Néron, Empereur fou, joua de la lyre pendant le grand incendie
de Rome
Le grand incendie de Rome, en juillet 64 après
Jésus Christ, fut l'un des plus grand désastres que la ville ait connu. Ce
sinistre, qui entraîna la mort de plusieurs milliers de personnes et
provoqua la destruction des trois quarts de la capitale impériale, est
souvent imputé à l'Empereur Néron, qui selon certaines sources,
aurait joué de la lyre au sommet de son palet, subjugué par les flammes.
Toutefois, cette image d'Epinal correspond-t-elle à une quelconque réalité,
ou bien n'est-elle qu'une fable héritée d'écrits antiques hostiles à ce
souverain ?
Néron (de son vrai nom Lucius Domitius Ahenobarbus),
naquit en décembre 37 après Jésus Christ, fruit de l'union de Cneius Domitius Ahenobarbus
et d’Agrippine
la Jeune. La jeune femme, devenant veuve dès 40, épousa alors son oncle,
l'Empereur
Claude (de son vrai nom Tiberius Claudius Drusus). Usant de
ses charmes, Agrippine parvint à convaincre son époux d'écarter son fils
Britannicus (qu'il avait eu avec Messaline, sa première épouse),
puis à faire adopter Néron par l'Empereur. Une fois que Claude eut exaucé
tous les vœux d'Agrippine, cette dernière le fit empoisonner, en octobre 54.
C'est ainsi que Néron monta sur le trône impérial, âgé de seulement 17 ans.
Les cinq premières années du règne de Néron (le quinquennium Neronis)
furent considérées comme des années prospères par les auteurs anciens.
Toutefois, l'année 62 fut un tournant dans le règne de ce souverain : à
cette date, son épouse Octavie fut retrouvée morte (cette dernière,
sœur de Britannicus, avait été répudiée par Néron, qui souhaitait épouser sa
maîtresse Poppée), ce qui provoqua des émeutes dans Rome. Puis, en
juillet 64, la capitale fut en partie détruite par le grand incendie de
Rome. Néron fut alors accusé du crime, mais se défaussa en condamnant à mort
les chrétiens, jugés responsables de la catastrophe.
L'Empereur, faisant face à l'hostilité du Sénat, fut contraint de faire face
à trois insurrections en 67, en Gaule, en Hispanie, et en Afrique. Néron,
déclaré ennemi public par les sénateurs au mois de juin, fut contraint de
fuir la capitale, puis préféra se suicider plutôt que d'être livré à la
vindicte populaire. A cette occasion, le Sénat décida de prononcer la damnatio memoriae
à l’encontre du défunt (cette mesure condamnait à l’oubli ceux qui
en étaient frappés : leur nom était effacé des inscriptions
publiques, statues, textes, etc.).
Aujourd'hui, il est difficile de séparer le vrai du faux dans le récit du
règne de Néron, les auteurs antiques, issus de l'aristocratie, étant
généralement hostiles à ce souverain. Par ailleurs, il n'existe aucune
source relatant le grand incendie de Rome qui soit d'époque. Seuls deux
auteurs romains, contemporains de Néron, relatent la catastrophe dans leurs
ouvrages, mais ces derniers ne furent publiés que plusieurs décennies après,
à une époque où la damnatio memoriae avait été prononcée depuis
longtemps : Histoire naturelle, de Pline l'Ancien, vers 77 ;
et les
Annales de Tacite, vers 115. Ce
dernier ouvrage reste celui qui décrit le grand incendie de Rome avec le
plus de détails et (sans doute) de neutralité.
En réalité, Néron ne se trouvait pas à Rome lorsque l'incendie éclata, mais
à Antium, sa ville natale. Les flammes, partant du Circus Maximus, se
propagèrent rapidement vers les hauteurs avoisinantes, attisées par le vent.
L'incendie, qui dura pendant six jours, provoqua d'importants dégâts : sur
les quatorze quartiers de la ville, trois furent entièrement détruits,
sept autres furent endommagés. C'est ainsi que de nombreux temples, œuvres
d'art et textes anciens disparurent. Néron, quant à lui, fit ouvrir le Champ
de Mars aux sans-abris, organisa des distributions de nourriture, et ordonna
une baisse du prix du blé. Toutefois, Tacite relate que malgré les efforts
de l'Empereur, une rumeur se mit à circuler, affirmant que Néron aurait joué
de la lyre au sommet de son palais, alors que l'incendie faisait rage.
Suite à la catastrophe, Néron proposa immédiatement des projets de
reconstruction de la ville, dans un style plus monumental, avec des voies
droites et larges (afin de limiter la propagation des flammes en cas de
nouvel incendie). A cette occasion, l'Empereur se fit construire un palais
monumental (la Domus Aurea), puis érigea une colossale statue de
bronze le représentant (cette dernière donna son nom au Colisée, qui
fut érigé une décennie plus tard). Toutefois, ces projets d'urbanismes
furent considérés par certains opposants comme la preuve que Néron, voulant
recréer une ville à son image, était responsable de la catastrophe.
L'Empereur, refusant d'être un bouc émissaire, décida alors d'accuser les chrétiens
[1]
(le phénomène n'était guère récent, car les autorités romaines avaient
alors pour habitude de s'attaquer aux minorités). A noter toutefois qu'une
hypothèse récente indique que les chrétiens aurait salué (voire alimenté) l'incendie de Rome,
présenté comme un évènement annonciateur de la fin
des temps.
Ainsi, si selon
Tacite, le grand incendie de Rome comporte certaines
« zones
d'ombres » (rôle des chrétiens dans la catastrophe, individus
alimentant les flammes, doutes sur l'Empereur, etc.), cet auteur
démontre que la rumeur selon laquelle Néron aurait joué de la lyre
en contemplant la destruction de la capitale relève de la légende.
Cependant, des auteurs moins
objectifs s'approprièrent ce mythe et le présentèrent comme une
réalité, au cours des siècles ultérieurs. Ainsi, Suétone,
dans la
Vie des douze Césars (publié
vers 120), écrivit : choqué de la laideur des anciens édifices, ainsi que des rues
étroites et tortueuses de Rome, il y mit le feu [...]
publiquement. [...] Il regardait ce spectacle du haut de la
tour de Mécène, charmé, disait-il, de la beauté de la flamme, et
chantant la prise de Troie, revêtu de son costume de comédien.
L'on retrouve un même son de
cloche chez Aurelius Victor, écrivain du milieu du IV° siècle, qui
écrivit dans
Liber de Caesaribus (ou Livre
des Césars) :
Néron plus cruel encore, il résolut d'incendier Rome
; et chez Eutrope, qui publia son
Abrégé de l'histoire
romaine
à la même époque :
il mit le feu à la ville de Rome, pour contempler ainsi l’image de
l’antique embrasement qui suivit la prise de Troie.
Comme nous pouvons le constater, il semble qu'il n'existe aucune preuve
crédible pouvant attester de la folie de Néron. Toutefois, comme il n'existe
aucune source d'époque relatant la catastrophe, ce fut le point de vue des
auteurs postérieurs qui resta dans les mémoires, contribuant à faire de
Néron un souverain à moitié fou, obnubilé par la destruction de la capitale
impériale
.
En réalité, si la question de la responsabilité des chrétiens fait parfois
débat chez certains historiens, l'on considère généralement que le grand
incendie de Rome fut vraisemblablement d'origine accidentelle. A noter que
d'autres incendies éclatèrent dans la capitale au cours des années
suivantes, provoquant la destruction du quartier du Capitole en 69 et 80.
[1]
A cette date, le christianisme était considéré comme une
« secte juive
» (ce culte était donc
toléré, à l'instar du judaïsme). Néanmoins, les auteurs romains du début de notre ère éprouvaient une vive méfiance envers
les chrétiens, assimilant parfois la consommation du corps et
du sang du Christ à du cannibalisme.