Le riz de Camargue, cultivé dans les rizières
situées entre le Gard et les Bouches-du-Rhône, est aujourd'hui un produit
particulièrement réputé. Preuve de son succès, ce dernier bénéficie d'une
indication géographique protégée, une norme européenne permettant de
désigner un produit agricole originaire d'une région précise, et dont la
qualité et la réputation peuvent être attribuées à cette origine
géographique.
Cependant, plusieurs questions restent en suspens. Ainsi, depuis quand le
riz de Camargue est-il cultivé ? Quelle fut son évolution au fil des siècles
? Et surtout, est-il véritablement d'origine camarguaise ?
Différentes variétés de riz de Camargue.
La culture du riz sauvage débuta
vraisemblablement en Chine, à l'époque néolithique, vers 11 500 avant notre
ère. Cependant, cette culture ne fut domestiquée qu'à compter de l'an
9000, grâce à un processus d'hybridation qui donna naissance au riz
cultivé.
Aujourd'hui, aux côtés de l'Oryza
sativa (appelé aussi
« riz asiatique ») et de l'Oryza
glaberrima
(
« riz
africain »), les deux principales espèces de riz cultivé, il existe encore
de nombreuses espèces de riz sauvage, difficiles à cultiver et donc
considérées comme nuisibles pour les rizières.
La culture du riz, progressant vers le
sud-est asiatique, se développa dans la vallée de l'Hindus vers 5000 avant
Jésus-Christ.
Pendant l'Antiquité, le riz fut cultivé
dans le delta du Nil, permettant aux Grecs, puis aux Romains, de découvrir
cette plante.
Cependant, suite à la chute de Rome,
les importations de riz en provenance d'Egypte cessèrent, et ce n'est qu'à
compter du X° siècle que les musulmans importèrent du riz en Espagne (à la
même époque, ils en importèrent aussi en Sicile).
C'est ainsi qu'au cours du Moyen Age,
le riz fit son apparition en France. A noter que cette plante est mentionnée
dans l'ouvrage Le Ménagier de Paris, rédigé entre 1392 et 1394 (à
l'intention de l'épouse de l'auteur, afin de lui apprendre comment tenir la
maison et faire la cuisine).
Extrait du Ménagier de Paris.
A cette date, il existait des rizières
en France, implantées en Provence et en Camargue depuis le XIII° siècle ;
mais à cette date, le riz était encore un produit d'importation. Ainsi, ce
n'est qu'à compter du début du XVII° siècle que la culture du riz de
Camargue s'intensifia, le roi Henri IV ordonnant sa production, comme
celle de la canne à sucre et de la garance dans le sud du pays.
Toutefois, si le riz fut cultivé en
Camargue et en Provence pendant près de 500 ans, son exploitation resta
longtemps d'ordre confidentiel. Ainsi, l'on ne comptait que 800 hectares de
rizières au début du XX° siècle.
En effet, la culture du riz nécessite
d'importantes quantités d'eau, qui à cette époque faisait cruellement défaut
dans le sud de la France. Ainsi, les faibles pluies et la proximité de la
mer entraînaient un processus de salinisation des sols ; en outre, si les
crues du Rhône pouvaient lessiver les terres, elles restaient trop
aléatoires pour être efficace.
Ainsi, jusqu'aux années 1940, la
riziculture servait avant tout à préparer les sols pour d'autres cultures
(principalement la vigne), le riz n'étant pas cultivé ou réservé à la
nourriture des bestiaux. La dernière rizière de Camargue disparut en 1939.
Le riz de Camargue connut toutefois une
spectaculaire renaissance à compter de 1941, grâce à l'arrivée de 1 500
travailleurs originaires d'Indochine, envoyés dans la région par le régime
de Vichy[1].
Travailleurs indochinois dans les
rizières de Camargue.
Ces derniers, vivant dans des
conditions particulièrement difficiles (racisme, pauvreté, etc.), parvinrent
néanmoins à recréer ex nihilo une riziculture de qualité, grâce à
leurs connaissances ancestrales.
C'est ainsi que les rizières de
Camargue connurent une importante expansion en l'espace de quelques années :
400 hectares de terrain en 1944, 3 000 hectares en 1945, atteignant 32 000
hectares en 1950. A cette date, les rizières produisaient 140 000 tonnes de
riz par an.
Les rizières de Camargue aujourd'hui.
Les travailleurs indochinois, quant à
eux, furent invités à rentrer au pays en 1948, suite à la Libération[2].
Aujourd'hui, la production du riz de
Camargue est en baisse depuis plusieurs années, en raison
principalement de la concurrence internationale et de la baisse des
subventions européennes[3].
Ainsi, l'on ne comptait plus que 15 000 hectares de rizières en
2014, pour une production annuelle de 120 000 tonnes (un chiffre qui
n'est pas éloigné à celui de 1950, ce qui s'explique par la
mécanisation des riziculteurs au cours des années 1960).
Cependant, l'on peut légitimement
douter du bien fondé de l'appelation
« riz de Camargue », lorsque l'on sait que la riziculture était
moribonde avant l'arrivée des travailleurs indochinois, qui
réussirent à mettre à profit leur savoir-faire afin de donner un
nouvel essor économique à cette région. Dès lors, l'appelation
« riz d'Indochine » ne serait-elle pas plus pertinente ?
[1]
A noter que 20 000 travailleurs indochinois avaient fait leur arrivée
en France dès l'automne 1939, afin de soutenir l'effort de guerre. Suite à la
défaite de juin 1940, quelques milliers parvinrent à rentrer au pays, mais 14
000 d'entre eux furent bloqués dans le sud de la France jusqu'à la fin de la
Seconde Guerre mondiale.
[2] A noter qu'un
millier d'Indochinois décidèrent de rester en France.
[3]
Les subventions européennes, qui s'élevaient à 800 € par hectare en
2008, devraient diminuer progressivement jusqu'à atteindre 300 € par
hectare en 2019.