Comme nous l'avons tous appris à l'école, le téléphone fut
inventé par Graham Bell à la fin du XIX° siècle. Cependant, il
semblerait, une fois encore, que la réalité historique soit plus complexe
qu'on ne pourrait le croire...
La
télégraphie,
système permettant la transmission de messages sur de grandes
distances, fit son apparition au cours des années 1830. Cette
invention reste cependant associée à
Samuel
Morse[1],
qui, reprenant les travaux de ses prédécesseurs, inventa le
code Morse
en 1840 (ce dernier permettait de
transmettre un texte par le biais d’impulsions courtes et longues).
Le télégraphe étant particulièrement populaire,
plusieurs milliers de kilomètres de câbles furent installés en
Europe et aux Etats-Unis (les deux continents furent reliés en 1866[2]).
Suite à l'apparition de la
télégraphie, de nombreux inventeurs tentèrent d'améliorer ce
procédé, afin de transmettre non un signal mais du son.
Fête à New York en l'honneur de la pose du télégraphe électrique
transatlantique, gravure publiée dans Le journal
illustré, 1866.
En France, ce fut Charles Bourseul, employé
des télégraphes, qui fut le premier à travailler sur la conception d'un
engin permettant de transmettre la parole sur de longues distances. En 1854,
il rendit un mémoire à sa hiérarchie, présentant un appareil permettant une
« transmission électrique de la parole. »
Cependant, Bourseul ne fut pas pris au sérieux par ses supérieurs ; et,
faute de moyens, il ne put travailler à la conception d'un prototype.
Six années après Bourseul, l'on retrouve
l'inventeur allemand Johann Philipp Reis, qui présenta en
1860 un appareil permettant de transmettre la voix
et des notes de musiques. Toutefois, si Reis fut le premier à faire
usage du mot
« téléphone »
(composé des termes télé, ce qui signifie
« à distance », et
phone,
une unité de mesure de l'intensité des sons), son appareil était
difficile à utiliser, et les sons étaient difficilement
audibles.
En 1864, l'Italien Innocenzo Manzetti, qui
avait conçu un automate quinze années plus tôt, agrémenta ce dernier
d'un
« télégraphe parlant. »
Un article présentant cette invention fut publié dans le quotidien
Le Petit Journal,
en novembre 1865, mentionnant que cette invention permettait de
diffuser les notes de musiques et la parole.
Toutefois, Manzetti ne déposa jamais de brevet pour son appareil, et
mourut largement méconnu, en mars 1877.
L'automate de Manzetti.
L'homme parfois considéré comme le véritable
inventeur du téléphone est l'Italien Antonio Meucci, qui
aurait commencé à travailler dès 1849 sur un appareil permettant de
transmettre la voix.
Antonio Meucci.
Partant s'installer à New York en 1850, Meucci
conçut un premier prototype vers 1856, qui reliait son laboratoire à
la chambre de son épouse (cette dernière ne pouvait se déplacer car
souffrant d'arthrite). Pendant les années qui suivirent, de 1856 à
1870, l'Italien conçut une trentaine d'appareils, tentant de
perfectionner son invention. Toutefois, Meucci fit faillite dès la
fin des années 1850, et sombra dans la pauvreté.
En 1861, il publia un article présentant ses
inventions dans L'Eco d'Italia («
L'Echo d'Italie »
en français), un journal de New-York en langue italienne[3]
; puis, en 1870, parvenant à transmettre la parole à un kilomètre de
distance, il baptisa son appareil le téléttrophone. En
décembre 1871, Meucci fonda la Telettrofono Company, déposant
un avertissement de brevet (il s'agissait d'un système
renouvelable moins onéreux que le dépôt d'un brevet) pour un
«
télégraphe parlant »,
auprès de l'Office des brevet des Etats-Unis.
Un exemplaire du téléttrophone.
En 1872, Meucci se rapprocha d'Edward Grant,
vice-président de l'American District Company of New-York,
lui demandant d'utiliser ses lignes de télégraphes afin de tester le
téléttrophone. L'Italien donna aussi à Grant une description de son
prototype ainsi qu'une copie de son avertissement de brevet. Mais
deux années plus tard, comme l'entreprise n'avait pas donné suite,
Meucci réclama qu'on lui rende ses documents ; toutefois, Grant
affirma que ces derniers avaient été perdus.
Comble de malchance, Meucci, qui vivait de
l'assistance publique depuis des années, ne put renouveler son
avertissement de brevet en 1874.
Deux années plus tard, le 14 février 1876, le Britannique Graham Bell[4]
déposa un brevet pour un
« téléphone acoustique
», gagnant de vitesse l'Américain
Elisha Gray,
qui avait déposé le même jour un avertissement de brevet pour une
invention similaire.
Graham Bell (à
gauche) et Elisha Gray (à droite).
L'Office des brevet des Etats-Unis,
constatant que les deux appareils étaient similaires, entama une
procédure de blocage de 90 jours, qui devait permettre à Gray de
déposer un nouveau brevet. Toutefois, ce dernier perdit beaucoup de
temps à concevoir un nouveau prototype, et le brevet de Bell fut
officiellement publié en mars 1876[5].
En 1877, Bell fonda l'American
Bell Telephone Company,
et, à compter de cette date, assigna en justice
tout ses rivaux, dont Meucci, qui clamait être l'inventeur du
télégraphe parlant. Toutefois, comme l'Italien vivait dans la
pauvreté, il n'eut pas les moyens d'assurer correctement sa défense.
Le procès, qui dura pendant près de dix ans, s'acheva à la mort de Meucci, en octobre 1889.
L'Italien, accusé d'avoir antidaté ses
inventions, fut considéré comme un fraudeur et rapidement oublié. Ce
n'est qu'un siècle plus
tard, en 1989, que l'œuvre de Meucci fut redécouverte, grâce aux
travaux de Basilio Catania, un
ingénieur milanais.
Ce dernier, présentant l'Italien comme un homme spolié[6],
reçut un certain écho auprès du grand public.
Mais s'il est avéré aujourd'hui que Meucci
commença effectivement à travailler sur un système de télégraphe
parlant dès 1849, les sources manquent au sujet du téléttrophone. En
effet, l'avertissement de brevet, déposé en 1871, reste très
laconique, et ne décrit pas précisément l'invention de Meucci.
En juin 2002, la Chambre des représentants
des Etats-Unis promulgua un texte de loi, reconnaissant les travaux
de l'Italien et l'issue floue du procès intenté par Bell, ajoutant
que si Meucci avait été capable de payer les 10 $ de frais pour
maintenir l'avertissement de brevet après 1874, aucun brevet
n'aurait pu être délivré à Bell. [...] Il est donc du devoir
de la Chambre des représentants de reconnaître la carrière et les
inventions d'Antonio Meucci, comme devrait être reconnu son travail
dans l'invention du téléphone.
Le téléphone fut utilisé commercialement aux Etats-Unis dès 1877, et
en France à compter de 1879. A l'aube du XX° siècle, l'on comptait
déjà 12 millions de postes téléphoniques dans le monde.
[1]
Samuel Morse, né en 1791, était un peintre américain. Il mourut
en 1872, après avoir bataillé pendant plusieurs décennies pour faire reconnaître
ses inventions.
[2]
A noter que la
transmission sans fil, permettant aux navires de rester
en contact avec le continent, fit son apparition à la fin du XIX°
siècle.
[3]
A noter qu'aucune copie de ce journal n'est parvenue jusqu'à nous.
[4] Bell, né en
Ecosse au mois de mars 1847, s'installa au Canada en 1870 (il fut
naturalisé quelques années plus tard, en 1882).
[5]
Suite à son échec contre Graham Bell, Gray donna naissance au
telautographe, ancêtre du fax moderne, permettant la transmission de
documents manuscrits.
[6]Catania avança la thèse selon laquelle
le prototype de Meucci, prêté à l'American District Company of New-York,
aurait été récupéré par Bell, qui travaillait là. Ce dernier s'en serait alors
inspiré pour ses propres travaux. A noter toutefois que les travaux de Catania
n'ont pas reçu l'aval de la communauté scientifique.