Henry Ford, patron de la Ford Motor Company, est resté dans
toutes les mémoires comme l'inventeur de la Ford T, qui eut un succès
retentissant (dans les années 1910, 9 voitures sur 10 étaient des Ford), et
du fordisme, procédé de division du travail dérivé du taylorisme
(l'objectif était de diviser au maximum les différentes étapes de la
fabrication d'une voiture, afin d'augmenter la productivité).
Cependant, cet entrepreneur était-il aussi respectable que ce qu'on
pourrait croire ?
Ford naquit à Dearborn, dans le Michigan, en juillet 1863. Partant
travailler à Détroit à l'âge de seize ans, il intégra la Edison
Illuminating Company
à compter de 1891, en tant qu'ingénieur mécanicien. Quelques années plus
tard, en 1896, le jeune homme parvint à concevoir une petite voiture à
essence, la Ford Quadricycle. Puis, en 1903, Ford donna
naissance à la Ford Motor Company.
Devenu président de son entreprise en 1906, Ford conçut la
Ford T en 1908. Ce modèle, comme nous l'avons indiqué plus tôt, remporta
un important succès, grâce à un coût minime (500 $ en 1914, soit environ
quatre mois de salaire) et une rapidité de fabrication (environ 93
minutes en 1913). Pendant vingt ans, de 1908 à 1927, plus de 16 millions
de Ford T sortirent des usines, un chiffre considérable pour l'époque.
Toutefois, Ford ne fut sans doute pas le patron modèle que l'on
s'imagine. En effet, le krach de 1929 provoqua une importante
crise aux Etats-Unis, qui ne tarda pas à se répercuter en Europe. A
cette date, alors que de nombreuses entreprises firent faillite, la Ford
Motor Company, implantée sur six continents, ne fut guère touchée par la
crise.
Toutefois, comme les conditions de travail des ouvriers n'évoluait guère
(le salaire journalier avait peu évolué : 5 $ en 1908, 6 $ en 1919, et 7
$ en 1927), les syndicats (alors interdits au sein de l'entreprise) se
firent plus véhéments. Henry Ford, hostile aux communistes, embaucha 2 à
3 000 hommes de main à Détroit (parmi lesquels l'on retrouvait de
nombreux repris de justice), donnant naissance au Service Departement,
chargé d'interdire l'entrée des usines aux syndicalistes.
Ford tint bon pendant plusieurs années, refusant toute négociation avec
les communistes ; mais en 1937, suite à une manifestation syndicale
violemment réprimée par le Service Departement, l'entreprise,
décrédibilisée dans l'opinion publique, fut contrainte de parlementer
avec les syndicats. C'est ainsi qu'un accord fut signé en juin 1941
entre la Ford Motor Company et l'United Auto Workers.
A noter par ailleurs qu'Henry Ford était
aussi un antisémite notoire. En 1918, il acheta un petit hebdomadaire de
Detroit, le Dearborn Independant, dans lequel il publia de
nombreux articles hostiles aux juifs. Ce journal, qui à son apogée était
tiré à 700 000 exemplaires, fut diffusé jusqu'en Allemagne, où Adolf
Hitler,
féru d'automobiles, mit en pratique les enseignements du fordisme afin
de donner naissance à la Kdf Wagen (abréviation de Kraft durch
freude, ou
« la
force par la joie »)
en 1938,
désignée sous le nom de Coccinelle en France.
En Allemagne, le contenu des
articles antisémites de Ford, publiés dans le Dearborn Independant,
furent réunis au sein d'un même ouvrage, Le Juif international,
le principal problème mondial (quatre tomes furent publiés entre
1920 et 1922). A noter par ailleurs qu'à la même époque Ford fit
publier le Protocole des Sages de Sion à 500 000 exemplaires
(l'ouvrage, qui contenait les supposés comptes-rendus d'une
vingtaine de réunions secrètes, organisées par des juifs, était
cependant un faux grossier).
Toutefois, le Dearborn
Independant fut mis en accusation par une ligue de défense des
juifs, et cessa de paraitre en décembre 1927. Lors du procès, les
avocats d'Henry Ford expliquèrent que ce dernier n'était pas au
courant du contenu du journal, et que même les articles signés de son nom
n'avaient pas été écrits de sa main. Toutefois, Ford ne cacha jamais
son antisémitisme dans la sphère privée.
Enfin, il convient de préciser que
les rapport entre Henry Ford et l'Allemagne nazie dépassèrent de loin le
simple échange épistolaire. Hitler, grand admirateur de l'Américain,
s'inspira de plusieurs articles du Juif international pour rédiger
Mein Kampf, publié en 1925.
Quant à Ford, qui envoyait à Hitler la somme annuelle de 50 000 reichsmark à
l'occasion de son anniversaire, il était l'un des principaux bailleurs
de fonds du Troisième Reich. Ainsi, il reçut
en 1938 la Grand-Croix de l'Aigle allemand, c'est-à-dire la plus
haute décoration nazie réservée aux étrangers.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Henry Ford parvint à jouer sur
les deux tableaux, grâce à ses usines implantées aux Etats-Unis et en
Europe. C'est ainsi que la Ford Motor Company produisit, via sa filiale
allemande, Fordwerke, des véhicules militaires pour la
Wehchmacht.
Ainsi, en 1940, Ford refusa de construire des avions pour l'Angleterre,
préférant équiper la Luftwaffe (à noter qu'en 1942, lorsque les
alliés bombardèrent l'usine Ford de Poissy, en France occupée, le
régime de Vichy fut contraint de dédommager Ford).
Ford, qui avait été contraint de revenir à la tête de la Ford Motor
Company en 1943, suite à la mort de son aîné, Edsel Ford,
présentait toutefois des signes de faiblesse. En effet, ce dernier avait eu
plusieurs accidents cardiovasculaires, et n'avait plus toutes ses
capacités. Ainsi, en septembre 1945, Ford laissa la direction de
l'entreprise à son petit-fils, Henry Ford II. Il mourut deux
années plus tard, à l'âge de 83 ans .
La Ford
Motors Company fait partie de ces entreprises américaines qui ont joué
sur les deux tableaux, collaboré avec l'Allemagne nazie, et n'ont jamais
été inquiétées par le gouvernement américain. Ainsi, outre Ford, l'on
pourrait citer
General Motors
(qui continua à fabriquer des véhicules pour le Troisième Reich pendant
la guerre) ;
IBM
(ou
International Business Machines Corporation,
qui vendit à l'Allemagne nazie des machines permettant de faciliter le
recensement de la population) ;
ITT
(International
Telephone & Telegraph,
qui produisit du matériel électronique à destination de la Wehrmacht) ;
la
Standard Oil
(qui révéla à son partenaire allemand
IG Farben
les secrets de fabrication du plomb tétraéthyle et du caoutchouc
synthétique) ; etc.
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