Aujourd'hui, l'on se représente tous la même scène
: des chrétiens, condamnés pour avoir refusé d'abjurer leur foi, sont
condamnés à mourir sous les crocs des fauves du Colisée. Mais ces
persécutions, présentées comme nombreuses et violentes par l'Eglise,
ont-elles vraiment eu lieu ? Ou bien ne s'agissait-il que de fables
destinées à jeter l'opprobre sur les autorités romaines ?
Dernières prières des martyrs
chrétiens, par Jean Léon Gérôme, 1883.
Une première idée très répandue concernant le
christianisme primitif nous explique que ce culte fut minoritaire pendant
les premiers siècles de notre ère, égal aux cultes païens à partir du règne
de l'Empereur Constantin[1],
puis dominant à l'époque de Théodose[2].
En réalité, le christianisme resta pendant très
longtemps une religion minoritaire au sein de l'Empire romain. Ainsi, si ce
culte commença à se diffuser au Proche-Orient (plus précisément en Turquie
actuelle) dès le I° siècle de notre ère, il convient de préciser que le
Nouveau Testament ne fut achevé qu'à compter de 150 après Jésus Christ,
et les traductions en latin n'apparurent qu'à la fin du II° siècle.
Selon la tradition, les chrétiens
subirent dix grandes persécutions, causées par l'intolérance
religieuse des Romains, depuis Néron[3]
jusqu'à Dioclétien[4].
Si aujourd'hui la réalité de ces massacres ne fait
guère de doutes auprès du grand public, il convient toutefois de préciser
que les chrétiens ne représentaient que 5 à 10 % de la population de
l'Empire romain, au début du IV° siècle. Le Proche-Orient, région où le
christianisme était le plus développé, comptait environ 1/3 de fidèles ;
l'on trouvait 10 à 20 % de chrétiens à Rome et en Afrique ; par contre,
l'Italie, la Gaule, l'Hispanie et la Germanie restaient très majoritairement
fidèles au paganisme.
La diffusion du christianisme dans l'Empire romain.
Ainsi, si le christianisme était minoritaire en
l'an 300, il l'était d'autant plus lors des deux premiers siècles de notre
ère. A cette époque, le culte chrétien étant encore très récent, il était
souvent confondu avec le judaïsme par les élites romaines. Une autre idée
reçue présente les premiers chrétiens comme vivant dissimulés dans des
grottes, afin de ne pas être mis à mort pour des raisons religieuses. En
réalité, le christianisme étant considéré comme une
« secte juive[5] »,
il était toléré, au même titre que le judaïsme.
Par ailleurs, d'un point de vue théologique, les
Romains étaient particulièrement tolérants, leur panthéon polythéiste
s'agrémentant de nouvelles divinités au fil des siècles. Cependant, les
autorités se méfiaient moins du christianisme que des cultes à mystère
importés d'Orient. Parmi ces derniers, l'on peut citer : le culte d'Attis,
une divinité d'origine phrygienne (dont les adeptes s'émasculaient) ; le
culte de Dionysos, dieu grec assimilé au Bacchus romain (les
cérémonies religieuses y mêlaient débauches de vin et de sexe) ; et le culte
d'Isis, importante déesse du panthéon égyptien.
Enfin, il convient toutefois de préciser que le
terme
« persécution » provient du latin
persecutio,
qui désignait à l'origine une poursuite judiciaire. En
effet, les attaques contre les chrétiens, lors des premiers siècles de notre
ère, étaient judiciaires avant d'être religieuses.
Le mythe des persécutions religieuses, massives et
systématique, à l'encontre des chrétiens, est donc erroné, du moins pour les
deux premiers siècles de notre ère.
La première persécution contre les chrétiens (plus
tard baptisée persécution de Néron) se déroula en 64 après Jésus
Christ, suite au grand incendie de Rome. Cependant, comme il était
évidemment impossible d'identifier les coupables (d'autant que nombreux
d'incendies se déclaraient accidentellement), les autorités avaient alors
pour habitude de s'attaquer aux minorités.
L'incendie de Rome, par
Hubert Robert.
Cette fois-ci, ce furent les chrétiens qui furent
jugés responsables de la catastrophe. Les sources de l'époque évoquent le
massacre d'une
« multitude immense »
(multitudo ingens en latin), alors qu'au contraire, les estimations
des historiens actuels évoquent un total de 300 victimes (soit environ 0.03
% de la population romaine).
A noter par ailleurs qu'une hypothèse récente
indique que les chrétiens, à l'époque très influencés par l'eschatologie[6],
aurait salué l'incendie de Rome comme un évènement annonciateur de la fin
des temps, ce qui n'aurait guère plu aux autorités de l'époque.
Plus tard, au début du II° siècle après Jésus
Christ, apparut le montanisme, doctrine chrétienne prêchée par
Montanus en Phrygie (région de l'actuelle Turquie). Cette doctrine, elle
aussi marquée par l'eschatologie, prônait l'ascétisme, mais contestait
l'autorité de l'Etat, la hiérarchie et le service militaire.
En 177 fut organisée une nouvelle attaque contre les chrétiens (plus tard
baptisée persécution de Marc-Aurèle, alors que cet Empereur n'eut
aucun lien avec cette affaire), dans la cité de Lyon. A cette date, l'évêque
Pothin fut arrêté, en compagnie d'une cinquantaine de fidèles, qui
furent interrogés puis mis à mort.
Ruines de l'amphithéâtre des trois Gaules (où furent mis à
mort une partie des condamnés), Lyon.
Mais en réalité, les chrétiens de Lyon ne furent pas traduits en justice
pour une question religieuse. Ainsi, Pothin, originaire de Phrygie, était
partisan des thèses montanistes. Les fidèles de cet évêque, prêchant la
désobéissance civile, furent vraisemblablement arrêtés et condamnés à mort
en raison de leur prosélytisme, jugé inacceptable par les autorités
romaines.
La perception qu'avaient les Romains du christianisme évolua à partir du
III°siècle, époque à laquelle les adeptes de ce culte, faisant montre d'une
importante activité de prosélytisme, affichèrent au grand jour leur
hostilité envers le culte de l'Empereur, les jeux du cirque, les relations
entre maîtres et esclaves, le service militaire, etc.
En 250, alors que l'Empire romain était plongé dans une période d'anarchie
(menaces sur les frontières, velléités d’indépendance des provinces,
fragilisation du pouvoir impérial, désobéissance des légions, etc.),
Dèce publia un édit ordonnant à tous les citoyens de
sacrifier aux dieux. Certains chrétiens se
rallièrent à l’Empereur, mais d’autres, refusant de se plier à cette loi,
furent condamnés à mort.
En réalité, nous ne
connaissons pas l'ampleur de cette persécution de Dèce, car
le texte de cet édit ne nous est pas parvenu. Néanmoins, il devait
être vraisemblablement moins sévère qu'on ne pourrait le croire, car
de nombreux évêques et fidèles échappèrent à la mort. Par ailleurs,
les lapsi[7]
demandèrent à être réintégrés au sein de l’Eglise dès 251, preuve que les
persécutions prévues par cet édit firent long feu.
Une autre persécution fut organisée quelques années plus tard, en 257, sous
le règne de l'Empereur Valérien. Ce dernier, soucieux de renflouer
les caisses de l'Etat, organisa une nouvelle persécution, cette fois-ci
dirigée contre les évêques et les fidèles appartenant aux couches sociales
supérieures. Cependant, cette persécution de Valérien fit elle aussi long
feu, prenant fin dès 260, sous le règne de l'Empereur Gallien, qui
proclama un édit de tolérance.
Les sources chrétiennes font ensuite état d'une persécution d'Aurélien,
qui aurait été organisée en 275, mais n'eut vraisemblablement pas lieu ;
enfin, le mouvement anti-chrétien le plus important fut organisé à l'époque
de Dioclétien, instaurateur de la Tétrarchie.
En effet, ce souverain voulait remettre au goût du jour les vieilles
traditions romaines, et affirmer aux yeux de tous les origines divines des
tétrarques : ainsi, de 303 à 304, Dioclétien publia quatre grands
édits, prévoyant la destruction des textes sacrés et des temples chrétiens,
la privation des charges et des droits pour les aristocrates chrétiens, l'arrestation du clergé,
et l'obligation pour les chrétiens de
sacrifier aux dieux (à noter que l'édit s'attaquait aussi aux juifs).
Les tourments de Bacchus et Sergius, deux saints mis à mort
lors des persécutions de 303.
En Occident, la Grande
persécution prit fin dès 305,
suite à la fin de la première tétrarchie, l'édit étant peu appliqué.
Cependant, elles continuèrent encore quelques années dans les provinces
d'Orient, faisant peut-être un total de 20 000 victimes. En 311, l'Empereur
Galère, qui avait succédé à Dioclétien, publia un édit de tolérance
en faveur des chrétiens.
Comme nous l'avons
vu plus tôt, l'Empereur Constantin, favorable au christianisme, se
fit baptiser sur son lit de mort, en 337 ; puis, en 392, l'Empereur
Théodose
interdit le paganisme, faisant du christianisme la
religion officielle de l’Empire.
Dès lors, les
pratiquant des cultes païens furent persécutés à leur tour, et de
nombreux lieux de cultes furent détruits. Cependant, certains de ces
édifices, considérés comme des œuvres d’arts, furent transformés en
églises et échappèrent à la destruction.
Néanmoins, si le
christianisme progressa rapidement au cours du IV° siècle, il est
difficile de déterminer l'instant où il devint majoritaire. En
effet, alors que le christianisme était très répandu dans les
centres urbains, les campagnes, peu évangélisées, restèrent
longtemps fidèles au paganisme.
C'est ainsi que
l'Eglise, bien que prêchant la destruction des idoles païennes,
opéra un syncrétisme avec les anciens cultes : ainsi, la fête des
Lupercales se transforma en Saint Valentin ; Pâques fut associée
à la fête du printemps ; l'Assomption tire ses racines du culte de
Déméter ; la Toussaint, à l'origine fêtée le 13 mai,
coïncidait avec la fête des Lemuria (il s'agissait de l'âme
des défunts ayant rencontré une mort tragique) ; Noël remplaçait les
Saturnales, organisées en fin d'année ; etc.[8]
Au final, l'on peut
constater que les persécutions contre les chrétiens ne furent ni
continues, ni massives, ni systématiques (ni même religieuses dans
la plupart des cas !). En effet, les premiers chrétiens ne furent
traduits en justice qu'en raison de leur prosélytisme virulent, qui
était mal toléré par les autorités romaines. Ainsi, la seule
persécution de grande ampleur, dont la véracité historique est
attestée, fut celle ordonnée par Dioclétien,
[1]
Constantin, premier membre de la dynastie des Constantiniens,
régna sur l'Empire romain de 306 à 337. A cette date, il décida de se faire
baptiser sur son lit de mort, ne voulant pas
« souiller » ce sacrement. Pour en savoir plus sur le
règne de cet Empereur,
cliquez ici.
[2]
Théodose, fondateur de la dynastie des Théodosiens, régna de
378 à 395. En 392, il décida de faire interdire les cultes païens,
faisant du christianisme la religion officielle de l'Empire romain.
Pour en savoir plus sur ce personnage,
cliquez ici.
[3]
Néron qui régna de 54 à 68 après Jésus
Christ, fut le dernier membre de la dynastie des Julio-Claudiens.
Ce dernier fut un souverain
tyrannique et accusé de démence.
Ce dernier fut accusé d'avoir donné l'ordre d'incendier Rome, en
l'an 64. Pour en savoir plus sur cet Empereur, voir le 4, section
II, chapitre quatrième, Histoire de la Rome antique.
[4] Dioclétien
régna de 285 à 313, à une époque où l'Empire se remettait d'une
période d'anarchie ayant duré un siècle. Cet Empereur, afin de
faciliter le gouvernement de ses Etats, instaura la Tétrarchie en
293 : Dioclétien et son ami
Maximien Hercule adoptèrent le titre d'Auguste, l'un
régnant sur l'Orient, l'autre sur l'Occident. En outre, les deux
hommes devaient être assistés par deux Césars, destinés à
seconder leur souverain. Pour en savoir plus sur cette période,
cliquez ici.
[5]
Les auteurs romains du début de notre ère éprouvaient une vive méfiance envers
le culte chrétien, ces derniers assimilant parfois la consommation du corps et
du sang du Christ à du cannibalisme.
[6]
L'eschatologie (du grec eschatos,
ce qui signifie
« dernier », et
logos,
« parole ») est un discours sur la fin des temps, associé à la
théologie et à la philosophie.
[7]
On appelait ainsi les chrétiens qui avaient obéi à l’Empereur (lapsi
signifiant
« ceux
qui ont cédé
»).