Faux ! Car en effet, contrairement aux
apparences, le vampire le plus célèbre de l'histoire ne fut pas inventé par
l'Irlandais Bram Stoker dans son roman Dracula, publié en
1897.
Ainsi, cet auteur s'inspira de Vlad III Besarab
,
un voïvode[1]
de Valachie ayant vécu au XV° Siècle.
Statue de
Vlad III Besarab, Bucarest.
Vlad III serait né vers 1431 en
Transylvanie, mais les sources à ce sujet sont lacunaires. Bien que
le jeune homme appartenait à la famille des Besarab, certains
historiens ont donné à sa lignée le nom de Draculea. En
effet, le père de Vlad III, Vlad II, reçut le titre de
Dracul, ce dernier ayant rejoint l'Ordre du Dragon[2]
en 1431 (à noter qu'en Roumain, dracul signifie aussi
"diable".).
Vlad III, à la tête d'une région
située à mi-chemin entre le Saint Empire romain germanique et
l'Empire ottoman, eut une vie particulièrement mouvementée. En
effet, ce dernier se trouvait coincé entre l'enclume et le marteau,
son fief étant le témoin des rivalités incessantes entre ces deux
super-puissances.
A la mort de Vlad II, son fils était
retenu comme otage en Turquie[3]
(il y fut captif de 1442 à 1448.). Ainsi, en l'absence de Vlad III,
le trône de Valachie échut à Vladislav II, membre de la
dynastie des Danescu, une lignée cousine à celle des Draculea.
Après une éphémère prise de pouvoir en 1448, Vlad III parvint
finalement à chasser Vladislav II de Targoviste (capitale de la
Valachie.) et à le tuer (août 1456.).
Régnant à la même époque que le roi
de France Louis XI, Vlad III n'eut de cesse de réformer et
centraliser son royaume, faisant régner la terreur au sein de la
noblesse. C'est ainsi que le voïvode de Valachie resta dans les
mémoires pour l'usage intensif du supplice du pal, importé de
Turquie (Vlad III gagna ainsi son surnom de Tepes, ce qui
signifie "l'Empaleur" en Roumain.). De nombreux récits, plus ou
moins véridiques, vinrent rapidement agrémenter l'histoire du
voïvode de Valachie. L'une d'elle raconte qu'un jour, alors que Vlad
III prenait son repas, entouré d'un "forêt" de pals, dans son palais
de Targoviste, un de ses serviteurs vint se plaindre de l'odeur des
nombreux corps en décomposition. L'Empaleur lui aurait alors répondu
que bientôt il respirerait de l'air pur, et le fit donc empaler sur
le pal le plus haut du palais.
Vlad III mangeant entouré de pals.
Pendant l'hiver 1461 à 1462, Vlad
III décida de mettre un terme à son allégeance à la Turquie, lançant
une grande offensive entre la Serbie et la mer Noire. Furieux, le
sultan ottoman Mehmed II décida de riposter immédiatement,
progressant rapidement jusqu'à Targoviste, capitale de la Valachie.
Vlad III, se sachant vaincu, décida de fuir non sans avoir au
préalable brûlé plusieurs villages, empoisonné plusieurs sources
d'eau, et empalé les milliers de prisonniers turcs qu'il détenait
dans ses geôles. Une fois vainqueur, Mehmed II confia le Voïvodat de
Valachie à Radu III l'Elégant, frère cadet de Vlad III.
Suite à son échec face aux Turcs,
Vlad III décida de se réfugier auprès de Matthias Corvin, roi
de Hongrie, mais ce dernier, ayant reconnu Radu III plusieurs
semaines auparavant, décida de jeter l'Empaleur dans un cachot. Ce
dernier y resta douze longues années, alors que la Valachie était le
théâtre de l'affrontement entre Radu III, candidat des Ottomans, et
Besarab III le Vieux, candidat de la Moldavie[4].
A la mort de son frère cadet, en janvier 1475, Vlad III retrouva son
trône de Valachie grâce à l'appui hongrois. Toutefois, il ne profita
guère de son pouvoir retrouvé, car il mourut lors d'une bataille
contre les Turcs, sous les murs de Bucarest, en décembre 1476.
Comme nous l'avons vu précédemment,
nombreux furent les récits qui brossèrent un portrait très sombre de
ce personnage. Ainsi, outre avoir empalé entre 40 000 et 100 000
personnes, ce dernier fut aussi accusé de boire le sang de ses
victimes, ou encore de s'en servir comme sauce pour ses aliments
(ces textes rapprochant l'Empaleur du mythe du vampire.).
Toutefois, il convient de préciser
que ces multiples pamphlets, récits et libelles furent écrits par la
noblesse locale, persécutée par Vlad III. En effet, ce dernier n'eut
de cesse de mater l'aristocratie afin d'assoir son autorité sur la
Valachie, la région constituant un petit Etat fragile, menacé de
part et d'autre par la Turquie le Saint Empire romain germanique.
Les marchands Saxons de Transylvanie n'hésitèrent pas, eux non plus,
à s'attaquer au voïvode de Valachie, ce dernier ayant
considérablement augmenté les droits de douane (d'ou une importante
diffusion des récits concernant Vlad III en Allemagne.).
A noter enfin que le mythe du
vampire était très présent en Europe de l'est depuis le Moyen âge,
la mythologie roumaine relatant entre autres la légende des
strigoï, les âmes des défunts sortant de leurs tombes à la nuit
tombée afin de hanter les vivants[5].
L'on retrouve aussi dans ce folklore d'autres créatures étranges,
"ancêtres" de nos vampires modernes, tels que les Nosferatu,
présentés comme des enfants morts-nés issus de couples illégitimes ;
ainsi que les Zburator, qui sucent le sang des victimes
qu'ils ont séduites. Bram Stoker, ayant sous la main de nombreuses
légendes roumaines, n'avait plus qu'à trouver un personnage
historique local ayant marqué son époque afin de donner corps à son
récit.
[1]
Les voïvodes (titulature
slave.) étaient à l'origine les commandants des régions
militaires d'Europe de l'est. A noter qu'au fil du temps, ce
titre a évolué. Ainsi, en Pologne, le voïvode est l'équivalent
d'un préfet français.
[2] L'Ordre du
Dragon de Saint Georges fut créé par des chevaliers serbes à la
toute fin du XIV° siècle, dans le contexte des guerres contre les
Turcs ottomans. Par la suite, l'Ordre fut réactivé par Sigismond
I°, souverain du Saint Empire romain germanique. C'est ainsi qu'il
nomma Vlad II, souhaitant y associer ses vassaux.
[3] A cette
époque, la coutume voulait que le suzerain se fasse remettre
plusieurs otages par le vassal (généralement issus de la famille
royale ou de la noblesse.), afin de s'assurer de la loyauté de ce
dernier (cela permettait au suzerain d'avoir un moyen de pression
sur son vassal, les otages pouvant être exécutés en cas
d'insubordination.).
[4]Etienne II
le Grand, prince de Moldavie, reste célèbre pour sa lutte
opiniâtre contre l'Empire ottoman, au cours de ses 47 années de
règne. Célèbre dans toute l'Europe médiévale, il fut surnommé leChampion du Christ par le Saint Siège (à noter qu'il
était un cousin de Vlad III.).
[5] Selon la
croyance slave, l'âme du mort ère sur terre pendant 40 jours avant
d'atteindre l'au delà. Cette dernière peut donc se réintroduire dans
une nouvelle enveloppe charnelle, devenant un vampir, et
s'attaquant aux vivants en leur dérobant leur sang.