7. Mais pour l’exemple, ou plutôt, à la confusion de
nos soldats qui servent le diable bien plus que Dieu, disons, en quelques mots,
les mœurs et la vie des chevaliers du Christ ; faisons connaître ce qu’ils sont
en temps de paix et en temps de guerre, et on verra clairement quelle différence
il y a entre la milice de Dieu et celle du monde. Et d’abord, parmi eux, la
discipline et l’obéissance sont en honneur ; ils savent, selon les paroles de la
sainte Écriture, " que le fils indiscipliné est destiné à périr " (Si XXII, 3),
et que " c’est une espèce de magie de ne vouloir pas se soumettre, et une sorte
d’idolâtrie de refuser d’obéir " (1 R XV, 23). Ils vont et viennent au
commandement de leur chef ; c’est de lui qu’ils reçoivent leur vêtement et, soit
dans les habits, soit dans la nourriture, ils évitent toute superfluité et se
bornent au strict nécessaire. Ils vivent rigoureusement en commun dans une douce
mais modeste et frugale société, sans épouses et sans enfants ; bien plus,
suivant les conseils de la perfection évangélique, ils habitent sous un même
toit, ne possèdent rien en propre et ne sont préoccupés que de la pensée de
conserver entre eux l’union et la paix. Aussi, dirait-on qu’ils ne font tous
qu’un cœur et qu’une âme, tant ils s’étudient, non seulement à ne suivre en rien
leur propre volonté, mais encore à se soumettre en tout à celle de leur chef.
Jamais on ne les voit rester oisifs ou se répandre çà et là poussés par la
curiosité ; mais quand ils ne vont point à la guerre, ce qui est rare, ne
voulant point manger leur pain à ne rien faire, ils emploient leurs loisirs à
réparer, raccommoder et remettre en état leurs armes et leurs vêtements, que le
temps et l’usage ont endommagés et mis en pièces ou en désordre ; ils font tout
ce qui leur est commandé par leur supérieur, et ce que réclame le bien de la
communauté. Ils ne font, entre eux, acception de personne, et sans égard pour le
rang et la noblesse, ils ne rendent honneur qu’au mérite. Pleins de déférence
les uns pour les autres, on les voit porter les fardeaux les uns des autres, et
accomplir ainsi la loi du Christ. On n’entend, parmi eux, ni parole arrogante,
ni éclats de rire, ni le plus léger bruit, encore moins des murmures, et on n’y
voit aucune action inutile ; d’ailleurs aucune de ces fautes ne demeurerait
impunie. Ils ont les dés et les échecs en horreur ; ils ne se livrent ni au
plaisir de la chasse ni même à celui généralement si goûté de la fauconnerie ;
ils détestent et fuient les bateleurs, les magiciens et les conteurs de fables,
ainsi que les chansons bouffonnes et les spectacles, qu’ils regardent comme
autant de vanités et d’objets pleins d’extravagance et de tromperie. Ils se
coupent les cheveux , car ils trouvent avec l’Apôtre que c’est une honte pour un
homme de soigner sa chevelure. Négligés dans leur personne et se baignant
rarement, on les voit avec une barbe inculte et hérissée et des membres couverts
de poussière, noircis par le frottement de la cuirasse et brûlés par les rayons
du soleil.
8. Mais à l’approche du combat, ils s’arment de foi
au-dedans et de fer, au lieu d’or, au-dehors, afin d’inspirer à l’ennemi plus de
crainte que d’avides espérances. Ce qu’ils recherchent dans leurs chevaux, c’est
la force et la rapidité, non point la beauté de la robe ou la richesse des
harnais, car ils ne songent qu’à vaincre, non à briller, à frapper l’ennemi de
terreur, non point d’admiration. Point de turbulence, point d’entraînement
inconsidéré, rien de cette ardeur qui sent la précipitation de la légèreté.
Quand ils se rangent en bataille, c’est avec toute la prudence et toute la
circonspection possibles qu’ils s’avancent au combat tels qu’on représente les
anciens. Ce sont de vrais Israélites qui vont livrer bataille ; mais en portant
la paix au fond de l’âme. A peine le signal d’en venir aux mains est-il donné
qu’oubliant tout à coup leur douceur naturelle, ils semblent s’écrier avec le
Psalmiste : " Seigneur, n’ai-je pas haï ceux qui te haïssaient, et n’ai-je pas
séché de douleur à la vue de tes ennemiS ? " (Ps CXXXVIII, 21), puis s’élancent
sur leurs adversaires comme sur un troupeau de timides brebis, sans se mettre en
peine, malgré leur petit nombre, ni de la cruauté, ni de la multitude infinie de
leurs barbares ennemis ; car ils mettent toute leur confiance, non dans leurs
propres forces, mais dans le bras du Dieu des armées à qui ils savent, comme les
Maccabées, qu’il est bien facile de faire tomber une multitude de guerriers dans
les mains d’une poignée d’hommes, et qu’il n’en coûte pas plus de faire échapper
les siens à un grand qu’à un petit nombre d’ennemis, attendu que la victoire ne
dépend pas du nombre et que la force vient d’en-haut. Ils en ont souvent fait
l’expérience, et bien des fois il leur est arrivé de mettre l’ennemi en fuite
presque dans la proportion d’un contre mille et de deux contre dix mille. Il est
aussi singulier qu’étonnant de voir comment ils savent se montrer en même temps,
plus doux que des agneaux et plus terribles que des lions, au point qu’on ne
sait s’il faut les appeler des religieux ou des soldats, ou plutôt qu’on ne
trouve pas d’autres noms qui leur conviennent mieux que ces deux-là, puisqu’ils
savent allier ensemble la douceur des uns à la valeur des autres. Comment à la
vue de ces merveilles ne point s’écrier : " Tout cela est l’œuvre de Dieu ;
c’est lui qui a fait ce que nos yeux ne cessent d’admirer " ? Voilà les hommes
valeureux que le Seigneur a choisis d’un bout du monde à l’autre parmi les plus
braves d’Israël pour en faire ses ministres et leur confier la garde du lit du
vrai Salomon, c’est-à-dire la garde du Saint-Sépulcre, comme à des sentinelles
fidèles et vigilantes, armées du glaive et habiles au métier des armes.
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