Mais cette méthode de travail, incitant les travailleurs à dépasser leurs
limites, est-elle fondée sur un fait réel ? Anton Stakhanov parvint-il
vraiment à dépasser les quotas en l'espace d'une nuit ? Ou bien le
stakhanovisme n'est-il qu'une vaste escroquerie ?
Voici la définition que nous donne le
Petit Robert (édition 1990) au mot stakhanovisme : nom
masculin. (1936, du nom du mineur russe Stakhanov). En URSS,
Méthode d'augmentation du rendement du travail par des initiatives des
travailleurs.
Stakhanov naquit en janvier 1906 à
Lugovaya, dans la région d'Orel.
Agé d'une vingtaine d'années, il commença à travailler à la mine de
Tsentralnaïa-Irmino, près de la cité de Kadievka, dans la région de Luhansk
(aujourd'hui territoire ukrainien).
Ce dernier, affecté à l'équipe des
perforateurs en 1933, accomplit un premier exploit en août 1935, parvenant à
extraire 102 tonnes de charbon en l'espace de presque six heures (soit
quatorze fois le quota demandé à un mineur). Puis, en septembre de la même
année, il pulvérisa son record, extrayant cette fois 227 tonnes de charbon
en l'espace d'une journée.
Stakhanov à la mine.
L'exploit de Stakhanov fut rapidement
récupéré par la propagande communiste, qui alimenta la presse russe des
exploits de ce mineur soviétique. En l'espace de quelques semaines, de
nombreux Russes (ouvriers, agriculteurs, bucherons, cordonniers, tisserands,
etc.), animés par un esprit d'émulation, tentèrent à leur tour d'égaler
l'exploit de Stakhanov.
A noter que ce récit s'exporta aussi à l'étranger, et Stakhanov fit même la
« Une » de l'hebdomadaire américain
Time
en décembre 1935.
Stakhanov à la
« Une » de l'hebdomadaire
Time, décembre 1935.
La méthode stakhanoviste, rencontrant
un grand succès, se propagea dans tout l'URSS à compter de 1936, étant
vantée par le gouvernement soviétique à grands renforts de propagande (c'est
ainsi que les usines furent invitées à organiser des compétitions
stakhanovistes). Ce mouvement entraîna
une grosse augmentation de la
productivité en URSS, qui augmenta de 82 % en 1937. Pendant la Seconde
Guerre mondiale, les stakhanovistes imposèrent des rythmes de travail
démesurés, tels que le dvukhsotnik (200 % des quotas journaliers) ou
le tysyachniki (1000 % des quotas journaliers).
Stakhanov, quant à lui, partit faire
des études à Moscou en 1936, avant d'être nommé directeur de la mine N° 31 à
Karaganda, au Kazakhstan (entre 1941 et 1942). Puis, il fut employé au
ministère de l'Industrie du charbon de l'URSS, entre 1943 et 1957. Pendant
sa carrière, Stakhanov fut décoré de l'Ordre de Lénine (qui
récompensait entre-autres les civils ayant œuvré pour l'Etat), de l'Ordre
du Drapeau Rouge du Travail (récompensant les actes de bravoure et de
performance au travail), et reçut plusieurs autres médailles. A sa mort, en
1978, la cité de Kadievka fut rebaptisée Stakhanov en son honneur.
Cependant, dès les années 1980, le
stakhanovisme commença à être battu en brèche en URSS, considéré comme un
instrument de la propagande stalinienne. En 1988, le quotidien
Komsomolskaya Pravda (ou
« Vérité du Komsomol » en français)
annonça que si Stakhanov avait bien procédé tout seul à l'extraction du
charbon, deux de ses camarades avaient travaillé aux travaux de
consolidation des parois de la galerie.
A noter toutefois qu'à cette date,
l'URSS n'avait pas encore disparu, et les journalistes du
Komsomolskaya Pravda
n'osèrent pas critiquer trop vivement le défunt, encore auréolé par sa
légende. Cependant, l'on sait aujourd'hui que
« l'exploit » de Stakhanov avait été organisé en amont par le
Parti communiste de la mine de
Tsentralnaïa-Irmino, qui à
l'époque possédait un matériel de mauvaise qualité, ne disposait pas de
travailleurs qualifiés, et ne remplissait donc pas ses quotas. C'est ainsi
que Stakhanov fut mis en avant, équipé du meilleur matériel possible, et
assisté dans sa tâche par de nombreux ouvriers, chargés non seulement de
consolider les parois de la mine, mais aussi d'extraire le charbon et de le
ramener à la surface.
Cependant, le mouvement stakhanoviste
eut aussi des effets pervers, provoquant la détérioration rapide des
équipements à cause des cadences forcées, mais aussi une baisse de la
qualité de la production. En outre,
la hausse démesurée des
objectifs à atteindre entraîna une dégradation du niveau de vie du peuple
russe : multiplication des sanctions contre les
« mauvais ouvriers », lutte contre l'absentéisme et les
retardataires, augmentation du temps de travail, peines de prison pour les
travailleurs récalcitrants, etc.