La conférence de
Berlin, partage définitif de l'Afrique
Aujourd'hui, l'on a souvent tendance à expliquer
les problèmes que peuvent rencontrer les différents pays d'Afrique par le
partage arbitraire de ce continent, organisé lors de la conférence de
Berlin, en 1885.
Mais quels furent les pays qui participèrent à cette réunion ? Le continent
africain fut-il définitivement partagé à cette date ? Et dans le cas
contraire, quels furent les véritables conséquences de cette conférence de
Berlin ?
Le partage de l'Afrique, caricature publiée dans La Caricature, 1887.
Côté français, la politique coloniale
était en pleine expansion depuis le règne de Napoléon III, qui avait
réussi à étendre la présence française en Afrique (Algérie, Sénégal,
Madagascar) et dans le sud-est asiatique (Cochinchine[1],
Cambodge et Siam[2]).
C'est ainsi que fut créé le deuxième Empire colonial français, qui
faisait suite au premier, disparu suite à la conquête de la Louisiane et du
Canada par l'Angleterre, au milieu du XVIII° siècle.
L'Amérique du Nord en 1755.
Suite à la chute du Second Empire,
le personnel politique de la Troisième République hésita quelque peu
sur la marche à suivre, avant de donner finalement une nouvelle impulsion à
la politique coloniale française. Ainsi, en 1881, fut établi un protectorat
sur la Tunisie (ce qui provoqua le mécontentement de l'Italie, qui rejoignit
la Duplice, alliance militaire unissant l'Allemagne à l'Autriche) ;
puis, la même année, des opérations militaires furent organisées au Tonkin
(c'est-à-dire au nord de l'actuel Viêt-Nam ; mais l'expédition, rencontrant
l'hostilité de la Chine, se solda sur un échec).
Evolution des possession françaises en
Asie du sud-est, de 1867 à 1909.
Côté britannique, si l'intérieur du
contient africain, réputé difficile d'accès, n'avait pas été exploré pendant
une bonne partie du XIX° siècle, la découverte de mines de diamant en
Afrique du sud, au cours des années 1860, entraîna la mise en place de
nombreuses expéditions.
Ainsi, après avoir établi leur
domination sur l'Egypte (rachat des actions du canal de Suez en 1875, qui
avaient été dans un premier temps proposées à la France par le souverain
égyptien), les Anglais établirent en 1882 leur domination sur le Soudan et
le Somaliland (c'est-à-dire la moitié nord de l'actuelle Somalie).
Enfin, l'Allemagne s'empara en 1884 du
Togo, du Cameroun, du sud-ouest africain (actuelle Namibie), et de l'Afrique
orientale (actuelle Tanzanie). Quant aux Italiens, ils établirent leur
domination sur l'Erythrée en 1885.
A cette date, il était donc
indispensable d'organiser une réunion internationale, afin de fixer la
sphère d'influence des différents pays d'Europe sur le continent africain.
C'est donc dans ce contexte que s'ouvrit la conférence de Berlin, en
novembre 1884, présidée par le chancelier allemand
Otto von Bismarck (l'objectif de ce
dernier était d'affirmer le rôle prépondérant de l'Allemagne sur la scène
internationale).
La conférence de Berlin.
Participèrent à cette réunion de nombreux pays européens (France,
Royaume-Uni,
Allemagne,
Italie,
Autriche, Belgique, Portugal, Russie, Danemark, Espagne, Suède, etc.) ainsi
que les Etats-Unis et la Turquie (à noter que les différents souverains
d'Afrique furent tenus à l'écart de cette conférence).
Le principal point d'achoppement, lors de cette réunion internationale,
porta sur la liberté de commerce dans les colonies africaines. Côté
allemand, Bismarck était favorable à une complète liberté de navigation et
de commerce en Afrique ; alors qu'à contrario,
Jules Ferry[3]
(soutenu par le Portugal) préférait établir dans chaque colonie un monopole
commercial, détenu par la métropole. Finalement, il fut décidé de garantir
la liberté de commerce dans le bassin du Congo, ainsi que la liberté de
circulation sur les fleuves Congo et Niger (cependant, le trafic d'armes
était interdit).
Par ailleurs, les signataires
établirent que chaque nation européenne établie sur la côte, pouvait étendre
sa domination sur l'arrière-pays, jusqu'à rencontrer une puissance voisine
(ainsi, l'annexion n'était plus automatique, mais devait être faite par
l'occupation effective du terrain).
Enfin, une clause du traité rappelait
que la traite négrière était interdite. A noter que cette dernière avait été
abolie par la France en 1815 et par l'Angleterre en 1807[4],
mais qu'elle était encore pratiquée par les pays musulmans.
D'un point de vue territorial,
la Belgique reçut la suzeraineté sur le Congo[5]
(dont la France récupéra une portion de territoire au nord-ouest[6]) et
l’Allemagne fut confirmée au Cameroun, en Namibie et en Tanzanie.
Côté français, Bismarck accepta de nombreuses concessions, espérant que ces
interventions outre-mer parviendrait à faire oublier à la France le
ressentiment hérité de la
guerre de 1870
contre la Prusse[7].
Ainsi, Ferry obtint la confirmation de la présence française
en Algérie, au Sénégal et en Tunisie, récupérant le Niger et le Tchad.
Enfin, un arbitrage opposant l'Angleterre au Portugais prévoyant de céder à
ces derniers la Rhodésie septentrionale (actuelle Zambie), afin de réunir
sur un axe ouest-est les colonies portugaises de l'Angola et du Mozambique
(cependant, ce projet fit long feu, les Britanniques souhaitant au contraire
réaliser la continuité territoriale de leurs colonies, depuis l'Egypte
jusqu'à l'Afrique du Sud).
L'Afrique en 1914.
Ainsi, comme nous pouvons le constater,
la conférence de Berlin, qui s'acheva en février 1885, n'avait pas pour but
de morceler l'Afrique ou de fixer des frontières définitives, mais seulement
de déterminer la sphère d'influence des
différents pays d'Europe sur ce continent.
C'est pourquoi de nombreux territoires africains, qui ne furent pas
mentionnés lors de la conférence de Berlin, firent l’objet de luttes entre
Européens au cours des années qui suivirent : comme
nous l'avons vu plus tôt, l'Angleterre ne tarda guère à s'attaquer au
Portugal (1890) ; Français et Britanniques s'opposèrent lors de la crise
de Fachoda, en 1898 (l’objectif
de la France était de s’installer dans le Soudan du Sud afin d’y exploiter
un des affluents du Nil à des fins commerciales, territoire que l'Angleterre
considérait comme
« chasse gardée
»[8])
; enfin, l'Allemagne ne tarda guère à s'opposer à l'implantation française
au Maroc (coup de Tanger en 1905, puis coup d'Agadir en 1911[9])
[3]
Ferry, grand défenseur de la politique coloniale française, avait
été nommé président du conseil (c'est-à-dire premier ministre) en
janvier 1883.
[4] L'esclavage,
bien qu'aboli au début du XIX° siècle par ces deux pays, continua à
être pratiqué (bien que restant illégal), pendant encore quelques
décennies.
[5]
Aujourd’hui république démocratique du Congo (nommé Zaïre jusqu’en 1997).
[7]La guerre de 1870 contre la Prusse
s'acheva sur une défaite française, provoquant la chute du Second Empire,
mais aussi la perte de l'Alsace et de la Moselle (des territoires qui ne
furent récupérés qu'en 1919, suite à la Première Guerre mondiale. Pour en savoir plus
à ce sujet,
cliquez ici.
[8]
La crise de Fachoda fut toutefois réglée de façon diplomatique, aboutissant
à la signature d'un
accord en mars 1899, déterminant la ligne de partage des eaux entre le Nil
(possession anglaise) et le lac Tchad (possession française).
[9]
En 1906, une conférence internationale repoussa les exigences de
l'Allemagne ; cependant, en 1911, la France fut contrainte de céder au
Deuxième Reich près de 275 000 mètres carrés de territoires
africains (qui constituèrent le Neukamerun), en échange de la
reconnaissance de la domination française sur le Maroc