La légende de dame Godiva est aujourd'hui
particulièrement célèbre dans le monde anglo-saxon. Ainsi, l'on raconte
qu'on Moyen Age, une jeune femme nommée Godiva, épouse du seigneur local,
aurait chevauché nue dans les rues de Coventry, afin de persuader son mari
de diminuer les impôts.
Mais qu'en est-il en réalité ? Ce mythe correspond-il à une quelconque
réalité historique ? Ou bien s'inspire t-il d'un évènement mineur qui fut
romancé et déformé au fil des siècles ?
Lady Godiva, par John Collier, 1898.
Le premier ouvrage dans lequel cette
légende fit son apparition est intitulé Flores Historianum (« les
fleurs de l'Histoire » en français), rédigé par le chroniqueur anglais
Roger de Wendover.
Ce dernier, moine à l'abbaye de Saint Alban, publia son ouvrage à une date
incertaine, vraisemblablement entre 1215 et 1235.
Extrait du Flores Historianum.
Dans cette première version du mythe,
Léofric, comte de Mercie[1],
avait fondé un monastère dans la cité de Coventry. Cet édifice, au fil des
années, rencontra un vif succès, mais les pélerins devaient s'acquitter d'un
droit de péage à chaque passage, ce qui ne plaisait guère à la pieuse
Godiva.
Cette dernière, soucieuse de mettre fin
à cette taxe, implorait son mari, en vain. Mais bientôt le comte fut
exaspéré par l'insistance de son épouse, et lui rétorqua qu'il mettrait fin
au péage le jour où la jeune femme se promènerait nue sur son cheval à
travers la ville, devant toute la population.
Cette dernière prit son époux au mot,
monta nue sur son cheval, et, escortée par deux chevaliers, traversa la
ville sous les regards des habitants de Coventry, son corps n'étant
dissimulé que par ses longs cheveux.
Finalement, Léofric fut contraint de
respecter ses engagements et supprima le droit de douane qui pesait sur la
cité.
Au fil des siècles, la légende évolua
quelque peu. Ainsi, alors que dans la chronique de Roger de Wendower, Godiva
traverse la ville au vu et au su de ses sujets, dans les récits postérieurs,
les habitants de Coventry sont bien plus chastes[2].
Ainsi, en 1569, l'imprimeur anglais
Richard Grafton publia Chronicles of England (« chroniques
d'Angleterre »),
dans lequel il présente une variante du
mythe. Dans ce récit, il fut demandé aux résidants de Coventry de s'enfermer chez eux pendant le passage de
dame Godina, et de ne regarder la jeune femme sous aucun prétexte.
Autre représentation de la légende de Godiva, la jeune femme
se promenant dans des rues désertes.
Dans autre version, datant cette
fois-ci du XVIII° siècle, l'un des habitant, un tailleur nommé Tom, aurait bravé l'interdit
(il est donc surnommé Peeping Tom, ce qui signifie
« voyeur » en français).
Ce dernier fut alors frappé de cécité en guise de
punition divine (ou aveuglé par la foule vengeresse, en fonction des récits).
A noter que dans Journey from Chester to London (« voyage
de Chester à Londres »),
publié en 1782 par l'écrivain anglais Thomas Pennant, Godiva n'est
plus entièrement nue, mais porte une tunique de soie (ou de coton dans une
édition ultérieure) de couleur chair.
Cependant, qu'en est-il de la véracité
historique de ce mythe ?
En tout état de cause, il est clairement
établi qu'une dénommée Godiva a bel et bien existé. Cela est attesté par
plusieurs documents du XI° siècle, bien que l'orthographe varie d'une source
à l'autre : Godgifu, Godgyfu, etc.
(à noter que ces patronymes peuvent être traduits en anglais moderne par
god's gift,
ce qui signifie « don de dieu »).
Cette dernière était déjà veuve
lorsqu'elle épousa Léofric, en 1040 (ce qui signifie qu'elle était sans
doute bien plus âgée que dans la légende), et contribua à fonder plusieurs
monastère, dont celui de Conventry (mentionné dans
Flores Historianum).
Ce dernier fut construit sur les ruines d'un couvent détruit en 1016, lors
des invasions vikings.
Elle apparait aussi dans le Domesday
Book (« livre
du jugement dernier ») de 1086, un cadastre établi par
Guillaume de Normandie
suite à la conquête de l'Angleterre[3]
(alors que Léofric était décédé en 1057). A cette date, elle faisait partie
des rares Anglo-Saxons à encore détenir un fief, outre le fait qu'elle soit
la seule femme[4].
Toutefois, il semble qu'elle mourut à
une date incertaine, entre 1066 et 1086 (c'est-à-dire entre la conquête
normande et la rédaction du Domesday Book).
Toutefois, l'écart important entre la
date à laquelle Godiva vécut et la mise à l'écrit de sa légende soulève un
certain nombre de questions.
Roger de Wendover, écrivant 200 ans après les faits, s'inspirait
vraisemblablement d'une légende locale, mais qui fut sans doute déformée et
romancée par le bouche à oreille.
Ainsi, certains historiens voient dans ce récit un symbole d'anciens rites
de fertilité païens ; d'autres pensent que Godiva, très pieuse, aurait
participé à plusieurs processions vêtue d'une simple chemise de pénitent
(cette simplicité ayant évolué en nudité au fil des récits) ; enfin, d'aucun
considère que la jeune femme était comme « nue »
lorsqu'elle ne portait pas de bijoux.
Néanmoins, s'il est aujourd'hui
impossible de déterminer si la légende de Godiva s'inspire d'un fait
réél ou pas, force est de constater que ce mythe reste très
populaire dans le monde anglo-saxon, étant mentionné dans de très
nombreux ouvrages d'art : livres, peintures, films, musiques, etc. A
noter enfin qu'il existe procession de Godiva, organisée
chaque année à Coventry en l'honneur de cette dame, et ce depuis le
XVII° siècle.
[1]
A noter que Léofric est bien un personange historique, ayant reçu le
comté de Mercie des mains de Knut le Grand, roi de toute l'Angleterre à
compter de 1016. A cette date, Léofric était l'un des plus puissants vassaux de
ce souverain.
[2] Rappelons qu'au
Moyen Age, la nudité ne choquait personne. Au contraire, ce n'est
qu'à compter du XVI°
siècle que le corps, considéré comme impur, fut assimilé au mal.
Nous avons déjà abordé cette question dans un précédent article que
vous pouvez consulter en
cliquant ici.
[3]Guillaume le Conquérant, à
l'origine duc de Normandie, décida d'envahir l'Angleterre en 1066, à
la mort du roi Edouard le Confesseur. la mère de ce dernier,
Emma, l'avait eu d'un premier lit, avant de se remarier avec
Knut le Grand. Ainsi, à la mort des enfants de ce souverain, c'est
Edouard qui récupéra le trône
(1042).
[4] Suite à la
conquête normande, les aristocrates saxons furent peu à peu
remplacés par des nobles originaires de Normandie.