvait par des
tuyaux soulever l'eau à peine tiède et la faire paraître bouillante. Il y a bien
des manières de tromper, mais aucune d'être invulnérable.
La troisième épreuve était celle d'une barre de fer ardent, qu'il fallait porter
dans la main l'espace de neuf pas. Il était plus difficile de tromper dans cette
épreuve que dans les autres, aussi je ne vois personne qui s'y soit soumis dans
ces Siècles grossiers.
À l'égard des Lois Civiles, voici ce qui me paraît de plus remarquable. Un homme
qui n'avait point d'enfants, pouvait en adopter. Les époux pouvaient se répudier
en Justice, et après le divorce il leur était permis de passer à d'autres noces.
Nous avons dans Marculfe le détail de ces lois.
Mais ce qui paraîtra peut-être plus étonnant, et ce qui n'en est pas moins vrai,
c'est qu'au Livre II de ces Formules de Marculfe, on trouve que rien n'était
plus permis ni plus commun que de déroger à cette fameuse "Loi Salique", par
laquelle les Filles n'héritaient pas. On amenait sa fille devant le Comte ou le
Commissaire, et on disait «ma chère fille, un usage ancien et impie ôte parmi
nous toute portion paternelle aux filles, mais ayant considéré cette impiété,
j'ai vu que, comme vous m'avez été donnés tous de Dieu également, je dois vous
aimer de même; ainsi, ma chère fille, je veux que vous héritiez par portion
égale avec vos frères dans toutes mes Terres, etc.»
On ne connaissait point chez les Francs qui vivaient suivant la "Loi Salique et
Ripuaire", cette distinction de Nobles et de Roturiers, de Nobles de nom et
d'armes, et de Nobles "ab avo" ou gens vivant noblement. Il n'y avait que deux
ordres de Citoyens, les Libres et les Serfs, à peu près comme aujourd'hui dans
les Empires Mahométans et à la Chine.
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