CHAPITRE QUATRIÈME :
Charles VII le Victorieux, du désespoir à la victoire
III :
Les heures sombres (1431 - 1448)
La mort de Jeanne d’Arc, en mai 1431,
ne provoqua que peu d’émoi en France, l’évènement étant quasiment passé
inaperçu à l’époque.
A
cette date, Charles VII avait effectivement remporté la campagne de la
Loire, parvenant à se faire sacrer roi de France à Reims. Cependant, ce
dernier n’avait toujours pas réussi à prendre un avantage décisif sur ses
ennemis anglo-bourguignons.
1° Nouvelle guerre civile, vieille guerre de
Cent Ans – En juin 1431, la lutte d’influence entre le connétable Arthur
III de Richemont (frère du duc de Bretagne Jean V.) et le conseiller du roi
Georges de la Trémoille, qui avait connu une accalmie au cours de la
campagne de la Loire, s’enflamma à nouveau.
La
France, qui n’était pas encore sortie du conflit opposant Armagnacs et
Bourguignons, sombra ainsi dans une nouvelle guerre civile.
a)
La bataille de Bugnéville (juillet 1431) : en juillet 1431, René
d’Anjou (fils de Yolande d’Anjou, belle mère de Charles VII.) se
retrouva confronté à Antoine I°, comte de Vaudémont et sire de
Joinville.
En
effet, le beau frère du roi avait épousé Isabelle de Lorraine en 1420, fille
du duc de Lorraine Charles II. Ce dernier étant décédé en 1431, René
d’Anjou reçut ainsi le duché de son beau père en héritage.
Cependant, Antoine de Vaudémont avait des vues sur cet Etat (son père
Ferry I° était le frère du duc défunt.).
Proche du duc de Bourgogne, le comte de Vaudémont décida alors d’affronter
les troupes de son adversaire au cours de la bataille de Bugnéville.
René d’Anjou, vaincu, fut alors fait prisonnier et remis aux Bourguignons.
La
Trémoille, qui avait alors l’avantage sur le connétable, décida de profiter
de la situation et envoya des bandes de routiers contre l’Anjou et le Poitou
(à noter que le connétable était allié aux Angevins.). Ces troupes, dirigées
par Rodrigue de Villandro, surnommé l’Empereur des brigands,
causèrent de nombreux ravages dans les régions traversées.
b)
Le sacre d’Henri VI (décembre 1431), coups de force contre les Anglais
(février 1432) : Depuis la signature du traité de Troyes, en mai 1420,
les Anglais avaient étendu leur domination sur tout le nord de la France.
Cependant, ces derniers étaient de plus en plus contestés dans les
territoires occupés, mais Charles VII n’avait pas les moyens de mener une
lutte efficace contre l’Angleterre.
Le
duc de Bedford décida alors de profiter de cette situation peu brillante,
faisant couronner son neveu Henri VI à Notre Dame de Paris, en décembre
1431.
Henri VI, gravure issue de l'ouvrage
Cassell's history of England, Angleterre, 1902.
Le
duc de Bourgogne, dont les liens avec les Anglais se distendaient de plus en
plus, ne participa pas à la cérémonie (sa sœur Anne, épouse du duc de
Bedford, était décédée en novembre de la même année.).
Gisant d'Anne de Bourgogne, duchesse de
Bedford, musée du Louvre, Paris.
Cependant, les successives défaites anglaises lors de la campagne de la
Loire avait redonné espoir aux partisans de Charles VII.
De
ce fait, en février 1432, les seigneurs normands se révoltèrent, indisposés
par les pillages opérés par les garnisons anglaises se trouvant dans la
région. Cependant, cette insurrection prématurée fut rapidement matée.
Par contre, plusieurs chefs de guerre français (Ambroise de Loré, La Hire et
Dunois, compagnons de Jeanne d’Arc.), parvinrent à tenter quelques coups de
force contre les Anglais dans le Maine et en Ile de France.
c)
L’accord de Rennes (mars 1432) : Bedford, décidant de mettre à son
avantage le conflit opposant La Trémoille et Richemont, décida de se
rapprocher de ce dernier. Disposé à offrir au connétable la Touraine, la
Saintonge, le pays d’Aunis et La Rochelle, Richemont préféra refuser.
C’est ainsi que La Trémoille, se rendant compte que son différent avec le
connétable pourrait coûter très cher au royaume de France, décida de se
rapprocher de Richemont.
C’est ainsi que les deux adversaires et Charles VII conclurent ensemble un
accord à Rennes, en mars 1432.
Cependant, bien que la paix fut signée entre le connétable et La Trémoille,
ce dernier conservait toujours tout ses pouvoirs à la cour. Richemont décida
alors de se retirer dans son château de Parthenay, attendant son heure.
d) Agitation parisienne (été 1432) : la guerre s’éternisant, et pas à
l’avantage des Anglais, les Parisiens commencèrent eux aussi à montrer des
signes d’agitation, à l’instar des seigneurs normands. En effet, si ces
derniers avaient accepté le traité de Troyes, en mai 1420, c’était en
pensant pourvoir obtenir finalement la paix, après près de 80 ans de guerres
incessantes.
En
août 1432, les troupes de mercenaires engagées par Charles VII ravageaient
l’Ile de France, ce qui était loin de favoriser le commerce dans la
capitale.
Dans le courant de l’été, un petit groupe de partisans du roi tenta d’ouvrir
les portes de la ville aux troupes de Charles VII, mais en furent empêchés
par des Bourguignons.
e) Contre attaque anglaise et élimination de La Trémoille (printemps
1433) : bien que contestés, les Anglais n’avaient cependant aucune
intention d’abandonner la lutte. Au cours du printemps 1433, le duc de
Bedford envoya ses troupes dans le Maine, qui progressèrent jusqu’à Angers.
A
noter que cette incursion anglaise en Anjou ne déplut pas à Georges de La
Trémoille, qui ne s’interposa pas contre les hommes du duc de Bedford.
Exaspéré par le comportement passif de La Trémoille, Richemont, allié aux
Angevins, décida alors d’en finir avec son adversaire dans le courant du
mois de juin.
Pour ce faire, le connétable envoya alors ses hommes au château de Chinon.
Surpris dans son lit, le favori du roi reçut un coup de dague dans le ventre
et fut emprisonné au château de Montrésor.
Souscrivant à toutes les conditions qu’on lui imposa et payant une lourde
rançon, La Trémoille fut libéré à condition de ne plus reparaître à la cour.
Charles VII n’intervint pas lors de cette altercation, et le poste de favori
échut à Charles d’Anjou, le frère cadet de René d’Anjou.
2° Renouveau de la lutte contre les Anglais –
L’élimination de La Trémoille, mettant fin à la guerre civile, délivra
ainsi le royaume de France d’un conflit stérile et faisant le jeu de
l’Angleterre.
a) Nouveaux coups de force contre les Anglais, nouvelle révolte des
Normands (fin 1434) : à partir du mois de septembre 1434, les finances
royales commencèrent à se porter mieux, le roi recevant l’autorisation par
les Etats Généraux réunis à Tours de lever une taxe sur les fouages.
A
la même époque, les chefs de guerre français, Ambroise de Loré, La Hire et
Villandro tentèrent plusieurs coups de force autour de la capitale.
Compiègne fut prise, et des partisans de Charles VII tentèrent une nouvelle
fois d’ouvrir les portes de paris (des Parisiens fidèles aux Bourguignons
les en empêchèrent une nouvelle fois.).
Le
duc de Bedford, qui avait conservé son titre de régent bien que son neveu
ait été couronné depuis plusieurs mois déjà, décida de lever des subsides
afin de lutter contre les partisans de Charles VII.
En
septembre 1434, il décida de réunir les états de Normandie à Rouen, exigeant
d’eux l’octroi forcé d’un subside de 344 000 livres.
Scandalisés par ces exigences fiscales du régent, les Normands se
révoltèrent une fois de plus. Ces derniers s’attaquèrent violemment aux
Anglais au cours de l’hiver 1434.
b) Le traité d’Arras (septembre 1435) : se rassemblant au mois de
janvier 1435 à Poitiers, les Etats Généraux votèrent une taille de 120 000
livres, ce qui permit à Charles VII de recruter de nouveaux combattants au
sein de son armée (en mai 1435, la bataille de Gerberoy opposa La
Hire et Xaintrailles à l’armée anglaise, en Picardie.).
La bataille de Gerberoy, par Martial
d'Auvergne, enluminure issue de l'ouvrage Vigiles de Charles
VII,
Paris, France, XV°siècle.
Le
duc de Bourgogne, se rendant compte que les Anglais étaient dans une
mauvaise passe, et poussé par les Parisiens qui lui réclamaient la paix,
accepta de se rapprocher de Charles VII.
En
outre, Philippe le Bon était alors en mauvais termes avec l’Empereur
germanique Sigismond de Hongrie, qui voyait d’un mauvais œil la montée en
puissance du Bourguignon (rappelons qu’en 1428, le duc de Bourgogne s’était
emparé de manière quelque peu frauduleuse des Etats de Jacqueline de Bavière[1].).
Portrait de l'Empereur Sigismond, par Albrecht DURER, 1514, Deutsches historisches museum, Berlin
(à gauche) ; Philippe le Bon, duc de Bourgogne, XV° siècle, château de
Chantilly, Chantilly (à droite).
C’est ainsi que se tint à Arras, en août 1435, une importante conférence de
paix, réunissant de nombreux souverains d’Europe (l’Empereur germanique
Sigismond de Hongrie, une délégation anglaise, le légat du pape, les
représentants des rois de Pologne, Castille, Aragon, etc.).
A
l’origine, cette réunion devait permettre aux Français et aux Anglais de
trouver une issue à la guerre de Cent Ans. Cependant, les deux camps ne
tardèrent pas à se brouiller une fois de plus.
Par contre, les discussions se poursuivirent entre la France et la
Bourgogne, qui aboutirent à la signature du Traité d’Arras, en
septembre de la même année.
L'assemblée d'Arras, par Martial
d'Auvergne, enluminure issue de l'ouvrage Vigiles de Charles
VII,
Paris, France, XV°siècle.
Charles VII reconnut sa culpabilité dans le meurtre de Jean sans Peur,
cédant au duc de Bourgogne le comté de Macon et le comté d’Auxerre, la
châtellenie de Bar sur Seine, Péronne, Montdidier et Roye, ainsi que les
villes de la Somme (Saint Quentin, Corbie, Amiens, Abbeville.). En outre,
Philippe le Bon, bien que restant vassal du roi de France, ne lui devait
plus hommage.
En
échange, le duc de Bourgogne s’engageait à abandonner l’alliance avec
l’Angleterre.
Suite à la signature de cet accord, la Bourgogne obtenait une indépendance
de fait, que le successeur de Philippe le Bon tenta de concrétiser plusieurs
années plus tard.
Au
même moment moururent le duc de Bedford, à Rouen ; ainsi qu’Isabeau de
Bavière, dans l’hôtel Saint Pol, à Paris.
La mort d'Isabeau de Bavière, par Martial d'Auvergne, enluminure issue de
l'ouvrage Vigiles de Charles
VII,
Paris, France, XV°siècle.
La mort d'Isabeau de Bavière, par Paul Lehugeur, XIX° siècle.
c) Prise de Paris (avril 1436) : le traité d’Arras, bien que mal
accepté par les Armagnacs et leurs alliés angevins, fut accueilli avec
bienveillance en Normandie. Le pays, révolté contre l’Angleterre, ranima les
espoirs des populations occupées.
C’est ainsi que Dieppe fut prise et que le pays de Caux se révolta contre
les Anglais. En novembre, les Français prirent Etampes, et La Hire s’empara
de Saint Denis.
Le siège de Dieppe, par Martial d'Auvergne, enluminure issue de l'ouvrage Vigiles de Charles
VII,
Paris, France, XV°siècle.
Cependant, les Anglais contre attaquèrent en Normandie au cours de l’hiver,
et engagèrent une sanglante lutte contre les insurgés normands.
Une fois le duc de Bourgogne séparé des Anglais, Charles VII avait dès lors
les mains libres. Au mois de février, le roi de France obtint des Etats
Généraux rassemblés à Poitiers le doublement de la taille, et promit
l’amnistie aux Parisiens.
Au
mois d’avril, les Parisiens exaspérés par l’occupation anglaise décidèrent
d’ouvrir les portes à l’armée du connétable, qui se trouvait sous les murs
de la capitale.
Le connétable de Richemont entre dans Paris, gravure issue de l'ouvrage
Histoire de France, par François GUIZOT, France, 1875.
La
garnison anglaise se trouvant dans la capitale tenta d’empêcher les
Parisiens de faire pénétrer l’armée de Charles VII dans la ville, en vain.
Voyant les hommes de Richemont entrer dans la ville, les Anglais
décidèrent alors de se réfugier à la bastille. Epargnés par Charles VII, les
Anglais et les Parisiens ayant le plus collaboré avec eux eurent la
permission de quitter la ville et de s’embarquer pour Rouen.
La prise de Paris, par Martial
d'Auvergne, enluminure issue de l'ouvrage Vigiles de Charles
VII,
Paris, France, XV°siècle.
La reprise de Paris sur les Anglais,
par Jean Simon BERTHELEMY, 1787, musée du Louvre, Paris.
La
nouvelle de la prise de Paris par les troupes de Charles VII fut d’une
portée considérable. Cependant, il est important de noter que le roi ne
retourna pas immédiatement dans la capitale.
Au
mois de juin, Charles VII réactiva la Vieille Alliance[2],
mariant son fils Louis (le futur Louis XI.) avec Marguerite,
fille du roi d’Ecosse Jacques I°.
Marguerite d'Ecosse à Tours, par Jean Chartier, enluminure issue de
l'ouvrage Chronique,
Belgique, XV°siècle.
C’est à cette occasion que le roi de France fit la
connaissance de Jacques Cœur, maître des monnaies de la ville de Bourges.
En effet, ce dernier ne tarda guère à s’attirer la sympathie du roi en lui
prêtant d’importantes sommes d’argent.
Le palais de Jacques Coeur à Bourges, gravure issue de l'ouvrage Histoire
de France, par François GUIZOT, France, 1875.
Au
cours de l’hiver 1436, le connétable de Richemont décida de poursuivre sa
lutte contre l’Angleterre, marchant sur la Picardie, la Champagne et la
Lorraine.
Allié avec les Angevins, Richemont entamant alors des négociations avec le
duc de Bourgogne, afin de faire libérer René d’Anjou, prisonnier des
Bourguignons depuis l’été 1431. En effet, l’angevin avait vu le coût de sa
rançon augmenter au fil des mois : en février 1434, la reine de Sicile
Jeanne II de Naples avait fait de lui son fils adoptif et successeur ;
en juin de la même année, le frère Louis III[3]
mourut sans héritiers, cédant la place à René d’Anjou.
Richemont parvint à faire libérer l’angevin contre l’abandon de la ville de
Cassel, de toutes les prétentions sur la Flandre, et le paiement d’une
rançon de 400 000 ducats.
Richemont, bien que manquant de moyens, poursuivit tant bien que mal sa
lutte contre l’Angleterre. A la fin de l’été 1437, il s’empara de Nemours et
de Malesherbes, garantissant à nouveau les communications entre la capitale
et la vallée de la Loire.
En
octobre, Charles VII passa lui-même à l’action, mettant le siège devant
Montereau et s’emparant rapidement de la ville.
La prise de Montereau, par Martial
d'Auvergne, enluminure issue de l'ouvrage Vigiles de Charles
VII,
Paris, France, XV°siècle.
Ce
n’est finalement qu’au mois de novembre 1437 que Charles VII daigna rentrer
dans Paris, après plus de quinze années d’exil.
Charles VII rentre dans Paris, par
Martial d'Auvergne, enluminure issue de l'ouvrage Vigiles de Charles
VII,
Paris, France, XV°siècle.
Cependant, le roi refusa de rester trop longtemps dans la capitale, la
région étant encore peu sûre (à noter qu’en février 1437, les Anglais
s’étaient emparés de Pontoise par la ruse.).
La prise de Pontoise par les Anglais, par
Martial d'Auvergne, enluminure issue de l'ouvrage Vigiles de Charles
VII,
Paris, France, XV°siècle.
d) Praguerie et contre attaques anglaises : Les Anglais, maîtres de
Pontoise, mirent cet avantage à profit pour lancer de nombreux raids contre
l’Ile de France. Richemont échoua à reprendre la cité au mois d’avril 1438,
et perdit Saint Germain en Laye en avril 1439.
Recevant finalement des troupes fraîches à la fin de l’été 1439, le
connétable parvint à s’emparer de Meaux.
La prise de Meaux, par Jean Chartier, enluminure issue de l'ouvrage Chronique,
Belgique, XV°siècle.
Ce
succès fut chaudement salué par les députés des états de langue d’Oïl,
réunis à Orléans en septembre. L’assemblée vota alors un subside de 100 000
livres pour la continuation de la guerre et la réorganisation de l’armée.
En
novembre, Charles VII signa une première ordonnance relative à la
réorganisation de l’armée. Il interdit en effet aux seigneurs ayant des
garnisons dans leur château de lever des troupes, ce qui devint une
prérogative royale.
Cette réforme ne fut guère acceptée par les grands du royaume, qui
décidèrent de se révolter contre le roi de France.
Cette révolte, surnommée la Praguerie[4],
réunit plusieurs seigneurs de haut rang, comme Charles I° de Bourbon,
Dunois, Jean II d’Alençon, ainsi que le dauphin.
Les meneurs de la Praguerie, par Martial d'Auvergne, enluminure issue de
l'ouvrage Vigiles de Charles
VII,
Paris, France, XV°siècle.
Au
début de l’année 1440, Richemont fut envoyé lutter contre les insurgés, qui
furent rapidement maîtrisés. Charles VII décida alors d’être clément,
pardonnant aux seigneurs révoltés.
Les Anglais menés par Talbot, surent profiter à bon escient de la Praguerie,
attaquant une fois de plus la Normandie. Richemont ne put conserver
Harfleur, mais parvint à s’emparer de Conches et de Louviers, coupant ainsi
les communications anglaises vers la Seine.
A
noter qu’en avril 1440, après avoir été nommé grand argentier du roi,
Jacques Cœur fut anobli par Charles VII.
Jacques Coeur, par Auguste PREAULT, Montpellier.
En
novembre 1440, Charles d’Orléans fut finalement libéré des geôles anglaise,
après 25 années de captivité (il avait été fait prisonnier suite à
la bataille d’Azincourt, en 1415.).
Il
épousa alors en secondes noces Marie de Clèves, petite fille de Jean
sans Peur et nièce de Philippe le Bon[5].
e) Attaques françaises contre Pontoise et l’Aquitaine (1441 à 1443) :
Au printemps 1441, les Parisiens étaient toujours menacés par les Anglais
réfugiés à Pontoise. Charles VII, accompagné par Richemont, décida alors de
conduire lui-même un siège contre la cité.
Equipés d’une puissante artillerie, fruit du travail des frères Jean
et Gaspard Bureau, les Français percèrent les murs de Pontoise, et la cité
tomba en septembre 1441.
Couleuvrine à main (en haut) et chambre de canon (en bas), XV° siècle, musée
de Cluny, Paris.
La prise de Pontoise, par Jean Chartier, enluminure issue de l'ouvrage Chronique,
Belgique, XV°siècle.
Au
cours de l’été 1442, Charles VII décida de frapper dans les régions les plus
favorables aux Anglais, c'est-à-dire en Guyenne et en Gascogne. Accompagné
de Richemont, le roi parvint à s’emparer de Tartas, une forteresse entre les
mains des Anglais, située non loin de Mont de Marsan.
Le siège de Tartas, par Martial
d'Auvergne, enluminure issue de l'ouvrage Vigiles de Charles
VII,
Paris, France, XV°siècle.
Dax capitula devant le roi de France peu de temps après mais l’hiver venant,
la campagne prit fin (à noter que Yolande d’Anjou, belle mère de Charles
VII, mourut en novembre 1442.).
Au
printemps 1443, le roi de France et René d’Anjou (qui entre temps avait
perdu le royaume de Sicile.) se rencontrèrent à Toulouse, et résolurent de
porter les armes contre le Maine, où la présence anglaise se faisait encore
menaçante.
C’est au cours de cette entrevue que Charles VII
rencontra Agnès Sorel, qui devint sa maîtresse au cours des mois qui
suivirent (A noter que cette jeune femme fut la première maîtresse
« officielle » des rois de France. En effet, les souverains français
n’avaient eu jusque là que des aventures discrètes et généralement
promptes...).
Portrait d'Agnès Sorel, par Jean Fouquet,
BnF, département des Estampes, Paris.
Agnès Sorel, gravure issue de l'ouvrage Histoire de France, par François GUIZOT,
France, 1875.
A
noter qu’au mois d’avril, les Anglais tentèrent un raid raté contre Angers,
capitale du duché d’Anjou.
3° Nouveaux ennemis, nouvelles guerres (1443 à
1448) – Cependant, si Charles VII multipliait les victoires, la guerre
était loin d’être terminée. En outre, ces nombreux combats étaient financés
par le peuple, qui était las des misères engendrées par le conflit.
Les Anglais eux aussi étaient convaincus du bien fondé de la mise en place
de la paix, ou du moins d’une trêve (à noter que le jeune Henri VI, né d’une
mère française, était loin d’avoir le même état d’esprit que son père.).
a) La trêve de Tours (avril 1444) : des négociations entre Français
et Anglais commencèrent donc à avoir lieu en avril 1444 à Tours. Charles
VII, représenté par Pierre de Brézé (un protégé d’Agnès Sorel.),
proposa aux Anglais de leur céder l’Aquitaine et une partie de la
Normandie ; en échange, Henri VI s’engageait à prêter hommage au roi de
France pour ses possessions sur le continent. Au contraire, le souverain anglais,
représenté par William Pole, désirait obtenir la suzeraineté sur la
Normandie et l’Aquitaine.
Ne
parvenant à trouver un accord, les deux adversaires décidèrent de signer une
trêve, consolidée par le mariage de
Marguerite d’Anjou[6]
au jeune roi d’Angleterre (la noce ne fut cependant célébrée qu’en mars
1445.).
Le mariage d'Henri VI et de Marguerite d'Anjou, par Martial d'Auvergne,
enluminure issue de l'ouvrage Vigiles de Charles
VII,
Paris, France, XV°siècle.
Tournoi célébré en l'honneur des noces d'Henri VI, par Martial d'Auvergne,
enluminure issue de l'ouvrage Vigiles
de Charles VII, Paris, France, XV°siècle.
Les deux belligérants s’engagèrent ainsi à ne pas prendre les armes l’un
contre l’autre jusqu’en avril 1446.
En
outre, les Anglais s’engagèrent à quitter le Maine, mais ne tinrent pas leur
promesse.
b) Le dauphin contre les cantons suisses (été 1444) : Charles VII
décida alors de mettre cette trêve à profit. Répondant à l’appel du duc
Frédéric d’Autriche, le roi de France envoya ses armées en Suisse, afin
de réprimer l’insurrection des cantons (été 1444.).
L'Autriche médiévale (1415).
Charles VII confia cette armée composée en majorité de mercenaires entre les
mains du dauphin.
Louis XI menant son armée contre les
cantons suisses insurgés, par Martial d'Auvergne, enluminure issue de
l'ouvrage Vigiles de Charles
VII,
Paris, France, XV°siècle.
Les Suisses résistèrent, causant de graves pertes à l’armée française. En
outre, le comportement des mercenaires ne tarda pas à susciter le
mécontentement du duc de Bourgogne et de l’Empereur germanique.
Finalement, le dauphin décida de signer un traité de paix avec les cantons
suisses en octobre 1444, acceptant de se retirer des territoires dont il
s’était emparé.
c) La campagne de Lorraine (hiver 1434 à printemps 1435) : au même
moment, en septembre 1444, Charles VII et René d’Anjou décidèrent de se
lancer dans la campagne de Lorraine, la région ayant connu pendant trop
longtemps la domination anglo-bourguignonne.
Le
prétexte fut vite trouvé : Isabelle de Lorraine, l’épouse de René, avait été
stoppée par les habitants de Pont à Mousson alors qu’elle se rendait faire
un pèlerinage dans la cité (le duc d’Anjou devait en effet d’importantes
sommes d’argent aux Messins.).
L’affront fut rapidement vengé : Toul et Verdun ouvrirent leurs portes aux
Français, et Charles VII entreprit le siège de Metz et de Pont à Mousson.
Finalement, un traité de paix fut signé entre les belligérants en février
1445. Une fois de plus, Charles VII fut magnanime, n’exigeant des Messins
que l’annulation des dettes de René d’Anjou.
Cette campagne de Lorraine fut une franche réussite pour le roi de France,
qui rehaussa son prestige dans les territoires de l’Est. Il parvint ainsi à
s’allier avec les principautés rhénanes, dont les rapports avec la Bourgogne
n’étaient pas au beau fixe.
d) Les compagnies d’ordonnance (mai 1435) : en mai 1445, le roi de
France réorganisa l’armée en profondeur, créant les compagnies
d’ordonnance.
Tous les capitaines du royaume et leurs hommes reçurent l’ordre de se
présenter devant le connétable, afin que ce dernier les passe en revue et ne
conserve que les meilleurs éléments.
Les capitaines retenus furent alors placés à la tête de nouvelles
compagnies, dites d’ordonnance car ordonnées par le souverain et non pas par
les capitaines.
L’armée fut dès lors organisée en lances, chacune d’entre elles étant
composée d’un chevalier (il ne s’agissait pas toujours d’un noble, car seuls
les plus fortunés pouvaient acquérir le coûteux équipement requis.), de deux
archers (montés ou pas.), d’un coutilier[7],
d’un page[8]
et d’un valet (ces deux derniers ne se battaient pas mais avaient pour
fonction de s’occuper de l’intendance.).
Environ cent lances formaient une compagnie d’ordonnance. En 1445, Charles
VII avait 15 compagnies sous ses ordres (environ 10 000 hommes.), qui
formaient la grande ordonnance.
L’application de cette loi fut difficile à mettre en place. Si la cavalerie
et l’artillerie furent rapidement réorganisées (la cavalerie était composée
de nobles et l’artillerie n’avait fait son apparition sur les champs de
bataille que très récemment.), ce ne fut pas le cas de l’infanterie, alors
considérée comme un élément secondaire.
L’année suivante, en mai 1446, les états de langue d’oc réunis à Montpellier
votèrent au roi un subside de 170 000 livres.
e) La révolte du dauphin (été 1446) : le dauphin Louis, qui détestait
son père et avait hâte de régner, était mécontent de sa situation. Le roi ne
lui confiait aucune tache importante, le Dauphiné était une région pauvre,
et l’expédition de 1444 contre la Suisse avait été un échec.
En
outre, son épouse Marguerite, décédée en août 1445, avait toujours été plus
proche de Charles VII que de son mari.
Louis décida alors d’exciter le Midi contre Charles VII, en vain (juin
1446.). Cependant, les villes du sud ne se laissèrent pas convaincre et le
roi fut rapidement mis au courant des agissements de son fils.
Charles VII décida alors d’envoyer son fils dans le Dauphiné, et les deux
hommes ne se revirent plus jamais.
4° Le Grand Schisme d’Occident et ses
persistances (1378 à 1438) – L’Europe, alors agitée par le conflit entre
la France et l’Angleterre, était en outre confrontée au Grand Schisme
d’Occident, qui s’était déclenché dans le courant du XIV° siècle.
a) Le grand Schisme d’Occident (1378 à 1415) : depuis 1305, les papes
avaient quitté Rome et vivaient en Avignon. Le premier à avoir fait ce
choix, le Français Clément V, était un proche du roi de France Philippe le
Bel.
Depuis cette date, tous les papes qui s’étaient succédés étaient d’origine
française, et avaient nommé de nombreux cardinaux, d’origine française eux
aussi. En 1377, Grégoire XI mourut, et l’année d’après fut élu Urbain VI à
Rome.
Le
nouveau pontife ne tarda guère à s’opposer aux cardinaux français, qui
élurent Clément VII en Avignon.
Pendant plusieurs années, deux papes coexistèrent, l’un résidant en Italie,
l’autre en France. Afin de sortir de la crise, les cardinaux se réunirent au
cours du concile de Pise, déposant les deux papes et en élisant un
nouveau, Alexandre V. Cependant, Grégoire XII, à Rome, et
Benoît XIII, en Avignon, excommunièrent les conclavistes et ne
reconnurent pas leur décision. De ce fait, il n’y avait plus deux, mais
trois papes à la tête de l’Eglise.
En
1415, les cardinaux décidèrent de réunir lors du concile de Constance, après s’être
rapprochés des souverains pontifes. Grégoire XII accepta d’abdiquer, et
Jean XXIII (qui avait succédé à Alexandre V.) fut déposé. C’est ainsi
que fut élu Martin V.
L'élection de Martin V lors du concile de Constance, par Jörg BREU,
enluminure issue de l'ouvrage Chroniques du concile de Constance,
Augsburg, 1483, Deutsches historisches museum, Berlin.
Cependant, Benoît XIII, réfugié en Aragon, refusa de quitter sa tiare. Il
mourut antipape en 1423 et fut remplacé par Clément VIII (à noter que
ce dernier abdiqua de son plein gré, après que le roi d’Aragon Alphonse V
se soit rallié à Martin V.).
Alphonse V d'Aragon, attribué à Mino DI GIOVANNI (dit Mino DA FIESOLE), XV°
siècle, musée du Louvre, Paris.
b) Persistances du Grand Schisme (1415 à 1438) : le Grand Schisme,
bien qu’ayant pris fin en 1415, avait été lourd de conséquences. Papes et
antipapes s’excommuniant l’un l’autre, quelle était la valeur des sacrements
qu’ils prodiguaient ? En outre, ces luttes de pouvoir étaient bien loin de
respecter les enseignements du christ. Les ordres mendiants, qui
contestaient la richesse de l’Eglise, recevaient de nombreux soutiens à
travers l’Europe. Enfin, de nombreux prédicateurs ne cessaient que contester
la corruption de l’Eglise, comme Jan Hus en Bohême (ce dernier,
condamné à périr sur le bûcher en 1415, est aujourd’hui considéré comme un
précurseur du protestantisme.).
Jan Hus condamné au bûcher
suite au concile de Constance, par Jörg BREU, enluminure issue de l'ouvrage
Chroniques du concile de Constance,
Augsburg, 1483, Deutsches historisches museum, Berlin.
Cependant, bien que le Grand Schisme ait prit fin, l’Eglise se retrouva à
nouveau plongée dans la crise, sous le règne du pape Eugène IV, qui
avait succédé à Martin V en 1431.
Eugène IV, par Jean fouquet, gravure
issue de l'ouvrage d'Onofrio Panvinio, Onuphrii Panvinii Veronensis
Fratris Eremitæ Augustiniani XXVII Pontificum maximorum Elogia et imagines
accuratissime ad vivum æneis typis.
Les cardinaux réunis à Bâle profitèrent alors de l’absence du souverain
pontife pour proclamer la proéminence du concile sur la volonté du pape.
Les cardinaux prirent alors une série de mesures, qui ne furent guères
appréciées par Eugène IV. Les conclavistes envoyèrent alors ces textes
auprès de Charles VII, qui était alors en froid avec le pape.
C’est ainsi que naquit la Pragmatique Sanction de Bourges en juillet
1438.
Reprenant les acquis du concile de Bâle, la Pragmatique Sanction dénonçait
les abus de la papauté, limitant les pouvoirs du pape et réaffirmant le rôle
prépondérant des conciles (il devait se tenir un concile tous les deux ans,
l’assemblée étant supérieure au pape.).
Les annates (un impôt perçu par la papauté en cas de vacance d’un
évêché ou d’une abbaye.) furent supprimées ; les évêchés et abbayes
n’étaient plus conférés par le pape mais par des religieux, suite à des
élections approuvées par le roi ; les spectacles profanes dans les églises
furent interdits.
A
noter que la Pragmatique Sanction ne fut cependant appliquée que dans le
domaine royal et les seigneuries voisines.
La
Pragmatique Sanction était évidemment inacceptable pour Eugène IV, qui avait
pourtant reçu le soutient de Charles VII contre Félix V (voir ci
après.). C’est ainsi que de
longues discussions s’ouvrirent entre la France et Rome[9].
Eugène IV, qui était alors en contact avec l’Eglise d’Orient, décida alors
de transférer le concile de Bâle vers Ferrare, puis vers Florence (les
Byzantins souhaitaient que la réunion se tienne près de Constantinople, afin
d’être plus proches de leur cité, alors menacée par les Turcs[10].).
Les cardinaux, qui avaient déjà suspendu les pouvoirs du pape en janvier
1438, décidèrent de le déposer en juin, élisant l’antipape, Félix V
(ce dernier ne parvint cependant pas à recueillir les suffrages des
monarques européens, et finit par se soumettre devant Nicolas V, le
successeur d’Eugène IV.).
Félix V faisant allégeance à Nicolas V, par Martial d'Auvergne, enluminure
issue de l'ouvrage Vigiles de Charles
VII,
Paris, France, XV°siècle.
A
noter que lors du concile de Florence, réuni en 1439, l’Eglise byzantine
proclama l’acte d’union avec Rome, Constantinople étant désireuse de
recevoir l’aide des Européens contre la menace turque. Cependant, cette
union ne dura guère longtemps.
[1]
Pour en savoir plus sur la main mise de Philippe le Bon sur les
Etats de Jacqueline de Bavière, voir le 4, section I, chapitre
quatrième, les Valois.
[2]
La Vieille Alliance fut créée en 1165, unissant la France, l’Ecosse
et la Norvège contre l’Angleterre. Ce traité fut invoqué à plusieurs
reprises au cours de l’Histoire. Cette alliance garantissait la
double nationalité entre les deux Etats, permit l’implantation d’un
fort courant francophone en Ecosse, et autorisa de nombreux Ecossais
à s’engager comme mercenaires au service du roi de France. A noter
que le souvenir de cette alliance est toujours très ancré dans la
mémoire des Ecossais, qui la considèrent comme le symbole de leur
indépendance vis-à-vis de l’Angleterre.
[3]
Louis III avait succédé à son père Louis II d’Anjou.
[4]
Cette révolte fut appelée ainsi en mémoire de la révolte des
partisans de Jan Hus à Prague, au début du XV° siècle. Les
Hussites (que l’on peut considérer comme les précurseurs du
protestantisme.) étaient en effet en lutte contre l’Eglise
catholique et l’Empire germanique.
[5]
De leur union naquit le futur roi de France Louis XII, en
juin 1462.
[6]
Marguerite d’Anjou était la fille de René d’Anjou, fils de Yolande
d’Anjou, belle mère de Charles VII.
[7]
Le coutilier était un soldat armé d’une lance et d’une longue dague.
[8]
Entre 7 et 14 ans, les jeunes nobles servaient un chevalier comme
page afin de se préparer à combattre au cours de l’âge adulte.
[9]
La Pragmatique Sanction de Bourges, allégée sous le règne de
Louis XI, fut annulée lors de la signature du concordat de
Bologne par François I° et Léon X en 1516.
[10]
Pour en savoir plus sur le concile de Ferrare et la situation de
l’Empire byzantin à cette époque, voir le 6, chapitre quatrième,
l’Empire byzantin.