Le général de Gaulle fut appelé au pouvoir par René Coty en mai
1958
Nous avons tous appris le même récit à l'école :
le général Charles de Gaulle, qui dirigea la Résistance[1]
pendant la seconde guerre mondiale, fut injustement contraint d'abandonner
le pouvoir en
1946, et commença une longue traversée du désert. Quelques années plus tard,
en mai 1958, René Coty, président d'une IV° république à bout
de souffle, décida alors de faire appel au général de Gaulle. Ce dernier
travailla donc sur une nouvelle constitution adoptée en septembre 1958,
donnant naissance à la V° république.
Cependant, la véritable histoire des évènements de mai 1958 est bien plus
sombre qu'on ne pourrait l'imaginer...
En octobre 1945, la question des institutions fut
soumise à un référendum. La III° république, jugée responsable de la
défaite de juin 1940 et de la collaboration[2],
fut rejetée à 96% par la population française. C'est ainsi que la IV°
république fut instaurée, en octobre 1946. Toutefois, alors que cette
nouvelle constitution devait permettre à la France de faire face aux
exigences de l'après-guerre, elle ne tarda pas, au contraire, à retomber
dans les mêmes errements que la III° république : ainsi, non seulement le
président de la république n'avait qu'un rôle honorifique ; en outre, le
mode de scrutin, autrefois majoritaire, devenait proportionnel[3],
amplifiant de facto l'instabilité ministérielle (en l'espace de 13 ans, de
1945 à 1958, l'on compta un total de 40 ministères).
Bulletin de vote pour le référendum de 1946.
Le 13 mai 1958, à l'issue d'un mois de crise
gouvernementale, Pierre Pflimlin, membre du MRP[4],
fut nommé président du conseil[5].
Le même jour, à Alger, Pieds-Noirs[6]
et anciens combattants
organisèrent une manifestation pour protester contre le FLN[7],
qui avait fait exécuter trois soldats français (rappelons que la guerre
d'Algérie avait débuté en novembre 1954). Ce mouvement envahit alors le
palais du gouvernement à Alger, donnant naissance à un comité de salut
public, dirigé par le
général Jacques Massu[8].
La manifestation d'Alger, 13 mai 1958.
Face à ce mouvement de contestation, Félix Gaillard (qui était encore
président du conseil en attendant l'investiture de Pflimlin) confia les
pouvoirs civils et militaires en Algérie au général Raoul Salan[9].
Le 14 mai à 5 heures du matin,
Massu lança un appel en faveur du général de
Gaulle ; le lendemain, Salan se rallia au comité de salut public. Dans la
journée du 15 mai, constatant que ses réseaux fonctionnaient à merveille, de
Gaulle décida de sortir de son silence et prononça l'allocution suivante :
La dégradation
de l'État entraîne infailliblement l'éloignement des peuples associés, le
trouble de l'armée au combat, la dislocation nationale, la perte de
l'indépendance. Depuis douze ans, la France, aux prises avec des problèmes
trop rudes pour le régime des partis, est engagée dans ce processus
désastreux. Naguère, le pays, dans ses profondeurs, m'a fait confiance pour
le conduire tout entier jusqu'à son salut. Aujourd'hui, devant les épreuves
qui montent de nouveau vers lui, qu'il sache que je me tiens prêt à assumer
les pouvoirs de la République.
Ne mentionnant ni ne condamnant les putschistes d'Alger, la déclaration du
général fut accueillie avec méfiance. Lors d'une conférence
organisée au palais d'Orsay le 19 mai, de Gaulle clarifia son
discours afin de rassurer ses interlocuteurs. Répondant aux questions des
journalistes, il objecta
:
Croit-on qu'à 67 ans, je vais commencer une carrière de dictateur ?
Néanmoins, de Gaulle refusa de condamner les comités de défense de la
république, organisations composées de civils et de militaires, qui
s'étaient constitués dans toute la France afin de favoriser la prise de
pouvoir du général.
Caricature critiquant les évènement de mai 1958. A gauche, le général Massu,
arme à la main, procède au mariage forcé de demande de Marianne et de
Charles de Gaulle. La légende indique : "oui ou non ? Acceptez-vous de
prendre pour mari et légitime époux... ?"
Pendant ce temps, à Alger, les membres du comité de salut public donnèrent
naissance à l'opération Résurrection, qui prévoyait une manœuvre
aéroportée au dessus de la Corse, dans l'objectif d'y établir un second
comité de salut public.
L'opération, menée le 24 mai par le 1° bataillon parachutiste, se
déroula sans effusion de sang. Le 26, les putschistes parvinrent à s'emparer
des pouvoirs civils et militaires sur l'île.
Les membres du comité de salut public devant la préfecture d'Ajaccio, 28 mai
1958.
A cette date, la situation devenait dangereuse, car le comité de salut
public menaçait Paris d'une invasion aéroportée, menée par Salan et Massu,
si de Gaulle n'était pas immédiatement appelé au pouvoir.
Pflimlin ayant démissionné le 28 mai, Coty, craignant un coup d'Etat, décida
finalement de faire appel au général dès le lendemain. Toutefois,
l'Assemblée nationale étant hostile à de Gaulle, Coty menaça de démissionner
si ce dernier n'était pas investi. Finalement, les députés décidèrent de
suivre les vœux du président de la république, investissant le général de
Gaulle le 1er juin 1958.
Passation de pouvoir entre René Coty et le général de Gaulle, 8 janvier
1959.
La nouvelle constitution fut élaborée au cours de l'été 1958, puis adoptée
par référendum au mois de septembre. De Gaulle prit ses fonctions le 8
janvier 1959, devenant ainsi le premier président de la V° république.
Affiche de propagande en faveur du "oui" pour le référendum de septembre
1958.
Cependant,
comme nous avons pu pouvons le constater, Charles de Gaulle ne fut pas
appelé au pouvoir car il était "l'homme de la Résistance" ou le "sauveur de
la France". René Coty, quant à lui, ne fit pas appel au général de son plein
gré, étant menacé d'un coup d'Etat, qui aurait pu découler sur une sanglante
guerre civile.
Par ailleurs, si de Gaulle ne fut pas
instigateur du putsch en Algérie ou en Corse, son nom ne fut pas cité au
hasard par les insurgés. En effet, le général pouvait s'appuyer sur ses
réseaux, implantés en France comme en Algérie.
A l'aune de ces éléments, la prise de
pouvoir de Charles de Gaulle en mai 1958 peut-elle donc s'apparenter à un
coup d'Etat ? Gageons que si cette tentative avait échoué, elle aurait sans
doute été dénominée comme telle.
Ironie de l'Histoire, les mêmes hommes
qui avaient fait appel à Charles de Gaulle afin de conserver l'Algérie dans
le giron français, dénoncèrent la politique de rapprochement du général avec
le FLN, organisant en représailles le putsch d'Alger de 1961.
[1]
Pour en savoir plus sur les mouvements de résistance français pendant
l'occupation, voir le 2, section V, chapitre sixième, La troisième république.
[3]
Dans le
cadre d'un scrutin majoritaire,
seuls deux candidats sont retenus ; au second tour, seule la liste
gagnante obtient des sièges à l'Assemblée nationale. Au contraire,
dans le cadre d'un scrutin proportionnel, les candidats perdants ne
sont pas éliminés, chacun obtenant des sièges au sein de l'hémicycle,
proportionnellement au nombre de voix obtenues.
[4] Le MRP (Mouvement
républicain populaire) était un important parti de centre-droit.
[5]
C'est à dire l'équivalent d'un premier ministre aujourd'hui.
[6]
C'est ainsi qu'étaient surnommés les Français originaires d'Algérie.
[7]
Le FLN (Front de libération nationale) était un parti
indépendantiste algérien, qualifié de terroriste par la France car responsable
de nombreux attentats.
[8]
Massu, né en mai 1908, était un vétéran de la seconde guerre mondiale et
de laguerre d'Indochine.
[9]
Salan, né en juin 1899, avait participé au premier et au second conflit
mondial, ainsi qu'à la guerre d'Indochine.