Nous connaissons tous le récit des dernières
années de Christophe Colomb : alors que ce dernier dirigeait Hispaniola[1],
île dont il avait fait la découverte en décembre 1492, il fut mis aux arrêts
par Francisco de Bobadilla, le nouveau gouverneur, puis renvoyé en Espagne. Après avoir
passé plusieurs années en prison, Colomb fut finalement libéré, mais mourut
peu de temps après, seul et abandonné de tous, en mai 1506.
Mais, un fois encore, la réalité est bien
différente de ce que l'on pourrait croire.
De prime abord, alors que l'on a aujourd'hui
tendance à présenter Colomb comme un explorateur pacifique, il convient de
préciser que sa disgrâce fut la conséquence de la mise en esclavage des
indigènes d'Hispaniola (c'est ainsi que fut établi le système
de l'encomienda, imposant un travail forcé aux peuples amérindiens ne
pouvant pas fournir un tribut en métaux précieux).
L'esclavage des Amérindiens par les colons espagnols, XVI° siècle.
P
ar ailleurs, une révolte éclata à
Hispaniola en 1497, organisée par un aristocrate nommé
Francisco Roldan.
Ce dernier, emportant avec lui la moitié des colons espagnol, partit fonder
une colonie rivale sur la rive ouest d'Hispaniola[2].
A l'été 1500,
Francisco de Bobadilla fut mandaté par le roi d'Espagne Ferdinand II
pour remplacer Colomb au poste de gouverneur. Débarquant à Hispaniola au moi
d'août, Bobadilla outrepassa ses fonctions, considérant que la gestion de
l'île était désastreuse, et fit mettre Colomb au cachot[3].
Ramené vers
l'Espagne à fond de cale, l'explorateur passa six semaines en prison, avant
d'être gracié par le roi Ferdinand II, qui lui offrit la somme de 2 000
ducats (suite aux plaintes de Colomb, Bobadilla fut remplacé par Nicolas
de Ovando, qui partit vers le Nouveau Monde début 1502[4]).
Colomb, bien
que n'ayant pas reçu l'autorisation de prendre part à l'expédition d'Ovando,
bénéficia toutefois d'un financement de la part de la couronne d'Espagne,
afin entreprendre un dernier voyage[5].
Rentrant en
Espagne en fin d'année 1504, Colomb était très diminué, souffrant d'arthrite
depuis longtemps. S'installant à Séville, il resta en contact avec la Cour,
cherchant à faire reconnaître ses droits et privilèges (avant de se lancer
dans sa première expédition, en 1492, l'explorateur avait reçu le titre d'amiral
de la mer Océane, de vice-roi des Indes, et la promesse de percevoir 10%
des richesses issues des terres qui seraient découvertes).
Christophe
Colomb mourut en mai 1506 à Valladolid, certes oublié de ses contemporains,
mais pas abandonné par ses proches. Par ailleurs, s'il avait été spolié
d'une partie de ses prérogatives (surtout gouvernementales) par Ferdinand
II, l'explorateur mourait très riche, ses découvertes et revenus lui ayant
permis de constituer un important capital[6].
Les derniers moments de Christophe Colomb, par Claudius
JACQUAND, 1870, musée d'art moderne André Malraux, Le Havre.
Colomb,
pensant jusqu'au bout qu'il avait atteint les Indes, ne prit jamais
conscience de la portée de sa découverte. Entretemps, un autre marin
d'origine italienne, Amerigo Vespucci, qui avait organisé plusieurs
voyages sur les côtes américaines, démontra que Colomb n'avait pas découvert
les Indes, mais un nouveau monde.
En 1507, le
cartographe allemand Martin Waldseemüller publia un planisphère,
donnant le nom d'Amérique (America en latin, féminin d'Amerigo)
aux territoires du Nouveau Monde. A cette date, Vespucci jouissait d'une
grande notoriété, contrairement à Colomb, décédé l'année précédente.
Planisphère de Waldseemüller, 1507.
Toutefois, si
Waldseemüller tenta de corriger son erreur lors de la publication d'un
nouveau planisphère, en 1513, c'est bien le nom d'Amérique qui resta dans
les mémoires.
Détail du planisphère de Waldseemüller mentionnant le mot America.
[1]
Hispaniola est aujourd'hui divisée en deux pays indépendants :
Haïti, à l'ouest, et la République dominicaine, à l'est.
[2]
Colomb, de retour à Hispaniola en août 1498, parvint à mettre un
terme à l'insurrection en faisant emprisonner ou exécuter les
rebelles. Francisco Roldan, quant
à lui, mourut quelques années plus tard, en 1502, lors du naufrage
de son navire qui le ramenait en Espagne.
[3]
Les deux frères de
Colomb, Bartolomeo et Giacomo, furent eux aussi
emprisonnés.
[4] Ovando,
continuant de mener une politique répressive à l'égard des
indigènes, fut rappelé en 1509. Il fut remplacé par Diego,
fils aîné de Christophe Colomb.
[5]
Lors de ce dernier voyage, organisé entre 1502 et 1504, Colomb
longea la rive est de l'Amérique centrale, recherchant un débouché
vers les Indes (ce dernier pensait se trouver près de la Chine).
[6]
A noter que Diego, qui fut nommé gouverneur d'Hispaniola en 1509,
lutta pendant plusieurs années pour faire reconnaitre les
prérogatives dont il avait hérité. Un compromis fut finalement signé
par son fils, Louis, qui renonça au
titre de vice-roi des Indes et à la rente des 10% issues de ces
terres ; en échange, ce dernier recevait d'un important territoire
sur l'isthme de Panama, avec le titre de duc de Veragua,
ainsi que la Jamaïque avec le titre de marquis.