CHAPITRE PREMIER : Les
quatre premiers Capétiens (987 à 1108)
III : Henri I° (1031 à 1060)
1° La
jeunesse d’Henri I° (1008 à 1031) – Né vers 1008, Henri n’était pas
l’aîné de Robert II et de Constance d’Arles.
En effet, le premier fils du
couple royal était Hugues (né vers 1007), qui fut associé au trône de
Francie dès 1017. Cependant, ce dernier mourut en 1025, et Robert II décida
de faire couronner Henri.
Toutefois, Constance
s’opposa au sacre, souhaitant privilégier Robert, troisième fils du couple.
La reine fut soutenue par plusieurs membres de la Cour, qui jugeaient
qu’Henri était trop efféminé pour être roi.
Mais Robert II tint bon,
faisant couronner Henri à Reims par l’archevêque Ebles de Roucy au
printemps 1027.
2° Un début
de règne contesté (1031) – Bien que couronné du vivant de son père,
comme nous venons de le voir, Henri eut à lutter contre sa mère (qui voulait
faire couronner Robert), qui bénéficiait du soutien d’Eudes II, comte de
Blois[1].
Statue d'Henri I°, château de Versailles, Versailles.
a) Guerre contre Robert
(1031 à 1034) : le jeune souverain, contraint d’abandonner le domaine
royal en 1032, se réfugia auprès de Robert, duc de Normandie[2]
(surnommé le Magnifique, le Libéral, ou parfois le Diable[3]).
L’année suivante, le roi des
Francs reçut le soutien de Conrad II le Salique, Empereur germanique[4].
A l’été 1034, Constance
mourut. Profitant de la disparition de la figure de proue des conjurés,
Henri et Robert le Magnifique affrontèrent leurs ennemis lors de la
bataille de Villeneuve-Saint-Georges, près de Créteil.
Remportant la victoire,
Henri I° fut toutefois contraint de céder à son frère le duché Bourgogne en
apanage[5].
b) Les mariages d’Henri
I° (1033 à 1044) : en 1033, Henri I° s’était fiancé à Mahaut (né
en 1027), troisième enfant de Conrad II le Salique. Toutefois, le projet
d’alliance matrimoniale fit long feu, car la jeune fille mourut l’année
suivante.
En 1034, Henri I° épousa
donc Mathilde, fille de Liudolf, marquis de Frise. La jeune
femme n’étant pas en état de procréer (elle était née en 1024), le premier
enfant du couple (une fille dont nous ne connaissons pas le nom) ne naquit
qu’en 1040.
Devenu veuf en 1044, Henri
I° épousa Anne, fille d’Iaroslav le Sage, prince de Kiev (ce
dernier était le descendant du légendaire Riourik, un Viking ayant
fondé Novgorod au IX° siècle). Le mariage fut célébré en mai 1051 dans la
cathédrale de Reims.
Plusieurs enfants naquirent
de cette union : Philippe (1052), Robert (1054), Emma
(1055) et Hugues (1057).
3° La guerre
contre la Normandie (1035 à 1055) – en 1034, Robert le Magnifique
annonça sa décision de partir en pèlerinage pour la Terre sainte.
Avant de partir, il fit
reconnaitre son fils Guillaume (qu’il avait eu avec sa concubine
Arlette) par les seigneurs de Normandie, puis nomma Henri I° tuteur de
son héritier.
Toutefois, après s’être
recueilli à Jérusalem, le duc de Normandie mourut sur le chemin du retour,
alors qu’il se trouvait à Nicée.
a) Guillaume le Bâtard,
un duc de Normandie contesté (1035 à 1046) :apprenant la mort de
Robert, les aristocrates de Normandie ne tardèrent pas à se rebeller. Ces
derniers prétextèrent que le fils du défunt était un bâtard, et qu’il était
trop jeune pour régner (ce dernier était né vers 1027).
Pendant près d’une décennie,
la Normandie fut agitée par des troubles, les complots se propageant jusqu’à
la Cour. Plusieurs tuteurs du jeune duc étant assassinés, son oncle maternel
Walter fut contraint de cacher l’enfant dans des maisons de paysans.
En 1046, un nouveau complot
fut fomenté par les seigneurs de Normandie, visant Guillaume en personne.
Les insurgés souhaitaient renverser le jeune duc afin de le remplacer par
Gui de Brionne, second fils de Renaud I°, comte de Bourgogne[6]
(Gui était un cousin de Guillaume, Renaud ayant épousé Adélaïde,
fille de Richard II).
A Valognes, Guillaume
échappa de justesse à une tentative de meurtre, puis il se réfugia à
Falaise. Il reçut alors le soutien d’Henri I°, avec qui il lança l’offensive
contre les insurgés.
b) La riposte de
Guillaume (1047 à 1050) :apprenant En août 1047, le duc de
Normandie et le roi des Francs remportèrent la bataille de Val-ès-Dunes,
à quelques kilomètres de Caen. Les insurgés, se retirant dans le désordre,
furent alors poursuivis par les troupes de l’armée royale, qui en tuèrent un
grand nombre.
Les insurgés, vaincus,
furent contraints de détruire leurs forteresses, et furent bannis du royaume
(un grand nombre d’entre eux s’exilèrent dans le sud de l’Italie, où
s’étaient implantés les Normands au début du XI° siècle).
Guillaume, soucieux d’en
découdre avec son cousin Gui, vint l’assiéger dans son château de Brionne, à
la pointe est du duché de Normandie. Le chef des insurgés tint bon, mais en
1050 il fut contraint de déposer les armes et d’abandonner son fief (Gui de
Brionne se réfugia alors auprès de Geoffroy II Martel, comte d’Anjou[7]).
c) Le retournement des
alliances (1052), la coalition de 1054 :pendant plusieurs
années, Henri prit le parti de Guillaume contre Geoffroy Martel, participant
à plusieurs expéditions contre l’Anjou.
Toutefois, le roi des Francs
n’appréciait guère la montée en puissance du duc de Normandie, qui avait
épousé Mathilde, fille de Baudouin V, comte de Flandre[8].
A compter de 1052, Henri se
rapprocha donc de Geoffroy Martel et de Thibaud III, comte de Blois[9].
En 1054, les conjurés
formèrent une grande coalition contre Guillaume, à laquelle participèrent
Henri I° ; Geoffroy Martel ; Thibaud III ; Guillaume VII, duc
d’Aquitaine ; Robert, duc de Bourgogne ; et Conan II, duc de
Bretagne.
L’armée royale, divisée en
deux unités, devait avancer en Normandie et se réunir sous les murs de
Rouen. Le premier corps, commandé par Henri et Geoffroy Martel, était
composé de troupes d’Anjou et d’Aquitaine ; le second corps, commandé par
Eudes (frère cadet du roi de Francie), était composé des troupes de Blois et
de Bourgogne.
Henri I° en campagne, par Jean Fouquet, enluminure issue de l'ouvrage
Grandes chroniques de France, Paris, France, XV°siècle.
Le duc de Normandie, sachant
que l’ennemi avait divisé son armée en deux entités, en fit de même : le
premier corps fut commandé par lui-même, le second par ses fidèles.
Cette seconde unité,
marchant au devant de l’ennemi dans le pays de Bray (à la frontière de la
Normandie et de la Picardie), reçut l’ordre de ne pas engager le combat.
Toutefois, les Normands profitèrent de la négligence de l’armée royale pour
attaquer le camp d’Eudes à la nuit tombée, faisant de nombreuses victimes.
Suite à la bataille de
Mortemer, Henri I° décida de quitter la coalition, fit la paix avec
Guillaume, et accorda au duc de Normandie le droit de conserver les
territoires qu’il avait pris à Geoffroy Martel.
d) La coalition de 1057
:mais en février 1057, Henri I° accepta de lancer une autre
expédition contre Guillaume, aux côté de Geoffroy Martel.
Les deux hommes, remontant
la vallée de l’Orne, traversèrent Caen, se dirigeant vers Rouen.
Guillaume, à la tête d’une
armée inférieure en nombre, décida de ruser une fois encore. Ainsi, alors
que les coalisés traversaient le bois de Bavent, près de Varaville, le duc
de Normandie attaqua l’arrière-garde de l’armée ennemie.
Les coalisés, alourdis par
leur butin, furent alors repoussés vers les marais de la Dive, où un grand
nombre d’entre eux périt noyés.
Henri I°, poursuivi par
Guillaume, fut alors contraint de retourner précipitamment dans ses Etats.
Une fois encore, il fut contraint de faire la paix avec le duc de Normandie.
Suite aux décès d’Henri I°
et de Geoffroy Martel, en 1060, Guillaume fut débarrassé des menaces pesant
sur son fief.
4° L’an mil –
Sous la plume des auteurs du XIX° siècle se développa l’idée qu’une
grande terreur à l’approche de l’an mille se répandit en France comme une
traînée de poudre.
a) La grande peur de l’an
mille ? : en effet, la population aurait craint le retour de Satan, qui
devait être relâché sur terre après mille années d’emprisonnement
(Apocalypse de Saint Jean, chapitre XX, versets 1 à 8) : Puis je vis descendre du ciel un ange, qui avait
la clef de l'abîme et une grande chaîne dans sa main. Il saisit le dragon,
le serpent ancien, qui est le diable et Satan, et le lia pour mille ans. Il
le jeta dans l'abîme, ferma et scella l'entrée au dessus de lui, afin qu'il
ne séduisit plus les nations, jusqu'à ce que les mille ans fussent
accomplis. [...] Quand les mille ans seront accomplis, Satan sera relâché de
sa prison. Et il sortira pour séduire les nations qui sont aux quatre coins
de la terre, Gog & Magog, afin de les rassembler pour la guerre; leur nombre
est comme le sable de la mer.
Toutefois, il convient de
nuancer les récits relatant les fameuses terreurs de l’an mille.
De prime abord, si l’Europe
chrétienne avait adopté le calendrier julien[10],
le début de l’an ne débutait pas partout à la même date : ainsi, les dates
variaient selon les pays (1er janvier,
Pâques, Noël, etc.).
Par ailleurs, l'éducation scolaire était à cette époque encore lacunaire, ne
concernant qu’une minorité de la population. Ainsi, de nombreux Français ne
se rendirent même pas compte qu'ils rentraient dans un nouveau millénaire.
Ainsi, la controverse
millénariste fut avant tout l’apanage des ecclésiastiques, mais ces derniers
n’étaient pas d’accords sur la date de l’Apocalypse : ainsi, certains
d’entre eux avancèrent la date de 1033, soit mille ans après la mort du
Christ[11].
b) La Paix de Dieu (989 à
1030) : toutefois, s’il n’y eut vraisemblablement pas de terreurs
collectives à l’annonce de l’approche de l’an mille, il existait toutefois
une inquiétude diffuse au sein de la population, en raison des troubles qui
agitaient le pays.
Depuis la disparition de
l’Empire carolingien, le pouvoir avait échu aux grands féodaux, et il
n’existait plus de figure similaire à celle de Charlemagne pour faire
respecter l’ordre.
L’Eglise lança le mouvement
de la Paix de Dieu, à compter de la fin du X° siècle, soucieuse de se
substituer à l’autorité royale si celle-ci était défaillante.
Certains historiens
considèrent que le concile de Charroux, organisé en juin 989, initia
officiellement le mouvement de la Paix de Dieu. A cette occasion, furent
déclarés anathèmes[12]
les seigneurs volant les biens des pauvres (c'est-à-dire les paysans, les
clercs et les moines), et ceux qui attaquaient les clercs.
L’on constate que ces
réunions ecclésiastiques se firent principalement dans le Midi, région où
l’autorité royale était moins présente, et où les seigneurs vivaient en
complète indépendance.
Diffusée par les moines de
Cluny après 1016, la Paix de Dieu se répandit en Bourgogne et dans la vallée
du Rhône (1020), puis dans le nord de la France (1023).
La Paix de Dieu consacrait
la division de la société en trois ordres, qui prévalait depuis l’époque
carolingienne : à la fin du règne de Charlemagne, les hommes libres, qui
constituaient la base de l’armée royale depuis l’époque de Clovis, furent
peu à peu remplacés par les cavaliers (ces derniers étaient des nobles,
seuls capables d’entretenir un cheval de guerre).
Les hommes libres, moins
fréquemment convoqués, restaient donc dans leurs champs afin de cultiver la
terre. Ces derniers commencèrent alors à faire appel à un protecteur, chargé
de défendre les exploitations agricoles en échange du ravitaillement de ses
troupes. Cette dépendance fut grandissante au fil des années, d’autant qu’il
fut interdit aux paysans de porter l’épée.
Cette transformation de la
société rurale donna naissance à la société féodale, divisée en trois
ordres : les laboratores (ceux qui travaillent), les bellatores
(ceux qui combattent), et les oratores (ceux qui prient).
c) La Trêve de Dieu (1027
à 1040) : influencé par le mouvement de la Paix de Dieu, Oliba,
évêque de Vic, organisa le concile de Toulouges en 1027. Les
participants complétèrent la Paix de Dieu en instaurant une notion
temporelle : ainsi, il était désormais interdit de faire la guerre le
dimanche.
Puis, lors du concile de
Vic, en 1033, de nouvelles dispositions furent prises concernant les
paysans : interdiction de voler leurs biens ; de les maltraiter ; et de
dérober leurs vêtements, mules, maisons, etc.
Repris par les moines de
Cluny, la Trêve de Dieu fut peu à peu institutionnalisée : il fut
interdit de se battre du jeudi au samedi (en souvenir de la Passion du
Christ.), ainsi que lors des temps forts de l’année liturgique (Avent, Noël,
Carême, Pâques, etc.). La guerre était donc tolérée 80 jours par an.
Par ailleurs, le meurtre
d’un chrétien par un autre chrétien était prohibé.
Comme pour la Paix de Dieu,
le mouvement de la Trêve de Dieu se propagea du Midi vers le nord de la
France.
d) La postérité de la
Paix-Trêve de Dieu : à noter malgré tout que ces deux mouvements de paix
connurent des dérives. Ainsi, considérant que l’anathème n’était pas une
arme suffisamment puissante, certains évêques n’hésitèrent pas à armer des
troupes afin de lutter contre des seigneurs jugés trop remuants.
Cependant, comme les
ligues de paix étaient composées de paysans et de bourgeois
inexpérimentées, elles furent massacrées par les seigneurs qu’elles
combattaient, ce qui discrédita quelque peu le mouvement.
Toutefois, si la Paix de
Dieu ne mit évidemment pas fin à la violence, elle parvint à la limiter,
grâce au soutien du roi et de plusieurs grands féodaux de Francie, qui
voyaient dans ce mouvement un moyen de structurer la société.
Par ailleurs, le mouvement
s’exporta en Angleterre et en Germanie, où Henri III[13]
se prononça en faveur de la Trêve de Dieu.
A la fin du XI° siècle, le
pape Urbain II, ancien moine de Cluny, reprit le concept de la Paix
de Dieu. A cette occasion, il condamna les guerres entre chrétiens (guerres
injustes), promouvant la guerre contre les hérétiques (la guerre
juste, devenue plus tard la guerre sainte). C’est ainsi que
débutèrent les croisades[14],
qui permirent aux Francs de s’établir en Terre sainte jusqu’au XIII° siècle.
5° La fin de
règne d’Henri I° (1055 à 1060) – Le domaine royal ne s’agrandit guère
sous Henri I°. Ainsi, ce dernier ne reçut que le comté de Sens, suite à la
mort de Rainard, en 1055[15].
Sentant sa fin approcher, le
roi des Francs décida de faire couronner Philippe, son aîné. Ce dernier fut
donc sacré à Reims en mai 1059 par Gervais de Bellème, archevêque de
la ville.
Le roi des Francs mourut en
août 1060 à Vitry-aux-Loges. Il fut alors inhumé au sein de la basilique
Saint Denis, aux côtés de ses ancêtres.
Gisant d'Henri I°, réalisé à la demande de
Saint Louis, vers 1263-1264, basilique Saint Denis, Paris.
[1] Ce dernier, après s’être réconcilié avec
Robert II vers 1022, avait recommencé à mener une politique hostile
aux Capétiens.
[2] Ce dernier était le fils de Richard II, duc de
Normandie.
[3] La chronique
Robert le Diable fut rédigée par un anonyme au XIII°
siècle. Cette dernière raconte la vie de Robert le Diable, duc de
Normandie, fils de Satan. Longtemps les historiens ont considéré que
Robert le Diable pouvait être Robert le Magnifique, mais cette
corrélation est remise en doute aujourd’hui.
[4]Henri II, fils d’Othon III, mourut en
1024 sans laisser d’héritiers. Les grands du royaume se réunirent
alors afin d’élire un nouveau roi, cédant la couronne à Conrad II,
comte de Franconie. Ce dernier, bien moins puissant que les autres
seigneurs de Germanie, ne put empêcher le morcellement féodal de la
Germanie ; en outre, l’Italie commença à montrer des signes
d’indépendance.
[5] L’apanage était un système permettant de
donner des territoires aux enfants cadets d’un couple, afin de
diminuer le risque de troubles ou de guerres civiles. Toutefois,
l’apanage devait revenir à la couronne lors de la disparition du
dernier enfant mâle de la lignée. Mais au cours de l’Histoire, les
apanages sous suzeraineté du roi de France eurent tendance à devenir
indépendants.
[6] Ce dernier était le fils d’Otte-Guillaume de
Bourgogne.
[10]Le calendrier julien avait été instauré
parJules Césaren
46 avant Jésus Christ. L'objectif du vainqueur des Gaules était de
réformer lecalendrier
romain, datant des origines de Rome. Ce dernier était un
calendrier lunaire très compliqué, qui comptait un peu plus de 300
jours par an (afin d'obtenir une année complète, les consuls
rajoutaient desmois
intercalaires, bien qu'ils aient parfois oublié de le faire,
induisant un décalage des saisons au cours de l'année). Le
calendrier julien, véritable calendrier solaire, comportait donc 365
jours (366 tous les 4 ans.), et fixait le début de l'année au 1er
janvier.
[11] Pour plus de renseignements sur les peurs de
l’an mil,
cliquez ici.
[12] L’anathème était
une excommunication majeure prononcée habituellement contre les
hérétiques et les ennemis de la foi catholique.
[13] Henri III était le fils de Conrad II, décédé
en 1039.
[15] En 1015, Rainard, comte de Sens, avait été
vaincu par les troupes de Robert II. Ce dernier accepta de laisser
ce territoire à son rival, mais il devait revenir à la couronne
suite à son décès. Pour en savoir plus sur cet évènement, voir le c,
3, section II, chapitre premier, les Capétiens.