Faux ! Si nous avons tous entendu parler du
satellite Spoutnik 1, mis en orbite par l'URSS en octobre 1957, il
n'empêche que les Soviétiques ne furent pas les premiers à lancer un engin
dans l'espace.
Copie du satellite Spoutnik.
L'idée d'un voyage dans l'espace est aussi
ancienne que l'apparition de l'écriture, les textes les plus anciens
mentionnant de tels récits étant datés de l'Antiquité. Cependant, si les
histoires de conquête lunaire restèrent cantonnées au style satirique
pendant deux millénaires, c'est à compter du XIX° siècle que ces récits se
firent plus techniques et plus réalistes. Parmi ceux-ci, l'on peut citer
De la Terre à la Lune, roman publié par Jules Vernes en 1865 (qui
fut adapté pour la première fois au cinéma dans Le voyage dans la Lune,
par Georges Méliès, en 1902).
Au début du XX° siècle, quelques scientifiques
commencèrent à s'intéresser à la conception de fusées, destinées à atteindre
l'espace, mais ce n'est qu'à compter de l'Entre-deux-guerres que les choses
commencèrent à évoluer.
En 1927, l'Allemand Johannes Winkler fonda
à Breslau (aujourd'hui Wroclaw, en Pologne) la Verein für Raumschiffahrt
(ou
« Société pour les voyages dans l'espace »). Y adhérèrent
plusieurs scientifiques allemands, tels que
Hermann Oberth,
Max Valier,
Wernher von Braun,
etc.
A la fin des années 1920, Valier se rapprocha de Fritz von Opel,
fabricant de voitures, travaillant sur la conception de la RAK-7,
première automobile propulsée par moteur-fusée à carburant liquide (à noter
que Valier se tua lors de test organisés à Berlin, en mai 1930).
A la même époque, Winkler et les membres de la VFR parvinrent à concevoir
plusieurs petites fusées, les Mirak (abréviation
de
Minimumsrakete, ou
« fusée minimum[1]
»), propulsées par moteur à carburant liquide. Beaucoup de ces
projectiles, atteignant 500 mètres d'altitude, explosèrent en vol.
A compter de cette date, l'armée allemande s'intéressa à la VFR, mais ses
membres tergiversèrent quant à une application militaire de leurs travaux.
Suite à l'arrivée des nazis au pouvoir, au printemps 1933, Adolf Hitler
décida d'interdire au civils toute expérimentation sur les fusées (c'est
ainsi que la VFR cessa ses activités en 1934).
Von Braun, rejoignant l'armée à l'été 1932 (suivi par Oberth à compter de
1941), travailla à la conception des fusées de série A (diminutif de
Aggregat), sous la direction de Walter Dornberger, officier de
la Wehrmacht[2].
Si la A1 fut un échec, explosant sur l'aire de lancement, le modèle
A2, lancé en 1934, parvint à atteindre une altitude de 2 000 mètres.
S'installant à Peenemünde en début d'année 1936, l'équipe de von Braun fut
chargée de concevoir une fusée plus puissante, capable de transporter une
ogive de cent kilos sur une longue distance. Les travaux de la A3
débutèrent en 1937, mais en raison du déclenchement de la Seconde Guerre
mondiale[3],
les crédits alloués à ce programme furent grandement diminués. Ainsi, le
projet de la fusée A4, très ambitieux, fut donc considérablement
ralenti.
Malgré l'échec des deux premiers tirs de la fusée A4, à l'été 1942, une
nouvelle tentative fut organisée le 3 octobre. Le projectile,
développant une puissance de 25 tonnes de poussée, parvint à atteindre une
altitude de 80 000 mètres, et parcourut une distance avoisinant les 200
kilomètres. A cette occasion, Dornberger déclara
:
Cette journée constituera, sans doute un tournant décisif dans l'évolution
de la technique. Non seulement notre fusée a pénétré dans l'espace, mais,
pour la première fois nous nous sommes servis de celui-ci pour relier deux
points terrestres. La preuve est faite que la fusée à réaction est un moyen
de navigation dans l'espace. De même que l'eau, la terre et l'air, l'espace
infini deviendra le théâtre de liaisons intercontinentales et, en tant que
tel, acquerra une importance politique. Le 3 octobre 1942 est le début d'une
ère nouvelle dans les transports : celle de la navigation spatiale ! Tant
que durera la guerre, le devoir nous commande d'accélérer la mise au point
de la fusée en tant qu'arme de combat.
La fusée A4 fut alors rebaptisée V2[4],
en référence au V1, projectile concurrent développé par la société
aéronautique Fieseler (à noter que le V2, silencieux et pouvant
atteindre les 5 700 kilomètres heures, surpassait
le V1 en tous points, ce dernier
étant bruyant pour une vitesse de seulement 700 kilomètre
heures). A compter de cette date, les deux fusées furent produites à la
chaîne, et commencèrent à être utilisées à l'été 1944.
Ainsi, plus de 6 000 V2 sortirent des usines d'ici la fin de la guerre (dont
3 000 furent lancés), contre 35 000 V1, missile moins cher à fabriquer mais
aussi moins fiable (6 000 lancements réussis sur 9 500).
La fusée V2 fut le premier engin conçu par l'homme parvenant à franchir la
barrière des 100 kilomètres d'altitude, baptisée ligne de Karman, qui
délimite la frontière de l'espace. Ce n'est donc pas l'URSS qui fut le
premier pays à atteindre la thermosphère (zone comprise entre 85 et
700 kilomètres d'altitude) mais bien l'Allemagne nazie...
Suite aux essais du V2, l'équipe de von Braun travailla sur de nouveaux
engins de série A, de l'A5 à l'A12, élaborant des fusées de
plus en plus puissantes (l'A10, connu sous le nom de code d'Amerika
Projekt, devait être capable d'attaquer les Etats-Unis). Cependant, la
majorité de ces projectiles restèrent à l'état de projet.
De gauche à droite : fusées V2, A4b, A10 (deux modèles), et A12.
En mars 1945, faisant face à la progression des alliés, von Braun décida de
passer à l'ouest, malgré la surveillance des autorités allemandes. En mars
1945, accompagné par une centaine de membres de son équipe, il parvint
finalement à rejoindre les lignes américaines.
L’exfiltration de von Braun se fit dans le
cadre de l'opération Paperclip, qui entre 1945 et 1957,
favorisa l’exil des cerveaux allemands vers les Etats-Unis. C'est
ainsi que l'Etat-major américain parvint à faire main basse sur
furent près de 1 500
scientifiques, ayant travaillé sur les fusées V2, le projet allemand
d’arme atomique (l'Uranprojekt, ou
« projet Uranium »),
les gaz de combat, etc.
A noter que l'URSS fit de même, donnant
naissance au département 7. Les Soviétiques, particulièrement
intéressés par les missiles et les avions à réaction, firent main
basse sur plusieurs scientifiques allemands, des usines
aéronautiques[5],
ainsi que des V2 qui n'avaient pas été lancés.
Américains et Soviétiques, se lançant dans la conquête de l'espace à
compter des années 1950, bénéficièrent donc du savoir-faire des
scientifiques allemands et de la technologie du V2, ce qui leur
permit
d'élaborer des fusées de plus en plus avancées.
[1]
En effet, les Mirak étaient de dimensions modestes : 3.5 mètres de
hauteur pour 10 centimètres de diamètre.
[2]
La
Wehrmacht (ou
« force de défense ») était l'armée du
troisième Reich.
Cette dernière regroupait l'armée de terre (la
Heer),
l'armée de l'air (la
Luftwaffe),
et la Marine (la
Kriegsmarine).
[4]
Vergeltungswaffe 2en
allemand, ou « arme de représailles 2. »
[5]
A noter que ce fut sous le troisième Reich que furent conçus les premiers avions
à réaction de l'histoire, qui étaient bien plus rapides que les véhicules à
hélices traditionnels.