CHAPITRE PREMIER : Les
quatre premiers Capétiens (987 à 1108)
IV : Philippe I° (1060 à 1108)
1° La régence
(1060 à 1066) – A la mort de son père, Philippe I° n’était âgé que de
huit ans. Ainsi, une régence fut mise en place par sa mère, Anne de Kiev.
Cette dernière fut toutefois
assistée par Gervais de Bellème, archevêque de Reims, et Baudouin V, comte
de Flandre (il était proche de la famille royale depuis 1028, date de son
mariage avec Adèle, fille de Robert II).
Cependant, la reine fut
enlevée dès 1061 par Raoul de Crépy, comte de Valois, qui avait
succombé aux charmes de la veuve (à cette occasion, ce dernier renvoya son
épouse Haquenez). Toutefois, cette union fit scandale, et Raoul de
Crépy fut excommunié par le pape Alexandre II.
A noter que le prénom du
jeune roi, d’origine grecque, avait été choisi par sa mère. En effet, les
Varègues (il s’agit du nom donné aux Normands par l’Empire byzantin)
étaient proches de Constantinople, qui avaient envoyé des missionnaires
orthodoxes en Europe de l’est (les Varègues, ainsi que d’autres peuples de
la région, utilisaient l’alphabet cyrillique, diffusé par Cyrille,
évêque de Sirmium).
En 1066, Philippe, âgé de
quatorze ans, fut déclaré majeur.
Deniers de Robert II (à gauche) et
Philippe I°, XI° siècle, Bode museum, Berlin.
2° Les
guerres de Philippe I° (1066 à 1079) – Contrairement à son père qui
avait peu combattu au cours de son règne, Philippe I° profita des guerres
qui éclatèrent en Francie pour étendre ses possessions.
Philippe I°, par Jean DE TILLET, XVI°.
a) Guerre contre l’Anjou
(1066 à 1068) :Geoffroy Martel, duc d’Anjou, décédé en 1066,
n’avait pas d’héritiers. Ses Etats furent donc cédés à ses neveux,
Geoffroy III le Barbu et Foulques IV le Querelleur (ces derniers
étaient les fils d’Ermengarde, sœur défunt).
Toutefois, Geoffroy III se
brouilla avec le clergé au sujet de l’élection de l’évêque du Mans, et fut
excommunié ; Foulques IV, quant à lui, profita de cet évènement pour
soulever les vassaux de son frère.
Suite à la bataille de
Brissac-Quincé, en avril 1068, Geoffroy III fut vaincu. Foulques IV le
fit emprisonner et s’empara de ses Etats.
En raison des protestations
de Philippe I°, qui menaçait d’intervenir, le duc d’Anjou lui céda le comté
de Gâtinais (une province située au sud de l’Ile-de-France).
La France au XI° siècle.
b) Guerre contre la
Flandre (1071 à 1072) :à la mort de Baudouin V, en 1067, ce fut
son fils, Baudouin VI, qui hérita du comté de Flandre. Toutefois, ce
dernier mourut prématurément en 1070.
Ce dernier, de son mariage
avec Richilde de Hainaut, avait eu plusieurs enfants (Arnoul III
et Baudouin II), mais ces derniers étaient trop jeunes pour
régner. Ainsi, Baudouin VI désigna son frère Robert comme tuteur de
ses enfants.
Toutefois, l’ambitieuse
Richilde ne l’entendit pas de cette oreille, et fit envahir la Frise, dont
Robert était régent (en 1063, ce dernier avait été appelé par les comtes de
Hollande, révoltés contre la comtesse Gertrude, qui avait été nommé
régente pendant la minorité de son fils Thierry V. Remportant la
victoire, Robert contraint Gertrude à l’épouser).
Robert fut donc contraint de
se réfugier en Saxe, auprès de son beau-frère Ordulf, où il leva des
troupes en vue d’une guerre contre Richilde.
En début d’année 1071,
Robert lança l’offensive et pénétra en Flandre. Il reçut rapidement la
soumission de Gand et Ypres, puis s’empara de Lille.
A l’annonce de ce coup de
force, Philippe I°, qui soutenait Richilde, décida d’intervenir. En février,
il marcha contre Robert, qui se trouvait à Bavinchove.
Toutefois, la bataille de
Cassel fut un échec pour les Francs, qui furent mis en déroute par les
piquiers flamands. En outre, Arnoul III trouva la mort au cours de
l’affrontement, et Richilde fut capturée.
Mais Robert fut prisonnier à
son tour alors qu’il poursuivait les pillards. Enfermé à Saint-Omer, il fut
cependant libéré en échange de Richilde. Philippe I°, qui n’avait pas été
informé de sa transaction, pilla la cité en représailles.
L’année suivante, Robert
envahit le Hainaut, remportant la bataille d’Obourg, près de Mons.
Richilde fut alors contrainte de déposer les armes.
Son second fils, Baudouin
II, fut privé de la Flandre mais reçut le comté de Hainaut[1].
A noter que sa mère avait épousé en premières noces Herman, comte de
Hainaut. Le couple avait été fertile mais Richilde avait contraint ses
enfants d’un premier lit d’épouser la vie religieuse, afin de privilégier
les fils qu’elle avait eu avec Baudouin V.
Philippe I° fit lui aussi la
paix avec Robert, le reconnaissant comme comte de Flandre. Il épousa alors
sa belle-fille, Berthe[2],
en 1072. En contrepartie, le roi des Francs reçut la ville de Corbie.
Philippe I°, son épouse Berthe, et leur deux enfants Louis et Constance,
enluminure issue de l'ouvrage
Grandes chroniques de France, Paris, France, XIV°siècle .
c) Première guerre contre
la Normandie (1076 à 1077) :Guillaume, duc de Normandie, avait
débarqué en Grande-Bretagne en 1066, étant couronné roi d’Angleterre en fin
d’année[3]
(il gagna ainsi son surnom de Conquérant).
A cette date, Guillaume
était le plus puissant vassal du roi des Francs, ce qui inquiétait Philippe
I°.
S’alliant avec Foulques IV
d’Anjou et Robert de Flandre, le Capétien lança une grande offensive contre
Guillaume en 1076.
A cette date, Philippe I°
remporta la bataille de Dol contre les troupes normandes, qui avaient
des vues sur la Bretagne. L’année suivante, il s’empara du Vexin, chassant
le comte Simon qui rentra dans les ordres.
A cette date, Guillaume, qui
rencontrait toujours des résistances en Angleterre, décida de faire la paix
avec le roi des Francs.
d) Seconde guerre contre la Normandie (1078 à 1079) :de son union avec Mathilde de Flandre, Guillaume avait eu plusieurs
fils : Robert Courteheuse[4],
Richard (rentré dans les ordres en 1066), Guillaume le Roux,
et Henri.
L’aîné s’étant révolté
contre son père, Philippe décida de prendre le parti du jeune homme (les
Capétiens jouèrent pendant plusieurs décennies des dissensions existant au
sein de cette famille).
Guillaume, assiégeant son
fils dans le château de Gerberoy, près de Beauvais, fut alors attaqué par
Philippe I°, qui remporta la bataille.
Le duc de Normandie, blessé
au cours de l’affrontement, fut alors contraint de sonner la retraite.
Suite à cet affrontement,
Robert Courteheuse remerciant Philippe I°, lui céda la ville de Gisors, sur
la rive droite de l’Epte, rivière marquant la frontière entre le domaine
royal et la Normandie.
A la même date, Guillaume le
Conquérant décida de donner à son aîné le titre de duc de Normandie ;
toutefois, la couronne d’Angleterre devait revenir à son cadet, Guillaume le
Roux.
A noter qu’à la mort de
Guillaume le Conquérant, en 1087, Robert tenta en vain de s’emparer du
royaume d’Angleterre.
d) Guerre contre le
seigneur du Puiset (1079) :peu de temps après le siège de
Beauvais, Philippe I° hiverna à Etampes.
C’est alors qu’éclata une
petite insurrection, menée par Hugues I° Blavons, seigneur du Puiset.
Au printemps, les deux
belligérants s’affrontèrent près du Puiset (un château donc Hugues Blavons
s’était emparé pendant la minorité du roi). Les rebelles remportèrent la
victoire, contraignant le roi des Francs à sonner la retraite.
Suite à ces évènements,
Philippe I° ne s’attaqua plus à Hugues Blavons, et les offensives contre les
seigneurs rebelles ne reprirent que sous le règne de son successeur.
3° Philippe
I° et Bertrade (1092 à 1104) – Au printemps 1092, Philippe I° rencontra
Bertrade (fille de Simon I°, comte de Montfort), que Foulques
IV d’Anjou avait épousé vers 1089.
Le couple eut un fils,
Foulques V, vers 1092, mais le mariage ne fut guère heureux, car la
jeune femme avait trente ans d’écart avec son époux.
a) Le second mariage de
Philippe I° (1092) :Philippe I°, quant à lui, avait enfermé
Berthe au château de Montreuil en 1090, soucieux de mettre un terme à la
tutelle flamande. Le roi des Francs, souhaitant se remarier, répudia alors
son épouse en 1092.
A cette date, il se
rapprocha de Roger I°, roi de Sicile (ce dernier avait chassé les
musulmans de l’île), afin d’épouser sa fille Emma. Toutefois, comme
le projet fit long feu, il envoya des soldats à la Cour de Foulques IV afin
d’enlever Bertrade. Le mariage fut célébré en mai 1092.
Philippe I° et Bertrade, par Paul Lehugeur, XIX° siècle.
b) L’excommunication du
couple royal (1094-1095), la première croisade (1099) : toutefois, cette
union fut vivement critiquée par l’Eglise, Philippe et Bertrade étant
accusés d’adultère. Malgré la mort de Berthe, en 1093, qui libérait le roi
des Francs de son ancienne union, le pape Urbain II ne voulut rien entendre.
Hugues, archevêque de
Lyon et légat du Saint Siège, réunit alors un concile à Autun, en octobre
1094, qui prononça l’excommunication du couple royal.
Philippe I° tenta de
parlementer avec le pape, qui réunit un nouveau concile à Plaisance (mars
1095) et à Clermont (novembre 1095). Ces assemblées furent principalement
consacrées à la mise en place de la future croisade ; cependant, comme
Philippe ne s’y rendit pas, le pape confirma l’excommunication prononcée
l’année précédente.
L’excommunication, qui
privait le roi de l’eucharistie et des sacrements religieux, autorisait ses
vassaux à se délier de leur serment de fidélité. Toutefois, malgré cette
condamnation, les chroniques contemporaines ne firent pas état de révoltes
contre l’autorité royale.
A noter qu’à cette date, la
première croisade[5]avait commencé, et de puissants seigneurs étaient partis en Terre
sainte : parmi les plus célèbres, citons Godefroi de Bouillon, duc de
basse-Lotharingie ; son frère Baudouin de Boulogne ; Raymond IV de
Saint Gilles, comte de Toulouse ; Hugues, frère du roi de France (ce
dernier avait hérité du Vermandois vers 1080, à la mort du comte Herbert
IV[6]) ;
Robert Courteheuse, duc de Normandie ; Robert II, comte de Flandre[7]
; et Etienne II, comte de Blois[8].
c) Le sacre de Louis VI
(vers 1098) : de son union avec Berthe, sa première femme, Philippe
avait eu plusieurs enfants : Constance (née vers 1078), Louis
(né en 1081), et trois fils morts en bas-âge (Henri, Charles
et Eudes).
Toutefois, le roi des Francs
eut aussi des enfants avec Bertrade : Philippe (né vers 1093),
Fleury (né vers 1095), et Cécile (née vers 1097).
La seconde épouse de
Philippe, qui souhaitait privilégier ses fils, tenta alors d’écarter Louis
de la succession. Le roi des Francs envoya alors son aîné suivre ses études
à l’abbaye Saint Denis, craignant peut être qu’il ne lui arrive un accident
à la Cour.
Louis, qui avait reçu le
Vexin en 1092, fut finalement couronné et associé au trône vers 1098.
Son cadet Philippe, quant à
lui, épousa en 1104 Elisabeth, fille unique de Guy Trousseau,
seigneur de Montlhéry.
Lorsque ce dernier mourut,
en 1109, cette province fut intégrée au domaine royal.
d) L’absolution de
Philippe I° (1104) : toujours soucieux de faire lever son
excommunication, le roi des Francs se rendit au concile de Beaugency, en
1104, accompagné de son épouse.
A cette date, Bertrade
aurait été « touchée par la grâce », renonçant d’elle-même à son mariage
avec Philippe I°. Ce dernier fut alors absous par le pape Pascal II,
qui recherchait des alliés dans sa lutte contre l’Empire germanique[9].
A noter toutefois que
Philippe vécut vraisemblablement avec Bertrade jusqu’à sa mort.
4° La fin de
règne de Philippe I° (1108) – Affaibli par l’âge et son embonpoint,
Philippe I° mourut en juillet 1108 à Melun.
La mort de Philippe I°, enluminure issue de l'ouvrage Chroniques de France,
Paris, France, XV°siècle.
Ce dernier, âgé de 56 ans,
avait régné 48 ans[10].
Contrairement à son père, il ne voulut pas être enterré dans la basilique
Saint Denis, en raison de ses fautes ; ainsi, il fut inhumé dans l’abbaye de
Fleury, à Saint-Benoît-sur-Loire.
[6] A noter que ce dernier était un Carolingien,
descendant de Pépin, troisième fils de Charlemagne. Pour en
savoir plus sur le règne de ce souverain,
cliquez ici.
[9] Depuis l’époque de Charlemagne, les évêques
étaient nommés par l’Empereur ; cependant, Rome souhaitant obtenir
son indépendance, la papauté réclamait l’exclusivité de ce pouvoir
de nomination (qu’elle finit par obtenir). Pour en savoir plus sur
la lutte entre la papauté et l’Eglise,
cliquez ici.
[10] Ce dernier eut un des plus long règnes de la
monarchie française, derrière Louis XIV (72 ans), Louis XV
(58 ans) et Clotaire I° (environ 50 ans).