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L'Empire germanique et l'Église


CHAPITRE QUATRIÈME : Frédéric II de Hohenstaufen, troisième phase de la lutte du sacerdoce et de l’Empire


II : Règne de Frédéric II (1216 – 1250)

 

            1° Promesses de Frédéric II – Frédéric, dans un premier temps, avait multiplié les promesses à destination du Saint Siège. A la diète d’Oegra, en juillet 1213, il s’était engagé à respecter les libertés italiennes, le patrimoine de la papauté, et à séparer la Sicile de l’Empire (le pape considérait l’union de ces deux couronnes comme dangereuse pour l’indépendance de l’Eglise.).

En outre, en 1216, lors de son couronnement à Aix la Chapelle[1], Frédéric décida de prendre la croix[2] de sa propre initiative.

Ces promesses, le plus souvent formulées par Frédéric dans le but de s’attirer les bonnes grâces du pape, ne furent pour la plupart pas respectées une fois que Othon fut éliminé.

 

            2° Frédéric II et Honorius III (1216 – 1227) – La lutte entre Frédéric II et le pape ne fut cependant pas immédiate. Innocent III, mort en 1216, fut remplacé par Honorius III. Ce dernier était quelqu’un de déjà âgé, et avait été le tuteur de Frédéric II. Le pape eut donc toujours de l’affection pour son royal pupille.

Honorius III, par Giotto, XIV°.

Pendant douze ans, le jeune roi gouverna à la fois l’Allemagne et le royaume de Naples, fit élire son fils Henri roi des Romains (qui était un héritier à ses deux couronnes.), et retardait sans cesse son expédition en Terre Sainte. En outre, il se couronner Empereur à Rome en 1220, puis épousa en 1225 Yolande, fille de Jean de Brienne, roi de Jérusalem (et le premier objectif de Frédéric II fut d’enlever à son beau-père tous les droits qu’il avait sur son royaume.). 

Cependant, le pape n’osa jamais rompre avec l’Empereur.

 

            3° Frédéric II et Grégoire IX (1227) – Les choses changèrent lorsque Honorius III mourut, et qu’il fut remplacé par Grégoire IX. Le nouveau pape, bien que lui aussi d’âge mûr, était néanmoins animé d’une volonté implacable.

Frédéric II comprit à ce moment là que le temps des mauvaises excuses était fini. Ses retards avaient été funestes pour la Terre Sainte, car ils avaient paralysé une multitude de dévouements et amené l’échec de la V° croisade.

Le pape somma alors l’Empereur de faire son devoir, s’il ne voulait pas s’exposer aux foudres de l’Eglise. Devant cette attitude nouvelle, Frédéric II s’exécuta, et s’embarqua à Brindes en septembre 1227, accompagné de quelques centaines d’hommes.    

 

            4° Excommunication de Frédéric II, la VI° croisade (1227 – 1229) – Quelle ne fut pas la surprise générale lorsqu’on apprit que l’Empereur, après trois jours de navigation, sous prétexte de maladie, avait repris terre en Italie ! Frédéric II envoya des explications au pape, mais ce dernier ne voulut rien entendre. En septembre 1227, il l’excommunia, et demanda à ses évêques de jeter l’interdit[3] sur les lieux où se trouverait Frédéric II.

 

En juin 1228, l’Empereur, frappé d’un triple anathème[4], décida de partir pour la Terre Sainte. Frédéric II ne fit cependant pas une guerre de conquête. La VI° croisade consista à traiter avec le sultan d’Egypte et à établir une sorte de condominium islamo chrétien sur Jérusalem, où il se fit proclamer roi, en mars 1229. Les chrétiens possédaient la ville et les places qui assuraient la liaison jusqu’à Saint Jean d’Acre, les musulmans conservaient la mosquée d’Omar et le libre exercice de leur culte en tous lieux. Une trêve de dix ans fut signée. 

Mais ces acquis n’étaient pas bien solides. Les musulmans respectèrent la trêve, puis, au bout de dix ans, reprirent la ville.

 

            5° Guerre en Italie, paix de San Germano (1230) – De graves évènements eurent lieu en Italie et en Sicile lors de l’absence de Frédéric II. Grégoire IX avait envoyé le légat Pélage avec une armée sur le royaume de Naples, en 1229. En quelques mois, seule Naples et la partie méridionale de cet Etat résistaient aux troupes du pape.

Frédéric II arriva à ce moment là, et sa présence dispersa ses ennemis. Il parvint à reprendre son royaume et marcha sur Rome. L’Empereur n’essayait cependant pas de prendre la ville, mais voulait se réconcilier avec le Saint Siège.

Grégoire IX, qui de son côté ne se sentait pas assez fort pour lutter, accepta. Un traité de paix fut signé en août 1230 à San Germano. Les terres de part et d’autre étaient rendues, les partisans du pape amnistiés, l’excommunication lancée contre Frédéric II fut levée.

 

            6° Révolte du roi Henri, sa captivité et sa mort – Les cinq années qui suivirent furent calmes. C’est alors que le fils aîné de Frédéric II, le roi Henri, se révolta. Ce dernier était chargé, sous la tutelle de son père, de diriger l’Allemagne. Frédéric II, quant à lui, s’était réservé le gouvernement des Deux Siciles.

Le jeune roi, las de cette tutelle, souhaitait voir la séparation complète de l’Allemagne et de l’Italie. En outre, ce dernier cherchait à épouser Isabelle, sœur d'Henri III, roi d’Angleterre, quand son père le lui interdit et épousa lui même la princesse (il était veuf de Yolande depuis peu.).

Son fils Henri s’associa alors avec la Ligue lombarde[5], et s’attaqua à son père. Cependant, la lutte fut de courte durée : le pape Grégoire IX, réconcilié de fraîche date avec Frédéric II, excommunia son fils révolté. De cette manière, lorsque l’Empereur rentra en Allemagne, tous ses ennemis s’enfuirent. Henri dut alors lui aussi se soumettre, en 1235.

Frédéric II, qui n’avait pas souvent mis les pieds en Allemagne, en profita pour mettre fin à ses affaires dans ce pays, en faisant de grandes concessions à la féodalité et aux villes. 

Quant à son fils, il fut transporté de prison en prison. Jusqu’au jour où, dit on, las de la vie et trompant la vigilance de ses gardiens, il sauta avec son cheval dans un précipice. 

 

            7° Guerre contre la Ligue lombarde (1236 – 1239) – Comme Henri s’était associé aux communes italiennes, Frédéric II profita de cette occasion pour les attaquer, sachant qu’il avait des vues sur l’Italie septentrionale. L’Empereur voulait revenir à la situation de la paix de Constance, car les villes étaient à présent quasiment indépendantes, suite à de nombreuses années de déliquescence du pouvoir royal.

En 1236, l’Empereur passa les Alpes, et commença à s’attaquer aux cités d’Italie. C’est alors que l’armée impériale rencontra une armée mise sur pieds par la Ligue lombarde.

Allemands et Italiens s’affrontèrent dans la plaine de Cortenuova, en novembre 1237. L’affrontement fut sanglant, durant jusqu’au soir. A l’issue du combat, les troupes de la ligue furent vaincues, abandonnant aux vainqueurs le caroccio milanais, leurs bagages, leurs blessés et leurs morts.

Frédéric II célébra son triomphe à Crémone, y amenant le caroccio. Il envoya aussi aux Romains une lettre par laquelle il rappelait aux habitants de la ville leur glorieux passé, tentant de réveiller leur patriotisme, mais il n’obtint aucun résultat.

 

            8° Rupture de Frédéric II avec Grégoire IX (1239) – Le pape ne pouvait rester impassible devant la montée en puissance de l’Empereur. Si la Lombardie était rattachée à la couronne d’Allemagne, Frédéric II pouvait ainsi créer une vaste monarchie allant des rivages de la mer du Nord aux plages de la Sicile. La papauté voyait cela – à tort ou à raison ? – comme une atteinte à son indépendance.

Alors que Frédéric II faisait le siège de Brescia, Grégoire IX décida de l’attaquer en l’excommuniant une nouvelle fois, en mars 1239. Après avoir un moment protesté de sa plume, voyant que le pape se rangeait du côté de la Ligue lombarde, l’Empereur choisit d’utiliser son épée.

Il envahit alors les Etats du pape, multipliant les dévastations, et arriva sous les murs de Rome. Cependant, les habitants de la ville étaient bien disposés à se défendre, et Frédéric II préféra abandonner le combat, se retirant dans son royaume de Naples.     

L’intervention du pape du côté des communes italiennes fit renaître le conflit entre les Guelfes, qui considéraient que le pouvoir devait être entre les mains du pape (Milan, Brescia.), et les Gibelins, qui considéraient que le pouvoir devait être entre les mains de l’Empereur (Crémone, Pavie.).

 

            9° La capture des prélats (1241) – En 1240, Grégoire IX voulut réunir tous les évêques d’Europe afin d’élaborer un moyen de frapper l’Empereur. Il les convoqua alors à Rome, pour les fêtes de Pâques de l’année 1241.

Comme Frédéric II se doutait de ce qui allait avoir lieu au cours de cette réunion, il tenta d’abord d’intimider les prélats, mais cette méthode ne fut pas efficace.

En mai 1241, 150 évêques environ firent route vers Rome à bord de vaisseaux génois. L’Empereur confia l’attaque du convoi à un de ses fils, Enzio, à la tête de navires pisans. Ce dernier partit à l’abordage et captura tous les prélats. Les prisonniers furent ensuite conduits à Naples, retenus dans une vigoureuse captivité.

Le roi de France, Louis IX, qui jusque là était resté neutre, demanda à ce que Frédéric II relâche les évêques français (Frédéric II avait emprisonné les abbés de Cîteaux et de Cluny, les deux plus grands monastères de France.). Dans un premier temps, l’Empereur refusa. Puis, devant l’insistance de Saint Louis, il accepta de leur rendre leur liberté, ne souhaitant pas trouver en la personne du roi de France un nouvel ennemi[6]. Frédéric II ne libéra cependant que les prélats français, ceux de nationalité différente restèrent prisonniers.

 

            10° Election d’Innocent IV (1243), le concile de Lyon (1245) – Grégoire IX mourut en 1241, et fut alors remplacé par Célestin IV. Cependant, ce dernier mourut l’année même de son accession au trône, et à sa mort s’ensuivit un interrègne de deux ans.

En 1243, comme Frédéric II avait accepté de relâcher les cardinaux, ce fut un génois, Sinibaldo Fieschi, qui fut élu pape, prenant le nom d’Innocent IV. Ce dernier était l’ami de l’Empereur, mais ce dernier ne se trompa pas :

- « Je perd un ami, et je ne gagne pas un pape. Un pape ne saurait être gibelin. » 

Frédéric tenta de le gagner à sa cause, puis voulut l’enlever. Ce dernier disparut alors, puis se montra à Lyon, soumise nominalement à l’Empire, mais indépendante en réalité.

Innocent IV y tint alors un concile en janvier 1245. Il invita l’Empereur à s’y présenter, mais ce dernier refusa, sous prétexte de maladie. C’est alors que le pape, à l’issue des débats, énonça les crimes de Frédéric II (parjure, sacrilège, hérésie et félonie.), puis le déposa.

Cette sentence, aussi impressionnante soit elle, ne fut cependant pas suivie d’effets.

 

            11° Dernière phase de la lutte (1245 – 1250), mort de Frédéric II (1250) – L’Empereur était alors à Turin quand il apprit sa déposition. Ce dernier, très remonté contre Innocent IV, mit sa couronne sur sa tête, et en criant, défia le pape de venir la lui prendre. La lutte entre guelfes et gibelins, déjà vive, devint dès lors encore plus acharnée.

Mais à partir de ce moment là, Frédéric II n’accumula que des revers, isolé, accablé de soucis et de trahisons. Enfin, en 1242, Son fils Enzio, roi de Sardaigne, fut capturé par les Bolonais suite à la bataille de Fossalta. Frédéric II eut beau demander sa libération, rien n’y fit, son fils passa vingt ans en prison avant de mourir, en 1272.

Frédéric II se lamentant devant la mort de Manfred et l'emprisonnement d'Enzio, par Boccace, enluminure issue de l'ouvrage de casibus, France, XV° siècle.

Frédéric II mourut en novembre 1250, âgé de 56 ans. Il avait lutté contre l’Eglise jusqu’au bout, mais au final ne parvint qu’à affaiblir sa dynastie.

 

            12° Fin des Hohenstaufen – La famille royale n’avait plus que quelques années à vivre. En 1250, il ne restait que deux fils de Frédéric II : Conrad IV et Manfred.

Le premier, couronné Empereur à la mort de son père, hérita de l’Allemagne. En 1251, le pape Innocent IV appela à la croisade contre Conrad IV. Son rival, qui avait été élu Empereur à la demande du pape, Guillaume de Hollande, parvint à le battre. Conrad IV partit alors pour la Sicile, où il fut couronné roi la même année. Il y resta jusqu’à sa mort, en 1254.

Manfred, quant à lui, fut régent de Sicile en l’absence de son frère, ainsi que pendant la minorité de son neveu, Conradin. Manfred parvint, suite à une campagne vigoureuse, à s’emparer du sud de l’Italie, mais c’est alors que le nouveau pape, Urbain IV, appela à la croisade contre lui. Il offrit alors le royaume des Deux Siciles au frère du roi Louis IX, Charles d’Anjou.

Gisant de Charles d'Anjou, premier tiers du XIV° siècle, église saint Denis.

Ce dernier combattit Manfred et le tua, au cours de la bataille de Bénévent, en 1266.

Charles d'Anjou tuant Manfred au cours de la bataille de Bénévent, par Boccace, enluminure issue de l'ouvrage de casibus, France, XV° siècle.

Le fils de Conrad IV, Conrandin, rejeté d’Allemagne, voulut au moins avoir Naples et la Sicile. Mais il fut vaincu à son tour en 1268 par Charles d’Anjou, au cours de la bataille de Tagliacozzo. Alors que ce dernier tentait de fuir, il fut saisi par ses ennemis. Puis, suite à un semblant de procès, il périt exécuté. 

 

            L’Eglise semblait remporter la victoire. Cependant, en agissant plus en seigneur temporel qu’en guide spirituel, Rome perdit dans ce conflit une grande partie de sa piété et de son prestige…

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[1] Frédéric II avait été élu par les seigneurs en 1212, mais il ne fut couronné qu’en 1216, après la défaite de Othon IV à Bouvines.

[2] C’est à dire se croiser, participer à la croisade.

[3] L’interdit était une sentence ecclésiastique consistant à interdire la célébration des offices divins et l’usage de certains sacrements.

[4] Excommunication majeure prononcée habituellement contre les hérétiques et les ennemis de la foi catholique.

[5] Pour plus de détails sur la création de la Ligue lombarde, voir le 7, section II, chapitre troisième, l’Empire Germanique et l’Eglise.

[6] Pour plus de détails sur le règne de Louis IX, voir le 1, section III, chapitre cinquième, les Capétiens.

 

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