V : D’une croisade à l’autre, politique extérieure
et arbitrages (1250 à 1270)
1° Dernière phase du conflit de l’Eglise
contre l’Empire (1250 à 1268) – Frédéric II de Hohenstaufen, excommunié
et en conflit contre l’Eglise, était décédé en novembre 1250. Le défunt
laissait derrière lui deux fils : Conrad IV et Manfred[1].
a) La papauté contre
Conrad IV en Germanie : le premier, couronné Empereur à la mort de son
père, hérita de la Germanie. En 1251, le pape Innocent IV appela à la
croisade contre Conrad IV. Le souverain pontife, soucieux d’abattre
définitivement la dynastie des Hohenstaufen, favorisa alors l’élection d’un
anti-roi, Guillaume de Hollande.
Conrad IV, très contesté en
Germanie, fut contraint de se rendre en Italie afin de recevoir la couronne
de Sicile. Toutefois, il y périt en 1254.
Le défunt laissait un fils,
Conradin ; cependant, l’enfant n’étant âgé que de deux ans, Guillaume
de Hollande parvint à assoir son autorité en Germanie. Mais à la mort de ce
dernier, en 1256, l’Empire connut une longue période de troubles (baptisée
le Grand Interrègne), au cours de laquelle plusieurs prétendants
luttèrent pour le trône[2].
b) La papauté contre
Manfred en Sicile : Manfred, suite au décès de son frère, exerça la
régence en Sicile pendant la minorité de son neveu. Refusant de céder ses
Etats au pape, il fut toutefois contraint de lui donner la région des
Pouilles, en 1254, établissant une paix temporaire avec le Saint siège.
En 1258, profitant d’une
rumeur annonçant la mort de Conradin, Manfred d’arrogea la couronne de
Sicile. Le pape Alexandre IV, tuteur de Conradin, reprit alors les
hostilités contre Manfred, qui fut excommunié.
Le fils de Frédéric II,
prenant les armes contre le Saint siège, parvint alors à s’emparer du sud de
l’Italie. Mais le nouveau pape,Urbain
IV, appela à la croisade contre Manfred, offrant la couronne de Sicile à
Charles d’Anjou, frère cadet de Louis IX[3].
Salut d'or à l'effigie de Charles
d'Anjou, vers 1278, Bode museum, Berlin (le salut était une monnaie peu usitée,
qui équivalait approximativement une livre).
Ce dernier, acceptant la proposition du souverain
pontife, réunit une armée et descendit vers la Sicile. En 1266, les deux
belligérants s’affrontèrent au cours de la bataille de Bénévent, quoi
donna la victoire aux Français, en large supériorité numérique.
Manfred étant mort au cours
de l’affrontement, il ne restait à Charles qu’un rival, à savoir Conradin,
le fils de Conrad IV. Ce dernier, appelé au secours par les seigneurs de
Sicile, fut à son tour défait en 1268 au cours de labataille
de Tagliacozzo.
Fait prisonnier, Conradin
fut exécuté à l’issue d’un semblant de procès.
En ayant éliminé la dynastie
des Hohenstaufen et assuré son emprise sur l’Italie, L’Eglise semblait
remporter la victoire. Cependant, en agissant plus en seigneur temporel
qu’en guide spirituel, Rome perdit dans ce conflit une grande partie de sa
piété et de son prestige…
2° Traité de
Corbeil avec l’Aragon (mai 1258) – De retour de Terre Sainte, Louis IX
décida de se rapprocher de Jacques I°, roi d’Aragon. L’objectif était
de fixer les frontières des deux royaumes, ces dernières ayant été
bouleversées suite à la guerre du Languedoc[4].
La couronne de France, de
prime abord, était suzeraine du comté de Barcelone depuis l’époque
carolingienne[5].
Toutefois, ce titre n’était que nominal, car les seigneurs de la région
avaient pris leur indépendance depuis la fin du X° siècle.
De son côté, la couronne
d’Aragon revendiquait la suzeraineté sur la vicomté de Carcassonne et le
comté de Provence, récemment incorporés au royaume de France.
Le traité de Corbeil,
conclu entre les deux souverains, prévoyait l’abandon des droits de Louis IX
sur le comté de Barcelone ; en contrepartie, Jacques I° renonçait au comté
de Provence et à la vicomté de Carcassonne (ne conservant en France que le
Roussillon et la seigneurie de Montpellier.).
La frontière entre la France
et l’Aragon fut fixée sur la plaine des Corbières, dans l’Aude, à une
centaine de kilomètres au nord des Pyrénées.
Le traité de Corbeil fut
scellé par une alliance matrimoniale : ainsi, Louis IX donnant sa fille
Blanche en mariage à Ferdinand, fils d’Alphonse X, roi de
Castille ; Jacques I°, quant à lui, maria sa fille Isabelle à
Philippe III, aîné du roi de France.
3° Traité de
Paris avec l’Angleterre (décembre 1259) – Alors que les négociations
allaient bon train avec le roi d’Aragon, Louis IX se rapprocha d’Henri III,
roi d’Angleterre, afin de fixer les frontières entre les deux royaumes.
A noter que cet accord
faisait suite à la trêve de Pons, signée en août 1242.
Depuis le règne de Jean sans
Terre, les Anglais avaient connu une série de défaites sur le continent.
Ainsi, Philippe Auguste s’était emparé de la Normandie, de l’Anjou, de la
Touraine, du Maine et du Poitou ; Louis VIII, quant à lui, avait conquis le
Limousin, l’Agenais, la Saintonge et le Périgord, ne laissant aux Anglais
que la Gascogne.
Louis IX, soucieux d’établir
une paix durable avec la couronne d’Angleterre, décida de rétrocéder à Henri
III les territoires conquis par Louis VIII, considérés comme des conquêtes
illégitimes ; en contrepartie, le roi d’Angleterre devait renoncer à la
suzeraineté sur les territoires confisqués par Philippe Auguste, mais aussi
prêter hommage au roi de France.
Le traité de Paris,
signé en mai 1258, ne fut ratifié qu’en décembre 1259, car il provoqua de
nombreuses réactions négatives.
Ainsi, cet accord de paix
fut vivement critiqué par les historiens, jugeant qu’il était inconscient de
céder ces territoires au royaume d’Angleterre, qui n’avait accumulé que des
revers depuis le règne de Jean sans Terre.
Louis IX, au contraire,
souhaitait établir une paix définitive entre les deux pays ; en outre,
l’hommage rendu par Henri III permettait au roi de France de gagner en
prestige, le roi d’Angleterre étant un souverain de premier rang.
Il n’empêche qu’en signant
le traité de Paris, le Capétien se rapprochait plus d’un Louis VII que d’un
Philippe Auguste.
4° Arbitrage
de Louis IX entre Henri III et les seigneurs d’Angleterre (janvier 1264) –
Le comportement honorable de Louis IX lui permit de jouer le rôle
d’arbitre au cours d’une grande querelle, opposant Henri III aux seigneurs
d’Angleterre révoltés.
a) La révolution de 1258 :
Henri III, tout comme son père, refusait de respecter la Grande Charte,
arguant qu’elle faisait de lui l’esclave des aristocrates[6].
En 1258, ces derniers se
révoltèrent, menés par Simon de Montfort, comte de Leicester et
sénéchal du royaume[7].
Les barons imposèrent alors
à Henri III une commission de 24 membres, chargée de préparer les réformes
réclamées pour le bien de l’Etat. Cette dernière, surnommée leparlement
enragé, à cause de sa véhémence, promulgua la même année les
provisions d’Oxford.
Le texte prévoyait la mise
en place d’un Parlement, composé des seigneurs du royaume, qui serait
convoqué trois fois l’an ; en outre, un conseil privé, composé de
quinze membres nommés par le Parlement, serait chargé d’assister le roi afin
de mieux gouverner le royaume ; enfin, les grands officiers du royaume
seraient non plus nommés par le roi mais élu pour un an par le Parlement.
b) La guerre des barons
(1258 à 1265) : le roi d’Angleterre, mis sous tutelle avec les
provisions d’Oxford, décida alors de prendre les armes contre les rebelles.
C’est ainsi que débuta la guerre des barons.
Le conflit fut un moment
suspendu par la médiation de Louis IX, auquel Henri III avait fait appel en
tant qu’arbitre. Ce dernier rendit son arrêt en janvier 1264, dans la
cathédrale d’Amiens. Ce dernier, dans un esprit de conciliation, cassait les
provisions d’Oxford, qu’il considérait comme attentatoires à la liberté
royale ; toutefois, il confirmait les clauses de la Grande Charte.
Toutefois, la décision du
roi de France ne fut pas appliquée par les belligérants.
En mai 1264, Simon de
Montfort parvint à l’emporter contre l’armée royale, emprisonnant Henri III.
Mais Edouard I°, le prince héritier, parvint à s’échapper de prison,
et forma une nouvelle armée. En 1265, il remporta la victoire lors de la
bataille d’Evesham, au cours de laquelle Simon de Montfort fut tué.
Henri III fut rétabli sur le
trône, mais il n’osa toucher à l’œuvre du défunt, esquisse de la monarchie
parlementaire.
5° Autres
arbitrages – Souhaitant établir la paix partout dans son royaume, Louis
IX procéda à de nombreux arbitrages.
a) Arbitrage du comté de
Flandre (1246) : Jeanne, comtesse de Flandre, mourut en 1244.
N’ayant pas eu d’enfants avec son époux, Ferrand de Portugal[8],
l’héritage revint à sa sœur cadette Marguerite.
Cette dernière, alors
qu’elle n’était âgée que d’une dizaine d’années, avait été mariée à
Bouchard d’Avesnes, bailli[9]
du Hainaut[10],
de trente ans son aîné.
Le couple eut deux enfants,
Jean et Baudouin, mais le mariage fut vivement critiqué par
l’Eglise. En 1219, alors que Bouchard combattait en Flandre (Jeanne refusait
de reconnaitre le mariage de sa sœur), il fut capturé.
Marguerite, sans que son
mariage ne soit officiellement dissous, se remaria alors en 1223 avec
Guillaume II, seigneur de Dampierre. Le couple eut trois fils :
Guillaume, Gui et Jean.
Héritière du comté de
Flandre, Marguerite fut contrainte de faire face à l’antagonisme de ses
enfants, opposant les d’Avesnes aux Dampierre.
En 1246, Louis IX décida
d’intervenir, faisant preuve une fois encore de son esprit de conciliation.
Ainsi, le comté de Flandre fut cédé aux Dampierre, le comté de Hainaut aux
Avesnes.
b) Arbitrage entre le
comté de Champagne et le duché de Bretagne (1256) : nous avons vu
précédemment qu’en 1236, Thibaud IV, comte de Champagne, avait donné sa
fille Blanche en mariage à Jean, duc de Bretagne.
La dot de la jeune femme
devait être constituée, à la mort de son père, de la Navarre, royaume qui
avait échut à Thibaud IV en 1234.
Toutefois, le comte de
Champagne était décédé en 1253, et Blanche n’avait toujours pas reçu la
Navarre, au grand dam de son époux.
Thibaud II, roi de
Navarre[11],
réclama alors l’arbitrage de Louis IX. Ce dernier confirma Thibaud II dans
son fief, mais ce dernier devait céder une contrepartie financière à sa
sœur, en guise de dédommagement.
Par ailleurs, afin de
renforcer les liens qui l’unissaient à son vassal, Louis IX donna à Thibaud
II la main de sa fille Isabelle, en 1258.
c) Arbitrage entre le
comté de Bar et le comté de Luxembourg (1268) : à la mort de Thiébaud
I°, comte de Bar, l’héritage du défunt fut cédé à son fils Henri II[12].
Sa veuve, Ermesinde,
comtesse de Luxembourg, se remaria alors avec Waléran III, comte
d’Arlon.
En 1240, Henri II donna sa
fille Marguerite en mariage à Henri V, fils de Waléran III. La
jeune femme apportait en dot la seigneurie de Ligny, qui devait rester sous
suzeraineté du comté de Bar.
Toutefois, Henri V rendit
hommage auprès de Thibaud IV, comte de Champagne, pour la seigneurie de
Ligny.
S’ensuivit un conflit qui
prit fin en 1268, grâce à la médiation du roi de France. Henri V, qui avait
été vaincu, reprit possession de la seigneurie de Ligny, qui restait sous
suzeraineté barroise.
[5] La marche d’Espagne (ou comté de Barcelone),
avait été instaurée par Charlemagne à la fin du VIII° siècle (voir à
ce sujet le d), 5, section I, chapitre deuxième, les Carolingiens) ;
toutefois, cette région avait profité de l’affaiblissement de la
monarchie française pour prendre son indépendance à la fin du X°
siècle (voir le a), 3, section I, chapitre premier, les Capétiens).
[6] La Grande
Charte, adoptée en 1215, est considérée aujourd’hui comme le
fondement des libertés anglaises. Le texte confirmait les libertés
du clergé (le roi ne devait pas intervenir lors de l’élection des
évêques.) ; fixait les contributions en argent dues par la
noblesse ; et protégeait les sujets de la couronne de toute mesure
arbitraire. Voir à ce sujet le a), 5, section V, chapitre quatrième,
les Capétiens.
[7]
Le comte, héritier
par sa mère du comté de Leicester, portait le même que son père,
Simon de Montfort, qui s’était illustré lors de la croisade contre
les Cathares.
[8] Ferrand avait participé à la coalition de 1214
contre Philippe Auguste. Vaincu à Bouvines, il resta enfermé au
Louvre jusqu’en 1227. Voir à ce sujet le 4, section V, chapitre
quatrième, les Capétiens.
[9] Rappelons que le bailli était un fonctionnaire
royal. Ce dernier avait les pouvoir d’un duc ou d’un comte ;
toutefois, il était nommé par le roi, et sa charge n’était pas
héréditaire.
[10] Le comté de Hainaut, qui était sous
suzeraineté de l’Empire germanique, avait été rattaché à la Flandre
(sous suzeraineté du royaume de France) au cours du XI° siècle.
[11] Ce dernier avait succédé à son père, Thibaud
IV de Champagne (appelé aussi Thibaud I° de Navarre), en 1253.
[12] A noter que le comté de Bar était sous
suzeraineté de l’Empire germanique. La moitié ouest du comté passa
sous suzeraineté française en 1301.