Suite à ces évènements, de nombreux pays affichèrent leur sympathie pour le
gouvernement tibétain en exil, installé à Dharamsala, un ville située au
nord de l'Inde. Cependant, si plusieurs puissances internationales
affirmèrent leur soutien au dalaï-lama (les Etats-Unis pendant les années
1960, l'URSS début 1980, l'Angleterre jusqu'en 2008, etc.),
aucune action de grande envergure contre la Chine ne fut envisagée par ces
Etats, l'Organisation des Nations Unies refusant quant à elle de se
prononcer sur la question tibétaine.
Selon la légende, la dynastie Yarlung
fut la première à régner sur un Tibet unifiée, ayant été fondée au II°
siècle avant Jésus-Christ par Nyatri Tsenpo, le premier Empereur. Ce dernier (originaire d'Inde selon
certaines traditions), doté de mains palmées et de paupières fermant par le
bas, aurait été considéré comme un dieu par les Tibétains, puis reçut la
couronne. Le nouveau venu aurait alors été porté sur les épaules de ses
serviteurs, d'où son nom (nyatri signifiant
« porté par le cou »
et tsenpo
« souverain »).
Statue à l'effigie de Nyatri Tsenpo,
premier Empereur du Tibet.
Par ailleurs, il faut préciser que
selon certaines traditions, les premiers rois du Tibet étaient immortels.
Ces derniers étaient reliés aux cieux par une corde, qui leur permettait de
remonter à la fin de leur séjour terrestre. Cependant, la corde fut coupée
par Drigum Tsenpo
(gri :
« couteau » et
gum :
« tuer »),
huitième Empereur du Tibet.
A noter toutefois que l'existence des premiers
souverains du Tibet n'est pas confirmée par les sources archéologiques,
ces derniers ne bénéficiant donc que d'un caractère légendaire. Ainsi, ce n'est qu'à compter du
règne du 31°
« Empereur
du Tibet »,
nommé
Tagbu Nyasig (qui régna à la fin du VI° siècle), que la dynastie
Yarlung commença à rentrer dans l'Histoire. Cependant, ce souverain ne
régnait pas, contrairement à ce que l'on pourrait penser, sur la totalité du
Tibet, mais plutôt sur la vallée de Yarlung, qui donna son nom à cette
famille royale.
A la mort de Tagbu Nyasig, ce fut
Namri Songtsen qui s'empara du pouvoir, parvenant à unifier le clan
Yarlung, et à soumettre les tribus limitrophes. A la mort de ce dernier, le
pouvoir échut à son fils, Songtsen Gampo, qui fit de Lhassa sa
capitale, parvenant à établir un royaume centralisé sur le plateau tibétain.
Au fil des décennies, les souverains de la dynastie Yarlung parvinrent à
établir leur domination sur l'U et le Tsang, deux régions du Tibet central,
mais aussi sur l'Amdo (au nord-est) et le Kham (sud-est).
Statue à l'effigie de Songtsen Gampo.
Le Tibet, région frontalière de l'Inde,
où le bouddhisme avait fait son apparition au V° siècle avant
Jésus-Christ, décida de faire de ce culte une religion d'Etat, sous le règne
de Trisong Detsen, 38° Empereur du Tibet (vers 780). Cependant, la
dynastie Yarlung fit long feu, en raison de l'influence grandissante des
monastères bouddhistes et de l'opposition des partisans du bön,
provoquant un éclatement de l'Empire tibétain vers 842, à la mort du roi
Langdarma, dont le royaume fut partagé entre ses fils.
Les différentes provinces du Tibet.
Quelques siècles plus tard, les Mongols
venus du nord profitèrent du morcellement du Tibet pour y imposer leur
domination. Vers 1240, le prince Ködan Khan, petit-fils de Genghis
Khan, décida de s'attaquer à Lhassa, les Tibétains ayant cessé de verser
un tribu aux Mongols. Puis, suite à cette expédition punitive, Ködan décida
de confier l'administration du Tibet à un potentat local, jetant son dévolu
sur Sakya Pandita, maître de l'école Sakyapa.
Ce dernier, nommé précepteur impérial, fut invité à la Cour de Ködan, et les
deux hommes y moururent la même année, en 1251. Kubilai Khan, un
autre petit-fils de Genghis Khan, devenu Empereur de Chine et fondateur de
la dynastie Yuan, confirma la suprématie de l'école Sakyapa, dont le
monastère, installé dans le sud du Tibet, devint la nouvelle capitale du
pays.
Sakya Pandita.
Ainsi, pendant plusieurs siècles, l'on
retrouva un système bicéphale, partagé d'un côté par les maîtres de l'école
Sakyapa, précepteurs impériaux de la Cour mongole, de l'autre par des
administrateurs (les ponchen), régnant depuis le monastère de Sakya.
Cependant, ce système entraîna bien des tensions entre les deux partis,
avant d'être renversé au milieu du XIV° siècle par Changchub Gyaltsen,
fondateur de la dynastie Phagmodrupa (qui tirait son nom du monastère
éponyme, aujourd'hui détruit).
Ce dernier, parvenant à établir sa
domination sur le Tibet central, entreprit une vaste opération de
« démongolisation », souhaitant s'inspirer de l'exemple de
la dynastie Yarlung, qui avait réussi à unifier le pays. Prenant le titre de
desi
(l'équivalent d'une charge de régent, faisant référence à l'ancienne
royauté), Changchub Gyaltsen restaura les anciennes traditions tibétaines.
En outre, la loi mongole fut abolie et les vêtements
traditionnels mongols interdits.
Le Tibet connut un siècle de paix sous
la dynastie Phagmodrupa, mais fit face à de nouveaux troubles à compter du
XVI° siècle, date à laquelle le régent ne régnait plus que sur l'U, une
région formant la moitié est du Tibet central.
La moitié ouest du pays était désormais
sous la domination de la dynastie Rinpungpa, qui sous le règne
de Donyo Dorje
parvint vers 1500 à s'implanter dans la vallée de Yarlung, empiétant sur la
région d'U. Puis, les Rinpungpa furent peu peu contestés par la
dynastie Tsangpa, qui établit sa domination sur la moitié ouest du
Tibet central au milieu du XVI° siècle.
A compter de 1630, le régent
Karma Tenkyong, de la dynastie Tsangpa, s'attaqua à Lhassa,
siège de l'école Gelugpa. Cependant,
c'est à cette occasion que Lozang Gyatso, 5° dalaï-lama,
décida de faire appel à Güshi Khan, chef de la tribu mongole
des Qoshot. Ce dernier, envahissant le pays en 1640, parvint
à vaincre Karma Tenkyong, qui fut exécuté peu de temps après. Quant
au dernier régent de la dynastie Phagmodrupa, il ne fut pas
inquiété, trop faible pour représenter une menace.
Statue à l'effigie de Lozang Gyatso.
Par la suite, Güshi Khan s'arrogea
le titre de roi du Tibet, confiant la régence au dalaï-lama Lozang
Gyatso, qui fit de Lhassa la nouvelle capitale du pays (à noter que
ce titre avait été conféré en 1575 au troisième dalaï-lama, Sonam
Gyatso, par le souverain mongol Altan Khan).
A compter de cette date, l'école
Gelugpa étendit son influence sur tout le Tibet, permettant au
cinquième dalaï-lama d'unifier le pays sous sa domination
(c'est-à-dire les régions
de l'U et de Tsang, mais aussi l'Amdo et le Kham, comme à l'époque
de la dynastie Yarlung).
Les Mongols Qoshot, quant à eux,
s'imprégnèrent progressivement de la culture tibétaine, mais furent
contraints d'abandonner leur domination sur le Tibet au profit de la
dynastie Qing, à
compter de 1720. Cependant, ces derniers ne remirent pas en cause le
règne du 7° dalaï-lama, Kelzang Gyatso, qui décida en 1751 de
supprimer la charge de régent, donnant naissance au Kashag,
un conseil des ministres.
Plus tard, en 1875, le 12°
dalaï-lama, Trinley Gyatso, décida de faire du Tibet, déjà
difficile d'accès, un pays interdit aux Européens, afin de faire
face à la menace que représentait la colonisation britannique en
Inde et en Chine. Puis, en 1912, le 13° dalaï-lama, Thubten
Gyatso, profita de l'affaiblissement la dynastie Qing en Chine
pour déclarer l'indépendance du Tibet.
Suite à la conquête du pays par la
Chine, en 1950, le 14° dalaï-lama, Tenzin Gyatso, tenta
pendant un temps de collaborer avec le gouvernement chinois,
promettant de mettre en œuvre d'importantes réformes afin de
moderniser le pays. Cependant, comme nous l'avons vu plus tôt, ce
dernier fut contraint de fuir le Tibet suite à la
rébellion tibétaine de 1959.
Tenzin Gyatso, se réfugiant
à Dharamsala,
reçut au fil des années le soutien de nombreux chefs d'Etats, hommes
politiques et personnalités influentes.
Rencontre en Tenzin Gyatso et Mao Zedong,
dirigeant de la Chine, en 1954.
C'est ainsi qu'apparut le mythe des
« gentils » moines tibétains, victimes des « méchants » Chinois, qui
vivaient avant 1950 dans un Tibet idyllique et respectueux des
droits de l'Homme.
Mais aujourd'hui, s'il est
indéniable que le Tibet fut profondément marqué par la conquête
chinoise (rébellion tibétaine de 1959, famine de 1960-1962,
destructions causées par la révolution culturelle de 1966,
troubles pendant les années 1980, sinisation progressive, etc.),
force est de constater que les partisans du Free Tibet ont
parfois tendance à
« noircir le tableau » afin d'émouvoir l'opinion publique.
Ainsi, une étude publiée en
1984 fit état d'un
« génocide tibétain », qui aurait coûté la vie à plus d'un million
de personnes depuis le milieu du XX° siècle. En réalité, si la
famine de 1960 fit des ravages, nous ne disposons pas aujourd'hui de
statistiques fiables concernant le Tibet. Ainsi, certaines sources
évoquent 90 000 à 300 000 personnes « manquantes » (ce qui inclut
les décès et les émigrés), un chiffre important mais qui reste à
relativiser vis-à-vis des 30 à 55 millions de victimes chinoises
pendant la même période.
Nonobstant cette querelle de chiffres, l'on parle parfois de
« génocide culturel », en raison des destructions causées par la
révolution culturelle (mais encore une fois, le terme semble
exagéré, dans la mesure où la région compte plusieurs chaînes de
télévision et de nombreuses revues littéraires, et que le tibétain
est encore enseigné dans les écoles).
Dès lors, tout en faisant fi
des allégations des partisans du Free Tibet, l'on peut donc
se demander dans quelle situation se trouvait le Tibet avant 1950,
et quelles furent les raisons qui poussèrent la Chine à envahir ce
pays.
En réalité, force est de
constater que le Tibet, avant la conquête chinoise, s'apparentait
plus à un Etat médiéval qu'à une démocratie moderne.
Côté chinois, nous avons vu
précédemment que le Tibet n'était indépendant que depuis 1912, ayant
été sous domination de la Chine depuis le règne de Kubilai Khan, qui
avait confié le pays aux moines de l'école Sakyapa
. La tutelle étrangère sur le Tibet s'était allégée sous la dynastie
Phagmodrupa, puis fut rétablie par les
Qoshots, avant d'être exercée à la dynastie Qing.
Ainsi, depuis le milieu du
XIII° siècle, le Tibet n'était plus indépendant, le dernier
véritable roi tibétain étant décédé en 842. L'objectif de la Chine,
en 1950, était de reprendre pied dans une région qui fut pendant
près d'un millénaire
sous domination chinoise.
Ainsi, si Mao Zedong, chef du
gouvernement chinois depuis 1949, affirma vouloir intervenir au
Tibet afin de
« libérer » le pays des
« impérialistes étrangers » (concept étrange dans la mesure où le
Tibet était interdit aux Européens depuis 1875), force est de
constater que la situation économique de cette région était
désastreuse : en effet, les autorités monastiques pratiquaient
encore le
servage
(aboli en France en 1779, en Russie en 1861) et l'esclavage (aboli
en France en 1815, aux Etats-Unis en 1865), 95 % des territoires
agricoles étant détenus par une oligarchie (seul le clergé et les
nobles pouvaient détenir des terres).
A noter par ailleurs que ce n'est qu'en 1912 que le 13° dalaï-lama,
Thubten
Gyatso, décida d'interdire les amputations de membres en cas de
crimes (par ailleurs,
il avait précédemment fait interdire la peine de mort). Ce dernier,
pendant son règne, tenta de moderniser le Tibet (création d'une
petite armée, d'une monnaie nationale, d'une station de radio,
ouverture de l'hôpital britannique de Gyantsé en 1904, etc.), mais
il fit face à l'hostilité de l'aristocratie. En effet, la noblesse
n'appréciait guère de payer de nouveaux impôts ; en outre, la
modernité était perçue comme synonyme de laïcité, ce qui ne
manquerait pas de remettre en question, sur le long terme, la
légitimité de la puissante école Gelugpa. Se laissant peu à peu convaincre par
le clergé (qui considérait aussi la médecine moderne comme une
offense envers les traditions bouddhistes), Thubten Gyatso décida
alors de faire marche arrière, interdisant le port de vêtements occidentaux, mettant
aussi fin au courant anglophile qui s'était développé au Tibet en
l'espace de quelques années, grâce à la proximité des Indes
britanniques.
Dans un même ordre d'idée, les
nombreuses traditions religieuses freinaient le développement du
Tibet : ressources minières inexploitées, interdiction de la roue
(le transport des marchandises se faisaient à dos d'homme ou
d'animal), interdiction de l'élevage et des boucheries (à causes des
interdits alimentaires), techniques agricoles archaïques (la terre
était retournée avec un pieu), industrie inexistante, absence de
routes goudronnées ou de chemins de fer, etc.
Enfin, d'un point de vue sanitaire,
la situation était encore une fois catastrophique. En effet, il
n'existait ni aqueducs, ni réseaux de tout-à-l'égout, ni
canalisations, ni nettoyage des rues.
Les Tibétains, très pieux, préféraient avaler des grains d'orge
bénis par les moines plutôt que des médicaments. Dans un même ordre
d'idées, les femmes tibétaines n'étaient pas autorisées à accoucher
dans leur lit, et devaient mettre leur enfant au monde aux côtés des
bestiaux, privées de l'assistance d'une sage-femme (en cas de
naissance difficile, des moines pouvaient porter assistance à la
femme enceinte en récitant des cantiques). Avant 1950, le taux de
mortalité infantile était donc très important.
Ainsi, suite à la conquête chinoise,
le servage et l'esclavage furent abolis, et de nombreuses
infrastructures furent construites (routes goudronnées, chemins de
fer, aéroports) afin de désenclaver le pays. Par ailleurs, les
anciens domaines seigneuriaux furent en partie rachetés par l'Etat,
le reste fut revendu à la population tibétaine (les dettes féodales
furent annulées en 1959).
Furent aussi ouverts de nombreux
hôpitaux (l'on ne comptait que 174 lits d'hôpital en 1950, pour une
population de 3 à 4 millions d'habitants), permettant une
progression rapide de l'espérance de vie (61 ans en 1990 contre 36
ans en 1950), ainsi que des écoles (le taux d'analphabétisme en 1950
était de 97 %).
Mais malgré tout, si l'on met de
côté les querelles de clocher entre les défenseurs du Free Tibet
et les partisans de la Chine, il est fort étonnant de constater que
dans la seconde moitié du XX° siècle, le règne des dalaï-lamas sur
le Tibet ne provoqua guère d'interrogations, cette domination étant
jugée conforme aux traditions du pays, alors que ces derniers furent
partisans d'une théocratie
que l'on pourrait aisément qualifier d'obscurantiste.
Cependant, il convient de constater
que le
le 14° dalaï-lama, Tenzin Gyatso, promulgua plusieurs décrets au
début des années 2000, ouvrant la voie à un système plus
démocratique au sein du gouvernement tibétain en exil.
Ainsi, alors qu'autrefois les
membres du Kashag étaient nommés par le dalaï-lama, ces derniers
sont désormais nommés par le Premier ministre (élu au suffrage
universel depuis 2001). Le Parlement tibétain en exil,
comptant une quarantaine de membres, est lui aussi élu au suffrage
universel (les premières élections se sont déroulées en septembre
1960).
Par ailleurs,
Tenzin Gyatso
promulgua la Constitution pour un futur Tibet libre en
1991, le texte faisant preuve d'un certain esprit d'ouverture :
interdiction pour le dalaï-lama d'occuper le poste de chef de l'Etat
; création d'un Parlement bicaméral doté du pouvoir législatif ;
indépendance de la Justice ; le Tibet sera une zone démilitarisée et
neutre, fondée sur les principes de non-violence ; etc.
Par ailleurs, comme nous l'avons vu
plus tôt, le 14° dalaï-lama ne milite plus en faveur de
l'indépendance depuis 1979, étant plutôt partisan d'une plus grande
autonomie pour les régions de population tibétaines