Faux !
La guerre en dentelles est un concept apparu à la toute fin du XVIII°
siècle, lors des guerre révolutionnaires, utilisé pour désigner la façon de faire la guerre un siècle
auparavant.
La Révolution
française fut l'élément déclencheur qui bouleversa durablement la
stratégie militaire.
Sous la monarchie, la guerre opposait deux souverains,
souvent liés par des
relations matrimoniales, qui combattaient selon les règles de la courtoisie,
du printemps à l'été ; au contraire, pendant la Révolution (puis sous
l'Empire), la guerre opposait désormais
deux nations rivales, imprégnées de deux idéologies distinctes.
La bataille de Neerwinden, 1693, gravure issue de l'ouvrage
Histoire de France, par François GUIZOT, France, 1875.
En outre, pendant
les guerres révolutionnaires, les armées françaises souffrirent d'un
manque d'officiers (ces
derniers, majoritairement aristocrates, furent souvent tués par
leurs soldats, condamnés à mort, ou bien contraints d'émigrer vers
l'étranger).
La stratégie employée fut donc celle de la masse, privilégiant
le nombre sur la technique (une première levée en masse de 300 000
hommes fut décidée en février 1793[1]
; en août de la même année, la Convention[2]
proclama la levée en masse de tous les Français âgés de 18 à 25
ans).
Un épisode de la levée en masse : ceux ayant obtenu le "bon numéro"
lors du tirage au sort sont
libres, les autres partent à la guerre, par Paul Lehugeur, XIX° siècle.
Ainsi, alors que
Louis XIV avait réussi à rassembler 100 000 hommes sous ses
ordres lors de la guerre de succession d'Espagne[3],
au début du XVIII° siècle (ce qui était un chiffre considérable pour
l'époque), l'on comptait donc 750 000 soldats au sein de l'armée
française en 1793. Sous l'Empire, Napoléon augmenta les
effectifs de la Grande armée à 1.5 millions d'hommes.
Cette nouvelle façon
de faire la guerre tranchait radicalement avec celle de l'ancien
régime, époque à laquelle chaque soldat était soumis à une
entrainement poussé et une discipline de fer.
Au XVIII° siècle,
les armées se déplaçaient en bloc, afin de constituer une ligne
parallèle à celle de l'ennemi. L'objectif de chaque soldat était de
rester immobile lors du tir de l'ennemi, afin de pouvoir riposter
ensuite.
Le mousquet
Charleville modèle 1777, adopté par l'armée royale, bénéficiait
d'une cadence de tir de deux à trois coups
par minute, pour une portée maximale de 200 mètres.
Cependant, afin de causer plus de dégâts à l'ennemi, les deux armées
devaient se rapprocher très près l'une de l'autre, dans une distance
comprise entre 50 et 75 mètres.
Afin de causer un
maximum de dégâts, certaines armées constituaient des lignes
composées de trois ou quatre rangs au lieu d'un seul. La tactique du
feu de salve, exposant l'ennemi à un tir continu, nécessitait
toutefois un entrainement et une discipline poussée (trois rangées
devaient recharger ses armes pendant que la quatrième rangée tirait,
le tout sous le feu de l'ennemi).
Le soldat de
l'ancien régime, contraint de rester immobile, était donc
dangereusement exposé. La guerre en dentelles, contrairement à ce
que l'on pourrait penser, était particulièrement meurtrière. Parmi
les affrontements les plus célèbres du XVIII° siècle, l'on peut
citer la bataille de Malplaquet, en 1709 (10 000 tués et
blessés sur 80 000 soldats) ; la bataille de Fontenoy, en
1745 (7 000 tués et blessés sur 45 000) ; et la bataille de
Maastricht, en 1747 (8 000 tués et blessés sur 80 000).
Bataille de Maastricht, par Auguste COUDER, XIX° siècle,
château de Versailles, Versailles.
Ainsi, l'on retrouve
des pertes équivalentes voire inférieures à celles de la guerre en
dentelles pendant la Révolution (2 000 tués et blessés sur 40 000
lors de la bataille de Jemmapes, en 1792 ; 5 000 tués et
blessés sur 90 000 à la bataille de Fleurus, en 1794) ou
l'Empire (8 000 tués et blessés sur 70 000 à la bataille
d'Austerlitz, en 1805 ; 2 500 tués et blessés sur 40 000 pendant la
bataille d'Iéna, en 1806).
Bataille de Fleurus, gagnée par le général Jourdan, 28 juin 1794,
par MAUZAISSE, château de Versailles, Versailles.
A noter que la
bataille de Fontenoy, livrée en avril 1745,
fut l'épisode le plus connu de la guerre en dentelles.
A cette date, l'armée
française se dirigeait vers les Pays Bas autrichiens, commandée par le
maréchal Maurice de Saxe[4],
dont l'objectif étant de prendre Tournai.
Le maréchal de Saxe, par Maurice Quentin DELATOUR, musée du Louvre, Paris.
Apprenant l'arrivée
prochaine d'un contingent composé d'Autrichiens, d'Anglais et de
Néerlandais, les Français prirent position afin de faire face à
l'ennemi. Lorsque les soldats britanniques arrivèrent au contact de
leur adversaire, les officiers supérieurs des deux camps
s'échangèrent des politesses, comme le voulait l'usage. Un
chef de bataillon anglais aurait alors invité les Français à faire feu, ce à
quoi le comte
d’Anterroches aurait répondu : messieurs les Anglais, tirez les premiers ![5]
"Tirez les premiers, messieurs les Anglais !", par Paul
Lehugeur, XIX° siècle.
Si les Britanniques
firent vraisemblablement feu les premiers, ils furent finalement
défaits, la bataille de Fontenoy s'achevant sur une victoire pour le
maréchal de Saxe[6].
Au final, l'on peut
constater que la guerre en dentelles fut une façon de faire la
guerre tout aussi meurtrière, voire plus, que la stratégie en
vigueur au XIX° siècle. A noter par ailleurs que ce terme possède
une certaine connotation nostalgique, étant employé à une époque où
la guerre devenait de plus en plus massive et de plus en plus
"totale".
[1]
Cette première levée en masse occasionna plusieurs émeutes, ces
dernières étant
particulièrement virulentes en Vendée, région traditionnellement
monarchiste. Voir à ce sujet le 4, section I, chapitre
quatrième, la Révolution française.
[2]
Il s'agissait de l'ancêtre de l'actuelle assemblée nationale.
[4]
Maurice de Saxe était un bâtard de Frédéric Auguste I°,
prince électeur de Saxe (devenu ensuite roi de Pologne sous le nom
d’Auguste II). Agé d’une vingtaine d’années, le jeune homme décida de se mettre
au service de la France, vraisemblablement déçu que les aristocrates
polonais aient préféré placer son demi-frère Auguste III sur le
trône de Pologne.
[5]
En raison de sources lacunaires, l'on ne sait pas exactement quel
fut le teneur de l'échange entre les deux armées. Ainsi, ce mot historique, difficilement vérifiable, est peut être
apocryphe.
[6]
Pour plus de détails sur la bataille de Fontenoy, voir le d), 4,
section IV, chapitre quatrième, les Bourbons.