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La monarchie de Juillet (1830 - 1848)

CHAPITRE TROISIEME : Une monarchie de plus en plus parlementaire ? (mars 1835 à octobre 1840) 

 

I : Le ministère de Broglie (mars 1835 à février 1836)

           

            1° La constitution du nouveau gouvernement (mars 1835) – Le maréchal Adolphe Edouard Casimir Joseph Mortier ayant présenté sa démission, Louis Philippe I° fut contraint de trouver un nouveau premier ministre.

Buste de Louis Philippe, par James PRADIER, XIX° siècle, musée du Louvre, Paris.

Toutefois, si les députés souhaitaient que le poste soit confié à un homme fort, le roi des Français était hostile à cette idée. En effet, ce dernier préférait conserver son ascendant sur les ministres, chose qui deviendrait impossible si le nouveau premier ministre refusait d’être un homme de paille.

 

Ainsi, dans un premier temps, Louis Philippe se rapprocha du maréchal Nicolas Jean de Dieu Soult (maréchal de Napoléon et premier ministre d’octobre 1832 à juillet 1834.), du général Horace François Bastien Sebastiani[1] (ancien ministre de Louis Philippe.), d’André Dupin (leader du Tiers parti.), et du maréchal Maurice Etienne Gérard[2]  (premier ministre entre juillet et novembre 1834.).

Le maréchal Soult, le général Sebastiani, André Dupin, et Maurice Etienne Gérard.

Finalement, le roi des Français accepta de nommer Achille Léonce Victor Charles, duc de Broglie[3], au poste de premier ministre.

Victor, duc de Broglie.

 

Le nouveau gouvernement fut sensiblement identique à celui du ministère Mortier, à quelques exceptions près : le maréchal Nicolas Joseph Maison[4] reçut le ministère de la Guerre, et le duc de Broglie récupéra les Affaires étrangères (il évinça ainsi l’amiral Marie Henri Daniel Gauthier, comte de Rigny[5], qui resta au gouvernement mais sans portefeuille. Malade, ce dernier mourut en novembre 1835.).

Nicolas Joseph Maison, XIX° siècle, musée des Invalides, Paris (à gauche.) ; l'amiral de Rigny (à droite.).

Le reste des ministres, Adolphe Thiers[6], Jean Charles Persil[7], Georges Humann[8], l’amiral Victor Guy Duperré[9], François Pierre Guillaume Guizot[10], et le comte Charles Marie Tanneguy Duchâtel[11], conservaient respectivement l’Intérieur, la Justice, les Finances, la Marine, l’Instruction publique, et le Commerce.

Jean Charles Persil, l'amiral Duperré, et Charles Marie Tanneguy Duchâtel.

 

A noter toutefois que l’objectif de Louis Philippe, en nommant premier ministre le duc de Broglie, était "d’user" ce dernier, afin de s’en débarrasser plus facilement.

Rappelons que c’est ainsi que le roi des Français avait réussi à décrédibiliser les libéraux, lors du gouvernement de Jacques Laffitte[12].

 

            2° Les premières mesures du ministère Broglie (mars à mai 1835) – Une des premières décisions du nouveau premier ministre fut de faire ratifier par la Chambre des députés le projet de loi visant à indemniser les Etats Unis d’Amérique suite aux déprédations commises par les corsaires français lors de la révolution et de l’Empire (ce texte, rejeté en avril 1834, avait entraîné la démission de Broglie à son poste de ministre des Affaires étrangères[13].).

Cette fois ci, le projet de loi fut accepté par les députés.

 

Quelques semaines plus tard, le 5 mai 1835, le procès des émeutiers d’avril 1834 s’ouvrit[14] au palais du Luxembourg[15]. Cette série de jugements fut l’occasion pour les républicains d’affirmer leurs idées, mais les juges, particulièrement magnanimes, parvinrent à éviter que de nouvelles émeutes éclatent : ainsi, sur les 2 000 prévenus, seuls 150 d’entre eux furent inculpés ; en outre, aucune condamnation à mort ne fut prononcée (les jugements se soldèrent par le bannissement, de courtes peines de prison, ou bien la relaxe.).

Le Palais du Luxembourg, Paris.

 

            3° L’attentat de Fieschi (juillet 1835) – Depuis les émeutes d’avril 1834, si les républicains avaient perdu beaucoup de leur popularité, ces derniers restaient toujours virulents.

A noter qu’ils ne jouaient plus qu’un maigre rôle politique, ayant effrayé les électeurs (ces derniers, membres de la bourgeoisie, craignaient que la capitale ne subisse des excès similaires à ceux qui s’étaient déroulés lors de la Révolution française.).

 

a) L’attentat de la rue du Temple : le 28 juillet 1835, en l’honneur du cinquième  anniversaire de la révolution de Juillet, Louis Philippe décida d’organiser un défilé militaire dans les rues de Paris.

Le roi de France, accompagné par ses fils, plusieurs ministres et de nombreux maréchaux, avait refusé d’annuler la célébration malgré des rumeurs d’attentats.

 

Toutefois, alors que le cortège défilait sur le boulevard du Temple, une fusillade faucha plus d’une cinquantaine de personnes. Si Louis Philippe (blessé au front.) et ses fils furent épargnés par l’attentat, le maréchal Mortier[16] fut tué sur le coup, et de nombreux spectateurs furent fauchés par l’explosion.

L'attentat de Fieschi, sur le boulevard du temple, le 28 juillet 1835, attribué à Gabriel LEPAULLE, XIX° siècle, musée Carnavalet, Paris.

 

Rapidement, les auteurs de l’attentat furent arrêtés et emprisonnés. Les trois prévenus étaient Giuseppe Fieschi, Pierre Morey et Théodore Pépin.

Toutefois, si Morey et Pépin étaient deux républicains, Fieschi, au contraire, n’était qu’un homme de main[17].

Tombe du maréchal Mortier, crypte des Invalides, Paris.

 

b) Fieschi, de la Grande armée à l’attentat de 1835 : Fieschi, né en Corse en décembre 1790, s’était engagé dans la Grande armée en 1806. Participant à plusieurs campagnes de Napoléon (Russie, Allemagne, France.), Fieschi avait plus tard décidé de se mettre au service du maréchal Joachim Murat, roi de Naples.

Toutefois, ce dernier fut vaincu par les Autrichiens lors de la bataille de Tolentino, le 3 mai 1814 (perdant sa couronne, Murat fut fusillé peu de temps après.).

Rentrant en Corse, Fieschi fut emprisonné pour malversations financières ; puis, lors de l’avènement de Louis Philippe, il décida de se rendre à Paris car le nouveau souverain réhabilitait les militaires écartés lors de la restauration.

Epousant à nouveau une carrière militaire, Fieschi reçut le grade de sergent. Toutefois, ce dernier fut à nouveau accusé de malversations financières et se trouva chassé de l’armée.

 

Par la suite, Fieschi rencontra deux militants républicains, Pierre Morey et Théodore Pépin. Ces derniers, hostiles à la monarchie de Juillet, conçurent alors un projet d’attentat avec Fieschi (à noter que ce dernier n’était pas particulièrement sensible aux idées républicaines, mais était avant tout attiré par l’appât du gain.).

Fieschi conçut alors une machine infernale, constituée de 25 canons de fusil juxtaposés.

La "machine infernale" de Fieschi, 1835, musée des Archives nationales, Paris.

Lors du passage du cortège, dans lequel se trouvait Louis Philippe et ses proches, Fieschi embrasa la poudre contenue dans les canons, mais comme il y en avait une grosse quantité, le Corse fut lui-même blessé par sa machine.

 

c) Les suites de l’attentat : Fieschi et ses complices, rapidement arrêtés et emprisonnés, furent traduits en justice le 30 janvier 1836.

Reconnus coupables d’avoir causé la mort de 18 personnes (et d’avoir blessés des dizaines de spectateurs.), les trois prévenus furent condamnés à mort le 15 février et guillotinés le 19.

Tête de Giuseppe Fieschi après son exécution, par Raymond BRASCASSAT, 1835, musée Carnavalet, Paris.

 

            4° Les lois répressives de septembre 1835 – L’attentat de Fieschi, au final, ne contribua qu’à jeter l’opprobre sur les républicains. Ces derniers furent totalement décrédibilisés suite à cet attentat, et le gouvernement profita de la situation pour promulguer une série de lois répressives.

 

Ainsi, Broglie présenta trois projets de loi à la Chambre des députés, courant août 1835.

Le premier renforçait les pouvoirs du président de la cour d’assises[18] et du procureur général (l’objectif était d’empêcher la défense de mettre en place des manœuvres d’obstruction pour les prévenus soupçonnés de rébellion.) ; le second réformait la procédure devant les jurys d’assise (les délibérations ne se feraient plus au deux tiers, mais à la majorité.) ; le troisième, concernant la liberté de la presse, interdisait dans les journaux les discussions sur le roi, la dynastie, et la monarchie de Juillet.

Finalement, les trois décrets furent votés et promulgués au cours du mois de septembre.

 

            5° La chute du gouvernement de Broglie (février 1836) – Alors que la Chambre des députés était plutôt favorable à la politique menée par le gouvernement, un incident provoqua la discorde entre les deux organes du pouvoir.

 

Ainsi, en janvier 1836, Georges Humann, ministre des Finances, annonça aux députés son intention de diminuer de 5% le montant des rentes afin de diminuer la dette publique.

Aussitôt, les députés manifestèrent leur désapprobation, les élus étant en grande majorité issus de la bourgeoisie.

 

Humann, qui n’avait pas averti Broglie de son projet de loi, fut alors poussé à la démission. Le premier ministre, quant à lui, tenta par la suite de rassurer l’assemblée en les informant que le gouvernement n’était pas favorable à une diminution des rentes.

 

Toutefois, le duc de Broglie s’étant exprimé avec des termes « cassants », selon les dires des députés, ces derniers décidèrent de reprendre à leur compte la proposition de réduction des rentes.

Le gouvernement, mis en difficulté, demanda alors à l’assemblée un report du débat, ce qui fut refusé à une courte majorité par les députés.

 

Broglie et les différents ministres, considérant que l’assemblée leur était hostile, décidèrent alors de démissionner en bloc (février 1836.).

Pour la première fois dans l’histoire de la monarchie de Juillet, un gouvernement démissionnait car il avait été mis en échec par la Chambre des députés.

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[1] Sébastiani, nommé général en 1803, fut ambassadeur à Constantinople entre 1805 et 1808. Par la suite, il participa aux campagnes d’Espagne, de Russie, d’Allemagne et de France. Suite à l’abdication, Sébastiani se rapprocha des Bourbons, mais se rallia à Napoléon lors des Cent-Jours. Lors de la seconde restauration, il partit pour l’Angleterre, ne revenant en France que quelques mois plus tard. Elu député à plusieurs reprises, Sébastiani signa l’adresse des 221 en mars 1830.

[2] Participant aux guerres de la Révolution française (Jemmapes, Neerwinden, Fleurus.) et de l’Empire (Austerlitz, Iéna, Wagram, la Moskova, etc.) en tant que général, Etienne Maurice Gérard resta fidèle à Napoléon lors des Cent-Jours. Partant pour Bruxelles à la restauration, il ne revint en France qu’en 1817. Elu député à plusieurs reprises, le maréchal Gérard avait été ministre de la Guerre lors de l’instauration de la monarchie de Juillet.

[3] Né en 1785, le duc de Broglie ne participa ni à la révolution ni à l’Empire. Membre de la chambre des pairs lors de la restauration, il s’opposa à la censure et se prononça en faveur de l’abolition de l’esclavage. Participant à la révolution de Juillet, le duc de Broglie avait été nommé ministre par Louis Philippe à plusieurs reprises.

[4] Le maréchal Maison, participant aux campagnes du premier Empire, avait toutefois décidé de rallier les Bourbons lors de la Restauration. Nommé pair de France en 1816, Maison commanda l’expédition de Morée, en 1828 (pour en savoir plus sur la guerre d’indépendance grecque, voir le b), 2, section II, chapitre deuxième, les derniers Bourbons.)

[5] Le comte de Rigny avait participé à la bataille de Navarin et à l’expédition de Morée. Il avait aussi été ministre de la Marine sous Charles X, puis ministre des affaires étrangères sous Louis Philippe.

[6] Thiers, lors de la révolution de juillet, avait fait paraitre une proclamation appelant Louis Philippe au pouvoir. Ce dernier était ministre de l’Intérieur depuis octobre 1832.

[7] Persil, né en octobre 1785, avait épousé la carrière d’avocat. Sous la restauration, il fut élu député à plusieurs reprises. Ce dernier était ministre de la Justice depuis avril 1834.

[8] Humann, né en août 1780, était un exportateur de tabac strasbourgeois. Son importante fortune lui permit de se présenter à plusieurs reprises aux élections législatives, s’asseyant à la chambre aux côtés des libéraux. Il était ministre des Finances depuis 1832.

[9] Né en février 1775, Duperré s’engagea dans la Marine alors qu’il était adolescent. Combattant lors de l’ère impériale, il fut nommé baron d’Empire par Napoléon décembre 1810, puis contre amiral l’année suivante. Préfet maritime de Toulon lors des Cent-Jours, Duperré fut écarté lors de la restauration. En 1830, il participa à l’expédition d’Alger, puis il fut nommé pair de France et amiral par Louis Philippe. Il était ministre de la Marine depuis mars 1834.

[10] Guizot, né en octobre 1787, était ministre de l’Instruction publique depuis 1832.

[11] Tanneguy Duchâtel était un avocat français né en février 1803. Il était ministre du commerce depuis avril 1834.

[12] Pour en savoir plus sur l’éviction de Laffitte, voir le 3, section V, chapitre premier, la monarchie de Juillet.

[13] Pour en savoir plus à ce sujet, voir le 3, section III, chapitre deuxième, la monarchie de Juillet.

[14] Pour plus de renseignements au sujet des émeutes d’avril, référez vous au 4, section III, chapitre deuxième, la monarchie de Juillet.

[15] Rappelons que le palais du Luxembourg était le siège de la Chambre des pairs.

[16] Le maréchal Mortier avait occupé le poste de premier ministre entre novembre 1834 et mars 1835.

[17] Certains historiens considèrent toutefois que Fieschi était un bonapartiste déçu par la monarchie de Juillet.

[18] La cour d’assises à pour fonction de juger les crimes les plus graves (meurtres, viols, vols avec violences, etc.).

 
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