Aujourd'hui, nous connaissons tous le mythe du
Déluge, tel qu'il est présenté dans la Bible. Ce récit, aujourd'hui
considéré comme simplement mythologique, soulève néanmoins un certain nombre
de questions.
Ainsi, ce mythe est-il vraiment original, ne se
trouvant que dans la Bible et le Coran ? Par ailleurs,
quoiqu'en disent les créationnistes, qu'en est-il de la véracité du récit ?
En effet, l'aventure de Noé n'est-elle qu'une simple vue de l'esprit,
ou bien s'inspire-t-elle de faits réels ?
Les couples d'animaux montent dans l'arche de Noé.
Dans un premier temps, il convient de
préciser la définition du mot
« déluge » (dictionnaire
Petit Robert,
édition de 1990) : (1175 ; du latin
diluvium
« inondation »).
1.
Envahissement de la terre par les eaux, selon la Bible.
L'arche de Noé échappa au déluge.
[...]
2.
Pluie très abondante, diluvienne.
Comme nous pouvons le constater, le
Déluge peut donc définir aussi bien une brusque montée des eaux qu'une pluie
battante.
Le Déluge biblique, quant à lui, est un
récit plutôt court, s'étendant sur à peine trois chapitre de la Bible (livre
de la Genèse, chapitres 6 à 8).
Au début du récit, le Tout-Puissant
constate à regret que l'homme, qui s'est rapidement multiplié, continue à se
tourner vers le mal. Il s'adresse alors à Noé, resté juste et intègre, et le
prévient de la catastrophe qui va avoir lieu. Dieu lui demande alors de
construire une arche en bois de gopher, enduite de poix, puis d'y faire
entrer un mâle et une femelle de chaque espèce animale vivant sur terre.
Noé s'étant exécuté,
Dieu fait alors s'abattre des pluies antédiluviennes, qui entraînent une
rapide montée des eaux. A ce moment, toute espèce vivante, humaine ou
animale, est engloutie par la crue. La pluie, tombant quarante jours et
quarante nuits, est si violente que l'eau s'éleve au-dessus des plus hautes
montagnes. Au bout de plusieurs mois, alors que les eaux descendent peu à
peu, Noé lâche une corbeau, puis une colombe, qui reviennent rapidement
faute de sol à fouler. Sept jours plus tard, il réessaie à nouveau avec la
colombe, qui revient avec un rameau d'olivier dans le bec. Dieu ordonne
alors à Noé de sortir de l'arche, puis de faire débarquer les animaux afin
qu'ils puissent se reproduire. Mettant enfin pied à terre, après plusieurs
mois de voyage, Noé se met à bâtit un autel, puis fait un sacrifice au
Tout-Puissant. Ce dernier, sentant une odeur agréable, jure alors de ne plus
saccager la terre comme il l'a fait.
Descente des animaux de l'arche de Noé.
Mais si aujourd'hui le Déluge biblique est le plus
connu, il convient de préciser que d'autres mythologies contiennent des
récits similaires :
- Le déluge d'Ogygès, une légende mal
connue dont le héros est Ogygès, personnage mythologique considéré
comme le premier roi de Thèbes (l'étymologie de son nom est peut-être à
rapprocher du grec okeanos, ce qui signifie
« océan »).
Ce dernier survécut aux intempéries, mais ces dernières firent tant de
victimes qu'il n'y eut plus de rois en Attique jusqu'à l'avènement de
Cécrops[1].
Aujourd'hui, certains historiens pensent que le
déluge d'Ogygès aurait pour origine la crue du lac Copaïs, situé à quelques
kilomètres à l'ouest de Thèbes[2].
- Le
déluge de Deucalion, récit postérieur à celui d'Ogygès, et dont
le héros est Deucalion, fils du Titan Prométhée[3].
La version la plus détaillée nous vient des Métamorphoses du
poète latin Ovide[4].
Zeus,
indigné par la conduite des humains, décide alors de détruire la
création ; non avec sa foudre, mais avec des trombes d'eau, de peur
que l'éther céleste ne s'enflamme. Il reçoit alors l'assistance de
Poséidon, qui provoque une brusque montée des eaux. Toute créature
vivante est alors éliminée de la surface de la planète.
Mais
Deucalion, réfugié sur une arche, parvient à atteindre les rives du
mont Parnasse après neuf jours de voyage. Une fois arrivé en ces
lieux, accompagné de son épouse Pyrrha, il invoque les
nymphes, des esprits de la nature. Peu après, Zeus et Poséidon
constatent que toute vie sur terre est anéantie, et décident de
mettre un terme au massacre.
Selon
certains récits, cet évènement aurait mis fin à la race de bronze,
composée d’hommes violents, des guerriers qui s’entretuèrent jusqu’à ce que
la terre soit dépeuplée[5].
Suite à la catastrophe, la déesse Thémis[6]
ordonne aux deux survivants de jeter les os de leur grand-mère afin de
redonner naissance à l'humanité. Dans un premier temps, Deucalion et Pyrrha
refusent, avant de comprendre qu'il leur suffisait de jeter des cailloux
(Deucalion étant le descendant de Gaïa, la terre). Ainsi, les pierres
jetées par Deucalion formèrent des hommes, celles jetées par Pyrrha
formèrent des femmes.
Deucalion et Pyrrha donnant naissance à une nouvelle humanité.
- L'histoire de Yima, dans la mythologie
zoroastrienne[7],
nous présente un récit apocalyptique quelque peu différent du Déluge sur la
forme, mais pas sur le fond. Selon l'Avesta (c'est-à-dire la
« Bible » zoroastrienne[8]),
Yima était un berger qui avait été nommé roi par Ahura Mazda (le dieu
des Zoroastriens). Ce dernier, vivant pendant des centaines d'années, voyait
les hommes se multiplier sans cesse ; ainsi, afin de résoudre le problème de
la surpopulation, il lui suffisait de presser son sceau d'or magique contre
la terre, qui se gonflait encore et encore, jusqu'à faire suffisamment
d'espace pour tout le monde.
Cependant, au bout d'un millier d'années, la terre
était surpeuplée et ne pouvait plus se gonfler. Ainsi, Ahura Mazda décide de
prévenir Yima de l'arrivée d'une catastrophe imminente : non un Déluge, mais
une tempête de neige capable de recouvrir le sommet des plus hautes
montagnes.
Dès lors, Yima reçoit l'ordre de construire une
caverne (ou un enclos selon les traductions), aussi large que haute, et d'y
entreposer l'eau et la nourriture récoltée pendant l'été. Le vieux roi y fit
aussi rentrer les hommes et les femmes les plus forts, ainsi qu'un couple de
chaque animal. Une fois les préparatifs achevés, Yima décide de fermer la
caverne avec son sceau magique, en attendant que la tempête de neige cesse.
Aujourd'hui, certains historiens avancent
l'hypothèse selon laquelle la légende de Yima serait la lointaine héritière
des souvenirs de la dernière glaciation, qui s'acheva il y a près de 12 000
ans.
Cependant, s'il existe encore de nombreux récits
évoquant le Déluge dans d'autres religions, le plus ancien d'entre eux
se trouve dans le livre 11 de l'Epopée de Gilgamesh, texte sumérien
datant de 2700 à 2500 avant Jésus-Christ.
Héros maîtrisant un lion (parfois
présenté comme Gilgamesh), façade de la salle du trône du palais de Sargon
II à Dur Sharrukin, musée du Louvre,
Paris.
Gilgamesh, roi légendaire d'Uruk (il aurait
régné sur cette cité vers 2600 avant notre ère), est présenté comme un roi
dur et sévère. Ses sujets se tournent alors vers Aruru, déesse de la
cité, qui confectionne un double du roi avec de l'argile, baptisé Enkidu.
Ce dernier, exact opposé de Gilgamesh, défie le roi en duel ; mais aucun des
deux combattants ne parvient à l'emporter. Le souverain d'Uruk décide alors
de s'allier avec son rival, et les deux hommes choisissent de partir à
l'aventure.
Le combat de Gilgamesh contre Enkidu.
Cependant, Enkidu meurt subitement, et Gilgamesh,
désespéré, décide de rechercher le secret de la vie éternelle. Finalement,
après plusieurs péripéties, il rencontre un vieil homme, nommé Uta-Napishti,
détenteur du secret de l'immortalité. Ce dernier, constant que le roi d'Uruk
souhaite ardemment connaître son secret, il décide de raconter l'histoire
qui a fait de lui un immortel.
Bien des années plus tôt, alors qu'Uta-Napishti
n'était qu'un jeune homme, les dieux se réunirent en conseil, bien décidés à
éliminer toute forme de vie sur terre. L'un d'entre eux, Ea, dieu de
la sagesse, décida alors d'avertir Uta-Napishti, lui demandant de construire
un vaisseau, capable d'embarquer plusieurs espèces animales.
Le jeune homme, tentant de prévenir ses
compatriotes, se rendit compte que ces derniers ne prêtaient pas attention à
ses avertissements. Il décida alors de se mettre au travail, construisant un
bateau aussi long que large, qu'il enduisit de bitume. Par la suite, Uta-Napishti
fit monter dans son embarcation différentes espèces animales, ainsi que les
membres de sa famille et ses serviteurs.
Puis, comme Ea l'avait prédit, les dieux se
déchainèrent, faisant tomber la pluie à torrent, grossir le lit des
rivières, et des ouragans emportèrent tout sur leur passage. En l'espace de
peu de temps, toute espèce humaine ou animale avait disparu de la surface de
la terre, et bientôt il ne resta plus que l'embarcation d'Uta-Napishti à la
surface des eaux.
Le Déluge d'Uta-Napishti.
Cependant, si les dieux se repentirent bien vite
de leurs mauvaises actions, pendant six jours et six nuits, le vent continua
de souffler, et les eaux furent agitées. Cependant, le septième jour, la mer
se calma, le Déluge avait cessé. Une semaine plus tard, Uta-Napishti lâcha
une colombe, qui partit et revint, n'ayant trouvé nul endroit où se poser ;
puis se fut le tour d'une hirondelle, sans grand succès ; enfin, un corbeau
ayant trouvé un sol humide, pataugea dans la boue et ne revint pas. Le jeune
homme procéda alors au débarquement, puis organisa un sacrifice en l'honneur
des dieux.
Ces derniers, sentant l'agréable odeur,
s'approchèrent alors d'Uta-Napishti, s'apercevant que des hommes avaient
survécu au Déluge. Ea, accusé par ses confrères, se défendit en expliquant
que la catastrophe avait tué aussi bien les bons que les méchants. Bel,
le chef des dieux, reconnaissant son erreur, s'approcha alors d'Uta-Napishti
et de sa femme, puis en fit des dieux, leur accordant ainsi le don
d'immortalité.
Gilgamesh, après avoir écouté le récit du
vieillard, apprend que ce dernier conserve auprès de lui une plante, qui
guérit la peur de la mort. Le roi d'Uruk, plongeant au fond de la mer,
parvient alors à s'en emparer, puis décide de rentrer dans son royaume.
Cependant, alors qu'au cours d'un bivouac, Gilgamesh plonge dans une mare
pour s'y baigner, un serpent s'empare de la plante tant convoitée.
Le roi d'Uruk, dépité, se rend alors compte que la
quête de l'immortalité est vaine, et qu'il vaut mieux profiter de l'instant
présent.
Comme nous pouvons le constater, c'est avec cet
extrait de l'Epopée de Gilgamesh que le récit du Déluge biblique à le plus
de ressemblance : le navire enduit de bitume, les animaux qui montent par
paire, les pluies torrentielles, l'hirondelle qui cherche la terre, le
sacrifice final, les dieux qui se repentent, etc.
Il convient cependant de préciser que le livre 11
de l'Epopée de Gilgamesh est de conception plus récente, datant de 1700
avant Jésus-Christ. A l'origine, il s'agissait d'un texte séparé,
l'Epopée d'Athrasis (un autre nom donné au personnage d'Uta-Napishti) ou
Poème du Supersage, datant de 1700 avant Jésus-Christ. Ainsi, les
historiens estiment aujourd'hui que ce récit aurait été rajouté au mythe de
Gilgamesh vers 1200 avant notre ère.
Cette antériorité de presque mille ans de l'Epopée
d'Athrasis sur la Bible, vraisemblablement rédigée au cours de l'exil à
Babylone[9],
tend à démontrer que les juifs se seraient inspirés de cet ancien récit pour
construire leur propre mythologie.
A noter que néanmoins que cette découverte n'est
pas récente, ayant été démontrée dès les années 1870 par des archéologues
anglais, ce qui fit sensation à l'époque.
Cependant, si l'on fait abstraction des multiples
variations d'un même récit, qu'en est-il de la véracité historique du Déluge
?
En règle générale, il est de coutume d'expliquer
l'origine des mythes par une réalité historique ; cependant, il n'est jamais
aisé d'en déterminer l'origine. Dans le cas du Déluge, il pourrait s'agir
d'une grande inondation, ou bien de fortes pluies qui auraient provoqué un
désastre. Cependant, en 15 000 ans d'histoire humaine, et sur une zone
géographique partant de la Grèce à l'Iran, il est bien difficile de faire la
part entre la réalité et la mythologie.
Cependant, il existe une hypothèse, formulée dans
les années 1980, qui expliquerait en partie l'origine du Déluge. En effet, à
la fin de la dernière ère glacière, la planète connut une importante montée
des eaux, ce qui entraîna entre autres la création de la mer Noire,
vers 8000 avant Jésus-Christ.
Cet évènement fut vraisemblablement une véritable
catastrophe pour les personnes qui habitaient dans cette région. En effet,
nul besoin de s'imaginer la terreur des populations locales, face à des eaux
en furie qui inondèrent près de 100 000 kilomètres carrés de terrain en
l'espace de quelques années.
Cependant, reste à savoir si la mémoire humaine et
la tradition orale furent suffisantes pour transmettre ce récit
apocalyptique de génération en génération...
[1]
Cécrops, personnage
mi-homme mi-serpent, est souvent
considéré comme le premier roi d'Athènes. Il donna naissance à
la dynastie des Cécropides, au caractère plus légendaire que réel.
[2] A noter que le lac
Copaïs fut asséché au XIX° siècle.
[3]A l'origine de la création
selon la mythologie grecque, les Titans affrontèrent les dieux de
l'Olympe, mais furent finalement vaincus. Prométhée, quant à lui,
fut puni quelques temps plus tard pour avoir donné le secret du feu
aux humains : enchaîné à un rocher, fut condamné à avoir le foie
dévoré par un aigle. Cependant, cet organe repoussant pendant le
nuit, ce châtiment devait durer pour l'éternité. Pour en savoir plus
sur la mythologie grecque,
cliquez ici.
[4] Ovide,
originaire d'Italie, étudia la rhétorique à Rome, puis partit
voyager en Grèce. Passioné par la poésie, il publia Les
Métamorphoses au tout début de notre ère. Le récit, comptant
12 000 vers, reprend les récits de la mythologie gréco-romaine,
s'achevant avec le règne de Jules César.
[5]
Selon la mythologie grecque, différentes races avaient marché à la
surface de la terre : la race d'or, composée d'hommes qui ne
vieillissaient pas et ne tombaient jamais malades ; la race d'argent,
dont les membres menèrent une vie pécheresse ; la race de bronze ; et enfin la
race de fer, dont les Grecs de l'Antiquité pensaient être les descendants.
Pour en savoir plus à ce sujet,
cliquez ici.
[6]
Thémis, déesse de la justice et de la loi, fait partie des Titans.
Seconde épouse de Zeus, elle assiste ce dernier dans l'Olympe.
[7]
Le zoroastrisme,
peu connu en Occident, est une religion monothéiste apparue au cours du
premier millénaire avant notre ère, sous l'impulsion du philosophe perse Zoroastre
(appelé aussi Zarathoustra).
Ce dernier, évoluant en marge de la religion perse, prêchait en faveur d'un
seul dieu, Ahura Mazda
(les autres étant relégués au rang de divinités secondaires) ; établissait
un dualisme entre le bien et le mal ; et condamnait la consommation de
boissons enivrantes. A noter qu'il est aujourd'hui difficile de dater avec
précision la période à laquelle vécut Zoroastre, en raison d'un manque de
sources. Ainsi, les auteurs gréco-romains de l'Antiquité évoquaient 6000
avant notre ère ; les archéologues d'aujourd'hui avancent la date de 1000
avant Jésus-Christ ; enfin, certains auteurs du XIX° siècle proposèrent 400
avant jésus Christ.
[8]
Des 21 livres qui composaient l'Avesta, il ne nous en est parvenu que le
quart. Les volumes manquant ont été détruits au cours des invasions
musulmanes du VIII° siècle.
[9]
Suite à la défaite des juifs contre Nabuchodonosor II,
roi de Babylone, vers 600 avant Jésus-Christ, ces derniers furent déportés vers
le Moyen-Orient. Cet exil, qui ne concerna que les élites (les populations
rurales furent épargnées), s'acheva à la fin du VI° siècle avant Jésus-Christ