CHAPITRE TROISIÈME :
La décadence des
Carolingiens (814 à 987)
I : Louis le
Pieux (814 à 840)
1° L’avènement de Louis le Pieux
(778 à 814) – En janvier 814,
Charlemagne mourut. Ce dernier, avec sa seconde femme Hildegarde,
avait eu trois enfants : Charles le Jeune (décédé en 811),
Pépin (décédé en 810), et Louis (ce dernier avait un
jumeau, Lothaire, qui mourut en bas-âge).
a) La jeunesse de
Louis le Pieux : en 781, Charlemagne décida de préparer sa
succession en divisant son royaume entre ses fils, comme le voulait la
vieille coutume franque. Charles le Jeune, l’aîné, fut nommé roi des
Francs ; son cadet Pépin reçut le royaume d’Italie ; Louis, le benjamin,
eut le royaume d’Aquitaine.
En raison de leur âge[1],
les jeunes rois ne gouvernèrent pas leurs royaumes respectifs, qui
furent administrés par Charlemagne jusqu’à la fin du VIII° siècle.
En 787, Charles, Pépin
et Louis furent couronnés rois par le pape Adrien I°, lors d’une
cérémonie tenue à Rome ; en 806, leurs possessions furent agrandies
(Pépin, outre l’Italie, eut la Bavière et la Carinthie ; Louis, outre
l’Aquitaine, reçut la Bourgogne et la Provence).
Charlemagne et Louis I° le Pieux, enluminure issue des Grandes Chroniques de France, XIV°,
Bibliothèque Nationale.
Installé en Aquitaine,
Louis prit part à plusieurs expéditions contre l’Espagne musulmane. Ce
dernier fit le siège de Huesca en 797, puis s’empara de Barcelone et
Géronne en 800. Le fils de Charlemagne, en raison de ses succès, parvint
à consolider la marche d’Espagne, mais il ne parvint pas à s’emparer de
Saragosse.
En 795, Louis épousa
Ermengarde, fille du comte de Hesbaye[2].
Le couple eut trois enfants : Lothaire (795), Pépin (797),
et Louis (806).
Les dernières années de
règne de Charlemagne furent assombries par la mort de deux de ses fils,
Pépin (810) et Charles le Jeune (811). L’aîné était mort sans héritier ;
Pépin, quant à lui, transmit son héritage à son fils Bernard. Le
titre impérial fut donc cédé à Louis.
Louis le Pieux associé à l'Empire, par Paul Lehugeur,
XIX° siècle.
b) Louis le
Pieux Empereur : ce dernier, né en 778, avait 36 ans lors de son
accession au trône, un âge déjà avancé à l’époque.
Ce souverain fut
surnommé le Pieux de son vivant, Louis étant très proche de la
papauté (il accorda une certaine indépendance politique aux Etats du
pape, contrairement à son père).
Il fut aussi surnommé
le Débonnaire, dans la chronique anonyme Vie de Louis. Si ce
terme ne fut employé qu’une seule fois dans cet ouvrage, il fut
toutefois repris et popularisé à compter du XIII° siècle, Louis étant
considéré comme un souverain faible[3].
En février 814, Louis apprit la mort de son
père, alors qu’il se trouvait dans son palais de Doué-la-Fontaine. Ce
dernier se rendit alors à Aix-la-Chapelle, où une de ses premières
mesures fut de renvoyer les conseillers de son père, qui furent
remplacés par ceux du nouveau souverain.
A noter que Louis ne prit pas le titre de roi
des Francs mais celui d’Empereur, ce dernier étant vraisemblablement
soucieux d’imposer son autorité sur tous les peuples du royaume.
En octobre 816, il fut sacré par le pape
Etienne IV, au cours d’une cérémonie organisée à Reims (Louis fut le
premier monarque à être couronné dans cette cité, ce qui devint une
tradition au fil des siècles).
2° Le partage d’Aix-la-Chapelle
(817) – Comme l’avait fait
Charlemagne avant lui, Louis divisa son empire entre ses enfants au
cours d’une assemblée tenue en juillet 817 à Aix-la-Chapelle. Ce
capitulaire fut intitulé Ordinatio imperii (ou
organisation de l’Empire), établissant un nouvel agencement du royaume.
L'Empire de Charlemagne en 814.
L’Empereur, plutôt que de suivre la vieille
tradition mérovingienne qui imposait un partage équitable entre les
héritiers, préféra faire comme son père, privilégiant l’aîné avant
tout : ainsi, Lothaire fut associé à l’Empire ; Pépin fut nommé roi
d’Aquitaine ; et Louis roi de Bavière (ce dernier fut surnommé le
Germanique.).
Par ailleurs, comme Lothaire disposait de la
titulature impériale, ses frères devaient le consulter une fois l’an,
afin d’obtenir son consentement pour faire la guerre, la paix, ou encore
pour se marier. Par ailleurs, Lothaire avait le pouvoir de détrôner un
de ses frères, après trois avertissements.
3° Révolte de Bernard (818)
– Le neveu de l’Empereur, Bernard, fils de Pépin[4],
avait été maintenu à la tête du royaume d’Italie à la mort de
Charlemagne.
Toutefois, l’Ordinatio imperii
stipulait qu’il serait désormais le vassal de Lothaire, qui était
l’héritier de l’Empire.
a) Révolte et mort de Bernard (818) :
les chroniques ne sont pas claires à ce sujet. Ainsi, certaines
affirment que Bernard prit les armes contre son oncle, souhaitant
obtenir son indépendance ; d’autres disent que Louis le Pieux attaqua le
premier, ayant reçu des rapports (erronés ?) selon lesquels son neveu
avait fait sécession.
En début d’année 818, Bernard se rendit à
Chalon afin d’y rencontrer son oncle. Toutefois, il fut fait prisonnier
et emmené à Aix-la-Chapelle.
A l’issue d’un rapide procès, le roi d’Italie
fut condamné à mort. Toutefois, l’Empereur lui fit grâce, ordonnant que
son neveu soit plutôt aveuglé.
Bernard, dont les yeux avaient été brulés au
fer rouge, mourut quelques jours après des suites de ses blessures. Par
ailleurs, plusieurs de ses partisans furent arrêtés.
b) La pénitence d’Attigny (822) :l’Empereur, présenté par les chroniques comme désolé par cette mort
tragique, décida de faire pénitence devant le concile d’Attigny,
en 822.
Par ailleurs, Louis décida de donner à
Pépin, fils de Bernard, le comté de Péronne, au nord de la Seine.
Certains historiens considèrent que cette
pénitence fut perçue comme un aveu de faiblesse, par l’Eglise et par
l’aristocratie ; d’autres, au contraire, pensent qu’il s’agissait d’un
moyen permettant d’apaiser les tensions qui étaient apparues à la mort
de Bernard.
4° Du second mariage de Louis
(819) au partage de 829 – Suite à la mort de Bernard, Louis le Pieux
organisa une campagne contre les Bretons qui s’étaient révoltés.
Ermengarde, qui accompagnait son époux, mourut à Angers en octobre 818.
a) Le second mariage de Louis le Pieux,
naissance de Charles (819 à 823) : l’Empereur décida alors de se
remarier, épousant Judith en février 819 (cette dernière était la
fille d’un seigneur bavarois). Vers 820, le couple eut une fille,
Gisèle, puis un fils, Charles (né en 823).
La naissance du nouveau-né impliquait une
révision de l’Ordinatio imperii, d’autant que Judith était une
femme ambitieuse qui souhaitait assurer l’avenir de sa descendance.
Dans un premier temps, cette dernière se
rapprocha de Pépin et Louis le Germanique, car Lothaire, sacré à Rome la
même année, refusait que le partage de 817 ne soit amendé.
Par ailleurs, Judith reçut le soutien de
Bernard, comte de Barcelone et marquis de Septimanie. Ce dernier,
fort de son prestige gagné lors de la lutte contre les musulmans, devint
l’un des principaux conseillers de l’Empereur.
b) La constitutio romana (824) : des
troubles ayant éclaté à Rome suite à l’élection d’Eugène II, en
824, le nouveau pape se rapprocha de Louis le Pieux. L’objectif du
souverain pontife était de faire en sorte que les futurs papes soient
reconnus par l’Empereur, afin de diminuer le risque de révoltes.
C’est ainsi que fut promulgué la
constitutio romana (constitution romaine) en 824. Chaque nouveau
pape, suite à son élection, devait prêter serment à l’Empereur, qui en
contrepartie l’assurait de son soutien[5].
c) Le partage de 829 : en 829, Louis le
Pieux convoqua une assemblée à Worms. C’est ainsi qu’un nouveau partage
de l’Empire fut organisé, cette fois ci afin d’y inclure Charles, qui
reçut l’Alémanie (territoire s’étendant entre l’Alsace et la Souabe).
Par ailleurs, Bernard fut nommé gouverneur de
Charles.
5° La révolte de 830 –
Suite à ce nouveau partage, Pépin et Louis se révoltèrent, quittant
leurs Etats respectifs. En 830, ils firent avancer leurs armées en
direction d’Aix-la-Chapelle, s’emparant du palais impérial.
Epées et lances carolingiennes, IX°-X° siècle, Neues museum, Berlin.
Louis le Pieux, acculé, fut alors contraint de
céder devant les exigences de ses fils. Ainsi, Judith fut placée dans le
couvent de Sainte Radegonde à Poitiers, et Charles, privé de ses terres,
fut confié à des moines. Bernard de Septimanie, qui était parvenu à
s’enfuir de justesse, regagna le Midi.
Lothaire, arrivé d’Italie, s’opposa à Pépin
qui réclamait l’abdication de leur père. Ainsi, Louis le Pieux conserva
son titre, mais l’autorité échut à son fils aîné. Par ailleurs, Judith
et Charles purent rejoindre la Cour.
En 831, suite au départ de Lothaire pour
l’Italie, Pépin et Louis procédèrent à un nouveau partage, les deux
hommes étant soucieux de contrecarrer les ambitions de leur frère :
ainsi, si Lothaire conservait la dignité impériale, les royaumes
d’Aquitaine et de Bavière obtiendraient leur indépendance à sa mort. En
outre, Pépin et Louis profitèrent de ce nouveau partage pour agrandir
considérablement leurs Etats respectifs.
6° La révolte de 833 –
Pépin, rentré en Aquitaine, reçut la soumission de Bernard de
Septimanie. En 832, ce souverain décida de se révolter une fois encore,
sachant que Judith négociait une alliance avec Lothaire.
A l’annonce de la nouvelle, Louis le Pieux
décida de déposséder Pépin de ses Etats, puis les céda à Charles.
a) Le champ du mensonge : toutefois,
alors que Pépin soulevait l’Aquitaine, Louis le Germanique envahit
l’Alémanie, territoire appartenant à Charles.
En juin 833, les trois frères convoquèrent
leur père dans la plaine de Rothfeld, près de Colmar, en Alsace.
L’objectif était de mettre en place des pourparlers afin de trouver une
issue favorable à la crise.
Lothaire amenait d’Italie le pape Grégoire
IV, qui selon les chroniques souhaitait remplir une mission de
conciliation. Toutefois, sa présence fut mal interprétée par les
partisans de Louis le Pieux croyant que l’Empereur avait été excommunié.
Ainsi, ces derniers firent défection les uns après les autres, plaçant
le fils de Charlemagne dans une situation difficile.
A la merci des ses enfants, Louis le Pieux fut
déposé ; la dignité impériale fut cédée à Lothaire ; Judith fut enfermée
dans le couvent de Tortone, en Italie ; Charles fut placé dans un
monastère ; enfin, Pépin récupéra ses Etats.
Selon les chroniques, le pape retourna à Rome,
désolé du rôle qu’on lui avait fait jouer. La plaine de Rothfeld
(« champ rouge »en allemand) fut alors rebaptisée plaine de
Lügenfeld(« champ du mensonge »).
b) La déchéance de Louis le Pieux :
suite à la rencontre du champ du mensonge, Lothaire contraignit son père
à prendre l’habit de moine, acte qui signifiait une abdication
officielle.
Toutefois, comme Louis le Pieux se montra
hostile à ce projet, son aîné convoqua à Compiègne une assemblée
d’évêques de Gaule. En fin d’année 833, les prélats déposèrent
solennellement Louis le Pieux.
Peu de temps après, ce dernier fut contraint
de procéder à une pénitence publique dans l’abbaye Saint Médard de
Soissons. L’Empereur déchu y confessa ses « crimes », ôta son habit
royal et revêtit le costume gris des pénitents.
L'humiliation de Louis le Pieux, par Paul Lehugeur, XIX°
siècle.
Par la suite, Louis le Pieux fut enfermé au
monastère de Saint Denis.
Louis le Pieux enfermé à Saint Médard, enluminure issue de l'ouvrage Grandes Chroniques de France, Paris, France, XIV°siècle.
7° la révolte de 834, le
rétablissement de Louis le Pieux (835) – Un an seulement depuis la
dernière révolte, Pépin et Louis le Germanique décidèrent de prendre les
armes une fois encore. En effet, ces derniers craignaient que Lothaire,
investi de la titulature impériale, ne devienne trop puissant.
Ainsi, les deux hommes dénoncèrent les actes
de Compiègne, sortirent leur père de Saint Denis, puis le rétablirent
dans ses droits (février 834).
A l’annonce de la nouvelle, Lothaire sortit
d’Italie, se dirigeant vers la Bourgogne. Ce dernier s’empara de Chalon,
ou fut exécuté le frère de Bernard de Septimanie. Toutefois, il fut
contraint de rentrer en Italie peu de temps après.
Le concile de Thionville, réunit en
février 835, cassa les actes de Compiègne ; par ailleurs, Louis le Pieux
retrouva officiellement la dignité impériale.
8° La fin de règne de Louis le
Pieux (835 à 840) – Sous l’influence de Judith, rentrée d’Italie en
834, Louis le Pieux décida d’agrandir les possessions de Charles.
a) L’agrandissement des territoires de
Charles (837 à 838) : en 837, ce dernier reçut la vallée de la
Meuse ; puis, l’année suivante (suite à la mort de Pépin), il reçut le
royaume d’Aquitaine (qui avait autorité sur la Neustrie[6],
la Bourgogne, la Septimanie et la Provence).
Toutefois, Pépin avait eu un fils, Pépin II,
qui n’apprécia guère d’être dépossédé de ses Etats. Ainsi, ce dernier se
rapprocha de son oncle Lothaire.
b) Le partage de 839 : en mai 839, une
assemblée fut organisée à Worms, où Louis le Pieux procéda à un nouveau
partage de l’Empire. Ainsi, Lothaire reçut les territoires situés à
l’est de la Meuse ; Louis le Germanique conservait la Bavière ; enfin,
Charles récupérait les territoires à l’ouest de la Meuse.
c) Révolte de Louis le Germanique, mort de
Louis le Pieux (840) : Louis le Germanique, qui avait été écarté des
négociations précédant le nouveau partage, s’estima lésé. Prenant les
armes, il s’attaqua à l’Alémanie, territoire de Charles.
En 840, l’Empereur décida de contre-attaquer,
avançant vers la Bavière. Toutefois, ce dernier fut saisi d’une fièvre
violente alors qu’il traversait le Rhin. Il mourut le 22 juin à
Ingelheim, une île près de Mayence. Selon
certaines chroniques, les derniers mots de l’Empereur furent les
suivants : Je pardonne à mon fils, mais qu’il sache qu’il est
l’auteur de ma mort.
Suite à son décès, l’Empereur fut inhumé dans
l’abbaye Saint Arnould de Metz.
Contrairement à Charlemagne, le défunt n’avait
pas réussi à conserver l’unité de l’Empire, qui fut déchiré au cours de
guerres fratricides.
Ainsi, alors que les Carolingiens étaient au
pouvoir depuis moins d’un siècle, ils imitaient déjà les mauvaises
habitudes des Mérovingiens, qui au fil des années avaient perdu leur
puissance, leur unité et leur trône.
[1] En 781, les trois fils de Charlemagne
étaient respectivement âgés de neuf, quatre et trois ans.
[2] Le comté de Hesbaye s’étendait sur une
partie de l’actuelle Belgique.
[3] Le terme de
débonnaire désigne quelqu’un doté d’une bonté poussée à
l’extrême, confinant à la faiblesse.
[4] Pépin, fils de Charlemagne (et non pas
Pépin fils de Louis le Pieux)
[5] A noter que cette constitution fut de
moins en moins appliquée au fur et à mesure de l’affaiblissement
de l’autorité impériale. Ainsi, elle fut révoquée dès la fin du
IX° siècle par le pape Marin I°.
[6] Rappelons que la Neustrie était un
territoire recouvrant la moitié nord-ouest de la France
actuelle.