Les chiffres arabes ont été inventés par les Arabes
C'est la logique même : si les chiffres arabes
sont appelés ainsi, c'est qu'ils ont été inventés par les Arabes ! N'est-ce
pas ?
En réalité, les chiffres que nous utilisons
aujourd'hui sont d'origine indienne et non pas arabe. Ainsi, l'ancêtre de
notre système numérique fit son apparition en Inde, dans la région de
Gandhara (aujourd'hui située entre l'Afghanistan et le Pakistan), au IV°
siècle avant Jésus Christ.
L'alphabet
kharosthi (peut-être inspiré d'un alphabet sémitique selon certains
historiens), comprenait un système de numérique proche de celui des Romains.
Les chiffres principaux étaient ۱ (1), ۲ (2), ۳ (3), X (4), et ੭ (10).
Pour les chiffres n'ayant pas de graphie propre, il fallait additionner entre
eux les chiffres existants (à noter que cet alphabet se lisait de droite à
gauche) : ۱X (5), ۲X (6), ۳X (7), XX (8), et ۱XX (9).
Un siècle plus tard, ce fut au tour de l'alphabet brahmi de faire son
apparition, cohabitant pendant quelques siècles avec son prédécesseur :
(1),
(2),
(3),
(4),
(5),
(6),
(7),
(8), et
(9). A noter que
la graphie évolua avec les siècles, car à l'origine les chiffres de 1 à 3
s'écrivaient verticalement, le chiffre 4 formant une croix (ressemblant en
cela à l'alphabet kharosthi).
L'alphabet brahmi ne faisant pas
d'association entre les chiffres, les caractères de
1 à 9 étaient uniques, à l'instar des caractères composés :
(10),
(20),
(30),
(40),
(50),
(60),
(70),
(80),
(90),
(100).
L'alphabet brahmi, qui parvint à
supplanter son rival au début du IV° siècle après Jésus Christ,
restait malgré tout difficile à utiliser, en raison de son grand
nombre de caractères. C'est ainsi qu'apparut l'alphabet nagari,
résolument moderne, vers l'an 650 de notre ère :
(0),
(1),
(2),
(3),
(4),
(5),
(6),
(7),
(8),
(9).
Les chiffres décimaux, quant à eux,
s'écrivaient avec la même logique qu'aujourd'hui :
(10),
(11),
(12),
(20),
(30),
etc.
Au cours du X° siècle, l'écriture
nagari évolua en alphabet devanagari, qui est encore utilisé
en Inde aujourd'hui[1]
:
० (0, sunya), १ (1, eka), २ (2, dvi), ३ (3, tri), ४ (4, chatur), ५
(5, panch), ६ (6, sas), ७ (7, sapta), ८ (8, ashta), ९ (9, nava).
L'on peut remarquer les similitudes linguistiques de ces chiffres
avec ceux que l'on utilise aujourd'hui (dvi-deux, sapta-sept, nava-neuf,
etc.).
Les chiffres indiens firent
leur apparition au Proche-Orient au milieu du VII° siècle avant
Jésus Christ, mais ne se diffusèrent dans le monde musulman qu'à
compter du IX° siècle. A cette époque, le mathématicien Al
Khwarismi, professeur à Bagdad, écrivit Sur le calcul avec
les chiffres hindous (vers 825), et Sur l'utilisation des
chiffres hindous (vers 830).
Ce savant, considéré
aujourd'hui comme le père des mathématiques, donna naissance aux
mots
« algorithme » (dérivé
d'Algoritmi, nom latin d'Al Khwarismi) et
« algèbre » (de l'arabeal-jabr). Quant au mot
« chiffre », qui signifie
« zéro », il provient de l'arabe
sifr,
lui-même hérité de l'indien sunya.
L'on peut constater que les chiffres arabes,
bien que s'inspirant des caractères nagari, restaient proche de
l'alphabet
kharosthi
:
० (0),
۱ (1), ۲ (2), ۳ (3), ۴ (4), ۵ (5), ۶ (6), ۷ (7), ۸ (8), ۹ (9).
Les travaux d'Al Khwarismi, se
répandant dans le monde musulman, arrivèrent en Europe dès la fin du
X° siècle.
A cette époque, l'on utilisait
encore les chiffres romains, hérités de l'Antiquité et privilégiés
par l'Eglise. Les sept principaux caractères étaient : I (1), V (5),
X (10), L (50), C (100), D (500) et M (1000), desquels dériveraient
tous les autres chiffres. Les nombres composés pouvaient ainsi
prendre beaucoup de place : LXXXIX (89), CCCLXXV (375), DCCXXXII
(732), MCMLXXXVI (1986), MMMXXIII (3023), etc.
Ces caractères archaïques[2],
difficiles à utiliser, rendaient impossibles les calculs trop
complexes. Au contraire, les nouveaux chiffres (qui furent surnommé
chiffres arabes en Europe), plus faciles à utiliser, furent
rapidement adoptés par les marchands et les banquiers.
A noter que les chiffres arabes
connurent en Europe des graphies différentes, plus ou moins fidèles
aux caractères d'origine, en fonction de l'époque et du lieu. Au
final, les chiffres arabes parvinrent à supplanter définitivement
les chiffres romains pendant la Renaissance, mais ne
s'uniformisèrent qu'au cours du XVIII° siècle.
A noter qu'aujourd'hui encore, il
existe différentes graphies des chiffres arabes : ainsi, les
francophones écrivent le chiffre 1 avec une barre courte à la base
et une autre oblique au sommet, alors que les anglophones écrivent
« |
» ; idem pour le chiffre
7,
qui possède une barre médiane côté français, mais pas chez les
Américains (« 7
») ; enfin, le chiffre 4
est
parfois formé à l'écrit avec une ouverture au sommet (« Ч
»)