4. Mais les soldats du Christ combattent en pleine
sécurité les combats de leur Seigneur, car ils n’ont point à craindre d’offenser
Dieu en tuant un ennemi et ils ne courent aucun danger, s’ils sont tués
eux-mêmes, puisque c’est pour Jésus-Christ qu’ils donnent ou reçoivent le coup
de la mort, et que, non seulement ils n’offensent point Dieu, mais encore, ils
s’acquièrent une grande gloire : en effet, s’ils tuent, c’est pour le Seigneur,
et s’ils sont tués, le Seigneur est pour eux ; mais si la mort de l’ennemi le
venge et lui est agréable, il lui est bien plus agréable encore de se donner à
son soldat pour le consoler. Ainsi le chevalier du Christ donne la mort en
pleine sécurité et la reçoit dans une sécurité plus grande encore. Ce n’est pas
en vain qu’il porte l’épée ; il est le ministre de Dieu, et il l’a reçue pour
exécuter ses vengeances, en punissant ceux qui font de mauvaises actions et en
récompensant ceux qui en font de bonnes. Lors donc qu’il tue un malfaiteur, il
n’est point homicide mais malicide, si je puis m’exprimer ainsi ; il exécute à
la lettre les vengeances du Christ sur ceux qui font le mal, et s’acquiert le
titre de défenseur des chrétiens. Vient-il à succomber lui-même, on ne peut dire
qu’il a péri, au contraire, il s’est sauvé. La mort qu’il donne est le profit de
Jésus-Christ, et celle qu’il reçoit, le sien propre. Le chrétien se fait gloire
de la mort d’un païen, parce que le Christ lui-même en est glorifié, mais dans
la mort d’un chrétien la libéralité du Roi du ciel se montre à découvert,
puisqu’il ne tire son soldat de la mêlée que pour le récompenser. Quand le
premier succombe, le juste se réjouit de voir la vengeance qui en a été tirée ;
mais lorsque c’est le second qui périt " tout le monde s’écrie : Le juste
sera-t-il récompensé ? Il le sera, sans doute, puisqu’il y a un Dieu qui juge
les hommes sur la terre " (Ps LVII, 11). Il ne faudrait pourtant pas tuer les
païens mêmes, si on pouvait les empêcher, par quelque autre moyen que la mort,
d’insulter les fidèles ou de les opprimer. Mais pour le moment, il vaut mieux
les mettre à mort que de les laisser vivre pour qu’ils portent les mains sur les
justes, de peur que les justes, à leur tour, ne se livrent à l’iniquité.
5. Mais, dira-t-on, s’il est absolument défendu à un
chrétien de frapper de l’épée, d’où vient que le héraut du Sauveur disait aux
militaires de se contenter de leur solde, et ne leur enjoignait pas plutôt de
renoncer à leur profession (Lc III, 13) ? Si au contraire cela est permis, comme
ce l’est en effet, à tous ceux qui ont été établis de Dieu dans ce but, et ne
sont point engagés dans un état plus parfait, à qui, je vous le demande, le
sera-t-il plus qu’à ceux dont le bras et le courage nous conservent la forte
cité de Sion, comme un rempart protecteur derrière lequel le peuple saint,
gardien de la vérité, peut venir s’abriter en toute sécurité, depuis que les
violateurs de la loi divine en sont tenus éloignés ? Repoussez donc sans crainte
ces nations qui ne respirent que la guerre, taillez en pièces ceux qui jettent
la terreur parmi nous, massacrez loin des murs de la cité du Seigneur, tous ces
hommes qui commettent l’iniquité et qui brûlent du désir de s’emparer des
inestimables trésors du peuple chrétien qui reposent dans les murs de Jérusalem,
de profaner nos saints mystères et de se rendre maîtres du sanctuaire de Dieu.
Que la doublé épée des chrétiens soit tirée sur la tête de nos ennemis, pour
détruire tout ce qui s’élève contre la science de Dieu, c’est-à-dire contre la
foi des chrétiens, afin que les infidèles ne puissent dire un jour : Où donc est
leur Dieu ?
6. Quand ils seront chassés, il reviendra prendre
possession de son héritage et de sa maison dont il a dit lui-même, dans sa
colère : " Le temps s’approche où votre demeure sera déserte " (Mt XXIII, 38),
et dont le Prophète a dit en gémissant : " J’ai quitté ma propre maison, j’ai
abandonné mon héritage " (Jr XII, 7) ; et il accomplira cette autre parole
prophétique : " Le Seigneur a racheté son peuple et l’a délivré ; aussi le
verra-t-on plein d’allégresse, sur la montagne de Sion, se réjouir des bienfaits
du Seigneur ". Livre-toi donc aux transports de la joie, ô Jérusalem, et
reconnais que voici les jours où Dieu te visite. Réjouissez-vous aussi et louez
Dieu avec elle, déserts de Jérusalem, car le Seigneur a consolé son peuple, il a
racheté la Cité sainte et il a levé son bras saint aux yeux de toutes les
nations. Vierge d’Israël, tu étais tombée à terre, et personne ne se trouvait
qui te tendît une main secourable ; lève-toi maintenant, secoue la poussière de
tes vêtements, ô vierge, ô fille captive, ô Sion, lève-toi, dis-je, et même
élève-toi bien haut et vois au loin les torrents de joie que ton Dieu fait
couler vers toi. On ne t’appellera plus l’abandonnée, et la terre où tu t’élèves
ne sera plus une terre désolée, parce que le Seigneur a mis en toi toutes ses
complaisances et tes champs vont se repeupler. Jette tes yeux tout autour de toi
et regarde ; tous ces hommes se sont réunis pour venir à toi ; voilà le secours
qui t’est envoyé d’en haut. Ce sont ceux qui vont accomplir cette antique
promesse : " Je t’établirai dans une gloire qui durera des siècles et ta joie se
continuera de génération en génération : tu suceras le lait des nations et tu
seras nourrie aux mamelles qu’ont sucées les rois " (Is LX, 15). Et cette autre
encore : " De même qu’une mère caresse son petit enfant, ainsi je vous
consolerai et vous trouverez votre paix dans Jérusalem " (Is LXVI, 13).
Voyez-vous quels nombreux témoignages reçut, dès les temps anciens, la milice
nouvelle et, comme sous nos yeux s’accomplissent les oracles sacrés, dans la
cité du Seigneur des vertus ? Pourvu que maintenant le sens littéral ne nuise
point au spirituel, que la manière dont nous entendons, dans le temps, les
paroles des prophètes, ne nous empêche pas d’espérer dans l’éternité, que les
choses visibles ne nous fassent point perdre de vue celles de la foi, que le
dénuement actuel ne porte aucune atteinte à l’abondance de nos espérances et que
la certitude du présent ne nous fasse point oublier l’avenir. D’ailleurs la
gloire temporelle de la cité de la terre, au lieu de nuire aux biens célestes ne
peut que les assurer davantage, si toutefois nous croyons fermement que la cité
d’ici-bas est une fidèle image de celle des cieux qui est notre mère.
|